1 – Début des tribulations
Un article d’Emma LOZANO, paru dans Une Saison en Guyane Hors-série n° 3 – Pages 68 à 73., intitulé Le Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP) attire particulièrement mon attention :
Une noix de coco sculptée par un bagnard, détenu sur les Îles-du-Salut, a appartenu à un certain MEYSSONNIER de L’Isle-sur-la-Sorgue.
- Photo de la noix et du texte qui l’accompagne
- Cet objet est référencé : 2010.01.19.0, 2010.0219.1 et 2010.01.19.2 dans les registres du CIAP. La photo est l’œuvre de Mickaël BERTELOOT – Photographe.
Pourquoi alors cet intérêt pour un fait qui peut sembler banal ?
Je suis (à ce moment-là), avec mon épouse, en vacance chez nos enfants qui sont en Guyane.
Nous habitons L’Isle-sur-la-Sorgue.
Si l’on associe à cela le fait que je sois Généalogiste, on a compris que je me devais d’aller plus loin.
2 – Authentification de la noix de coco
La photo de la pièce qui est ci-dessus est bien celle qui fait l’objet des fiches [1] du CIAP. Elles portent les numéros 2010.01.19. 0 - 2010.01.19.1 et 2010.01.19.2 car :
Cet ensemble est composé de 3 pièces : Un socle collé au corps, un corps et un couvercle.
Le corps est décrit ainsi : Noix de coco gravée avec un socle. Le socle est collé au-dessous. La surface est décorée avec une scène de fleuve. Au premier plan, deux piroguiers et en arrière un plan de montagne.
Cette description correspond parfaitement à ce que nous présente la photo. Nous sommes bien devant la même pièce.
De plus, nous avons aussi la confirmation que cette noix de coco a été cédée au CIAP, par Franck SÉNATEUR qui lui-même l’avait obtenu directement de Fernand MEYSSONNIER.
Elle ne figure donc pas sur le catalogue "CORNETTE [2]".
- La première des 6 fiches émises par le CIAP (Les 5 autres ne sont pas reproduites ici.)
3 – Les Îles-du-Salut
C’est un archipel composé de 3 îles :
- L’Île-Royale, la plus grande est aussi la plus abordable
- L’Île-Saint-Joseph et
- L’Îles-du-Diable qui est dépourvue de tout débarcadère.
Jusqu’en 1938, l’Administration Pénitentiaire (AP) occupa les lieux qui sont à 14 Km au large de la ville de Kourou.
Aujourd’hui, ces 3 îles sont la propriété du Centre National des Etudes Spatiales (CNES).
La carte ci-après montre la disposition des 3 îlots.
- Carte1 de l’archipel. Elle est accrochée dans la salle du restaurant de l’Île-Royale.
4 – Le bagnard sculpteur
La noix de coco, ne comporte aucun nom, aucune date, aucune marque qui aurait pu permettre une identification de l’auteur. Cela est regrettable car j’aurai pu le sortir de l’oubli en me rendant à Aix-en-Provence où sont conservés les dossiers de ces Hommes.
5 – Fontaine-de-Vaucluse
Mes toutes premières recherches m’apprennent que Fernand MEYSSONNIER ne réside pas à L’Isle-sur-la-Sorgue mais à Fontaine-de-Vaucluse, un village voisin de L’Isle-sur-la-Sorgue. Ce fait ne diminue en rien mon intérêt pour l’article d’Emma LOZANO.
Fontaine-de-Vaucluse est connu à plus d’un titre :
Le célèbre poète François PETRARQUE (1304-1374) y séjourna de nombreuses années.
C’est la source de la Sorgue, résurgence intarissable.
Il y en a bien d’autres, beaucoup d’autres, que le lecteur curieux ira découvrir …
- Le sentier qui grimpe à la source, et la source de la Sorgue
- Photos Roland MONGAÏ
6 – Le musée privé
Emma LOZANO écrit que cette noix de coco provient d’un musée privé. Il s’avère qu’il est installé à Fontaine-de-Vaucluse. Ce musée est Le Musée de la Justice et du Châtiment.
Il était la propriété de Fernand MEYSSONNIER.
M. MEYSSONNIER ouvre ce musée en 1992 et il le ferme en 1998, faute de visiteurs. Cependant, les Employées de la Mairie de Fontaine m’apprennent que nombreux sont les touristes qui désireraient visiter ce musée !
Etaient exposées là, 350 pièces dont le clou est une réplique de guillotine [3].
- Fernand MEYSSONNIER devant son joyau
Sans refaire l’inventaire des pièces, nombre d’entre-elles se rattachent aux bagnes, aux bagnards et à leurs travaux. Voilà le pourquoi de la présence de notre noix de coco dans cette galère… Et également l’intérêt manifesté par Franck SÉNATEUR [4] pour quelques-unes d’entre elles.
7 – Les 350 pièces
A la mort de Fernand MEYSSONNIER, sa fille, décide de poursuivre la vente de la collection amassée par son père. Elle prend contact, pour mener à bien cette dispersion, avec le Cabinet de Commissaires-Priseurs CORNETTE DE SAINT CYR qui dresse un catalogue [5] et fixe une date pour la vente. Mais sous des pressions diverses, cette vente n’aura pas lieu.
Ce que sont devenues les pièces de cette collection ne présente aucun intérêt pour notre noix de coco et son histoire. Pas plus que le catalogue !
8 – Fernand MEYSSONNIER
Fernand est un pied-noir, né à Alger. Tout jeune il aide son père, puis devient son assistant attitré. L’un et l’autre sont les Exécuteurs des décisions de justice. Autrement dit, ils sont les bourreaux de la République. Ensemble ils s’occuperont de près de 200 cas.
- La carte professionnelle de F. MEYSSONNIER (http://guillotine.cultureforum.net/)
En 1961, avant l’indépendance de l’Algérie (3 Juillet 1962), et l’abolition de la peine de mort (9 Octobre 1981) et il part s’installer en Polynésie Française.
Il effectue ce long voyage à bord du Calédonien [10]
- Le Calédonien sortant du port de Marseille
Il y rencontre la mère de son unique fille. Je le note ainsi car sur son acte de décès il est déclaré comme étant célibataire.
Divers jobs, entreprises, achats et ventes [11] finissent par lui constituer un conséquent pécule. Il peut revenir … la tête haute !
1990 marque donc son retour en Métropole et son installation à Fontaine-de-Vaucluse. C’est alors qu’il parachève la collecte des documents et objets qui constitueront sa collection. C’est en camping-car, et en famille, qu’il va de salle des ventes, en salle des ventes.
Ainsi il enrichit son musée que sa fille ne souhaite pas entretenir. Elle dispersera la collection selon la volonté de son père.
9 – La généalogie de F. MEYSSONNIER
Il eut été anormal que cette étude ne comporte pas ce volet. Cependant, je ne me suis pas chargé de cette tâche. C’est une amie, Maryse COURS, qui a bien voulu rechercher les ancêtres de cette famille peu ordinaire.
De cette famille, on retiendra que le berceau est situé dans les Hautes-Alpes et plus exactement Neffes, tout près de Gap.
- Neffes au pied du massif de Céüse (Avec l’autorisation de Laurent DELIMARD)
Cette présentation ne constitue qu’une petite partie du travail de recherche effectué par Maryse COURS sur les ancêtres de Fernand MEYSSONNIER. A ce propos, soulignons qu’elle est remontée jusqu’en 1678 !
Cet arbre étêté est dicté par la place disponible et un étalage plus conséquent se serait écarté du sujet.
10 – La maison musée
- La propriété MEYSSONNIER à Fontaine-de-Vaucluse.
- Photo Roland MONGAÏ.
Déjà, Fernand MEYSSONNIER avait converti son musée, de faible rapport, en un magasin de vente de « Choses Provençales » beaucoup plus lucratives.
Le musée occupait le sous-sol de son habitation, que l’on aperçoit au fond à droite de cette photo. La devanture borde le chemin d’accès à la fontaine. Il est donc très passager en toutes saisons.
11 – Voir, entendre Fernand MEYSSONNIER
J’ai trouvé quatre sites qui permettent cette prouesse :
http://www.dailymotion.com/video/x54njt_abolition-de-la-peine-de-mort_news
http://maidanoweb.free.fr/berger1889/la-sombre-realite/la-guillotine-de-ferdinand.html
https://www.youtube.com/watch?v=g4BlCBLc16M
https://www.youtube.com/watch?v=j3_Gg_Dro8k
12 – La tombe MEYSSONNIER
Il n’y a ni tombe, ni pierre, ni trace de Fernand Jean MEYSSONNIER dans le cimetière de Fontaine-de-Vaucluse car selon sa volonté, il a été incinéré et ses cendres dispersées…
13 – Le Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP)
Il est installé à Saint-Laurent-du-Maroni, Ville et Pays d’Art et d’Histoire [12], dans les bâtiments (Chapelle, cuisine et cases) de l’ancien camp de la transportation. Il offre au public scolaire, universitaire, local ou touristique, un espace culturel dans ce qui fut des lieux de souffrances, de douleurs, de peines, d’éloignement, de mort !
Trois documents exposent les buts, les motivations et les activités de ce Centre :
https://www.youtube.com/watch?v=VFbsfQvgmpk
http://www.rfi.fr/emission/20150228-guyane-cayenne-bagne-condamnes-forcats
http://www.saintlaurentdumaroni.fr/Ville-d-Art-et-d-Histoire_r256.html
Les quelques photos qui suivent, fixent ces lieux où, entre 1850 et 1953, plus de 70 000 bagnards sont passés.
- L’entrée du Camp de la Transportation et les cuisines
- Vue des cases et vestiges d’inscriptions
- Photos Roland MONGAÏ
14 – Parcours de la noix de coco
Sans être absolument sûr de son parcours, on peut cependant le résumer ainsi :
- Son histoire débute donc sur l’une des Îles-du-Salut (Guyane), où un bagnard inconnu grave ses parois extérieures.
- C’est très certainement un membre de l’Administration Pénitentiaire qui en fait l’acquisition, pour lui-même ou bien pour en faire cadeau à de la famille, ou à des amis.
- Comment s’est-elle ensuite retrouvée dans une salle de vente ? Seule la fille de Fernand MEYSSONNIER, qui peut posséder un certificat d’origine remis à son père lors de cette acquisition, pourrait répondre à cette interrogation.
- Dès lors, elle est exposée à Fontaine-de-Vaucluse. Nous sommes sûrs que Fernand MEYSSONNIER fut le énième propriétaire de la noix de coco.
- Car justement, c’est auprès de de Fernand MEYSSONNIER que Franck SÉNATEUR fait l’acquisition d’un lot d’articles divers dont la noix de coco sculptée fait partie.
- C’est en 2010 que Franck SÉNATEUR revend, au prix coutant, au CIAP, notre noix de coco.
- Aujourd’hui, ses tribulations sont terminées. Elle est exposée à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane Française.
15 – Remerciements
Maryse COURS mérite toute ma reconnaissance pour les recherches généalogiques qu’elle a effectuées.
A ce nom et à cet hommage, j’associe ceux de Mesdames et Messieurs :
Léa CASTIEAU
Emma LOZANO
Mickaël BERTELOOT
Laurent DELIMARD
Franck SÉNATEUR
Le personnel de la mairie de Fontaine-de-Vaucluse.
16 – Bibliographie
- Jean BOUVET – En descendant la Sorgue – Ed. BARTHÉLEMY – Avignon 1990.
- Julien GUIGUE – La fontaine de Vaucluse – Ed. RUILLIÈRE – Avignon 1949.
- Yvette GOEPFERT – Fontaine de Vaucluse – Ed. AIO – Le Cannet 1983.
- Fernand MEYSSONNIER & Jean BESSETTE – Paroles de bourreau –Ed. IMAGO – Paris 2002 -
- Collectif – Notre-Dame-de-Saint-Véran (Fontaine de Vaucluse) –Imp. BEAULIEU – Lyon.