Portraits de Boissy d’Anglas, Marat et Necker Clichés libres et autorisés : http://www.chd.univ-rennes1.fr/Icono/Thiers/ThiersHRF1865.htm#_Source(s)
Les protestants : des patriotes comme les autres.
Avec certains noms connus comme Boissy d’Anglas, Cambon, Marat, Necker, Rabaud Saint-Etienne, les protestants seront souvent impliqués dans le déroulement des évènements mais sans référence à leur religion et sans alliance ni cohérence politiques. Ils réagirent de façon plutôt individuelle et sans constituer un groupe particulier homogène et encore moins un « parti » ; on trouvera des protestants en nombre croissant dans les différentes assemblées (de moins de 2% aux États Généraux à près de 5% à la Convention), mais aussi bien parmi les Feuillants que chez les régicides, aussi bien à la Gironde qu’à la Montagne. Jamais on observera non plus de position religieuse exprimée individuellement ou en groupe : après plus d’un siècle de persécutions, de clandestinité et d’habitude du secret dans un pays au catholicisme dominant, on n’affichait pas sa religion fut-elle autorisée pour éviter toute provocation. Même pendant la Terreur une « solidarité protestante » ne semble guère avoir joué.
A l’aube de la Révolution les protestants ne sont d’ailleurs plus perçus comme des victimes de l’intolérance, de l’arbitraire et des préjugés ; le climat d’alors est plus à l’indifférence religieuse et la question protestante ne trouvera qu’une très faible place dans les cahiers de doléances. Leur image dominante, proche de la réalité, est celle du « bon protestant », en majorité campagnard paisible, austère et simple. Les échos de la révolution américaine accréditent cette image avec le bon protestant américain Benjamin Franklin venu à Paris et la déclaration des droits de l’homme qui sert de modèle à la France. On peut affirmer qu’alors les protestants sont des « patriotes » comme les autres.
Culture protestante et Révolution
Plus engagés dans l’action que dans le mysticisme, ceux que l’on va rencontrer dans les assemblées révolutionnaires ont hérité des idées du siècle une foi surtout intellectuelle très imprégnée des « lumières » : leur christianisme est plus moraliste, philosophique et rationaliste que vraiment religieux ; de même on trouve chez eux un certain individualisme teinté de conformisme mais très réservé à l’égard des groupes et des mouvements de groupes. Patriotique, progressiste favorable à un égalitarisme non révolutionnaire, ce protestantisme annonce celui qui va se développer en Amérique. Plus généralement, comme Max Weber l’a analysé, ce protestantisme repose sur la responsabilité de l’individu, le souci de peser sur le présent et l’acceptation de la différence.
Ainsi très généralement la Révolution va répondre aux aspirations communes des protestants : égalité des droits et liberté du culte. Dès 1789 ils sont patriotes tout en restant le plus souvent monarchistes et reconnaissants envers le roi. Sans doute le mode d’organisation du culte protestant avec ses assemblées et pasteurs élus constituaient pour eux un modèle d’organisation politique de bas vers le haut plus conforme au modèle d’une monarchie parlementaire que le système de l’église catholique descendant du haut vers le bas analogue à la monarchie d’ancien régime . De même le protestantisme a été bâti sur l’idée de réforme, et la réforme permanente admettant une multiplicité d’églises constitue pour eux une manière de grandir par opposition à la fixité et à l’unité de l’église catholique avec son Pape et sa hiérarchie ecclésiastique immuable
La question religieuse se posa à l’Assemblée Constituante dès août 1789 quand elle rédigea une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur le modèle américain. La majorité de l’Assemblée voulait affirmer que la France avait un « culte dominant ». Le député de Nîmes, protestant notoire, Rabaut-Saint-Etienne réclama avec indignation « non la tolérance, mais la liberté » et il obtint l’article 8 selon lequel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses ». Enfin, la Constitution de 1791 déclara tout citoyen « libre d’exercer le culte auquel il est attaché »
Profil bas ou opportunisme
Les protestants voyaient ainsi leur communauté, comme la communauté juive, intégrée dans la nation, et on comprend dès lors leur attachement aux idéaux révolutionnaires. Pourtant, minoritaires et dispersés avant 1789, ils vont le rester pendant la Révolution. On pourrait dire qu’ils vont adopter un profil bas dans la tourmente aussi bien par pragmatisme que par précaution. Quand pour une fois certains protestants ébauchèrent un semblant d’unité sur le maintien de la traite et de l’esclavage des noirs, plusieurs autres prirent contre eux le parti opposé de Mirabeau, de Sieyès et des « Amis des noirs ». Sur cette question Barnave avait monté une coalition au nom des colons et des armateurs de traite avec le concours de plusieurs négociants, notamment bordelais et nantais. Avec le Comité des Colonies ce groupe était parvenu pour un temps à neutraliser toute tentative abolitionniste. Malgré ces pressions on sait que l’esclavage sera aboli en 1794.
Le semblant d’unité politique va clairement se briser en 1792 avec le Dix-Août, le procès, la chute et la décapitation du roi. Les protestants en matière politique se divisent alors comme tous les Français. Lors du procès du roi, sur les 28 députés participant au vote, 16 vont se prononcer pour la mort sans restriction d’aucune sorte, 5 pour la condamnation à mort assortie d’un sursis ou d’un recours au plébiscite et 7 pour des peines autres que la mort . Ensuite, à la Convention, beaucoup de bourgeois protestants vont se retrouver chez les Girondins, mais d’autres, comme Marat, chez les Montagnards. Sept parmi les premiers suivront la Gironde jusqu’à la mort en 1793 et les seconds, sauf un, échappèrent à la réaction post-thermidorienne.
La rigueur protestante n’empêcha pas les adaptations aux circonstances des individus ; par exemple Jean Nicolas Pache, protestant notoire, qui avait été contrôleur de la Maison du Roi, se retrouva au ministère de l’intérieur puis ministre de la guerre grâce aux appuis des Girondin auxquels il s’opposera ensuite violemment avec les hébertistes qui le nommèrent à la mairie de Paris. Ses différentes fidélités successives et son travail acharné lui permirent ensuite de traverser la Terreur sans encombres tout en évitant les attaques des Thermidoriens. Un autre exemple d’adaptation opportuniste nous est fourni par Boissy d’Anglas - membre du Consistoire protestant de Paris - qui sut plus que tout autre naviguer à travers tous les remous politiques : successivement Constituant, Conventionnel, membre des Cinq-Cents puis du Sénat conservateur, comte d’Empire et Pair de France .
Plusieurs Conventionnels protestants acceptèrent même sans trop se compromettre les campagnes de déchristianisation qui vont sévir de septembre 1793 à juillet 1794 puis après le coup d’état du Directoire du 4 septembre 1797. Les décapitations, déportations et incarcérations personnelles et les confiscations et destructions de lieux de culte qui touchèrent essentiellement les membres et les biens de l’église catholique réfractaire affectèrent beaucoup moins l’église réformée, même si le culte fut partout suspendu et si les pasteurs durent arrêter toute activité officielle. Le protestantisme par nature très déritualisé, habitué à un culte dépouillé, austère et discret, historiquement habitué à la clandestinité, se trouvait naturellement à l’abri des bûchers, du vandalisme, des nationalisations et des destructions iconoclastes. Le culte reprendra au lendemain du 9 thermidor. C’est alors sur le rapport du protestant Boissy d’Anglas que la loi du 21 février 1795 proclamera la séparation des églises et de l’État ainsi que la liberté des cultes sans appui de l’état ; cette dernière disposition n’intéressant évidemment pas les protestants qui n’avaient jamais bénéficié - bien au contraire - d’aucune aide de l’État.
La réaction post-thermidorienne ne fit qu’un mort parmi les Conventionnels protestants : un certain Rühl qui, fidèle à Robespierre, fut décrété d’accusation et se suicida ; d’autres s’en tirèrent avec un court emprisonnement ou en prenant la fuite à l’étranger.
Comment rapprocher un Boissy d’Anglas,un Marat et un Necker ?
Au total on ne parvient pas à distinguer des particularités affirmées par les protestants dans cette période révolutionnaire où leurs attitudes et leurs sorts ne diffèrent guère de ceux de leurs contemporains ; leur appartenance confessionnelle aurait même joué un moindre rôle que leur appartenance à un milieu social, chacun cherchant d’abord comme tout le monde à survivre. Quant au rôle et à la place de la religion elle-même, on sait qu’elle fut convoquée pour tenter d’imposer un culte déiste « de remplacement » afin d’assurer une base morale pérenne à la Révolution. Les tentatives d’un Robespierre pour s’appuyer sur l’ « Etre suprême » afin de rétablir l’ordre dans le pays affecté par les troubles civils nés notamment des milieux catholiques de l’ouest spécialement malmenés, firent long feu tout comme l’expérience du culte révolutionnaire de la Théophilanthropie à partie de 1796. Il faudra attendre Bonaparte qui avec pragmatisme négociera un Concordat avec le Pape Pie VII : le nouveau statut des cultes saura alors conjuguer l’ordre social et les aspirations à l’intégration religieuse et à la respectabilité du protestantisme.
SOURCES :
- Robert, Bourlotton et Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Bourlotton éditeur, 1889
- André Encrevé, notamment : Les Protestants et la Révolution française, Ed. Armées d’aujourd’hui, 1989
- Charles BOST, Histoire des Protestants de France, Edition La Cause, 1926
- Séverine Pacteaude Luze, Les Protestants et Bordeaux, Mollat éditions, 1999
- Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 4e trim. Tome 127, 1989, articles de Henri Dubief, Daniel Robert et Jacques Poujol.
- Michel Vovelle, La Révolution contre l’église, Ed. Complexe, Bruxelles, 1988
- Musée virtuel du protestantisme français : www.museeprotestant.org
- Bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français : http://www.shpf.fr
Les députés protestants dans les assemblées révolutionnaires
1789 : les 17 députés protestants aux Etats Généraux sur un total de 1200 :
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