Sur le livre de désarmement du Massiac [1], en date du 10 janvier 1764, François Thoumelin [2] est cité comme novice du département de Vannes (Quartier maritime). Outre le calcul de sa solde réalisé sur ce registre, il est indiqué qu’il a perçu les parts de prises suivantes :
- Parts de prises de l’escadre de monsieur Saint Georges sur le Provence : 43L, 4d en date du 27 août 1775.
- Part de prise sur La Betty : 5L, 19s, 9d en date du 4 juin 1777.
Dans le présent article, nous allons expliciter à quoi correspondent ces parts de prises pour le matelot de la Compagnie des Indes François Thoumelin.
Les parts de prises du Comte de Provence
En 1762, pendant la guerre de Sept ans contre les Anglais, le Comte de Provence est à l’île de France et fait parti de l’escadre de monsieur Grout de Saint Georges. C’est un vaisseau de guerre de la Compagnie des Indes qui est commandé par le capitaine Trehoüart de Beaulieu de Saint Malo.
Grout de Saint Georges est promu au rang de chef d’escadre pendant cette guerre, il arrive à l’île de France le 24 juin 1761 pour relever monsieur de l’Eguille qui avait pris la charge de l’escadre du comte d’Aché après le départ de ce dernier, le 22 décembre 1760.
Le 8 août 1762, il envoie une partie de cette escadre (le Vengeur, le Condé et la Fidèle [3]) en croisière dans les eaux indiennes sous les ordres de M. de La Pallière. Dans le courant du même mois, il part lui-même en croisière avec le Fortuné et quelques autres vaisseaux et force les Anglais, alors vainqueurs dans presque toute l’Inde, à respecter les Mascareignes. Il meurt de maladie au cours de cette croisière, le 24 janvier 1763 [4].
Du 4 septembre 1762 au 20 janvier 1763, François Thoumelin est embarqué sur le Comte de Provence alors qu’il est signalé sur le livre de désarmement du Massiac être sur la Pénélope (du 30 juin 1762 au 15 avril 1763). La trace de cet embarquement nous est révélée par le livre de décompte des parts de prises du Comte de Provence [5] et confirmé par les rôles d’équipage du Comte de Provence où est noté le nom de François Thoumelin comme matelot [6].
A cette époque, le Comte de Provence était la " cayenne de la rade ", c’est-à-dire servait de caserne flottante pour les marins restés à l’île de France.
Les navires anglais pris par l’escadre de Grout de Saint Georges, pendant l’embarquement de François Thoumelin sur le Comte de Provence, au nombre de six (Un autre navire a été pris le 31 mars 1762 : La palle Le William. Mais cette prise a été faite en dehors de la période d’embarquement de François Thoumelin sur le Comte de Provence et ainsi ce dernier ne touchera rien pour celle-ci), furent :
- Le vaisseau le Walpoold, le 22 septembre 1762.
- Le brigantin l’Aiderabax, le 30 octobre 1762.
- Le senau (Navire marchand gréé en brick) Lefpidwel, le 7 janvier 1763.
- Le senau l’Avanture, le 17 janvier 1763.
- Le both l’Heureux, le 20 janvier 1763.
- Le senau le Désir, le 20 janvier 1763.
Les marins ayant embarqué sur le Comte de Provence pendant la période des prises (641 personnes composées de 30 Officiers Etat Major, 196 Officiers Mariniers et non Mariniers, 22 Volontaires et Pilotins, 360 Matelots, 16 Domestiques et 17 Mousses) touchent pour ces prises la somme de 51637L 14s 3,5d (La part globale de monsieur Grout de Saint Georges est de 18994L 13s 7d). La part du capitaine Trehoüart de Beaulieu est de 12891L 5s 6,5d (dont 3772L 10s 5d sur le William mais le capitaine Trehoüart de Beaulieu ne touchera pas cette somme car il décédera le 23 mai 1764. Elle sera remise à la caisse des invalides de la Marine) et celle de François Thoumelin de 43L 4d qui se décompose comme suit :
- Part sur le Walpoold : 38L 5s 2d
- Part sur l’Aiderabax : 11s 6d
- Part sur le Lefpidwel :18s 6d
- Part sur l’Avanture : 1L 2s 11d
- Part sur l’Heureux : 18s
- Part sur le Désir : 1L 4s 3d
Soit un total de : 43L 0s 4d
Cette part de prises représente environ trois fois le salaire mensuel (15 Livres) de François Thoumelin à cette époque et lui a été attribuée plusieurs années après les faits, soit le 27 août 1775. Le capitaine avait lui, à la même date, un salaire de 200 Livres par mois, et sa part concernant les prises est donc proportionnellement bien plus importante que celle des matelots. Elle représente, en enlevant la part concernant le William, la somme de 9118L 15s 1,5d soit 45 fois son salaire.
Comment ont été calculées les parts de prises de François Thoumelin ?
Pour comprendre, comment ont été calculées les parts de prises revenant à François Thoumelin, nous nous baserons sur les calculs faits pour la prise du Walpoold [7] car pour les autres prises les calculs ont été similaires.
Le sixième du montant des prises revenait aux vaisseaux ayant participé aux captures (Le montant du sixième de la totalité des prises a été d’environ 36 4000 Livres pour un montant global de 2 184 000 Livres [8]).
Ensuite une répartition était faite entre les vaisseaux (Un autre navire participa au partage des autres prises en plus de ceux cités ci-après, c’est Le Choiseul).
Pour la prise du Walpoold la répartition a été la suivante :
- Le Provence : 4 parts.
- Le Vengeur : 4 parts.
- La Fortuné : 4 parts.
- Le Comte d’Artois : 4 parts.
- Le Vaillant : 4 parts.
- Le Condé : 2,5 parts.
- Le d’Argenson : 2 parts.
- La Fidèle : 1,5 parts.
- Le Massiac : 1 part.
- L’Expédition : 1 part.
- La Gracieuse : 1 part.
Soit un total de 29 parts.
La somme totale à répartir, pour la prise du Walpoold, étant de 235 892L 11s 6d, le montant de la part pour les navires s’élevait donc à cette somme divisée par 29 soit : 8 134L 4s 6d (Avec une fraction perdue de 0,41d).
Le partage concernant François Thoumelin, a été réalisé entre les 5 navires suivants : le Provence, le Vengeur, le Fortuné, l’Artois et le Vaillant, et s’élevait donc à 162 684L 10s 5d ( 8134L 4s 6d multipliés par 5 fois 4 parts, soit 20 parts).
Ensuite par navire, la répartition à l’équipage était basée sur les ratios ci-après :
- ¼ au capitaine.
- ¼ aux officiers.
- ½ au reste de l’équipage.
Pour les officiers, la quote-part revenant à chacun était fixée suivant son grade :
- Capitaine en second : 4 parts.
- Lieutenant : 3 parts.
- Enseigne : 2 parts.
- Ecrivain : 3 parts.
- Aumônier : 1 part.
- Chirurgien : 1 part.
- Officier de troupe : 2 parts.
Pour l’équipage la quote-part était aussi attachée au grade :
- Maître d’équipage : 4 parts.
- Maître pilote : 3 parts.
- Maître canonnier : 3 parts.
- Officier marinier : 2 parts.
- Volontaire et pilotin : 1 part.
- Matelot : 1 part.
- Domestique : 1 part.
- Mousse : 0,5 part.
- Sergent et caporal : 2 parts.
- Matelot : 1 part.
- Domestique : 1 part.
- Mousse : 0,5 part.
- Sergent et caporal : 2 parts.
- Domestique des officiers de troupe : 2 parts.
- Soldat : 1 part.
Puis, des calculs étaient réalisés pour déterminer la valeur de la part pour le capitaine, les officiers et l’équipage. Ces calculs prenaient en compte le nombre de marins de chaque grade présent à bord de chaque navire lors des prises et étaient réalisés comme indiqué dans les tableaux ci-après pour le Walpoold :
Le nombre de parts total était déterminé en multipliant le nombre de marins par catégorie par la quote-part attribuée à son grade.
Ainsi pour les matelots, le total des matelots était de 1099 avec une quote-part de 1 ce qui donnait un total de parts pour les matelots de 1099 x 1 = 1099 parts.
Ce calcul était effectué pour chaque grade et les résultats ainsi additionnés permettaient d’obtenir la somme totale des parts à répartir, soit pour l’équipage 2126 parts.
En divisant la somme revenant à l’équipage par le nombre de parts à répartir, on obtenait le montant de la part.
Pour l’équipage, le calcul aboutissait à la valeur de 38L 5s 2d ( 81343L 12s 6d divisés par 2126 parts).
Pour les matelots qui étaient à une part, le montant de la part de prise était donc de 38L 5s 2d et c’est ainsi que François Thoumelin a touché cette somme pour la prise du Walpoold.
Un calcul similaire était réalisé pour les autres prises et ensuite par navire " preneur " un document était rédigé pour officialiser cette répartition et permettre le paiement dans les différents départements concernés( Port-Louis, Vannes, Quimper, etc.) [9].
La prise de La Betty par Le Massiac
La Betty est rançonnée (Expression utilisée sur le livre de décompte des parts de prise) par le Massiac [10] , le 27 février 1762 après son départ de Lorient, le 2 février 1762. La Betty est un senau anglais. François Thoumelin fait parti de l’équipage du Massiac à son départ de Lorient pour l’île de France.
L’équipage du Massiac touche 1993L 15s 10,5d pour cette prise. La part du capitaine Winslow est de 498L 8s 9d et celle de François Thoumelin de 5L 19s 9d. Cette part de prise est une somme très modeste au regard du salaire de François Thoumelin qui est rappelons-le, 15 livres à cette époque. Cette part sera remise encore plus tard que celle concernant le Comte de Provence, soit le 4 juin 1777.
Conclusion
L’exploitation des registres de la Compagnie des Indes, conservés au Service Historique de la Marine à Lorient, nous a permis de retrouver à quelles captures correspondaient les parts de prises touchées par le matelot François Thoumelin ainsi que la méthode de calcul. Cette dernière est assez compliquée car basée sur un système de parts par navire et par grade avec des calculs effectués en livre, sou et denier (une livre est égale à vingt sous et un sou est égal à douze deniers).
Les sommes reçues par François Thoumelin en tant que matelot ont été assez modestes au regard de celles perçues par les capitaines des navires.
Pour disposer de plus de renseignements sur les conditions de capture des prises, il conviendrait d’exploiter les journaux de bord des différents navires qui sont conservés aux Archives Nationales à Paris. D’après les documents en notre possession, il semblerait que le Comte de Provence n’ait pas participé directement aux captures mais ait été associé au partage en raison de son appartenance à l’escadre.
Les traces de ces parts de prises, remises une quinzaine d’années après les faits, et retrouvées dans les archives, ont permis de confirmer que François Thoumelin a eu une vie mouvementée qui a marqué la mémoire familiale. En effet, plus de deux cents ans après, on parle encore d’un corsaire qui aurait existé dans la famille.