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Les mésaventures du vaisseau Le Sartine aux Indes Orientales (1776-1780)

(D’après des documents d’archives inédits et le journal de bord)

Le jeudi 1er mars 2007, par Philippe de Ladebat

En 1775 un armateur de Bordeaux fait construire le vaisseau Le Sartine pour monter une expédition vers les Indes et la Chine. Le vaisseau est d’abord détourné de sa route et de son commerce par un prétendu agent secret du Roi pris à bord et la plus grande part de sa cargaison lui est volée lors de ses premières escales sur la côte de Malabar. Reprenant sa route vers la Chine il est pris dans un ouragan au sortir du détroit de Malacca et les vents contraires le forcent à retourner à Pondichéry où il est réquisitionné et armé en guerre pour participer aux combats navals contre la flotte anglaise. Retournant en France après la défaite des Français à Pondichéry, avec Paul de Barras à son bord, il est à nouveau attaqué par un vaisseau anglais au large de l’Espagne ; désemparé, il doit se réfugier à Marseille où il s’échoue sur des hauts fonds, obstruant l’entrée du port. C’est là qu’il termine sa carrière mouvementée, débaptisé en « Sardine » pour la circonstance, par les auteurs de galégeades marseillaises.

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Le port de Bordeaux en 1758
Joseph Vernet, Vues des ports de France,Première vue de Bordeaux : prise du côté des Salinières,photo extrait huile sur toile 1,65x2,63, Musée National de la Marine

Préparation de l’expédition

Voulant profiter de la suppression partielle du privilège de la Compagnie des Indes à Lorient et de la liberté d’armer à destination des Indes et de la Chine désormais accordée au port de Bordeaux, l’armateur Jacques-Alexandre Laffon de Ladebat (1719 - 1797) monte une expédition pour ces pays en 1775. Il rassemble les fonds nécessaires à l’armement et fait construire un vaisseau qu’il baptise Le Sartine en l’honneur d’Antoine de Sartine qui vient d’être nommé Ministre de la Marine le 20 juillet 1774. La construction du vaisseau, une frégate marchande, doit prendre une dizaine de mois et le départ de l’expédition est programmé pour le mois de septembre 1776.

On embauche un capitaine expérimenté capable d’exploiter non seulement les alizés et les régimes des vents inter-tropicaux de l’Atlantique mais surtout les vents de moussons d’hiver et d’été de l’Océan Indien, du Golfe du Bengale puis de la Mer de Chine méridionale. « Le commandement du Sartine est confié au sieur Couronat : ce capitaine - note l’armateur - naviguait depuis longtemps à notre service avec un zèle soutenu et une intelligence rare » On embauche aussi un subrécargue, le sieur Joseph Warnet, qui représente à bord le propriétaire du vaisseau et de la cargaison, et dont le frère, François Warnet, est pris comme second.

La route à suivre est l’objet d’instructions de l’armateur :

  • « se rendre promptement à la côte de Malabar pour vendre la cargaison et y acquérir une autre cargaison : poivre, bois de santal, perles et autres objets,
  • se rendre ensuite en Chine pour y vendre ce chargement et y acheter des thés, des soies écrues, des toiles de Nankin, pour revenir en France début 1778 ».

L’armateur parait en revanche mésestimer la situation politique de la France aux Indes après le traité de Paris de 1763 : même si le traité avait restitué Pondichéry, désarmé et rasé, aux Français, ceux ci ne conservaient que des alliances fluctuantes et très incertaines avec les Princes Indiens et l’Inde demeurait largement sous contrôle des Anglais. Les mésaventures du Sartine vont l’illustrer.

S’agissant du vaisseau lui-même, il s’agit d’un trois mâts de type frégate marchande ou « de charge ». Pour les besoins du commerce les cales sont aménagées dans la perspective d’emporter plusieurs centaines de tonnes de cargaison. Au-dessus du pont principal on trouve classiquement les gaillards d’avant et d’arrière reliés entre eux, de chaque côté du pont, par des passavants. Son armement est principalement défensif avec 12 canons de 12 pour les mauvaises rencontres en pleine mer et 6 canons à mitraille "pour la défense à la côte" contre d’éventuelles attaques d’indigènes . Faisant 40 m à la coque pour 60m hors tout et 8 m de large au maître-bau, sa conception et ses 1000 m2 de voilure doivent assurer la vitesse de sa marche et la facilité de ses évolutions. Sa construction demandera huit à neuf mois. L’équipage comprendra une quarantaine d’hommes.

Mission secrète

Pendant que l’expédition se prépare, un certain « Chevalier de Saint-Lubin » se présente chez l’armateur à Bordeaux ; il se dit chargé par le Gouvernement d’une « négociation très importante dans l’Inde ». Documents à l’appui il affirme que cette mission doit cependant demeurer « secrète » et qu’il convient pour cela qu’il soit embarqué discrètement sur un vaisseau particulier en partance pour l’Inde, tel le vaisseau Le Sartine dont il a appris la mise en chantier pour cette destination.

Pensant bénéficier ainsi de la protection et de la garantie du Gouvernement, l’armateur bordelais accepte d’embarquer ce passager. Cette pratique n’est pas originale à une époque où il n’existe pas de bateaux spécialisés dans le transport des particuliers.
Pour autant il n’est pas question de changer la destination marchande du vaisseau ni sa route, ni ses escales. L’armateur accepte cependant qu’une cargaison spéciale « d’environ 600.000 livres en fusils, canons, boulets, poudre à canon, munitions de toutes espèces » soit emportée aux fins de « féconder les négociations avec les Princes de l’Indostan » comme le demande Saint-Lubin.

Pour que la mission demeure secrète il est en outre convenu que l’armateur ne prendrait pas d’associés pour cette expédition et financerait l’armement au moyen de 756.466 livres (sur un total d’armement de 1.317.051 livres) d’emprunts à la grosse aventure. C’est le fils de l’armateur, André-Daniel Laffon de Ladebat (cf http://Laffon_de_Ladebat.site.voila.fr) qui va à Paris chercher ces financements.Le contrat à la « grosse aventure » est un contrat d’assurance et de prêt à intérêt très élevé, stipulant la perte totale du capital en cas de perte du navire, naufrage ou capture. La garantie de paiement ne porte que sur les marchandises transportées. La Compagnie des Indes, par exemple, faisait ses contrats à la grosse avec 50% d’intérêt en temps de paix et 75 % en temps de guerre !

Enfin, l’armateur totalement confiant en la personne de Saint-Lubin, donna ordre au capitaine Couronat, commandant du Sartine et à son second, François Warnet, « d’avoir les plus grands égards pour le sieur de Saint-Lubin et de concourir à tout ce qui pourrait favoriser le succès de ses négociations » sans pour autant lui donner « aucune autorité » sur la conduite du vaisseau et la gestion la cargaison.

Sur la route des Indes

Le 19 septembre 1776 à l’aube Le Sartine « sort de la rivière de Bordeaux » et cingle vers les côtes d’Espagne par vent favorable. Le 5 octobre le vaisseau doit « relâcher à l’île de Saint-Jago, une des principales de celles du Cap-Verd » en raison d’un « accident à la mâture ». Il en repart le 10 octobre 1776.

Dès le lendemain le sieur Saint-Lubin sort de sa réserve et commence à révéler ses intentions personnelles. Il charge un certain Dufauty, qu’il avait fait embarquer avec lui, de réunir le capitaine et ses officiers, pour qu’il leur donne lecture de prétendus ordres et pouvoirs du Roi concernant son autorité à bord et aux escales des Indes. Il organise pour cela une sorte de cérémonie officielle sur le pont du vaisseau, où il se présente en grand « uniforme, ayant le cordon Rouge et l’ordre de Christ ». Aux termes de sa déclaration il aurait désormais les pleins pouvoirs sur tout l’équipage ainsi que sur « tous François » qui se trouverait sur la côte de Malabar. Se proclamant « Ministre plénipotentiaire » sur la dite côte de l’Inde, il fait consacrer sa nouvelle autorité en demandant « un salut de vingt-et-un coups de canons pour les ordres de sa majesté et un second salut du même nombre pour lui ».

A partir de cette date Saint-Lubin entretient des relations directes avec des officiers et des hommes de l’équipage pour conforter sa position d’autorité et, selon un témoignage, il révèle même certains projets secrets comme « s’emparer du vaisseau pour aller pirater sur la mer des Indes » Le climat à bord s’en ressent et le capitaine Couronat se plaint d’observations critiques faites sur le choix de route du vaisseau.

La navigation se poursuit cependant vers le cap de Bonne Espérance puis le vaisseau remonte vers le nord par le Canal du Mozambique et après la traversée de l’Océan Indien atterrit à l’île de Ceylan où il relâche le 2 février 1777 dans le port de Colombo. La route a été couverte en moins de cinq mois, preuve de compétence du capitaine et des qualités de navigation de la frégate. L’armateur observe en outre que « l’équipage jouissoit de la meilleure santé par le choix des vivres et de l’usage des choux fermentés qui avoit préservé du scorbut ».

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Les routes aller et retour du Sartine

Pérégrinations imprévues

A partir de cette date on va voir Le Sartine, pratiquement livré aux ordres du sieur Saint-Lubin , faire une série de va-et-vient entre les différents ports de la côte ouest de l’Inde : Cochin (Kochi), Mahé, Mangalor (Mangalore), Goa, Surate (Surat) et Chaoul où ce personnage va successivement interdire la vente ou l’échange de la cargaison marchande, tenter de nouer des relations avec les pouvoirs locaux puis finalement faire débarquer et réquisitionner à son profit avec l’appui d’une partie de l’équipage mutinée et des indigènes, toute la cargaison d’armes.

Après bien des démêlées où l’on suit le sieur de Saint-Lubin à Pôni ( Pune) tentant de vendre seul les armes à la Cour des Marattes, le capitaine Couronat décide de rester à Chaoul pour veiller sur la cargaison débarquée et impayée. Peu de temps après, inquiet de laisser Le Sartine bloqué avec sa cargaison, il charge son second, François Warnet de reprendre l’expédition vers la Chine. La frégate appareille le 24 août 1777 avec le reste de la cargaison.

Resté à terre, Saint-Lubin va s’employer à se débarrasser de Couronat pour s’approprier les dépôts d’armes ; après une série de menaces et une tentative d’assassinat, il le fait emprisonner par les Marattes avec les matelots qui tentaient de le défendre. Ils vont être « traînés de cachots en cachots » pendant plusieurs mois.

La frégate, elle, poursuit sa route vers la Chine prenant par le sud de Ceylan vers Sumatra : le 10 septembre elle entre dans le « détroit de Malac » (Malacca) mais prise dans un ouragan le 10 octobre elle ne peut débouquer en mer de Chine ; en partie démâtée, elle doit rebrousser chemin et relâcher au port de Malac pour réparer. Elle ne peut en repartir que le 26 décembre, mais les vents de mousson sont maintenant contraires et le capitaine décide d’abandonner la route de Chine et de retourner aux Indes. On retrouve Le Sartine le 14 janvier 1778 à Pondichéry où l’on négocie les restes de la cargaison, puis à Mahé et à Goa pour caréner.

Warnet ayant appris l’emprisonnement du capitaine Couronat à Chaoul et la "disparition" de toute la cargaison d’armes en dépot,tente d’y remonter par mer, mais les forts vents contraires de Nord-Est à cette saison l’en empêchent et il doit retourner le 26 mai vers la côte de Coromandel. Le 3 juin il est à Pondichéry où il traite un transport de marchandises vers Karikal. Enfin, revenu à Pondichéry Le Sartine est réquisitionné par le Gouvernement le 3 août 1778.

Le Sartine s’en va-t-en guerre

A Pondichéry la lutte a en effet repris contre les Anglais : la ville est encerclée et on se bat sur la mer. Les Français manquent de navires : un ordre de réquisition du Gouvernement de Pondichéry du 3 août 1778 signé de "Guillaume-Léonard de Bellecombe, Commandant général des établissements français de l’Inde et gouverneur de Pondichéry et de Etienne-Claude Chevreau, Commissaire général de la guerre et de la marine", est signifié au capitaine du Sartine :
« Les circonstances actuelles de la guerre exigent que nous augmentions, autant que faire se pourra, nos forces maritimes, et MM de Tronjoly et de Saint-Orins ayant été d’avis que le vaisseau particulier Le Sartine ne pouvait être que très utile au service du Roi : il est ordonné au sieur Warnet, Commandant ledit vaisseau, de s’occuper sans perte de temps, du soin de décharger son bâtiment pour le mettre en état d’être armé en guerre etc. »

Dès le 10 août 1778, armé de 26 canons, Le Sartine change d’emploi : il va désormais participer aux combats au large de Pondichéry dans l’escadre française composée de quatre autres vaisseaux :

  • Le Brillant, 64 canons, commandement : de Tronjoly
  • La Pourvoyeuse, 40 canons, commandement : Saint-Orins
  • Le Lauriston, 24 canons, commandement : Lefer
  • Le Buisson, 24 canons, commandement : du Chezeaux.

Le Sartine est sous le commandement de Blanquet du Chayla avec le capitaine Couronat, libéré, rescapé et embarqué comme second. En pleine bataille avec l’escadre anglaise composée elle aussi de cinq bâtiments et commandée par l’amiral Vernon sur son vaisseau le Rippon de 60 canons, Le Sartine est poursuivi au large de Madras par deux vaisseaux anglais (Le Coventry 28 canons et le Seahorse 24 canons) ; le français Le Buisson qui tente de venir sur lui pour le secourir est poursuivi à son tour par l’anglais le Valentine de 24 canons, et Le Sartine va être rudement canonné par tribord et finalement arraisonné par le Seahorse, le 25 août 1778 à 4 h de l’après-midi.

Le chef de l’escadre française de Tronjoly et son adjoint de Saint-Orins sur leurs vaisseaux respectifs ont été fortement critiqués pour avoir abandonné la bataille alors qu’ils avaient reçu l’instruction du Gouverneur de Bellecombe de poursuivre le vaisseau amiral anglais le Rippon. Barras dans ses mémoires note à ce sujet : « La conduite inqualifiable du capitaine de Tronjoly devant Pondichéry » En revanche les trois autres vaisseaux français, dont Le Sartine, sont considérés comme ayant "bravement combattu".

Le Sartine va être conduit et immobilisé dans le port de Madras jusqu’à la capitulation des Français le 18 octobre suivant. Ensuite il va servir de ponton prison où l’on entasse les marins et soldats français prisonniers de guerre. En mai 1799 un accord d’échanges de prisonniers est signé avec les Anglais et Le Sartine est autorisé à retourner en France sous le commandement du capitaine Jean Dallès (ou Dallest ou Dallis ?), avec ses prisonniers parmi lesquels se trouve Paul de Barras qui avait servi à terre comme officier dans le Régiment de Pondichéry.

En route vers la France

Le Sartine quitte Madras le 14 juillet 1779 avec le Gouverneur de Bellecombe et sa femme à son bord.On met le cap sur l’île Bourbon (La Réunion) où on relâche deux jours au port de Saint Paul. Ensuite c’est la route par la cap de Bonne Espérance et l’Atlantique.

Aux termes des accords maritimes concernant les voyages d’échanges de prisonniers, les vaisseaux qui assurent ces transports doivent naviguer avec un commissaire du pays vainqueur et ne doivent pas être armés en dehors d’un canon de 8 ne servant qu’à assurer les envois de signaux réglementaires. Pour les garantir de toute attaque les dits vaisseaux doivent naviguer sous un « pavillon de trêve » ou « pavillon parlementaire » (cartel flag) destiné à assurer l’inviolabilité des navires qui transportent des prisonniers ; ce pavillon est composé d’un grand pavillon de poupe de couleur blanche doublé du pavillon de l’ennemi, plus petit et plus bas.

S’agissant du Sartine il aurait dû, pour naviguer sans risque, arborer un pavillon blanc doublé donc d’un pavillon anglais plus petit et plus bas.

Selon les mémoires de Paul Barras qui est à bord : « Les pavillons de trêve arborés, nous fîmes voile pour le cap de Bonne-Espérance : on y prit des vivres et l’on s’y radouba. Après une heureuse traversée, à la hauteur du cap Saint-Vincent (ce cap est au sud du Portugal, à la pointe sud-ouest de l’Algarve), nous fûmes ralliés sous pavillon par un vaisseau de guerre anglais qui croisait sous le cap. A portée de pistolet il nous lâcha sa bordée, vira de bord et dirigea le feu de mitraille sur notre bâtiment sans défense, et bien que nous eussions les pavillons de trêve, neuf hommes et notre capitaine venaient d’être tués... Le feu continuait : le vaisseau criblé et faisant eau de toutes parts, allait être submergé. Je m’avisais d’abattre le pavillon français de poupe le feu cessa aussitôt »

Selon ce témoignage où Barras sait se donner le beau rôle, il semble donc que le pavillon français avait été hissé par erreur ou forfanterie à bord du Sartine, ce qui lui avait valu les bordées de la frégate anglaise de 50 canons, le Romney. Sauf à soupçonner le capitaine anglais de mauvaise foi ou désireux de « faire un dernier carton » sans honneur sur un navire ennemi désarmé, on peut aussi penser à une erreur explicable : en effet jusqu’à l’adoption de notre drapeau tricolore le 24 octobre 1790, les vaisseaux de la Marine Royale arboraient des pavillons blancs dépourvus de fleurs de lys ou autres motifs. Dans ces conditions, le pavillon des vaisseaux du Roi pouvait être confondus avec le pavillon blanc de trêve.

Nous sommes maintenant le 1er mai 1780 et Le Sartine est en très mauvais état. Son commandant tué, c’est le second qui prend le commandement ; Barras poursuit dans ses mémoires : « On nous fit porter des calfats et nous nous empressâmes de boucher les trous pour tenir la mer. Dans l’état de destruction où il nous avait mis, le capitaine anglais (Homm ou Home) du Romney voulut bien nous escorter jusqu’à la vue de Cadix, toutes nos pompes en exercice » A bord c’est donc désormais le second, Roubaud, qui commande Le Sartine et qui décide de relâcher le 5 mai dans le port de Cadix pour effectuer les réparations les plus urgentes.

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Entrée du port de Marseille en 1754
Joseph Vernet, Vues des ports de France,Le port de Marseille : l’entrée du port, photo extrait huile sur toile 1,65x2,63 Musée National de la Marine

L’affaire de « la sardine qui boucha le port de Marseille »

Le 9 mai Le Sartine quitte Cadix avec des réparations de fortune et remonte les côtes d’Espagne à vitesse réduite puis passe Gibraltar et arrive en vue de Marseille le 19 mai 1780. C’est là qu’aurait eut lieu le fameux échouage. Barras relate : « Nous échouâmes à l’entrée du port par la maladresse du remplaçant du capitaine Dallès. M. de Pléville, commandant du port et de la marine, plein d’activité, quoiqu’il eût une jambe de bois (sic), parvint, par des manœuvres qui lui étaient familières, à remorquer notre vaisseau sur le quai »
Sans doute l’échouement dans la passe d’entrée du port d’un gros vaisseau comme la frégate Le Sartine paralysa-t-il quelque temps le trafic du port et les Marseillais , prompt à se gausser des « estrangers », en firent-ils alors la fameuse galégeade « de la sardine qui boucha le port de Marseille ».

Cette histoire est attestée par l’historien Paul Vergnet, commentateur des « Mémoires de Barras », qui la cite dans une note en bas de page. Curieusement en outre, par une étrange coïncidence prophétique, le blason de la famille Sartine, créé bien avant cet évènement, est ainsi décrit dans les armoriaux : « d’or à la bande d’azur chargée de trois sardines d’argent » !

On ne saurait toutefois méconnaître d’autres hypothèses comme celles qui circulent aujourd’hui sur internet. On relève ainsi celle de la "sarde", chaîne flottante interdisant l’entrée du port, et celle du brick corsaire La Sardine sabordé par son commandant (le capitaine Danjard) lors du blocus de Marseille en 1793. On trouve aussi une autre histoire rocambolesque mais avec des références historiques erronées ou très incertaines ; elle se serait déroulée en juin 1775 ( ?) et met en scène un certain Molinari de la Ciotat qui pour renflouer le Sartine aurait fait tuer 5000 cochons pour en récupérer les vessies qui, une fois gonflées par 5000 marseillais à l’aide de tiges de roseaux, serait ainsi parvenu à remettre le bateau à flot... Nos lecteurs internautes apprécieront.

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Le mémoire de l’armateur
Rédigé en 1781 par le fils de l’armateur du Sartine : André-Daniel Laffon de Ladebat (Archive familiale privée de l’auteur)

Pour en terminer avec l’anecdote, mentionnons que Le Sartine déséchoué, renfloué et réarmé rejoignit l’escadre de l’Océan Indien mais le 26 novembre suivant, au cours d’opérations sur la côte de Malabar, il touchait une roche et sombrait.

Dès 1779, une commission examinait à Paris les conséquences financières pour l’armateur de la réquisition du bâtiment ; le 26 septembre elle admit seulement un premier dédommagement des prêteurs à la grosse ; dix années plus tard l’affaire n’était toujours pas liquidée et les finances révolutionnaires eurent d’autres soucis que de rembourser les dettes royales.

Voir des images de l’odyssée de la Frégate « Le Sartine »

Références :

  • « Mémoires de Barras », présentés par Paul Vergnet - Editions littéraires et artistiques Paris 1946
  • C.A.O.M. Aix en Provence, Inventaire des archives coloniales, sous-série C1 à C14
  • « Journal de ma déportation à la Guyane française », André-Daniel Laffon de Ladebat ( Fils de l’armateur du Sartine), Ollendorf, Paris 1912.
  • Service historique de la marine (Vincennes)Bibliothèque des manuscrits Cote MS 0049 0050/ 5 et 0140/25.
  • Service documentation du Musée National de la Marine
  • Philippe Haudrère, notamment Les compagnies des Indes (Ouest-France éditions) et Le grand commerce maritime au XVIIIe siècle (édition CDU-Sedes)
  • Jacques Michel : "Du paris de Louis XV à la Marine de Louis XVI, L’oeuvre de Monsieur de Sartine, Tome II, Les éditions de l’érudit, Paris 1984.
  • Sur le sieur de Saint-Lubin cf " La Bastille dévoilée" édition Desenne, Paris 1790 : huitième livraison, p.8 à 19.
  • Maurice Besson : Les aventuriers français aux Indes 1775/1820, Payot, 1932.

Voir en ligne : Site sur l’auteur du mémoire : André-Daniel Laffon de Ladebat


On a centré ici notre récit sur la route et les pérégrinations du vaisseau « Le Sartine » sans développer les aspects financiers ou commerciaux ni les démêlées des représentants de l’armateur avec le sieur Saint-Lubin, non plus que les déboires de l’armateur pour obtenir des réparations de l’Etat concernant la valeur du vaisseau, de sa cargaison et des sommes engagées pour l’expédition . On a limité aussi nos commentaires sur le personnage du prétendu « Chevalier de Saint-Lubin », de son vrai nom Pallebot,connu aussi sous les noms de Winslow et de Massei, et vrai « chevalier d’industrie ». On a pu relever en particulier à son actif dans cette affaire : l’usurpation de la qualité d’ambassadeur, l’abus de pouvoirs, la falsification des pouvoirs du Roi, la fomentation d’une mutinerie à bord, la tentative de détournement du vaisseau, le vol de sa cargaison d’armes avec des indigènes, les tentatives d’assassinat sur la personne du comandant du vaisseau, etc., sans compter ses manoeuvres de diffamation contre l’armateur à son retour en France. Bien entendu il s’agit là des témoignages de l’armateur ou de ses commis (Capitaines, subrécargue, officiers et matelots du Sartine) à charge et accablants pour Saint-Lubin dont la défense reste à faire.Pour autant enfermé à la Bastille dès 1780 puis à Charenton en 1782 d’où il s’évada un an plus tard, et "retiré" en Allemagne puis en Hollande, il ne fut jamais autorisé à revenir en France, ce qui pourrait conforter les accusations. Mais ceci est une autre histoire.

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