Information confirmée ou rumeur infondée ?
Deux mariés démariés : au début de l’année 1875, des articles portant ce titre original se retrouvent dans différents journaux, particulièrement en région : Le guetteur de Saint-Quentin et de l’Aisne (26 février), Le petit Marseillais (27 Février), Le journal de Roanne (28 Février), Le Progrès de la Côte d’Or (1er mars) … Ils reprennent tous la même histoire : un mariage célébré dans la commune d’Anzat-le-Luguet, Puy-de -Dôme, a été annulé par le tribunal d’ Issoire parce que le maire était une femme.
L’histoire est racontée avec beaucoup de verve : les fiancés arrivent à la mairie, la famille est là au grand-complet mais le maire est absent, tous se désolent, quand, au soulagement général, la fille de l’instituteur qui a sans doute assisté à de nombreux mariages croit pouvoir prononcer le solennel : « Au nom de la loi je vous déclare unis par les liens du mariage. »
Et la noce peut suivre son cours. Mais patatras, quelques mois plus tard le tribunal d’Issoire annule le mariage. Cette information relayée par de nombreux journaux trouve sa source dans un article du Moniteur d’Issoire, un journal hebdomadaire d’annonces judiciaires bien placé pour connaître les affaires du tribunal. L’article est paru le 17 Février 1875.
- Le Moniteur d’Issoire
Le journaliste s’amuse, il mélange allégrement mariage civil et mariage religieux, parle de maire et de sacrement ; mais ce n’est pas son problème.
Et puis, pour parfaire le tableau, il ajoute une bonne couche de misogynie. Par contre il n’explique pas comment le tribunal a été informé de cette grave irrégularité et ne révèle pas le nom des mariés.
Nous avons comme élément pour tenter d’en connaître l’identité le nom du village : Anzat- le-Luguet. Cette commune du Puy de Dôme compte alors près de 1500 habitants, elle est située à mille mètres d’altitude en moyenne montagne sur le plateau du Cézallier, est composée d’un village central Anzat et de hameaux dispersés dans la montagne.
Nous savons aussi que les mariés ont connu quelques mois de vie commune avant l’annulation de leur mariage.
Des registres trop bien tenus
Comme je ne puis me rendre aux archives départementales du Puy de Dôme pour consulter les archives judiciaires, je me dis que je devrais trouver aisément l’acte annulé avec, peut-être même, la copie du jugement dans les registres d’ état-civil de la commune d’Anzat-le-Luguet, en regardant les actes de mariage des années 1874 et 1875.
Mais dans les registres de la commune impeccablement tenus, il n’y a ni acte barré ni indication d’annulation portée en marge d’un mariage.
Je suis perplexe. Il me vient l’idée de regarder les tables décennales des mariages célébrés entre 1873 et 1882 dans cette commune et là, je m’aperçois qu’il y a deux fois le mariage d’un Antoine Martin avec une demoiselle Chandozon. Le premier mariage a lieu le 21 novembre 1874 et le second, le 13 février 1875. C’est troublant.
- Table décennale d’Anzat-le-Luget (1873-1882)
AD du Puy de Dôme
En les comparant on voit qu’il s’agit bien du même couple : les époux ont les mêmes dates de naissance et les mêmes parents dans les deux actes, la date de publication est la même pour les deux mariages et le notaire, chez qui le contrat est passé également.
Le premier acte de mariage paraît tout à fait conforme, avec la signature du maire, Bertrand Boyer. Cela suppose que le mariage a été annulé sur la foi du témoignage de personnes ayant assisté au mariage et pour quelles raisons ?
Du côté des parents du marié,il n’y avait pas de problème : le père d’ Antoine était consentant et sa mère décédée. Son épouse était dans la situation inverse : mère consentante, père décédé.
Mais le marié Antoine Martin était veuf depuis deux ans. Y aurait-il eu une opposition de son ancienne belle-famille ?
Le jugement du tribunal d’Issoire, si quelqu’un pouvait le consulter, pourrait sans doute lever ces interrogations. Dans le second mariage l’instituteur est témoin, il a 33 ans, donc il ne peut pas avoir une fille capable de jouer le rôle de maire. Encore un mystère à déchiffrer.
Un mot pour finir sur la situation du véritable maire : il habite au hameau du Luguet à quelques kilomètres d’Anzat où se trouve la mairie : est-ce qu’au mois de novembre, il aurait été empêché de se rendre à la mairie par de la neige tombée précocement sur ces hauts plateaux ou par quelque autre intempérie ?
Est-ce que quelqu’un parmi vous pourrait obtenir des éléments sur cette affaire, est-ce que vous avez dans vos recherches vu d’autres mariages annulés pour incompétence de l’officier d’état-civil ?
C’est une des causes de nullité absolue selon le code civil avec l’inceste, la bigamie et le mariage clandestin. La nullité absolue peut être soulevée par toute personne intéressée alors que la nullité relative ne peut l’être que par les époux pour, le plus souvent, un vice de consentement.
Heureusement ces choses- là ne peuvent plus se produire aujourd’hui : depuis 1945 les femmes en France sont électrices et éligibles ! Et Anzat-le-Luguet a eu au moins un maire féminin, tout à fait légitime : Jeanine Vinatié en 1998 ! Pas sûr qu’elle connaissait cette histoire !