Pourquoi dissimuler son argent ?
En général, les « trésors familiaux » se composent d’argenterie (voir ci-dessous le trésor de Pouilly-sur-Meuse), de bijoux, ou d’un nombre important d’écus et de louis d’or ou d’argent, rarement de monnaies étrangères (voir le trésor de Montrichard ci-dessous).
En novembre 2006, deux habitants de Pouilly-sur-Meuse creusent une fosse dans leur terrain privé, en vue de la construction d’un puits, lorsqu’ils mettent à jour, une vaisselle familiale aux formes simples, destinée à l’usage courant d’une famille de notables. L’étude des poinçons, des styles et des documents d’archives a permis de conclure que l’ensemble a été constitué, de 1480 à 1570, par trois générations d’une famille protestante, les Bechefer. Ceux-ci ont caché leurs biens précieux avant de fuir quelque part, entre 1587 et 1591, au plus fort des guerres de religion. L’ensemble, sommairement enveloppé, se compose de 31 objets d’orfèvrerie civile, tous en argent, certains enrichis de décors gravés ou ciselés et en partie dorés. Ces éléments, souvent poinçonnés, proviennent des ateliers de Paris, Reims, Châlons-en-Champagne et Strasbourg. Le lot comprend notamment une des plus anciennes aiguières connues à ce jour, un rare ensemble de cuillères en vermeil et argent ou encore deux timbales de Théodore De Bry : orfèvre et graveur passé un temps par la capitale alsacienne.
En mars 2007, un maçon creuse une tranchée dans le sol d’une maison classée afin d’édifier un nouveau mur. Une mauvaise lecture du plan de l’architecte le fait piocher à une trentaine de centimètres de l’endroit initialement prévu. Son outil casse alors une ardoise et un pot en grès qui contient près de 600 pièces de monnaie royale d’or et d’argent frappées sous les règnes de Louis XIII, Louis XIV et de leurs contemporains espagnols.
Parmi les monnaies d’or, on trouve un écu au Soleil non daté de François Ier, un faux écu de Louis XIII (1613), des double-louis, louis et demi-louis des règnes de Louis XIII et de Louis XIV, toutes ces dernières pièces comprises entre 1615 et 1661, et enfin des monnaies d’or contemporaines aux noms de Philippe II, III ou IV d’Espagne. Ces macuquiñas étaient les seules monnaies étrangères autorisées pour les besoins du commerce en France. On remarque que ce trésor ne contient ni demi-écus ni autres divisionnaires pourtant largement en circulation à l’époque.
Parmi les monnaies d’argent, on dénombre des écus de Louis XIII et de Louis XIV, et un écu de Gaston d’Orléans, prince de Dombes et frère de Louis XIII.
Les motivations de ceux qui avaient suffisamment d’argent ou de biens précieux pour les dissimuler étaient diverses :
- d’abord, la nécessité de protéger ses biens dans les périodes troubles de l’Histoire (guerres de religion, soulèvements populaires, Révolution, voir les exemples ci-contre) ou de se prémunir contre d’éventuels voleurs. Danger bien réel, comme nous le révèle le Journal du laboureur Pierre Bordier (Jean Vassort, Les papiers d’un laboureur au siècle des lumières, Seyssel, Champ Vallon 1999) : en 1751, alors qu’il est absent de son domicile, des voleurs s’introduisent chez lui avec effraction et lui dérobent « près de 300 livres dans un sac dans son coffre ».
- Ensuite, pour répondre à des situations diverses où la thésaurisation est transitoire. Ainsi, pour veiller à l’établissement d’une fille à marier en prévision de la constitution d’une dot importante, dont une partie est en argent liquide. Mais aussi pour régler les fermages, les impositions ou un remboursement (crédit familial ou créances diverses), ou encore pour acquérir un office, ou enfin pour investir dans des placements fonciers (grands domaines). Par exemple, Jérôme Jambu cite le cas, en 1715, du laboureur Jean Guillebert, de Cordebugle en Normandie (Calvados), « qui peut avancer 1 000 livres en louis d’or et d’argent sur les 2 580 que lui coûte l’achat de douze pièces de terre ».
- Enfin, l’argent thésaurisé permettait de régler les transactions commerciales qui nécessitaient des espèces, notamment avant la généralisation de la lettre de change vers 1685. Selon Pierre Goubert, les coffres-forts des négociants et des bourgeois du Beauvaisis pouvaient contenir de 3 000 à 45 000 livres, « dont l’origine commerciale n’est pas douteuse ».
Où cacher son magot ?
Sous l’Ancien Régime, en l’absence d’établissements bancaires, ceux qui disposaient d’un grand nombre d’argent-monnaie ou de biens en métaux précieux n’avaient d’autres choix que de les dissimuler chez eux ou à proximité du domicile, de préférence dans une cachette la plus sûre qui soit, presque toujours à portée de vue. Dans tous les cas, il leur fallait veiller à ce que le trésor soit facilement accessible en toutes circonstances afin de prélever les liquidités nécessaires au fur et à mesure des besoins ou éventuellement pour compléter le magot avec d’autres richesses.
Comme nous le révèlent l’archéologie et les découvertes fortuites, l’imagination des possédants était sans limite et les caches ne manquaient pas :
- dans les maisons : dans des cavités creusées sous des dallages, dans les murs, sous un pas-de-porte, derrière une embrasure de fenêtre, une plaque de cheminée ou encore dans des poutres évidées ou le creux d’un meuble.
- à l’extérieur : dans un trou creusé dans le jardin, dans la grange ou une autre dépendance.
Souvent, le magot se trouve sous une ardoise ou une tuile, caché dans un coffre ou une petite cassette fermant à clef, ou un sac de toile ou un bissac de cuir, parfois enroulé dans du papier ou du linge.
Au début de l’été 2011, un jeune couple dégage une canalisation dans la cave de leur maison, en centre-ville de Millau. Soudain, la pioche ricoche sur un pot en terre recouvert d’une tuile et qui contient 34 pièces d’or toutes datées entre 1595 et la Révolution française, période trouble où elles auraient été cachées. Dans le lot se trouve un double louis d’or de Louis XIII qui porte le poinçon de Jean Varin, considéré comme le plus grand graveur de monnaie de l’histoire de France. La pièce, dont le relief est intact, date de 1640 et vaudrait à elle seule 6 500 € !
Début novembre 2011, un charpentier nettoie les combles de l’hôtel du Breuil de Saint-Germain, une belle bâtisse noble de la fin du XVIe siècle. Il découvre alors, dans une niche cachée derrière des lambris vermoulus, un sac en toile rempli de pièces emballées dans du journal de l’époque : 1 633 en argent, et 319 en or, soit 41 kg d’argent et plus de 1 kg d’or. Ces pièces, d’une valeur faciale entre 5 et 20 francs, d’origine française et étrangère (italienne et autrichienne) ont été émises entre 1790 et 1840. Elles auraient été cachées là par Jean-François Moreau du Breuil de Saint-Germain, un Langrois né en 1774, émigré en 1791, puis propriétaire, entre 1820 et 1840, de cet hôtel particulier auquel sa famille a donné son nom. Il est décédé dans cette même demeure en mars 1842.
En décembre 1999, un ouvrier qui travaillait à la réfection d’une ancienne bâtisse du centre du village a révélé, fortuitement, un trésor vieux de plusieurs siècles : d’un coup de pioche, il a fait voler en éclats un pot en terre enfoui dans le sol et contenant 280 pièces d’or à l’effigie de Louis XV et de Louis XVI. L’ensemble se compose de 36 doubles louis et de 247 louis, frappés de 1726 à 1787 dans différents ateliers français.
Source : La valeur des biens, niveau de vie et de fortune de nos ancêtres, éditions Thisa, 2013.