Le cochers de fiacre de Tulle et Meymac
Certains petits paysans de Haute-Corrèze de la région de Meymac et d’Ussel vont aussi migrer à Paris. Cette migration couvre a peu près deux générations, de 1875 a 1925. Tous sont paysans au départ, petits métayers pour la plupart. Ils vivent dans des conditions extrêmement médiocres qui les obligent à pratiquer des métiers d’appoint. Les
familles sont, sans exception, très nombreuses : 5 ou 6 enfants est une moyenne fréquemment rencontrée. Dans de telles conditions, on comprend pourquoi, quand il y a un oncle ou un frère aîné fixé à Paris, l’avenir des autres enfants est tout tracé. Au cours de ces cinquante années le schéma évolutif suivant a été grosso modo suivi par nos migrants. Le premier métier pratiqué est souvent celui de palefrenier, ce qui s’explique par l’origine paysanne de nos migrants corréziens. Non pas que dans les métairies du Plateau ils aient eu a élever des chevaux, seuls les grands domaines en possédaient, mais, l’habitude de soigner les bêtes était pour eux un "état naturel". Si certains sont restés palefreniers, d’autres sont devenus cochers dans les grandes compagnies de l’époque : la Générale et l’Urbaine qui avaient plusieurs milliers de véhicules à elles deux. Les Corréziens et les Savoyards monopolisaient la profession. Pour apprendre le nom des rues et passer l’examen de "remisage", il n’était point besoin d’une grande instruction. Dans les années qui précédèrent la grande guerre, les cochers devinrent progressivement des chauffeurs de taxi.
Les chauffeurs de taxi, une colonie corrézienne fortement soudée
Le recrutement était basé sur la solidarité familiale. A l’échelle de la colonie tout entière installée à Paris. C’est tout d’abord le Syndicat des Cochers-chauffeurs, fondé vers 1898 et affilié a la C.G.T., qui a peut-être le plus organisé et suscité le sentiment d’appartenance a un même milieu. Les grandes grèves du début du siècle, puis de 1928, de 1936, les améliorations dans les conditions de travail obtenues par la lutte ont certainement beaucoup contribué à façonner une mentalité particulière. La cohésion professionnelle renforçant la cohésion ethnique. Cette dernière s’exprimait de différentes façons. Par l’emploi du patois lorsqu’on était "entre pays", par la fréquentation de certains cafés, tenus par des compatriotes. On y déposait sa boîte a outils le soir, après la journée, moyennant une ou plusieurs consommations. Mais on y venait également taper la belote le jour de congé. On participait aux bals fréquentés par la jeunesse corrézienne. On cite celui de la place Dalubert, devant le jardin des Plantes, plus tard celui du dimanche à la maison des journalistes rue du Louvre. On dévorait les journaux comme "Lou Cantou" qui diffusaient les nouvelles du pays, on participait au banquet annuel des Corréziens de Paris. Celui-ci eut lieu successivement à la Porte de Versailles, au Pont de Saint-Cloud "Au Pavillon Bleu" et à la salle Wagram. Entre les deux guerres, il était d’usage que Henri Queuille, homme politique corrézien, honorât ses compatriotes en assistant à leur banquet. On le voit donc la colonie corrézienne à Paris ne se distinguait guère de la Colonie Auvergnate.
Les mêmes ferments de cohésion existaient, la langue, les journaux, les bals, les amicales et leur banquet. Il est à souligner, cependant, que le Syndicat concourt à donner au milieu des cochers et des chauffeurs, une originalité supplémentaire. Ce Syndicat s’est délibérément rangé, depuis l’origine, dans le camp des travailleurs pour les défendre contre "l’exploitation" des employeurs. Les chauffeurs de taxi ont donc gardé une sensibilité politique de gauche assez marquée. Ainsi aux élections du Front Populaire en 1936, les chauffeurs de taxi montrèrent bien, en votant pour Marius Vazeille, militant du parti communiste et forestier d’une grande compétence, de quel côté leur sentiment penchait.