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Les assassinats de femmes dans les registres paroissiaux

Le jeudi 17 novembre 2011, par Thierry Sabot

La violence faite aux femmes est un sujet très rarement mentionné dans les registres paroissiaux de l’Ancien Régime, alors que les faits nombreux sont connus par d’autres sources, notamment par les archives judiciaires. Alors, pourquoi ce silence des curés ? Sans doute parce que ces faits heurtaient ou troublaient leur conscience, peut-être aussi parce que le discours dominant situait la place des femmes à un rang inférieur à celui des hommes. Messire Morel, curé de Montrigaud, en Dauphiné, lui, en recense plusieurs cas dans un périmètre proche de sa paroisse, autour de l’année 1764.

On peut remarquer que cette année on a tué plusieurs femmes au-delà du Rhône et aux environs :

À Malleval en Forez près de St Pierre de Bœufs,une fille bergère de 12 ou 13 ans fut trouvée égorgée un dimanche pendant vêpres en pleine campagne, on a accusé de ce meurtre un jeune homme qui avoit souvent des querelles avec elle, en lui reprenant de ce qu’elle gardoit mal les bestiaux.

À St Sauveur une femme fut tuée d’un coup de fusil dans une émeute le 1er de may contre un marchand de Serrières qui alloit pour acheter du grain que l’on embarquoit.

À St Marcel, près d’Annonay un jeune homme tua à coup de couteaux sa mère et son valet qui vouloient se marier ensemble.

À Tournon une servante chez M. Dijon fut trouvée égorgée dans la maison de son maître ; on soupçonna le maître qu’elle avoit servi cy-devant et qu’elle avoit quitté parce qu’il luy faisoit de mauvaises propositions, mais elle avoit eu l’imprudence de le dire à la Dame, ce qui avoit mis du trouble entre cette femme et son mary qui avoit juré la perte de la servante, elle étoit extrêmement belle et vertueuse.

À Arlebosc près de St Félicien dans le Vivarais, une femme pour avoir pris une pièce de lard pour se payer d’un écu qu’elle prétendoit luy être du, fut prise sur le fait, dépouillée toute nue par une troupe de gens du lieu, parmi lesquels il y avoit quelques militaires, qui luy firent mille outrages, l’attachèrent au carcan, luy coupèrent le visage, le sein, la plongèrent dans l’eau et la retirèrent, la scène dura depuis la messe (car c’étoit un dimanche) jusqu’au soir, plusieurs fois on luy donna des liqueurs pour la fortifier contre leurs mauvais traitements, enfin le soir on luy fendit le ventre, dont on m’a dit qu’il étoit sorti un enfant déjà fort avancé, on l’enterra dans du sable, on ajouta qu’elle n’étoit pas aimée.

Montrigaud - Morel, curé de la paroisse- Archives départementales - BMS 1740-1771 - 5MI 57 R1 à R4. Cité par Michel Giroud, L’Almanach du curé de Montrigaud 1740-1772, Valence, Études généalogiques Drôme Association, 2001 (en ligne sur le site de l’association).

Note : À la lecture de ces actes, dont l’un est insoutenable, on voit que la violence faite aux femmes est monnaie courante dans les campagnes et que les motivations meurtrières sont multiples (conflit du travail ou conflit d’intérêt, affaires de mœurs ou question d’honneur...). Au regard de ces actes, c’est toute la question des relations quotidiennes entre les hommes et les femmes, au sein de la société, qui est posée. C’est aussi celle de la place et de la perception des femmes dans une société où domine l’autorité masculine, celle du père, du mari, du maître ou du groupe d’hommes.

Complément d’information sur le supplice qui a eu lieu dans la paroisse d’Arlebosc (07) par Isabelle Noesmoen :

Je viens de me livrer à une courte enquête, munie des deux indices fournis par
le curé MOREL. Que savons-nous donc sur la suppliciée ?

  • Torturée et morte un dimanche.
  • Enceinte.

Donc, il suffit de se munir d’un calendrier perpétuel pour trouver celle qui
décédée un dimanche et donc susceptible d’avoir été la suppliciée, sachant que
le dernier indice selon lequel la suppliciée était enceinte élimine d’office
deux femmes dans leur soixantaine :

  • 08/07/1764 Marguerite TREMOLET, âgée de 63 ans environ, inhumée le 09 (vue 283/416).
  • 09/12/1764 Françoise PELISSON, âgée d’environ 60 ans, décédée aux Romaneaux, inhumée le 10 (vue 287/416).

Cela laisse une seule défunte possible :

  • 29/07/1764 Marianne CHALLIE, âgée de près de 40 ans, enterrée le 20 (vue
    284/416).

Le fait que le lieu exact du décès (hameau) pourrait être un indice d’une
volonté de dresser un acte a minima.

Mais quelqu’un dite décédée un lundi est-elle à éliminer ? Ainsi on a :

  • 24/12/ 1764 Marie Madeleine DEMONTEIL (?), âgée de 30 ans, décédée à Grail, inhumée le 24 (vue 287/416).

Qui qu’elle soit, si jamais elle figure bien dans le registre paroissial
d’Arlebosc, on remarquera que la suppliciée a été "munie des saints sacrements".

Autre chose qu’il serait intéressant de savoir, c’est si un rapport officiel a été
écrit sur ce supplice ou si des écrits ont circulé. D’où sinon le curé MOREL
aurait-il tiré ce renseignement sachant que Montrigaud est quand même distant
de quelque 43 kilomètres à vol d’oiseau d’Arlebosc ?

Le fait qu’il ait eu connaissance de l’acte dans ses détails horribles, me semble bien prouver sa réprobation, même s’il ne le dit pas. La question est : comment a-t-il eu connaissance de ces faits ? Par certains témoins de la scène qui peuvent lui avoir relaté l’affaire ou même l’avoir avoué lors d’une confession ? Par le récit oral ou écrit que lui aurait fait le curé d’Arlebosc ou un curé des environs ? Ou alors, le récit était-il largement connu du fait d’un écrit ou d’une suite donnée à cet acte par un dépositaire de la force publique ? Il me semble probable d’ailleurs que ce fait a été rapporté par un "responsable" du coin et devrait être trouvé aux Archives Départementales de l’Ardèche (en série B).

Je ne peux pour l’instant que me poser des questions et non pas essayer de savoir qui est la source de cette information.

Espérant que ce complément vous aura intéressé...

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2 Messages

  • Il s’agit apparemment de morts violentes, donc ces femmes n’ont pas du recevoir de sacrements, et assez souvent le curé en explique les raisons. Mais je doute que ce soit un phénomène courant.

    Par contre, combien de survivantes blessées, frappées violemment, sans qu’il y ait eu la moindre plainte ?

    Aujourd’hui en France, chaque année, environ 150 à 200 femmes meurent battues par leur mari, pour 50.000 faits de violences conjugales constatées.

    Répondre à ce message

  • Les assassinats de femmes dans les registres paroissiaux 20 novembre 2011 12:45, par Michel GUIRONNET

    Bonjour,

    Plus de cent ans après, le Périgord est le théâtre de faits aussi violents :
    voir le livre d’Alain Corbin "le village des cannibales"

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1991_num_41_4_394581

    livre dont Jean Teulé s’est librement inspiré pour écrire "Mangez le si vous voulez"

    Comme quoi, ce n’est pas l’époque qu’il faut condamner.C’est l’être humain dans toute sa noirceur, et l’effet néfaste des mouvements de foule, qu’il faut incriminer.

    Cordialement.
    Michel Guironnet

    Répondre à ce message

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