« À la Ricamarie (Loire), un drame horrible s’est produit qui provoquera, quand le public en aura connaissance, une vive émotion, car il a été tenu soigneusement caché jusqu’ici.
Le 3 janvier dernier, un jeune homme, nommé Choveaux, âgé de dix-huit ans, sujet à des crises épileptiques, s’affaissait soudain et ne donnait plus signe de vie. La famille et son entourage, persuadés que le malheureux était mort, firent les préparatifs funèbres. L’enterrement eut lieu sans qu’un médecin ait vu le cadavre. Donna-t-on même un permis d’inhumer ? Et, pourtant, la Ricamarie est une ville de huit mille habitants.
Trois ou quatre jours après l’inhumation, le fossoyeur, qui creusait une tombe dans le cimetière, non loin de la place où avait été enterré Choveaux, crut entendre des gémissements. Fait épouvantable : ces gémissements furent poussés pendant trois jours de suite, et le fossoyeur, d’intelligence obtuse, ne s’en inquiéte pas et continua son travail. Cependant, il en parla à des voisins tant et si bien que, onze jours après la mort, le maire et la gendarmerie se transportèrent au cimetière et firent ouvrir le cercueil de Choveaux. Celui-ci, mort enfin, était étendu sur le côté droit, presque retourné sur le ventre, et l’on constata que, durant son atroce agonie de trois jours, l’infortuné, las de crier vainement, affolé par la faim et la soif, avait à demi dévoré ses ongles. » [1].
Tout autant horrifié qu’intrigué par cette sordide histoire, j’ai immédiatement vérifié la mention du décès du malheureux jeune homme dans les registres de la commune. Celui-ci est bien enregistré à la date du 10 janvier 1905 (acte n° 3). Bien sûr, cela ne prouve en rien la réalité ou non des faits ! D’autant que la presse locale s’empresse, mollement, dès le 21 janvier, de démentir l’information :
« Ce terrible drame est-il exact ? On ne saurait le dire, mais il semble bien extraordinaire que l’attaque d’épilepsie ait duré deux jours et que l’inhumation ait été faite sans que le corps ait été examiné par un médecin et sans permis d’inhumer. Cette histoire ressemble étrangement aux contes que l’on raconte aux enfants pendant les veillées d’hiver. » [2].
Il en fallait plus toutefois pour convaincre l’auteur de l’article révélateur de l’affaire pour qui « une négation ne renverse pas une affirmation. Pourquoi, à moins de preuves authentiques, aurait-on plus foi dans la négation que dans l’affirmation, surtout quand il s’agit d’un fait que toute une municipalité a intérêt à démentir ? (...) Je reste donc perplexe sur le cas, tout en souhaitant que l’histoire soit vraiment fausse. Qu’elle le soit ou qu’elle ne le soit pas, cela n’infirme en rien ce que j’ai dit sur les dangers des inhumations précipitées. Car il y en a eu, des inhumations précipitées ; c’est incontestable. » [3]
Ma curiosité aiguisée par le sujet, j’ai voulu vérifier dans les archives de l’état civil s’il était possible de trouver des cas de morts apparentes ou d’inhumations précipitées. Mes recherches furent grandement facilitées par les publications du médecin marseillais Séverin Icard (1860-1932) qui a longuement étudié la question et qui cite de nombreux cas dans ses ouvrages [4]
Cette petite exploration dans les archives et les ressources documentaires, m’a fait découvrir un aspect méconnu des actes de décès annulés dans les registres de l’état civil, ces fameux actes barrés que nous rencontrons parfois au cours de nos recherches.
- "L’inhumation précipitée" (1854) par Antoine Wiertz.
Voici deux cas de mort apparente :
- Antoinette Rouzeyrol, en 1902 : Ainsi, « Le 23 mars 1902, à 9 heures du matin, Rouzeyrol Antoinette, célibataire, âgée de vingt-cinq ans, demeurant à Basteyroux, commune d’Argentat, fille d’Antoine et de Gardille Jeanne, cultivateurs, a été déclarée décédée le même jour, à trois heures du matin, et de nouveau déclarée revenue à la vie à dix heures du matin. » comme en atteste le bulletin de décès communiqué par M. le Maire au docteur Icard et publié dans son ouvrage [5] :
A noter que dans le double du registre (le registre du greffe) conservé par les Archives Départementales, l’acte en question est barré avec la mention marginale : « Acte rédigé par erreur et annulé ».
- Archives Départementales - Commune d’Argentat, registre des décès 1892-1902, 2E_10_33, vue 441/466 (collection du greffe).
- Marie Selve, en 1897 : le docteur Icard, qui a consulté le registre communal, indique que « d’après le registre de l’état civil de la ville de Toulon (Var), l’acte de décès de Marie Selve, enregistrée comme morte le 26 janvier 1897, a dû être annulé en vertu d’un jugement du tribunal civil du 2 mars de la même année. La déclaration du décès avait, pourtant, été faite à la mairie, suivant les règles administratives en usage à Toulon, c’est-à-dire après dépôt d’un certificat médical attestant que la dame Selve était parfaitement morte. Or, celle-ci n’était qu’en état de mort apparente ».
L’acte de décès de Marie Selve contenu dans le registre du greffe (le double) ne comporte pas la mention ci-dessus mais est bien annulé :
- Archives départementales du Var, collection du greffe, registre des décès de la ville de Toulon, 7E146_436, 1897, vue 78/568.
L’histoire pourrait s’arrêter là, sauf que, reconnue vivante, mais sans doute mal en point, Marie Selve décède pour de bon cette fois-ci quatre jours plus tard, le 30 janvier 1897 comme l’indique le registre :
- Archives départementales du Var, collection du greffe, registre des décès de la ville de Toulon, 7E146_436, 1897, vue 87/568.
Ainsi, il est possible de trouver dans l’état civil des cas de mort apparente. Comme nous le voyons à travers les deux exemples ci-dessous, les actes de décès sont toujours annulés par une décision du maire ou par par un jugement du tribunal civil.
Nul doute, à l’avenir, que nous regarderons différemment les actes annulés rencontrés dans les registres d’état-civil !