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Le sentiment développé par les hommes d’église face à la mort de leurs ouailles

Le vendredi 1er février 2008, par Alexandre Dumont-Castells

Cet article, qui s’inscrit dans l’étude de l’histoire des mentalités, a pour but initial de nous faire entrevoir la nature du rapport des hommes d’église et de leur sentiment face à la mort de leurs paroissiens.

Sous l’Ancien Régime, la mort était perçue comme un élément inéluctable de la vie par laquelle tout bon Chrétien devait se préparer à l’affronter personnellement. Elle a été souvent faite d’indifférence et de familiarité. Aussi, elle était l’affaire même de l’agonisant(e), celui-ci sait qu’il va mourir et accepte sa mort (jusqu’après le XVIIIe s.). Lui seul, de son vivant, déjà, avait moins peur de mourir s’il s’y était préparé et s’il avait « pris toutes ses dispositions » (matérielles et/ou morales) ; l’essentiel était donc de « faire une belle mort » [1]. Partant du principe qu’une bonne mort peut racheter un mauvais bilan de vie et inversement. Pour cela, l’attente de la mort relevait d’un véritable cérémonial - dictés par les "Artes moriendi" - où l’agonisant(e) exprimait "le regret de la vie", "la demande de pardon du mal qu’on avait fait", "la recommandation à Dieu de ceux qui survivent", "la prière (pénitence)" et "l’absolution".

« On meurt » donc en famille, à la maison, religieusement et en toute fatalité sans manifester d’émotion excessive. Puis la Mort va prendre un aspect plus violent et perdre de sa familiarité. La mort au lit va devenir de plus en plus dramatique lorsque les pleurs éclatent et lorsque la séparation est intolérable. Au milieu du XVIIIe siècle, le testament "se laïcise". On assiste à un changement de rapports de confiance et d’affection dans la famille. Le défunt confie ses volontés spirituelles à son entourage et ne se sent plus contraint de lui forcer sa volonté par un testament. Les proches prennent donc de plus en plus d’importance vis-à-vis du mourant. Le deuil devient alors une manifestation spontanée d’une déchirure.

Mais, au demeurant, qu’en était-il donc du sentiment développé par les hommes d’église face à la mort de leurs ouailles ? Pour comprendre cela, il faut se plonger dans les registres paroissiaux pour en déduire quelques bribes émotionnelles du prêtre ou du curé. Déjà, en regardant de près, on constate que la tenue des actes de décès se veut d’autant plus précise que le membre a de l’importance dans la communauté. Et si un membre appartient au clergé, on peut même être renseigné de l’heure de la mort de celui-ci. La minutie de certains prêtres pousse le souci et le respect du détail ainsi que « le respect de l’Ordre » envers le trépassé. Cette tenue des registres de décès est tout autant précise lorsque la mort dépasse le champ de « l’ordinaire » ; lorsqu’elle est « extraordinaire ou exceptionnelle » voire dramatique. Ainsi, les homicides ayant entraîné la mort, les pandémies régionales (peste, grippe, choléra etc.) sont autant de facteur traumatisant pour la communauté que nos hommes d’Eglise s’empressent de rapporter dans leurs actes sans en exprimer une réelle émotion :

« Ce 04 août 1694, ESMENARD Joseph, âgé de 6 ans, est mort hier. A été enseveli à cause de la grande corruption et ce suivant le rapport du médecin » ; « Ce 09 avril 1693, FALIBERT Claire, âgée de 30 ans, est morte hier. Décédée à minuit, enterrée au cimetière de la ville à cause de sa corruption » ; « Ce 27 avril 1694, ROQUE Thérèse, âgée de 40 ans, femme de noble Jean-Baptiste DE CASTILLON, docteur en médecine, a été ensevelie à cause de sa corruption » [2].

Le prêtre rapporte la mort de ses paroissiens sans en qualifier souvent la cause et dans une totale fatalité. Ce qui se comprend tout à fait ; étant donné la bien piètre connaissance des médecins de l’époque dans leur domaine d’exercice. On connaît plus ce que l’on subit (accident etc.) et ce que l’on craint - quoique - notamment lorsque la maladie est source de pandémie. Il était donc jadis tout autant plus facile de qualifier les diverses pandémies régionales (grippe, choléra, diphtérie, variole etc.) de « corruption » voire de « grande corruption » (selon la fréquence des morts au sein de la communauté et des communautés circonvoisines) que de peste qui elle, paradoxalement, était mieux connue (dans sa manifestation et ses symptômes) par les médecins du moment.

Le prêtre est un homme dévoué à la cause de Dieu, du tout-puissant, du Créateur. Il est le garant, le berger de la vie, de sa communauté et de son troupeau. Ce qui arrive fatalement aux Hommes ne peut être que la volonté du tout-puissant sans que la raison puisse en être invoquée. « L’homme naît poussière, il redeviendra donc poussière... » le moment venu. Il faudra chercher la raison plus du côté des hommes de Science ; ceux qui vouent leur vie au secours - non pas du secours de l’âme - mais celui du corps, ultime étape avant la mort.

A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les médecins revendiquent des mesures d’hygiène pour lutter contre les maladies et les pandémies. On ne tolère plus la négligence dont l’Eglise faisait preuve à l’égard des corps. On sait aussi que le corps corrompu par la maladie est un facteur de contamination pour la famille voire pour la communauté. Si bien que le médecin, de concert avec le prêtre, préconise l’inhumation spontanée pour empêcher toute propagation des maladies :

« Ce 24 novembre 1788, TRONC Marie-Magdeleine, demoiselle âgée de 37 ans, a été ensevelie le même jour en vertu d’une attestation de putréfaction signé dudit sieur JAUBERT, chirurgien » [3].

Cet acte est révélateur d’une pratique courante orchestrée par le chirurgien, parfois sollicité par le médecin (lorsque ce dernier n’exerçait pas les deux fonctions en même temps !) pour comprendre la mort d’une personne. La putréfaction constatée, ici en fin d’automne, ne peut provenir à elle seule d’un excès de chaleur. Bien au contraire, elle serait plus à voir du côté même de la maladie qui a dominé le corps du malade accélérant sa putréfaction avant même la mort de l’agonisant(e).

Quoiqu’il en soit docteur en médecine ou en chirurgie était toujours présent pour délivrer une attestation de putréfaction au curé ou au prêtre afin qu’il fasse inhumer dans les meilleurs délais, souvent en moins de 24 heures, le corps d’un défunt.

On retrouve toujours régulièrement et avec récurrence le duo « prêtre/médecin » ou « prêtre/chirurgien ». Généralement le premier se substituant aux deux autres en dernier ressort. Constatons-nous, à la lecture de ces actes, un rejet volontaire du sentiment « émotionnel » de la part des hommes d’église et du monde médical ? On peut avancer que ce rejet permet à chacun, dont les Hommes d’Eglise, de gérer avec lucidité, recul et « professionnalisme » les malheurs du quotidien et de leurs ouailles. Laissant le destin de chacun(e) à la volonté ultime de Dieu avec une interaction tacite et tolérée du médecin ou du chirurgien et du prêtre :

« Ce 13 octobre 1690, dame Louise-Anne DE MERINDOL, 30 ans, femme de Paul-Albert DE GILLES DE FONTVIVE est morte en couche hier. A été inhumée aujourd’hui en la chapelle du Saint-Esprit de l’église de cette paroisse [de Lambesc] ». « Le même jour, noble Jean-Baptiste DE GILLES DE FONTVIVE, mort-né hier a été baptisé par Charles COMPS, prêtre de cette paroisse et inhumé, fils de feue dame Louise-Anne DE MERINDOL et de Paul-Albert DE GILLES DE FONTVIVE » [4].

Dans le cas ci-dessus, on trouve mention du prêtre mais pas de l’intervention du chirurgien. Mais à l’inverse, on trouve des actes relatant l’intervention du chirurgien voire de la sage-femme [5] avant celle du prêtre :

« Ce 17 septembre 1701, PORTE Magdeleine, femme de Jean ISOARD, âgée de 38 ans, morte en couche hier a été ouverte à cause de sa grossesse. A été inhumée aujourd’hui. « Le même jour, PORTE Agathe, fille de Jean ISOARD, morte-née hier et baptisée par Charles COMPS, prêtre, a été inhumée au cimetière de la ville de cette paroisse » [6].

« Ce 18 octobre 1695, GILLET Jacqueline, âgée de 25 ans, femme de Maurice JACQUES, a été ouverte par sieur Charles BERTRAND, maître chirurgien qui nous a assuré avoir tiré une fille décédée et l’avoir baptisé en vue de laquelle étant décédée le moment et ensevelie avec sa dite mère... » [7].

En fait, le prêtre se souciait plus du salut de l’âme du défunt que celui de son corps. A condition que ce dernier soit de confession Catholique et qu’il soit issu de sa communauté. Il arrivait parfois que l’on fasse aussi appel à « élection » pour ensevelir une dépouille chrétienne originaire d’une autre communauté :

« Le 2 juillet 1780, ARNAUD Catherine, âgée de 66 ans et originaire de La Roque d’Anthéron, a été ensevelie par élection dans le cimetière des Pères Trinitaires » [8].

A la fin du XIXe siècle, le ressentiment face à la mort va devenir des plus tabous autant que la mort elle-même. Peut être aussi avec la compréhension médicale même des causes de la Mort et les progrès de la Médecine qui prolongent la vie et défont des maladies (tel que le choléra). L’espoir (de vie) supplante le sentiment de fatalité (par la Mort). Comme la peste a toujours été un sujet tabou (car on savait auparavant qu’être à son contact rendait la mort inévitable), la fatalité puis l’espoir des gens sont mis à l’épreuve par l’horreur, par la compréhension de la maladie (incurable) et toujours par la Mort. De ce fait, on ne révèle plus au malade la gravité de son état pour l’épargner lui et son entourage et leur laisser toujours entrevoir un espoir (de vie). Avec la fréquentation des hôpitaux, l’Espoir médical deviendra possible au XXe siècle. La famille du mourant et le corps médical soignent et réconfortent moralement et/ou physiquement le Malade. De même que le corps médical apporte un soutien moral à la famille. On a plus de chances donc de survivre (à la Mort) en hôpital (lieu où on lutte contre la Mort) mais aussi d’y mourir (lieu où l’on apaise les souffrances) qu’auparavant à son domicile.

Finalement que déduire du sentiment développé par les hommes d’église face à la mort de leurs ouailles à travers le temps ? La réponse part d’un constat. La Mort est l’ultime phase de la vie matérielle de chacun(e). Pour tout humain, l’Espoir demeure dans la vie. La Mort est fatale pour l’Athée, la médecine est son seul espoir. Pour lui surtout, les limites de la Mort sont repoussées par l’espoir du progrès médical mais la "fin de la vie" jusqu’à aujourd’hui est inévitable. Seules la recherche, la médecine et la chirurgie peuvent permettre à l’Homme de devenir un jour immortel. Pour les Croyant(e)s, la Mort demeure synonyme de régénérescence, de survie et d’Espoir perpétuel et d’immortalité. Elle est la volonté du Créateur. Seule la croyance peut faire le Salut de l’âme du défunt et lui donner l’immortalité.

Bibliographie générale :

  • Ph. ARIES, l’Essai sur l’histoire de la mort en Occident, du Moyen Age à nos jours Paris, Seuil, rééd., 1977.

[1G. CABOURDIN & G. VIARD, Lexique Historique de la France d’Ancien Régime, 1990, pp.222-223.

[2Registre paroissial de Lambesc (13), série GG n°40, 1692-1700.

[3Registre paroissial de Lambesc (13), série GG n°49.

[4Registre paroissial de Lambesc (13), série GG n°39, 1688-1692.

[5Pour l’ondoiement des enfants nés en danger ou ceux morts nés.

[6Registre paroissial de Lambesc (13), série GG n°41, 1701-1709.

[7Registre paroissial de Lambesc (13), série GG n°40, 1692-1700.

[8Registre paroissial de Lambesc (13), série GG n°48, 1770-1781.

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7 Messages

  • Bonjour,
    une simple question : écrire (je vous cite : )"la piètre conaissance des mèdecins de l’époque dans leur domaine d’exercice" n’est-il pas faire un anachronisme ?
    cordialement
    jean pierre derouard

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  • Certes, l’homme d’Eglise porte en lui la croyance de la vie après la mort. Mais pour être affecté (dans le sens sentimental) par la mort d’une personne, il faut avoir été attaché à cette personne, avoir tissé des liens. Dans ce cas, ne faut-il pas commencer par se demander quels étaient la relation et les liens tissés entre le curé et ses ouailles ? Ne voyait-il dans le simple paysan une ouaille à maintenir dans le droit chemin de l’Eglise ou une personne à qui il apporte son soutien dans tous les moments de la vie ?

    Sophie BOUDAREL

    Voir en ligne : http://www.lagazettedesancetres.com

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    • Je crois que les prêtres sont des êtres humains comme tout un chacun, et qu’ils devaient être encore plus affectés dans les siècles précédents par le décès d’un de leurs ouailles, étant plus souvent en contact avec eux, et donc les connaissant bien, que de nos jours. Par conséquent, ils devaient sans aucun doute être affectés par le décès de leurs ouailles, mais ils n’avaient pas l’autorisation de noter leurs sentiments dans les actes de décès, économie de papier oblige... De plus, étant confrontés à la mort plus que tout autre, je pense qu’ils devaient se protéger émotionnellement en ne montrant pas leurs sentiments, étant là pour consoler les familles éplorées et non pour pleurer avec elles.

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      • Une réflexion complémentaire après la lecture de votre message et de certains actes religieux anciens : on voit que ceux qui les ont rédigés sans avoir de cadre établi sur ces registres de sépultures, sont aussi des hommes de foi. Celle-ci est bien sûr liée aux croyances de leur époque, et surtout à leur connaissance et à leur interprétation des textes bibliques. Je pense que c’est qu’ils expriment parfois par quelques mots ajoutés qui peuvent révèler leur souci d’aider leurs paroissiens à trouver des chemins de vie.
        Cordialement
        Michel

        Répondre à ce message

  • les hommes d’église marquaient la hiérarchie sociale de leurs ouailles.Ils donnaient du sieur et de la dame pour les nobles et certaines personnes aisées ou influentes. De là à penser que leur sentiment était guidé par des intentions peu égalitaires, il n’y a qu’un pas. Ils marquaient une différence entre leurs ouailles face aux étapes de la vie.

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  • je trouve quà la lecture de cet article, nous pouvons penser qu’auparavant, la mort était bien vécue comme il faudrait qu’elle soit encore vécue de nos jours, un simple passage d’un état à un autre.il n’y aait pas de drames comme maintenant, la mort faisait partie de la vie c’était une étape et il est nomal que les curés de paroisses qui croyaient encore à la résurrection, pensent que leurs ouailles partaient tout compte fait vers un monde meilleur

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    • Je pense qu’il faut relire une des pensées de Pascal : "Nous mourons seuls." Et y penser longtemps. Quel que soit le siècle, les progrès de la science, les sentiments qui l’accompagnent, la mort est une énigme. C’est même une necessité. Je disais à une infirmière qui me soignait : "Que pensez-vous si la science arrivait à nous faire vivre 500 ans ?" Elle dit :"On mourra de faim."Pensez-y encore," fut ma réponse. Il n’y a rien de brave à accepter la mort, mais une simple logique mitigée par la religion.
      René

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