Voici la transcription d’une lettre insolite découverte au hasard de ma lecture du registre des naissances de la commune de Pradines dans la Loire (42) pour l’année 1796. Elle concerne un enfant trouvé dans la nuit du 19 août. L’originalité de la lettre est que l’enfant s’exprime à travers la plume de ses parents dont l’identité reste secrète.
N°42 Bellemain enfant mâle trouvé
Le deuxième jour du mois de fructidor l’an quatrième de la République française sur les deux heures du matin on n’a trouvé un enfant mâle exposé aux porte du moulin de la commune de Pradine lequel munis d’une lettre qui contient les mots suivants pour être présenté à l’agent et adjoint de la commune de St-Vincent de Boisset :
"Je suis né le huit aoust mil sept cent quatre vingt seize entre neuf et dix heures du soir, d’un père et d’une mère honnêtes, mais qui sont dans l’impossibilités de me donner les soins qui me sont nécessaires. La loi à pourvu à mes besoins. J’espère que vous ne négligerez pas de me faire accorder les secours à mon âge en appliquant à ma faveur le bénéfice de la loi. Donnez moy une bonne mère nourrisse, je vous en prie citoyen agent, je vous en témoignerai un jour ma reconnaissance si je vis. Je crois que je serai aimable et gentils, c’est un malheur pour moi que je ne puisse pas être regardé comme légitime, mon père n’est pas au pays, peut-être me déclarerat-il quand il reviendra, il est forcé de se tenir éloigné étant employé au service de la République bien contre son gré car le temps luy dure bien, mais il est brave. Recommandé moy citoyen agent et adjoint aux honnêtes gens dela commune de St Vincent, je sais qu’ils ont le coeur bon et qu’ils sont humains c’est ce qui me fait espérer que je ne souffrirai point, je n’ai pas besoin de vous dire que c’est un devoir pour vous puis que la loi et l’humanité parlent pour moy, voyez qu’à mon âge je sais déjà parler et écrire par l’organe de la plume d’une main charitable. Je m’appelle et je demande à être appellé Jean-François Bellemain. Vous voudré bien me faire porter ce nom sur les registres de l’officier public de votre commune qui est la mienne. Mais vous ne saurez pas de qui je suis né la chose est un secret. J’ay été ondoyé, mais je demande les cérémonies du baptême d’un bon prêtre. Vous voudrez bien me le faire donner et me procurer un bon parrain et une bonne marraine charitable et bonne catholique. Votre bon coeur braves habitants de St Vincent massure déjà d’avance tous les secours que demande la faiblesse de mon âge. Salut et fraternité, Jean François Bellemain.
Aujourd’hui quatrième jour du mois de fructidor l’an quatrième de la République française une et indivisible à neuf heures du matin par devant moy Jean Marie Laurent ancien officier public soussigné demeurant en la commune de Pradines, chargé des présents registres par l’agent municipal dudit lieu pour dresser les actes de l’état civil des citoyens sont comparus en la maison commune de Pradines, le citoyen Jean François Deschellette âgé d’environ trente huit ans habitant cultivateur demeurant au dit Pradines, et Claudine Chanelière âgée d’environ vingt huit ans femme au citoyen Claude Marie Bresson domiciliée au dit lieu et par l’autorité du citoyen Jacques Seive agent municipal de cette ditte commune lesquels m’ont présentés un enfant mâle trouvé exposé comme il est écrit à la tête de cette page [au contraire voyé en la seconde et troisième ligne du dernier numéro (quarante deux)] vu la ditte lettre qui fait paraître que cet enfant est né le vingt unième jour du mois de Thermidor dernier entre neuf à dix heures du soir auquel à été donné le prénom de Jean François Bellemain, dont et du tout j’ai dressé le présent acte, interpellé lesdits comparants de signer avec moy lesquels m’ont déclarés ne le savoir faire de ce enquis.
et a signé le dit Seive agent municipal.
- Source : Registre de Pradines (42), naissances, 3NUMEC5/1MIEC179X2 - De 1793 à 1802, vue 32/97.
Note : A quelle loi font référence les parents de l’enfant dans la lettre ? Il s’agit sans doute d’une loi promulguée en 1793 qui assure l’anonymat (accouchement sous X) et une aide de la Nation aux mères qui abandonnent leur enfant. Pour faciliter leur insertion dans la société, les enfants illégitimes reçoivent alors le titre "d’enfants de la Patrie" (d’après Contexte, guide chrono-Thématique pour situer vos ancêtres dans l’histoire )