En arrivant de Talensac par le gué des Grandes Planches et le chemin qui rejoint le Plessis Cohan aux Autieux Renault, on accède au Breil en laissant La Haie Gilles sur la gauche.
Tous les lieux dits sont reliés entre eux par de multiples chemins dont certains sont si creux qu’ils sont noyés la plupart du temps, surtout quand on s’approche du Meu.
Le village du Breil compte trois fours à pain, trois puits et deux mares. A l’entrée du hameau, en venant du Meu, se trouve la belle maison bourgeoise de Mathurin Vitre, le maire conventionnel de Breteil entre 1790 et 1792. Il a pendu la crémaillère après la pose de la porte en 1786.
Avec son étage muni d’une cheminée à l’âtre de briques en point de fougères dans la chambre du Maître ; ses six pièces réparties en trois logements distincts, elle respire le luxe et le confort. Le propriétaire a fait creuser une petite mare derrière son four à pain. La source qui ne tarit jamais, située plus haut vers la Haie Gilles, l’alimente suffisamment pour les besoins courants car il n’y a pas de bétail à abreuver.
A côté, séparé par un jardin, la maison de l’ancien chapelain qui était rattaché jadis à La Haie Gilles, se compose d’une grande salle chauffée par une belle cheminée aux jambages sculptés en pierre de Montfort.
- Détail de la cheminée
La poutre de l’âtre, guillochée sur les bords, est blasonnée d’un « Iesus Hominum Salvator » (Jésus Sauveur des Hommes) surmonté d’une croix.
Une écurie sépare cette habitation de la petite ferme qui lui est accolée et qui appartient aux Rocheron.
A l’Est, dans le même alignement discontinu, se trouve la grosse ferme semi-close de la famille Vitre. Les petites maisons des domestiques et des journaliers sont disposées en face de la cour et sur le bord du chemin qui mène au café du Patouillais ; ce chemin, en passant près des Aubiers et des Grandes Planches, rejoint le bourg de Cintré.
Mathurin Vitre est considéré comme un homme dur par l’ancienne servante de son père. Elle a pourtant été sa nourrice. Mais Mathurine Mouazan le déteste tellement qu’elle regrette publiquement que le feu, mis à une meule de foin le 15 janvier 1789, ne l’ait pas été au chaume de sa belle maison qui en aurait été détruite.
Il faut dire que l’hiver précédent a été glacial et l’été caniculaire, tout comme en 1783. En 84 et 85 c’est la chaleur et la sécheresse qui ruinent les récoltes. Ce mauvais climat entraîne la disette chez les plus pauvres des journaliers qui se nourrissent de laiterons à défaut d’autre chose. Bien évidemment, les plus nantis font des envieux.
Mathurin, déjà propriétaire à la Corbinais, appartient à la troisième génération de Vitre connue au hameau du Breil.
Avant son père Marc et sa mère Jeanne Gaillard, son grand-père Jean qui était mariée à Laurence Rocheron y habitait déjà.
Lui et son épouse, Gilette Legendre, ont acheté des terres pour s’installer comme des bourgeois dans ce village.
Au décès de Mathurin Vitre, la maison ne laisse plus de trace dans l’histoire locale pendant plus d’un siècle. Mais l’aisance de ses propriétaires se manifeste par l’excellent entretien de la maison.
Dès que possible le chaume fait place à l’ardoise des carrières du Plessis de Coesme qui viennent d’ouvrir. Pour les toitures ordinaires une ardoise de faîtage en lignolet qui dépasse du côté des vents dominants suffit pour éviter les infiltrations. Ici, une luxueuse faitière en terre cuite couronne l’ouvrage.
La charpente à l’ancienne, avec ses coyaux caractéristiques des anciennes toitures en chaume donne à l’habitation un petit air de vieux manoir.
Le défaut de ces ardoises locales est un vieillissement très particulier : elles « chaulent », deviennent toute blanches et partent en poussière. Si bien que vers le milieu du 20e siècle la toiture fuit largement. Les murs s’imprègnent d’eau. La ruine définitive de la maison est amorcée car sa propriétaire la délaisse. Eugénie Berrée, veuve de Louis Legeard ancien cordonnier à Cintré, se trouve sans ressources et ne peut y palier. On l’appelle la « Geunie »
Le paysage autour du hameau a bien changé. La période froide d’avant la révolution a presque éradiqué la vigne dont il ne subsiste qu’une treille au sud en façade, en face du four à pain de la petite ferme du Breil. Depuis toujours on cultive le froment, le seigle et « une quantité considérable de sarrasin ». L’avoine ne fait pas vraiment l’objet d’un commerce ; on le cultive surtout pour le cheval.
Depuis la construction de la maison de Mathurin Vitre, le hameau n’a pas beaucoup changé. Dans la petite ferme du Breil, la relative prospérité permet la construction, vers 1900, d’une belle grange en pierre et terre, recouverte d’ardoises. La charpente reste en chêne, mais le plancher du grenier ainsi que l’empoutrement qui le soutient ont été réalisés en sapin de scierie. Dans la belle salle de l’ancienne habitation du chapelain les exploitants de la ferme ont installé un pressoir dont la barre heurte un peu, à chaque tour, la poutre de la cheminée qui a perdu son manteau et son conduit. Il a fallu bucher un peu le blason de la poutre pour laisser du champ à cette barre de presse ; mais on n’a pas jugé utile de scier la poutre elle-même. Il a fallu entamer les jambages de la porte pour laisser passer les tonneaux. L’écurie du chapelain abrite un taureau en plus du cheval. Trois vaches et leurs veaux garnissent l’étable. L’été il faut que les enfants les mènent jusqu’au Meu car le puits ne suffit pas à les abreuver.
Dans les années 1930 la crise économique mondiale produit des répercussions inattendues au hameau. Le blé ne se vend plus… Les voisins se passent le mot quand un meunier accepte de moudre un peu. Un sac au Guern, un autre à Rende Fleur. Celui du Chatelier était bien pratique, à proximité de l’autre côté des Grandes Planches, mais il a brûlé accidentellement pendant la Grande Guerre et maintenant il faut courir à Montfort quand on ne trouve pas plus près.
Par contre, le cidre s’écoule tout seul ! Les terres autour du hameau, fertiles et profondes, sont des terres à pommiers. Depuis presque cent ans ils gagnent du terrain. Il faut abreuver les villes et la capitale bretonne engloutit tout ce qu’on y peut mener. Arsène Monvoisin de la grande ferme du Breil exploite énormément de pommiers. Pendant le dernier trimestre de l’année et le début de la nouvelle, on ne fait que ça. Ramasser, presser, soutirer, livrer et recommencer. Il faut de la main-d’œuvre.
La pauvre « Geunie » en profite. Sa maison se déhanche un peu et tombe en ruine ; elle a dû vendre, pour survivre, le seul lopin planté de quelques pommiers qui jouxte son habitation. Maintenant, elle se loue à journée. Elle travaille aussi à la Haye Gilles et pour qui veut bien l’employer.
Les journaliers sans terre qui vivaient au Breil ont disparu au fil des décades et il ne reste guère plus qu’elle sur le coin. Leurs petites maisons qui avoisinaient les deux fermes principales ont disparues les unes après les autres. Il faut dire que la terre, dont elles étaient construites fond avec la pluie et, après le décès de leurs habitants, les fermiers ont vite fait de finir le travail et de récupérer l’emplacement pour labourer.
La dernière ruine sur le chemin entre le Breil et le Patouillais disparaitra dans les premières années du 21e siècle. Un petit chêne d’une trentaine d’année, qui avait poussé tout seul au pied du pignon, en matérialise l’emplacement.
Geunie n’est pas la seule à survivre de façon précaire. Bien qu’elle ne soit pas très sociable et d’un caractère un peu rugueux, elle « protège » une autre femme encore plus démunie. La petite maison des Grandes Planches héberge aussi une veuve de journalier dans la misère. Au printemps, Geunie ramasse des laiterons sur les fossés comme au 18e siècle, et les porte à sa commensale occasionnelle. A deux, la misère s’oublie un moment.
La petite ferme du Breil est maintenant exploitée par la famille Frin. Les deux garçons, espiègles mais obéissants, sont sans doute les seuls que Geunie voit souvent.
Obéissants… Ils ont l’interdiction d’aller chez elle. Leurs parents craignent les puces dont elle serait infestée… Mais comment résister au plaisir de l’exploration ? Un petit potager sépare les voisins. Les enfants ont remarqué que la 3e pièce du rez de chaussé, chez Geunie, est bourrée jusqu’au plafond de bois mort pour sa cheminée.
Les lapins y prospèrent, sans avantage pour la pauvre vieille. Certains chasseurs l’ont remarqué aussi et la propriétaire n’aime pas du tout qu’on fusille juste derrière son dos. Il est vrai que sa propriété se limite strictement à l’aplomb de ses murs et que les chasseurs se postent à la porte nord de la bâtisse pour tirer le gibier.
- La serrure de la porte
La porte principale de la maison ne s’ouvre plus complètement et ne ferme pas non plus. Geunie vit dans la grande salle, porte entre-ouverte en permanence, été comme hiver avec un pauvre feu dans la cheminée monumentale. Une armoire, un lit de coin, un petit lit-cage en fer pour un enfant qu’elle n’a jamais eu, sont sa seule richesse.
Les petits voisins traversent, devant chez elle pour aller aux grenouilles dans la mare jadis creusée sur les ordres de Mathurin Vitre. Geunie les gronde un peu : « C’est à mé ça ! » Elle a raison et c’est tout ce qui lui reste ; mais elle ne sait pas pêcher les grenouilles !
Pour un journalier le salaire semble parfois chiche et la tentation, de se servir « sur la bête », irrépressible. Au printemps, sur l’heure de midi, quand tout le monde est à table, Geunie vadrouille. Et on la surveille… Les potagers en libre-service attirent les indigents.
Le Maître de la Haie Gilles n’est ni pire ni meilleur que les autres, mais vigilant sur les sous… Geunie lui a plusieurs fois demandé du travail et surtout un peu plus d’argent pour ses services. En vain.
Les poules ont un défaut. Ça vagabonde partout, ça pond ou ça veut… Geunie laisse traîner ses yeux et ses oreilles. Quand ça pond, ça chante… Faut suivre… Voilà un gros nid bien ancien avec plein d’œufs. Elle n’a ni panier, ni rien pour les récupérer. Elle en glisse quelques-uns dans sa culotte et marche comme un canard dans la cour de la Haie Gilles. Le Maître, un brin réjoui par le repas qu’il vient de prendre, s’écrit : Ben Guenie, comment tu marches ?… Et d’un coup de sabot facétieux fabrique une omelette dont les contemporains se souviennent avec éclats de rire, plus d’un demi-siècle plus tard.
La guerre… Encore.
Arsène Monvoisin s’est rendu à Montfort sur sa bicyclette. Il termine un déménagement et ce matin il n’a pas besoin de la charrette. Il n’aura plus jamais besoin de rien, un bombardement le fauche près de la gare. On le transporte chez lui, au Breil, mortellement brûlé. Une servante de la grosse ferme se précipite par le chemin qui passe devant la maison de Geunie vers les Autieux Renault. Une des employées passe le feu. Elle arrive en courant… En vain.
L’histoire, de nouveau cruelle, raconte qu’un hiver, Guenie a disparu. On a osé forcer sa porte toujours entre-ouverte. Elle gisait dans son lit et ne sentait pas bon. La sœur infirmière a constaté que la pauvre femme avait chuté dans son feu, s’était traînée dans son lit et agonisait toute seule dans le froid.
La grosse ferme du Breil est reprise par monsieur Crublé. Il continue l’exploitation des pommes. Son fils Marcel n’aime pas ça du tout. Très dur, trop dur, pas très rentable. Il faut évoluer. Le tracteur devient le principal outil d’une ferme moderne. Les arbres sont les ennemis du tracteur. Marcel, sans s’en vanter, utilise la charrue pour mutiler les racines et faire dépérir les pommiers. Au grand dam de son père qui aime les arbres, il va gagner ; le paysage évoluera encore autour du hameau du Breil. Il se transformera, petit à petit, en plaine à céréales, oléagineux et autres cultures de plein champ. Il ne reste que trois pommiers un peu anciens au Breil. Et encore, ce ne sont pas des pommiers à cidre !
200 ans après l’inauguration de la maison Vitre, nouveau propriétaire de la petite ferme qui est devenue une résidence de « vilotin » (habitant venant de la ville), et voisin de la bâtisse abandonnée, j’entreprends, à la main, des travaux de nivellement du sol devant la façade. Je désire pouvoir tondre au raz des murs. Et puis je butte sur un morceau de bois qui va me faire remonter le temps. Ce bout de bois s’avère être la porte de la maison assez bien conservée par la glaise tombée des murs et toujours mouillée dans cet endroit très humide.
La porte se referme définitivement sur l’histoire de la Maison du Maire dont il ne reste que des souvenirs au hameau du Breil.
- D’après des recherches personnelles, des témoignages ainsi que les travaux de Bertrand Monvoisin.