Elle était distincte et séparée de l’administration de la Marine et des tribunaux judiciaires : la justice était rendue sous le nom et l’autorité de l’amiral [1]. Elle avait un rôle judiciaire et administratif. L’Amirauté disposait dans tous les ports importants du royaume, de sièges et de bureaux pour recevoir les droits de l’amiral et les maintenir. Le chef des officiers du siège d’amirauté, nommé par l’amiral, portait le titre de lieutenant de l’amirauté [2]. En 1790, il y avait 50 sièges d’Amirauté en France, y compris la Corse.
- Congé des batiments de commerce français - Archives Départementales du Morbihan P 449 folio 90.
L’Amirauté s’intéressait donc à tous les sujets concernant le domaine maritime : les bâtiments de mer, leur affrètement, les prises, les naufrages et les avaries. Elle touchait les droits de congé, les droits dits « de feux, tonnes et balises », la moitié du produit des objets provenant des bris et naufrages, le tiers des successions maritimes non réclamées et le produit des amendes et confiscation prononcées dans les sièges d’Amirauté [3]. Elle traitait des problèmes concernant la pêche, les pêcheries, les dommages aux quais. Elle veillait à l’exécution des traités de navigation ou de commerce, à l’observation des lois contre la contrebande en mer. Elle s’intéressait aussi aux actes de piraterie et aux désertions d’équipage [4] .
Les documents de l’Amirauté
L’Amirauté remplissait son rôle de juridiction des faits de mer en établissant toute une série d’actes. Ces actes étaient transcrits chronologiquement dans un registre et concernaient : la nomination des capitaines et des chirurgiens, les actes de propriété pour les navires construits ou ayant fait l’objet d’une transaction, etc. D’autres documents étaient établis par l’Amirauté ou archivés par ses soins : les documents de succession d’un marin - dossier de mainlevée et inventaires d’effets et de hardes - ainsi que ceux concernant la justice des faits de mer - procès-verbaux de prises, mutineries - et les procès-verbaux de traversée.
Nous allons examiner le contenu de quelques-uns de ces documents pour évaluer leur richesse historique et généalogique. L’ensemble de ces documents est contenu dans les séries B des Archives départementales.
Les actes de nomination de capitaine
L’un des rôles de l’Amirauté était d’organiser les examens pour devenir capitaine de navire et de procéder, en cas de réussite, à la nomination au grade de capitaine. C’est ainsi que l’on retrouve dans les registres de l’Amirauté de nombreuses nominations de capitaine comme celle du dénommé Laurent Rodas de Ploemeur dans le Morbihan en tant que capitaine au petit cabotage [5].
vingt deux Devant nous Antoine Louis Marie Lauzer de Larmor conseiller Du roi alloué Lieutenant Général Civil et Criminel en la sénéchaussée et siège présidial de Vannes faisant fonction de juge de l’Amirauté de Vannes en partie transférée à Lorient en l’absence de messieurs les juges du siège. Présent noble maître Louis Joseph Le Guevel avocat et par serment Substitut et procureur du Roy au dit siège d’Amirauté à la résidence de Lorient. A comparu Laurent Rodasse fils de Laurent âgé de trente cinq ans Aux demeurant à Keramsec paroisse de Ploemeur lequel a représenté qu’il a fait les quatre années d’eau de la navigation prescrite par l’ordonnance du Roi du dix huit octobre mil sept cent quarante pour être reçu capitaine Pour commander au petit cabotage ce qu’il a justifié par vu extraits de ses Services lui délivré le jour par le sieur Bourhis commissaire aux classes De la marine en ce port le dit extrait apparu exposé aux mains De notre greffier pour quoi il requiert qu’il nous plaise de recevoir Capitaine pour commander au petit cabotage seulement qu’il fait De prêter le serment en tel cas requis et de subir examen et signé Laurant Rodas Sur lequel réquisitoire faisant droit et le consentant le dit Substitut du procureur du Roi avons nommé d’office pour prouver l’examen Du dit Laurent Rodasse sis nommé Barthélémy Le Pappe de Larmor en Ploemeur âgé de quarante deux ans et Pierre Le Scanvic de Kercavès en Ploemeur Agé de quarante ans les deux capitaines de barque desquels cy Présent le serment séparément pris ont promis et juré la main levée De se bien et fidèlement comporter dans le dit examen auquel procédant Ils lui ont fait plusieurs questions et demander sur le fait de la navigation Au petit cabotage auxquelles il a bien répondu et ont les dits Barthélémy Le Pappe et Pierre Le Scanvic unanimement déclarés qu’il est capable de monter un bâtiment et de le commander au petit cabotage et le dit Scanvic signe et le dit Le Pappe déclare ne savoir faire cy interpellé suivant l’ordonnance Pierre Scanvic En conséquence de tout quoi vu ce qu’il résulte de l’examen Fait au dit Laurent Rodasse par les deux examinateurs cy dessus et le Consentant le substitut du procureur du Roi l’avons reçu capitaine Maître pour commander au petit cabotage seulement à la charge De se bien et fidèlement comporter ce qu’il a promis et juré faire La main levée et a signé Laurant Rodas Fait et arrêté à Lorient le jour et au sus dit Le Guevel |
L’acte de propriété d’un navire
L’acte de propriété d’un navire était établi après la construction ou lorsqu’il y avait une transaction concernant ce navire. Dans le cas d’un acte de propriété établi après la construction, on retrouve le nom du (ou des) propriétaire (s) avec la répartition des parts en cas de copropriété, le nom du chantier et son propriétaire, le type et le nom du navire ainsi que son port en lourd.
Ci-dessous est donné comme exemple d’acte de propriété celui du navire Le Saint-Pierre de 130 tonneaux, établi à l’Amirauté de Vannes, le 7 mai 1770 [6]. Ce navire a été construit dans le chantier du Kernével. Le chantier et le navire appartiennent au Sieur Henry de La Blanchetais, négociant à Lorient. Le constructeur du navire est Jean Gottellier.
Devant nous Alain Jean Souchet sieur du Ranquin conseiller du Roy lieutenant Particulier accesseur civil et criminel du siège et amirauté de l’évêché de Vannes Présent monsieur le procureur du Roy et comparu le sieur Guillemé Brulon négociant à Vannes faisant pour le sieur Henry de la Blanchetais négociant a Lorient lequel dit sieur Brulon au dit nous a déclaré que le sieur Henry de la Blanchetais a fait construire au chantier du Kernével et près le Port-louis par Jean Gottellier constructeur un navire nommé St Pierre du port de cent trente tonneaux environ et qu’il en est le seul propriétaire C’est la déclaration du dit sieur Brulon au dit nous laquelle il affirme véritable par serment la mainlevée pour valoir et servir au sieur Henry de la Blanchetais d’acte de propriété et a signé Guillemé Brulon |
Les dossiers de mainlevée [7]
La mainlevée est une demande émise par les familles ou les créanciers d’un marin décédé lors d’une campagne navale pour récupérer les biens de ce dernier.
Les dossiers de mainlevée se présente sous la forme d’une copie. Sur la première page, on trouve inscrit : le nom de la veuve (ou des parents du décédé), le nom de la rue où elle habitait, si elle était ou non tutrice, puis viennent le nom du défunt avec sa fonction à bord du navire, le nom du navire et la date de son décès.
A l’intérieur de la copie se trouve un feuillet qui est en fait l’original de la mainlevée. Avec ce feuillet, on retrouve aussi parfois des extraits baptismaux, maritaux et mortuaires, un acte de tutelle passé devant notaire et un certificat de décès.
Comme exemple de mainlevée, nous donnons l’acte établi au décès de Marc Guegannic, pilotin sur Le Neptune, en faveur de sa mère devenue sa tutrice après la mort de son père [8].
Vu par nous Lieutenant Général au siège de L’Amirauté de l’évêché de Vannes la requête nous Présentée de la part de Magdeleine Le Rieux Tutrice des enfants mineurs de feu Pierre Guegannic Et Marie Joseph Le Rieux la tante à ce qu’il nous Plaise lui adjuger en sa dite qualité mainlevée des effets et gages dépendant du voyage de Marc Guegannic l’un de ses mineurs décédé à l’île de France le dix sept janvier mil sept cent cinquante Six en qualité de pilotin sur le vaisseau de la dite Compagnie des Indes Le Neptune ainsy qu’il est Justifié par le certificat du sieur Jourdannet Commis principal au bureau d’armement et de Désarmement de la dite Compagnie à Lorient en Datte du dix neuf mars dernier dûment visé Une expédition de l’acte de tutelle passée devant Les juges royaux d’Auray le six octobre mil Sept cent cinquante quatre. L’extrait baptistaire Du dit Marc Guegannic en datte du neuvième Septembre mil sept cent trente six signé Roi Curé De Locoal, la dite requête signée Perret et part Nous expédié le vingt six moy dernier de fait Communiqué au commissaire des classes de Larmor Au receveur de Sa S. monseigneur l’amiral escuyer Du Roy pour après être ordonné ce qu’il appartiendra Le vu du sieur Villehelis commissaire aux classes de la Marine En ce port, celuy du sieur Duvalain faisant pour le Receveur Général de cette amirauté des droits de Son altesse sérénissime monseigneur l’amiral, estant Conclusion de maître Kermasson ancien avocat substitut de Monsieur le procureur du Roy de ce siège en son absence, le Tout en datte du dit jour vingt six may dernier, et tout Considéré. Nous conformément aux sus dits vus et aux Conclusions du substitut du procureur du Roy avons jugé à la suppliante En sa dite qualité mainlevée des effets et gages Dépendant du voyage du dit Marc Guegannic Décédé à l’île de France le dix sept janvier mil Sept cent cinquante six en qualité de pilotin sur le Vaisseau de la Compagnie des Indes Le Neptune. Ordonnons en conséquence à tout dépositaire D’iceux de s’en dessaisir entre ses mains. Arrêté à Vannes le 1 juin 1757 Bougeois |
Un procès-verbal de prise [9]
Dans le cas d’une prise d’un navire, le capitaine du navire preneur devait établir un procès-verbal relatant les faits et le remettre à son arrivée à l’Amirauté.
C’est le cas du Massiac lors de son retour de l’océan Indien quant il fait route sur Lorient. En plein milieu de l’Atlantique, un peu en dessous des Açores, il rencontre par hasard le brigantin anglais La Pénélope. Ce navire vient de la ville de Newport aux Etats-unis et se dirige vers les côtes d’Afrique. Sans combat, Le Massiac, sous le commandement du Capitaine Alexandre-Georges Chaigneau, prend possession du navire et le coule. Le Massiac a bien sûr préalablement embarqué les biens et l’équipage de La Pénélope.
Comme demandé par l’Amirauté, un rapport est établi par le Capitaine du Massiac et remis à l’Amirauté de Vannes à son arrivée à Lorient. Nous reproduisons ci-après le texte intégral de ce rapport qui raconte les circonstances de la prise. Le rapport précise la date du fait de mer et la position géographique exacte des navires, les noms des capitaines, la provenance de la prise et la constitution de son équipage. Il décrit aussi d’un façon minutieuse les circonstances de la prise et les manœuvres exécutées jusqu à l’abandon du navire ennemi.
Nous Capitaine, officiers majors et mariniers du Vaisseau de la Compagnie des Indes Le Massiac. Certiffions qu’hier à sept heures du matin par 34° 18’ N de latitude et 35° 24’ de longitude occidentale, ayant apperçu un petit Brigantin sur l’avant du Vaisseau, nous nous en sommes trouvés en continuant nôtre route à un lieue sous le vent à quatre heures et demie de l’après midy, M. Chaigneau Lainé Capitaine ayant fait tirer un coup de canon et arborer le pavillon anglois, ce Brigantin à arrivé sur nous, en passant à poupe on a arboré le pavillon français et il a amené le sien. Le Capitaine nommé Owen Morris est venu à bord, ayant Visité ses papiers, lesquels consistent en sept pièces que nous Avons numéroté depuis 1 jusqu’à 7 dont nous avons fait Un paquet cacheté ; nous avons reconnu que ce Brigantin nommé La Pénélope était anglois du port d’environ quinze tonneaux de la ville de Newport dans l’Isle de Rode en Amérique allant à la côte d’Afrique, armé de huit hommes d’équipage ayant envoyé son canot à son bord avec un officier et huit hommes de nôtre équipage il a rapporté cinq prisonniers, leurs hardes et partie de celles du Capitaine ; étant cinq heures et demie de l’après midy, le vent étant contraire ; M. Chaigneau Lainé ayant résolu de conserver ce bâtiment pendant la nuit pour en ruiner ce matin une partie de vivres et d’agrès ; le Sieur Le Dean, Ecrivain s’est transporté à bord pour opposer les scellés sur les écoutilles : pendant que le dit Sieur faisois cette opération Le canot de la dite prise est retourné à bord du Massiac ou il a rapporté deux prisonniers et leur hardes, ensuite le dit canot est allé cherche le Sieur Le Dean qui avoit opposé les scellés et l’officier qui avoit été envoyé à bord de la dite prise après quoi le canot de la prise a été embarqué et .................. du soir, le vent ayant augmenté considérablement......... au point du jour et la mer devenant fort grosse avec ......... en très mauvais tenu, M. Chaigneau craignant qu’un plus long retardement ne fut préjudiciable à la sureté de son Vaisseau à fait revenir, avec beaucoup de difficultés les 8 hommes de l’Equipage qui étoient à bord de la prise, lesquels n’ayant que le tems d’en sortir ont enfoncé l’écoutille pour donner entrée à l’eau dans la calle, l’ayant ainsi abandonné nous avons embarqué son canot et fait route. En foi de quoi nous avons signé le présent pour valoir et servir ce que de raison. Fait à bord du Vaisseau Le Massiac le cinquième jour du mois de février mil sept cent soixante un. |
L’examen de ces documents montre l’intérêt historique des documents de l’Amirauté détenus par les Archives départementales. Tout chercheur en histoire locale et maritime pourra puiser dans ces archives des renseignements précis sur des faits de mer. Le généalogiste pourra lui aussi satisfaire sa curiosité et retrouver des informations concernant ses ancêtres marins.