Le Brillant, vaisseau de la Compagnie des Indes de 600 tx, est armé à Lorient le 26 mai 1744 pour Louisbourg en Nouvelle Ecosse pour amener des renforts. Ce navire possède 54 canons, 427 hommes d’équipage dont 66 soldats et est commandé par le capitaine Tortel. Il mouille dans le port de Louisbourg, en compagnie de L’Ardant et de La Flore, le 18 août après une traversée sans histoire. Dans le port, il retrouve les vaisseaux suivants : La Baleine, Le Mars, Le Philibert, Le Penthièvre, L’Argonaute et Le Fulvy. Les instructions, reçues de la direction de la Compagnie des Indes, sont d’effectuer un retour sous l’escorte des navires du Roi.
Il se rend donc à bord de L’Ardant qui est le vaisseau commandant de la place et va solliciter une protection à monsieur Meschin pour le retour en France. Ce dernier lui indique qu’il peut lui assurer une escorte mais pas avant le retour des vaisseaux Le Caribou et La Gironde début novembre. Le capitaine Tortel convient avec l’ensemble des capitaines des navires de la Compagnie des Indes présents à Louisbourg d’attendre cette date pour rentrer. Il est donc obligé de solliciter des vivres supplémentaires à l’intendant pour nourrir l’ensemble de ses équipages jusqu’à cette date.
Pendant cette attente, le gouverneur lui donne l’ordre d’aller croiser au large de Louisbourg pour protéger le port d’attaques de navires corsaires. Le capitaine Tortel freine pour engager son navire dans cette course afin de ne pas prendre de risques au niveau de sa cargaison de thé. Mais, il est contraint d’obéir devant l’insistance du gouverneur.
Après bien des tergiversations, enfin la décision est prise de rentrer en France et c’est un convoi de cinquante navires qui quitte Louisbourg le 30 novembre 1744 [1]. Le 3 décembre, la flotte est prise dans un violent coup de vent et Le Brillant entre en collision avec le navire du Havre Les Trois Marie. Ce dernier est coulé par Le Brillant qui recueille heureusement l’ensemble de l’équipage. Le Brillant subit de graves avaries mais ne perd aucun homme dans cet accident survenu de nuit dans la tempête. Dans le gros temps, l’ensemble de la flotte est dispersé. Le 5 décembre, Le Brillant rencontre, par hasard, Le Penthièvre et ils font route ensemble pour la France. Ce n’est que le 16 du mois qu’ils retrouvent d’autres navires : La Baleine et L’Argonaute et le 19, Le Caribou et Le Philibert. Le 24, l’ensemble des navires est à proximité de Penmarch et le 25 décembre le capitaine Tortel écrit en vue de l’île de Groix un courrier [2] , probablement aux directeurs de la Compagnie des Indes, pour leur rendre compte de son voyage. Le Brillant est désarmé à Lorient le 31 décembre 1744 [3] .
Je ne pu vous donner avis de mon arrivée à Loüisbourg ne s’étant présenter Aucune occasion pendant mon séjour. Je moüillé dans ce port le dix huit D’aoust en compagnie de Lardant, La Flore sans nous estre quittés ; cette traversée Ces faite sans bonne n’y mauvaise avanture, je trouvé dans ce port vos vaisseaux La Balaine, Le Mars, Le Philibert, Le Penthièvre, Largaunotte et Le Fulvy Le même jour j’asemblée tous ces capitaines en présance desquels jay fait ouverture du paquet N°3 dont j’étois chargé par lequel nous avons veüe que votre volonté etoit Que nous ussions a faire notre retour sous l’escorte des vaisseaux du Roy qui se Trouveroient à Loüisbourg, sur le chant je me transporté abord de Lardant Commandant en cette rade. Je demandé a monsieur Meschin le temps quil Comptoit partir à cette fin de nous mettre en état de prendre son escorte. Il m’a répondu quil ne comtoit partir pour France qu’avec le vaisseau du Roy Le Caribou et La Gironde que dans les premiers jours de novembre que dans Toutes ces instructions le Ministre ne luy fait aucune mention des vaisseaux de la Compagnie n’y de cette escorte que nous estions les maitres de latendre pour Lors il se seroit un plaissir de nous convoier, le lendemain jassemble vos Capitaines pour prendre le party le plus convenable sur la réponse de monsieur Meschin après avoir lu et relu vos ordres ou il nous est recommandér Tant fois de conserver et de ne pas quitter les vaisseaux du Roy, nous sommes convenu tous unanimement de presanter une requête à Monsieur Bigot Intendant pour obtenir les vivres necessaire pour ce retardement, vous trouverez Cy-joint coppie. Monsieur Bigot sur notre requête a demandé un conseil A monsieur du Guernel Gouverneur ou à été appelé monsieur Meschin Je me rendit a ce conseil et communiquer a ces trois messieurs toutes les ordres Dont jetois porteur et leur a présentér le domage que se retardement causoit A vos interets ; ils mont tous dit quil ne pouvoient rien changer à la Destination que le Roy à fait de ces vaisseaux que monsieur Bigot
Sobligoit à nous fournir des vivres qui nous manquoient pour notre séjour Jusqu’au 16 novembre. Sur cette réponse rendüe à tous vos capitaines, nous avons Descidez ensemble unanimement d’attendre les vaisseaux du Roy persuadér que Setois votre volonté, jai travaillé à tous les autres arengements porté par vos Instructions tant pour Le Taix dont ie prie le plus quil ma esté possible, qu’a mettre Le Mars et La Balaine dans le même état que mon vaisseau, je leur ai séparé L’eccédant de mon equipage et de celluy de La Flore qui n’a pu tout à fait les completer. La flore à pris l’eccédant du Thaix, du Mars, et de la Balaine que ie ne pu prendre Avec le caffé de Bourbon que Le Penthièvre avoit dans son entrepont ce vaisseau étant Trop chargér, tous ces arengements faits, le 10 septembre jai recut un ordre du Roy Signée du Guesnel pour appareiller dans vingt quattre heure et sortir croiser huit Jour sur des batteaux corsaires qui étoient sur la côte depuis Canceau jusque A Scatarie, sur lechant je fus à Monsieur du Guesnel et lui représentée que la Compagnie ne m’avoit envoyé uniquement ici pour la suretté de ces vaisseaux Qu’en outre javois à mon bord plus dun million valent de Thaix que pour toutes Ses raisons ie ne pouvoient aller faire la croisière q’il dessiroit de moy, quil avoit Dans ce port plusieurs fregattes qui navoient encore rien à leur bord plus propre A courir sur des bateaux que le vaisseau que je commandois, il ma reïteré un Seguond ordre du Roy auquel jai esté contraint d’obéir, j’appareillé le 13 septembre Après huit jour de croissière sans avoir rien vû je rentre dans ce port. Le 25 je recut une autre lettre de monsieur du Guênel par laquelle il me solicitoit à Faire un seguonde sortie pour la meme course, je lui fis reponce que les deux vaisseaux Du Roy étoient à la côte dans cette croissière que je nacquaiservi point à un seguonde Sortie. Le 12 octobre Monsieur Bigot m’appella à un conseil quil tenoient pour une Expedition que les vaisseaux du Roy devoient aller faire à l’Acadie pour mengager A suivre Monsieur Meschin avec tous ceux de la Compagnie quant suitte Le fort Louis pris nous partirions dela en droiture avec les vaisseaux du Roy pour France, Ne pouvant descider sur un party comme celui la je luy dit que jassembleroient Les capitaines que nous desciderions ensemble le party que nous aurions a prendre Le 13. Nous nous assemblames à mon bord, nous convîmmes de presanter une Requête a Monsieur Meschin que vous trouverez cy joient pour luy demander sil Ne pouvoit revenir icy nous prendre vers le 15 novembre, il nous à repondu qu’une Fois hors de ce port il partiroit de l’Acadie pour France sur cette reponce nous avons dressez procée verbal tout bien considerer, nous sommes convenus que vos vaisseaux Ne pouvoient aller a l’Acadie, côte dangereuse par elle-même. Denüés de cables, voilles Cordages, dans une saisson aussi avancée, sy soient en rausoy coppie de de procée Verbal par lequel vous verrois que nous avons pris le party de faire notre retour En France avec nos propres forces, le lendemain Monsieur Meschin menvoie Dire qu’il n’alloit plus a l’Acadie Monsieur l’intendant ayant pris un autre Arengement pour cette expedition. Au 16 de ce mois, nous avons presantér une requeste a Monsieur Bigot pour en
Obtenir une prolongation, Monsieur Meschin nous ayant dit qu’il ne partiroit pas sans la flutte du Roy Lagironde qu’il attendoit du Canada qu’il avoit ordre du Ministre de la convoyer en France. La reponse à notre requêtte à été qu’on nous fourniroit des vivres jusqu’au 25 novembre apres quoy nous pourrions Partir le 26. Ne pouvant nous en fournir plus longtems san exposer la collonie. Le 23 novembre la flutte du Roy La Gironde entra en ce port. Le lendemain je Demande par une requeste que vous trouverez cy joint a Monsieur Meschin des Cables pour quelqu-un de vos vaisseaux qui en avoient extremement besoin Il m’en accorda deux pour toutes graces à moitié usés, le même jour je luy Demandai sil persistoit a nous escorter jusqu’à la vue de Groai comme il mavoit dit, il ma repondu que le temps en decideroit quil comtoit thenir la latitude de Oüessant et precedemment il m’avaoit promis de thenir celle de Belle Isle, J’ay completer les equipages de tous vos vaisseaux de matelots pescheurs Qui se sont ambarqués pour leurs passages au nombre denviron deux cent Comme je ne suis point ecrivain, theneur de livres ny negostiant je charge Mr Jolly qui à fait plusieurs voiage d’ecrivain sur vos vaisseaux tres entendu pour les Comptes de renger les etats de depances faits dans cette relâche, Monsieur Dordelin Et moy avoir seulement signé les lettres de change et veriffiér tous les recus Des ecrivains avant de les porter en compte, le sieur Jolly c’est aussy chargé de Vous rendre luy même tous ces comptes de depances en ordre vous la trouverois Sans doutte considerable, mais Monsieur Bigot intendant à tout taxér ; Le 30 novembre nous avons appareillée du lieu de Loüisbourg au nombre de Cinquante bâtiments sous l’escorte de Monsieur Meschin. Le 3 de decembre nous avons été pris d’un viollant coup de vent de sud à 50 lieuës de Loüisbourg nous mîmes a la cappe sous la mizaine et l’artimon de jour , Monsieur Meschin et toutes la flotte en firent de meme babord au vent à trois heure du matin lon cria de devant (un vaisseau devant nous) Arrivés l’officier de quart fit mettre la barre abord et cria de carguer l’artimon dans letems un grain nous a chargér le vaisseau narivant pas, nous avons abordér celluy qui etoit devant nous qui a peri le long de notre bord, son malheur et le nôtre à été de ce quil etoit à la cappe a sec faissant noir nous ne l’avons apercu que quant nous avons été sur lui, il nous à emporter notre poulaine en entier, une ancre et son bossoir, cassé notre petit mât de hune, emporté la voille de mizaine, ces un bonheur que naionts pas pery aussy. Il s’est sauvé neuf hommes le capitaine compris, ce batiment etoit du Havre sortant de Loüisbourg nommé Les Trois Marie venant du Canada chargé d’huille au jour nous n’avons plus vüe aucun bâtiments de la flotte, nous avons restér a la cape jusqu’au soir que les vents se sont rengér à oüest pour lors nous avons fait roue toute la nuit. Le 5 nous avons rencontrér votre vaisseau Le Penthievre et avons fait route ensemble. Le 16 à 5 heures du matin nous avons eu connoissance de deux vaisseaux Au vent à nous qui se sont trouvér La Baleine et Largonaute.
Il s’est trouvér avec eux deux bâtiments venant du Canada avec du castor Pour vous qui nous ont demandér convoie, nous avons tous fait route ensemble. Le 19 nous avons aussi rencontrér le vaisseau du Roy Le Caribou et Le Philibert Jai priay Monsieur de la Saussai de nous escorter jusqu’à la vüe de Painmarc Que javois beaucoup de malades et que La Baleine etoit à une pompe que de la Je ne cregnoient point devenement de nous rendre a notre destination, il ma Repondu que ces ordres etoient d’aller à Brest que jeusent avoir sy ie voilois Le suivre le lendemain je l’ay rengér et lui dit quil seroit trop prejudiciable A la Compagnie que nous allassions a Brest des vaisseaux indigents et denüér De tout que je l’ay priér de nous accompagner jusqu’à la vüe de Painmarc, que Pour lors il n’y avoit aucun inconvenient pour nous de nous rendre à nôtre Destination et lui a la siene il sets sur cette representation determinér à nous Acompagner jusqu’au Port Louis. Le 24 a la vüe de Painmarc nous avons rencontré Monsieur Meschin qui à Jugé a propos de nous suivre sous Groay ou je compte moüiller aujourd’huy avec Les vaisseaux que je vous mande avoir rencontré dans ma route, J’ay souhaitté Messieurs avoir remplie ma mission a votre satisfaction je n’ay Jamais eu autre intention lorsque je l’ay acceptée. Le Brillant le 25 décembre 1744 |
Commentaires sur la lettre
La lettre du capitaine Tortel est intéressante à plusieurs titres. Elle nous indique tout d’abord les personnages et les vaisseaux en présence dans la région de Louisbourg en cette fin d’année 1744. Elle nous dévoile aussi le soutien réservé, des autorités royales de Louisbourg, à la flotte de la Compagnie des Indes présente dans le port à cette époque. C’est ainsi que l’on relève les faits suivants :
- Le capitaine Tortel fait part à ses supérieurs du peu de considération dont il a été l’objet de la part des représentants du Roi à Louisbourg. En effet, il écrit que lorsqu’il sollicite une protection pour son retour en France, les responsables lui répondent poliment mais lui indiquent que la protection des navires de la Compagnie des Indes n’est pas leur priorité.
- Le gouverneur de la place oblige Le Brillant à participer à la protection de Louisbourg en menant des opérations de course au risque d’endommager ou de perdre la cargaison qui représente un capital important.
- Quand, le capitaine Tortel sollicite des vivres pour les équipages des navires de la Compagnie des Indes, afin d’attendre la disponibilité de l’escorte, on lui précise qu’on lui en fournira jusqu’au 26 novembre et qu’après, il devra partir.
- Quand il demande du matériel, pour les vaisseaux de la Compagnie des Indes, on lui attribue peu d’équipements et ce qui est mis à sa disposition est usagé.
- Les responsables de la Marine n’ont pas une position très claire sur la destination finale de l’accompagnement des navires de la Compagnie des Indes (Ouessant, Belle-Île, Brest, pointe de Penmarch, Groix et enfin Port-Louis).
La lettre du capitaine Tortel offre de l’intérêt sur un autre aspect car elle nous apprend que Le Brillant est entré en collision dans le coup du vent du 3 décembre avec un petit navire du Havre : Les Trois Marie. Elle nous précise les avaries du Brillant : poulaine arrachée, ancre et son bossoir perdus, petit mât de hune cassé, voile de misaine emportée et qu’il a échappé de justesse au naufrage. Elle nous indique aussi que le navire Les Trois Marie a coulé et qu’il n’y a pas eu de perte humaine dans l’accident sur les deux navires.
D’autre part, elle nous donne aussi des indications sur les marchandises qui transitaient dans la région : le thé, le café de Bourbon, de l’huile et des peaux de castor.
Remerciements : Tous mes remerciements à Michèle Champagne pour ses compléments à ce texte.