Sur le mariage de leur fils Louis Joseph Henri ROCHE avec Berthe Joséphine Eugénie BLACHE en 1900 à Génissieux (26) il est précisé que la mère de l’époux, Joséphine Marie a été désignée « par erreur » dans les actes de publications des bans Joséphine Marie BORIER.
Or on trouve le 03.06.1842, à Fort-de-France, l’affranchissement de Pauline, mère de Marie Joséphine. Cet acte [3] assez long énumère une série d’affranchissements. Il commence ainsi :
Au nom du Roi, nous gouverneur de la Martinique, vu l’ordonnance royale du douze juillet mil huit cent trente deux, vu les déclarations faites en conformité de cette ordonnance ; considérant que toutes les formalités exigées par l’ordonnance précitée ont été accomplies sur la proposition du procureur général du Roi et de l’avis du conseil privé, avons arrêté et arrêtons ce qui suit : Article premier : Sont déclarés libres et seront inscrits définitivement en cette qualité sur les registres de l’État Civil de la commune de Fort Royal les individus dont les noms suivent (…) »
Sur la page suivante (p. 68) on peut lire : « n° 1330 Pauline, mulâtresse [4] de dix-neuf ans, servante, née à Saint-Pierre, demeurant à Fort-Royal, esclave du sieur Borrier propriétaire au Fort-Royal (Euphrasie BORRIOS). »
- Source : Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM)
Entre parenthèses ce sont les prénom (Euphrasie) et nom (BORRIOS) donnés lors de cet affranchissement. Le lien BORRIER ↔ BORRIOS est évident : entre autres principes d’attribution de patronyme aux esclaves affranchis il y avait celui de s’inspirer de celui du maître [5].
Claude BORIER [6], décédé le 09.05.1852 à Fort-de-France, s’était marié en 1817 à Saint-Donat-sur-l’Herbasse (26) avec Françoise Thérèse OTERNAUD. En 1839, il affranchit (Marie) Joséphine [7] :
- Source : Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM). « n° 660 Remise de l’ampliation de l’affranchissement de Hyène (Marie Joséphine).
En 1845, Pauline Euphrasie BORIOS, 22 ans, reconnaît ses deux filles [8] : Marie Joséphine Hyène âgée de 7 ans (et renvoie bien à l’acte transcrit ci-avant) et Occuline Saône Rhône âgée de 5 ans.
« L’an mil huit cent quarante-cinq et le vingt-neuf mai (…). Par devant nous Arthur Fidèle Alexandre Lejar Du Clesmeur, adjoint du maire délégué aux fonctions d’officier de l’état civil de la commune du Fort Royal île Martinique, est comparue (…) la demoiselle Pauline Euphrasie Borios, âgée de vingt-deux ans, couturière, domiciliée au Fort Royal, laquelle nous a déclaré qu’elle se reconnaît pour être la mère de deux enfants (…) nées en cette ville, la première âgée de sept ans, affranchie par arrêté (…) en date du dix-sept novembre mil huit cent trente-huit, sous les noms de Marie Joséphine Hyène, le dit arrêté enregistré (…) [à] Fort Royal le vingt-quatre septembre mil huit cent trente-neuf sous le n° 660 ; la seconde âgée de cinq ans, affranchie par arrêté (…) en date du __________ mil huit cent ____________ sous les noms de Occuline Saône Rhône (…) »
Pauline, née vers 1822, esclave du sieur Claude BORRIER, a probablement eu sa fille Marie Joséphine à l’âge de seize ou dix-sept ans et a été affranchie en 1842 où elle reçoit un patronyme inspiré de celui de son maître. Sa fille (Marie) Joséphine est née en 1838 ou 1839 [9], affranchie en 1839, et est reconnue par sa mère en 1845. Or dès 1846, à peine âgée de huit ans, Joséphine se retrouve en métropole, et plus exactement dans le village où Claude BORRIER s’est marié (village d’origine de son épouse) : Saint-Donat-sur-l’Herbasse (26).
Elle est recensée [10] en 1846 sous le nom de « Joséphine Joséphine » chez Françoise OTERNAUD (l’épouse de Claude BORRIER), et est déclarée comme « enfant naturel » cf. image ci-dessous :
- rchives départementales de la Drôme, Recensements, Saint-Donat-sur-l’Herbasse, 1846, 6 M 435
En 1851, âgée de treize ans elle est chez Joséphine VINCENT [11], directrice des Postes (cette dernière exerce déjà cette fonction en 1846 -auparavant en 1841 elle était institutrice -tout comme sa mère- et avait chez elle des pensionnaires) où il est précisé pour Joséphine -désormais désignée sous le patronyme BORRIER- « vivant des revenus de son père ».
- Archives départementales de la Drôme, Recensements, Saint-Donat-sur-l’Herbasse, 1851, 6 M 435
En 1856, âgée de dix-huit ans, elle est indiquée comme institutrice (vue 21/84).
En 1861 (elle a 23 ans) elle est désignée comme sous aide [12] de la directrice des Postes (vue 37/85).
En 1866, à 27 ans, elle est directrice des Postes.
- Archives départementales de la Drôme, Recensements, Saint-Donat-sur-l’Herbasse, 1866, 6 M 436
Les années ultérieures, suivant les actes, elle est aussi mentionnée comme receveuse des postes dénomination remplaçant à partir de 1864 celle de directrice [13].
En 1881 elle est toujours en fonction. À partir de 1886, elle n’est plus receveuse (d’autres vont prendre sa succession). A partir de cette année-là, elle est recensée soit en tant que « ménagère » soit en tant qu’ « employée » (son mari est commerçant : peut-être travaillait-elle avec lui) et parfois « sans profession ».
Il serait intéressant de savoir comment et pourquoi Marie Joséphine est venue en métropole si jeune (à huit ans), juste après avoir été reconnue par sa mère. Entre huit et treize ans (1846-1851) elle est « placée » chez Joséphine VINCENT, non pas comme domestique, mais apparemment comme pensionnaire ou apprentie. Claude BORRIER décède en 1852 (en Martinique), mais après ce décès sa formation est poursuivie et portera ses fruits puisque Joséphine (BORRIER) succédera à Joséphine VINCENT en tant que directrice de la Poste. Faut-il entrevoir dans ce destin (et notamment ce soin apporté à son éducation/formation) que Joséphine était la fille de Claude BORRIER ? Les éléments le laisseraient supposer, sinon comment expliquer la venue de cette enfant si jeune, laissant de l’autre côté de l’Atlantique sa mère et sa sœur ? Elle passe sa vie à Saint-Donat-sur-l’Herbasse où elle se marie en 1870. Elle décède en 1918, âgée de 80 ans. A-t-elle gardé un lien avec la Martinique, avec sa famille ? On est en droit de le supposer d’après son métier.
La famille de Joséphine en Martinique
Je n’ai pas trouvé la naissance de sa mère, Pauline, vers 1822 à Saint-Pierre. La seule Pauline trouvée dans cette ville est née en 1826 : en raison du très jeune âge (douze ans) que cela lui ferait à la naissance de sa fille Marie Joséphine, j’écarte des hypothèses cette naissance. Il y a bien, toujours à Saint-Pierre le Fort, en 1820 et 1822 les naissances de deux autres Euphrasie -mères différentes- or ces deux enfants sont nées de mères libres, et même si les conditions de liberté et d’esclavage ne sont pas toujours très nettes [14] le code Noir [15], article XIII (art. X ci-dessous), stipulait que les enfants suivaient la condition de leur mère : si elle est libre, ils naissent libres, si elle est esclave, ils naissent esclaves. Donc ces deux naissances sont à écarter puisque Pauline Euphrasie et ses filles étaient esclaves et ont été affranchies.
- « Le Code noir, ou Édit servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de la justice, police, discipline et le commerce des esclaves nègres dans la province et colonie de la Loüisianne » 1727
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (lien en note 16)
[Je n’ai pas trouvé le texte exact « Ordonnance ou édit de mars 1685 sur les esclaves des îles de l’Amérique » mais cela ne doit guère modifier la teneur du texte pour ce qui nous intéresse ici.]
Plusieurs éléments jouent en défaveur de l’établissement d’une généalogie un peu plus ample pour Pauline : les registres des esclaves étaient avant 1833 très peu et très mal tenus [16]. De plus, avec l’éruption de la montagne Pelée le 08.05.1902 qui détruisit Saint-Pierre une partie des archives a été définitivement perdue. A cela vient s’ajouter que les recensements de population de la Martinique pour le XIXe siècle n’ont pas été conservés.
Pauline est domiciliée en 1872 à Saint-Pierre (elle est âgée de 50 ans) lorsque son autre fille, Occuline Saône-Rhône se marie avec Adolphe LASTEL, typographe et chef d’atelier du journal « Les Colonies » [17].
- Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pauline est peut-être décédée lors de la catastrophe de 1902 qui décima l’entière population de Saint-Pierre (env. 30000 personnes) -excepté trois rescapés. Je n’ai pas vu son décès à Saint-Pierre entre 1872 et 1902.
On peut aussi noter que lors du mariage du fils d’Occuline à Cayenne (Guyane) en 1902, -et donc petit-fils de Pauline- celui-ci déclare ne pas connaître la date de décès de ses parents ni le lieu de leur dernier domicile : seraient-ils eux aussi décédés lors de cette catastrophe naturelle ?