L’année 1915 est celle qui en offre le nombre le plus important, bien qu’elle ne soit pas toute entière concernée par cette procédure : 23 mariages dont 9 pour les seuls mois de Juin et de Juillet. Les mariages par procuration de ces deux premiers mois ont pour caractéristique de s’accompagner le plus souvent de la légitimation d’un enfant (8 cas sur 9). Ces enfants sont pour la plupart nés entre Août 14 et Avril 15.
Pendant toute cette période, les combattants n’ont pas eu droit à des permissions (sauf pour les blessés convalescents) et n’ont donc pu régulariser leur situation familiale, c’est pourquoi certains se sont saisis de cette opportunité que leur offrait la nouvelle loi pour se marier rapidement et protéger femme et enfants dans cette incertitude de l’avenir. Ce n’était toutefois pas simple, il fallait trouver un mandataire : la loi demandait qu’il eût plus de 21 ans mais de toute façon le choix était limité ; il fallait chercher dans ceux qui n’étaient pas partis à la guerre, soit qu’ils aient été libérés totalement de leurs obligations militaires, vu leur âge, soit qu’ils aient été réformés ou dispensés. Mais réformes et dispenses en temps de guerre se font rares. Les mandataires étaient donc assez souvent des hommes d’âge respectable, j’en ai même rencontré un de 72 ans qui était le père du marié. Le lien familial était rarement indiqué, outre le père déjà cité, j’ai vu un oncle mais le plus souvent il n’y avait pas d’indication, même si parfois la présence du même nom de famille laissait supposer une parenté. Il fallait encore demander une autorisation au ministère de la guerre ou de la marine, selon l’affectation. Bien qu’on soit dans une ville portuaire, je n’ai pas relevé de marins dans les futurs mariés. La plupart servaient dans différents régiments d’infanterie. Mais le plus gênant, c’était bien l’absence du futur mari à son mariage, il n’est même pas sûr que, dans tous les cas, il ait eu connaissance au préalable de la date du mariage.
De toutes ces incertitudes nous avons un exemple troublant avec le mariage par procuration de Georges Neveu, garçon boulanger et soldat au troisième régiment du génie avec Florentine Bauer, journalière, le 30 juillet 1915. La fiche Mémoire des Hommes nous apprend que Georges Neveu est mort pour la France le 4 juillet 1915. Seulement l’acte n’a été transcrit à Versailles d’où il était originaire que le 15 Septembre si bien que, dans l’intervalle, il s’est trouvé marié par procuration au Havre. On peut comprendre qu’en temps de guerre l’information ne puisse pas toujours être transmise aisément. En tous cas aucune mention marginale ne permet de distinguer ce mariage des autres mariages par procuration dans les registres de l’état-civil.
Pour le reste de l’année 1915, les mariages s’accompagnent très rarement de légitimation. Cependant une curiosité,le mariage de Julien et Marthe, le 3 Août 1915 avec la légitimation de :
- 1) Marthe née en 1908
- 2) Marcel né en 1910
- 3) Julien né en 1911
- 4) Louis né en 1913
- 5) Georgette née en février 1915.
Cette Marthe-là, (la mère) aura la chance de ne pas devenir veuve et la famille pourra continuer de s’agrandir.
Cependant les premières permissions arrivent à partir de l’été 15 et dès 16 les soldats ont droit,en théorie, à une semaine de permission tous les quatre mois.
Evidemment il y a des aléas, la situation militaire commande. Mais dès lors les soldats vont préférer organiser un mariage pendant leur permission, au moins les deux futurs époux seront ensemble. Si la valeur juridique de ces deux sortes de mariage est la même,sur le plan affectif et celui de la mémoire, c’est tout différent : il y a aura au moins un souvenir consolateur à emporter dans la tranchée et peut-être même une photo. Ainsi le mariage par procuration est-il délaissé progressivement au profit du mariage pendant la permission : il n’y aura plus au Havre que 8 mariages par procuration en 1916, 2 en 1917 et 3 en 1918. Et ils ne seront plus guère associés à des légitimations. En 1917, ultime réforme, le mariage par procuration est ouvert aux prisonniers de guerre : j’en ai rencontré trois dont deux étaient prisonniers en Suisse. Au total il n’y eut qu’une trentaine de mariage par procuration au Havre pendant la totalité de la guerre,dont plus de la moitié en 15.
Le bilan sur la France entière est le même : les mariages par procuration (6240) représentent à peine 1% des mariages célébrés entre avril 1915 et avril 1921 [1] avec une baisse au fil du temps. La procédure sera cependant de nouveau autorisée pendant la seconde guerre mondiale.