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Le mariage d’un bon citoyen

Le jeudi 17 novembre 2016, par Martine Hautot

Le journal de Rouen est un des plus anciens journaux de province dont la collection a été heureusement numérisée par les archives départementales de la Seine- Maritime. Au hasard de de ses colonnes, j’ai rencontré une curieuse lettre du 18 Septembre 1793, adressée au citoyen Noël, rédacteur du Journal de Rouen par un certain Boulenger, officier de la garde nationale.

Ce courrier traite en termes admiratifs du mariage du curé du village de Sainte Foy sur Longueville, à une vingtaine de kilomètres de Dieppe, qui compte alors moins de 600 habitants.

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Le citoyen Baudelique, notre curé dont le patriotisme est connu, vient de donner une nouvelle preuve de son civisme. Lundi dernier, 16 du courant, il a pris une compagne ; il a prouvé son amour pour l’égalité, en prenant une fille pauvre, mais sage et vertueuse.

Effectivement dans les registres de sainte Foy, nous retrouvons ce mariage à la date du 16 Septembre.

L’an mil septcent quatre vingt treize, deuxième de la République française une et indivisible, le lundi seize septembre onze heures du matin jour et lieu indiqués en la salle publique de la Commune de Sainte Foy canton de Longueville District de Dieppe, département de la Seine-inférieure, par devant nous nicolas paquet officier public se sont présentés Louis Marie Baudelicque né à étaples district de Boulogne sur mer, département du pas de calais, le treize août mil sept cent cinquante deux, demeurant en la dite commune de Sainte Foy où il exerce les fonctions de ministre du culte catholique, fils de Jean Baptiste Baudelicque en son vivant lieutenant général au bailliage du dit étaples et de feue marie magdeleine oeuillot (?) ducalluy d’une part...

Nous pouvons relever trois points importants : le futur marié est bien désigné comme ministre du culte catholique, il n’est pas originaire de la région normande et il est d’une famille de notables : son père était lieutenant général au bailliage d’Etaples. Dans le dictionnaire historique et archéologique du Pas-de-Calais il nous est dit que la famille Baudelicque a exercé des fonctions de bailli dans la ville d’Etaples depuis 1614 jusqu’au 11 Septembre 1790, date où ce tribunal a été aboli. Enfin il est âgé de 41 ans. Est-il curé de Sainte Foy depuis longtemps ? Il ne le semble pas : sa signature apparaît au bas des actes, le 27 Juin 1791. Au préalable, c’était un vicaire qui officiait. Rappelons que la constitution civile du clergé s’est imposée à compter du 12 Juillet 1790 et qu’à sa suite la prestation de serment a été exigée des prêtres.

Voyons maintenant ce qu’il en est de sa compagne, « la fille pauvre, mais sage et vertueuse » du Journal de Rouen :

Et d’autre part Marie Rose Taio née à la frenaie canton du dit longueville district de Dieppe, département de la seine inférieure, le douze septembre mil sept cent cinquante huit demeurant en la susdite commune de Sainte Foy où elle exerce la profession de fileuse, fille de feu nicolas taïo en son vivant journalier et de anne fontaine demeurant à muchedent même canton district et département que ci-dessus.

Le correspondant du journal de Rouen a donné des renseignements exacts : la future épouse du curé n’est pas riche, c’est une simple fileuse, originaire du canton. Fille d’un journalier, elle a déjà 35 ans.
De sa vertu le registre ne dit évidemment rien ni de l’ambiance qui règne dans la salle publique. Heureusement la lettre est plus prolixe :
Son mariage s’est célébré à onze heures du matin, en présence du conseil général de la commune, et d’un grand nombre d’assistants, aux cris répétés de vive la république ! vive la nation ! Le son des cloches de l’église annonçait cette cérémonie, ce fut un jour de fête pour tous les vrais républicains.

Un jour de fête donc, mais on remarque que parmi les témoins il n’y a aucun habitant du village mais des habitants de Dieppe, pour trois d’entre eux professeurs au collège de la ville.

Et à l’instant je soussigné officier public ai prononcé au nom de la loi que les dits Louis Marie Baudelicque et Marie Rose Taïo sont unis en mariage, ce dont j’ai rédigé le présent acte en présence des parties et de anne fontaine, mère de l’épouse qui a déclaré ne savoir écrire, des citoyens françois hilaire Rouillès, joseph urbain Rouillès, Jean Baptiste de la Croix Louis Massins ( ?), habitants de la commune de Dieppe, témoins amis des époux, le premier âgé de vingt huit ans,le second âgé de vingt sept ans ans professeurs au collège de Dieppe le troisième âgé de vingt six ans vivant de son patrimoine au susdit Dieppe, le quatrième âgé de vingt cinq ans professeur au susdit collège de Dieppe.

Ce collège est le fameux collège de l’Oratoire de Dieppe qui était animé par des prêtres aux idées plutôt avancées. Comme on ignore tout de la vie de Louis Marie Baudelicque entre sa naissance à Etaples et son installation à Sainte Foy en 1791, on peut penser qu’il est passé par le collège de Dieppe, y a noué des amitiés et que la prestation de serment ne lui a pas posé trop de problèmes de conscience. Ce n’est pas le cas de son frère Antoine, de un an son aîné également prêtre, mais resté dans le Pas de Calais qui prête serment avec des réserves, « dans la mesure où les lois de l’Eglise sont respectées », ce qui le rend suspect et lui vaut d’être emprisonné un temps sous la Terreur mais heureusement libéré.
Rien de tel, pour Louis Marie, qui cependant ne s’attarde pas dans sa paroisse, après cette cérémonie. Peut-être suffit-il que ce mariage ait rempli le rôle pédagogique que lui assigne l’auteur de la lettre.

Cet acte de civisme, digne d’être imité par tous les ecclésiastiques

C’est ainsi qu’on retrouve le nouveau couple à Dieppe quelques mois plus tard pour la naissance de leur premier enfant. La petite fille, née le 15 Germinal de l’An II (selon le calendrier grégorien le 4 Avril 1794) reçoit les très originaux prénoms d’ « Abeille la raison ». Aussi curieux que nous apparaisse le choix d’ « abeille » pour prénom, il s’explique aisément puisque, dans le nouveau calendrier républicain, instauré le 6 Octobre 1793 et inspiré par Fabre d’Eglantine, chaque jour n’est plus associé à un saint mais à un élément de la nature. Le 15 Germinal est ainsi lié à l’abeille. Si la petite fille était née un jour plus tard, se serait-elle appelée Laitue ? Quant à la raison, elle est une grande figure de la Révolution. Notre ancien curé ne faisait pas les choses à moitié. Comme ce prénom, passées les grandes heures de la révolution, n’était pas facile à porter, il est écrit dans l’acte de mariage de la fille aînée de Louis Marie en 1817 : « abeille la raison dite Rosalie ». Notons que le père au moment de sa naissance est administrateur du district. Un an après Abeille, naît un garçon, le 17 Germinal an trois, il se prénomme Louis Viala ; il a le prénom de son père, conformément à la tradition, accolé au nom du jeune Viala, héros de la révolution française. Louis Marie est alors agent de l’hospice militaire de Dieppe. Mais ce n’est pas son ultime métier : lors du mariage de sa fille en 1817, il est dit ancien commissaire et marchand libraire et c’est ce métier que l’on retrouve mentionné sur son acte de décès, le 4 Février 1833 dans sa bonne ville de Dieppe. Son gendre, le mari d’Abeille, avec qui il habitait, également marchand libraire, vient déclarer son décès.

Du cinquième jour du mois de Février l’an mil hui cent trente trois, onze heures du matin, acte de décès de Louis Marie Baudelicque décédé la quatre de ce mois à onze heures du soir, ex marchand libraire, âge de quatre vingts ans cinq mois né à Etaples près Boulogne (Pas de Calais) le treize août mil sept cent cinquante deux demeurant à Dieppe Grande Rue, chez le premier déclarant. Veuf de Marie Rose Tayot, née à la frenaie canton de Longueville, mariée à Sainte Foy et décédée au dit Dieppe le vingt neuf mai mil huit cent dix huit, fils de Jean Baptiste Baudelicque, propriétaire, et de feue Marie Magdelaine Oeuillot (?) Decalluy décédés au dit Etaples.
Sur la déclaration à nous faite par Charles Antoine Alexandre Laffilé, marchand libraire agé de cinquante quatre ans neuf mois et par Jean Michel Félix Blanquet demeurant susdite rue, marchand épicier, agé de trente trois ans quatre mois, qui ont dit être l’un gendre et l’autre proche voisin du défunt
Et ont signé double le présent acte après lecture faite.

Quelques années plus tôt, en 1827, son frère Antoine, toujours fidèle à son sacerdoce, était décédé, prêtre desservant, dans sa paroisse de Condette, département du Pas de Calais.

Deux longues vies, deux parcours fraternels qui dans leurs différences illustrent bien la complexité des situations du clergé à l’époque révolutionnaire dans notre pays.

Un message, un commentaire ?

14 Messages

  • Le mariage d’un bon citoyen 24 décembre 2016 13:26, par Guiot

    Bonjour,
    J’ai un cas presque identique dans mon arbre, il s’agit de Pierre François BOMY, né le 8 Février 1768 à FRENCQ -62354- qui était curé de SEMPY -Pas-de-Calais-et qui s’est marié le 26 Frimaire de l’an 2 avec Marguerite Agathe LANSOY, ils ont eu 4 enfants, et, à partir de 1820, j’ai perdu leur trace ...
    Cordialement
    Philippe

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  • Le mariage d’un bon citoyen 24 décembre 2016 09:29, par Lebouteiller Jean-Claude

    Bonjour,

    Félicitations pour cette trouvaille qui présente un intérêt historique.
    Avez-vous retrouvé soit l’acte de renoncement à la prêtrise, soit le serment à la Constitution Civile ?
    Le prêtre qui a célébré le mariage était-il assermenté ?
    Cordialement,
    Jean-Claude
    Aurillac

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  • Le mariage d’un bon citoyen 19 novembre 2016 17:09, par Claudine Auget-Attia

    bonjour
    sur ce thème, j’ai relevé le mariage d’un neveu de mon sosa 140, dans la Vienne :
    le 27 brumaire an II, Joseph MAURY (°Poitiers 19/09/1728, + Poitiers 09/03/1809), se marie à Sainte-Radegonde-de-Marconnais avec Marie Filiole sa servante. Il est dit "ex-curé ayant abdiqué", de la communauté de Nouailles ; il a 65 ans et elle 22 (°en 1771). Deux fils naitront : Elie Bélisaire en 1797 (le papa a 69 ans), et Auguste en 1805 (il a 77 ans).

    Joseph signe des actes de mariage, naissance et décès jusqu’en 1792 à Sainte-Radegonde-de-Marconnais. Aurait-il été forcé à "abdiquer" ? le mariage ou l’échafaud ?

    Cordialement,

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  • Le mariage d’un bon citoyen 18 novembre 2016 11:55, par Vandamme

    Bonjour,
    on ne peut jeter la pierre, ils faisaient comme ils pouvaient en ces temps plus ou moins troublés, parfois il n’y avait pas d’échappatoire, la vie était en jeu, j’ai vu un acte de mariage d’un curé dans la Manche, l’Avranchin ou Coutances ! je n’ai plus en tête ni où et quand mais la révolution devait battre son plein, la rédaction m’avait quand même frappée, il me semble d’ailleurs que le mariage dont je vous parle n’était que fictif au vu de la suite, si j’ai encore un souvenir, dommage que je ne l’ai pas mis en bonne place dans mes archives mais çà ne concernait pas ma famille et je débutais.

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    • Le mariage d’un bon citoyen 19 novembre 2016 10:50, par Martine Hautot

      Bonjour,

      Oui,tous les cas de figure devaient se rencontrer .Dans le cas du curé Baudelicque ,ce n’était pas apparemment une décision opportuniste mais un changement d’orientation définitif, ce que seule la suite de l’histoire découverte dans les archives m’a permis de constater .
      Cordialement,
      Martine

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  • Le mariage d’un bon citoyen 18 novembre 2016 11:16, par Franck Boulinguez

    Bonjour Martine,

    Article passionnant !
    Si ça peut t’être utile, sur l’acte de décès du 5 février 1833, je lis & de feue Marie Magdeleine Covillot Dussaluy
    Cordialement
    Franck

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    • Le mariage d’un bon citoyen 19 novembre 2016 10:22, par Martine Hautot

      Merci Franck .Pour Marie Magdeleine ,si la deuxième partie de son nom est à peu près sûre "du calluy " en un ou deux mots .Pour la première partie selon les actes ,la forme varie beaucoup !Ce qui est sûr ,c’est qu’elle était d’une bonne famille du Pas de Calais

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  • Le mariage d’un bon citoyen 18 novembre 2016 10:28, par lalie49

    bonjour,
    Encore un acte intéressant par ces temps chahutés de la révolution, il devait être bien difficile de prendre position clergé ou citoyen sans risques. Mais de plus y’a -t’il eu un miracle ou une naissance prématurée ? si je compte bien, mariés le 16 septembre 1793, naissance le 4 avril 1794 de la petite Abeille, je pense que la ruche a dû bourdonner bien avant ! Ou alors encore un effet du St Esprit, parce que "sage et vertueuse...". Les anecdotes ne manquent pas dans cette époque troublée, dans les registres d’Ille et Vilaine la semaine dernière j’ai trouvé des actes de naissances de 1796 (Quédillac 4 thermidor an IV, 22/07) avec le nom des témoins et le nom des parrain et marraine. Je pense plus à une difficulté à se détacher des coutumes du baptême qu’à un baptême civil réel, l’officier d’état civil contentait tout le monde, un bon compromis. Vous apprécierez aussi la douce reconnaissance des enfants d’alors étant mâle ou ... fumelle ! Drôle d’époque, on en parle encore.
    cordialement.

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    • Le mariage d’un bon citoyen 21 décembre 2016 09:25, par Aubin

      Ne soyons pas suspicieux ! Une naissance prématurée à 7 mois à peine ce n’est pas impossible même si les chances de survie devaient être plus rares qu’aujourd’hui. Sinon nous devrions croire qu’il y avait un peu de naïveté à dépeindre une régularisation hâtive en acte républicain exemplaire !

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    • Le mariage d’un bon citoyen 19 novembre 2016 10:40, par Martine Hautot

      Bonjour,

      Vous comptez bien ,mais l’essentiel n’est-il pas que l’abeille fasse son miel ...
      Merci pour votre commentaire si bien tourné !
      Cordialement,
      Martine

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