VISITES À LA FOIRE D’ÉTÉ
SOUS LA TOISE : 2 MÈTRES 35
SUR LA BASCULE : 207 KILOS
— Pardon, Monsieur, le géant savoyard ?
— C’est moi !... On s’en serait douté en voyant surgir de la roulotte ce grand gaillard qui doit baisser la tête pour ne pas emporter le fronton !
Sa stature est tellement imposante qu’on reste un peu stupéfait dès qu’il approche. Gulliver, en débarquant au pays des géants, ne dut pas éprouver une moins grande surprise en voyant apparaître le premier colosse...
Après la traditionnelle poignée de main du sympathique Savoyard, on est tout de suite à l’aise, bien qu’il subsiste un sentiment d’inégalité qui vous fait penser que vous n’êtes pas à la hauteur.
— J’aurais bien dû apporter une échelle !
— Oh ! Ça ne fait rien, dit le « grand homme » qui par ses intonations et ses mimiques, fait penser à un héros de film qu’aimerait à incarner Fernandel, et qui serait : « Ferdinand le géant »
Toutes proportions gardées. M. Ferdinand Contat évoque un peu par sa jovialité le grand comique de l’écran, et ce qu’il raconte ne manque pas de saveur.
— Montez donc dans la roulotte. C’est un peu bas de plafond pour moi, mais en m’asseyant sur ma petite chaise cela va tout seul...
Le home roulant du géant savoyard est pourtant de grandes dimensions. Mais la largeur est réglementée par le code de la route : 2m. 50. Or, il touche aux deux parois en étendant les bras et comme il mesure 2m. 35 de hauteur, il toucherait encore le plafond si ce dernier n’était surélevé au centre. Son lit qui se déplie le soir venu est renforcé, étayé, pour ne pas céder sous le poids des 207 kilos du dormeur.
Sa chaise enfin est ce que vous appelleriez un fauteuil, en considérant son volume.
Le voilà assis. Elle résiste, sans craquer, alors tout va bien.
— Dites-moi, M. Contat, il y a longtemps que vous êtes grand comme cela ?...
Il n’en faut pas davantage pour étendre de quelques centimètres le sourire du bon géant, qui nous raconte sa naissance, dans un village de Savoie, où ses parents cultivent la terre.
— Je suis le quatrième d’une famille de six enfants. Mes parents, mes frères et sœurs, sont de taille normale et jusqu’à 13 ans j’étais plutôt faible et mince.
— Vous avez bien « profité » depuis, comme on dit à la campagne. Mais quel âge avez-vous ?
— Je vais avoir 35 ans le 30 septembre. Je ne grandis plus, maintenant, mais j’ai toujours grand appétit. Vers l’âge de 18 ans, je ne mangeais jamais assez, j’avais toujours faim.
— Que mangez-vous le matin ?
— Un litre et demi de café au lait, quelquefois deux, et si on m’apporte des croissants, la douzaine y passe. Au déjeuner, il me faut quatre côtelettes et s’il y a des « frites », j’en avale un kilo... arrosé de deux litres de vin. J’ai même un verre qui tient le litre ! Au dîner, la pleine soupière ne me fait pas peur. Je mange quatre kilos de pain par jour.
— En somme, vous n’êtes pas un invité facile à régaler à l’improviste.
— Ah non ! C’est souvent gênant quand je vais à la chasse ou à la pèche et que je tombe dans une guinguette où le boulanger n’est pas passé...
— Vous aimez la chasse ?
— Ah oui ! On m’emmène en auto, mais quand je bats les fourrés, je m’accroche aux basses branches des arbres... J’aime beaucoup la pêche, aussi. C’est mon grand bonheur de fuir les villes où je ne peux pas faire un pas sans me faire suivre par des gamins. Je provoque des attroupements ; il faut que je me baisse pour entrer par les portes : alors, ça m’ennuie.
— Je comprends que vous n’aimiez pas aller dans les magasins ; d’ailleurs rien n’est à votre taille au rayon de confection !
— Non, bien sûr. Mais je n’aime pas aller chez le tailleur. A Paris, j’y suis allé dans une torpédo, ma tête n’est pas passée inaperçue. On croyait que j’étais porté sur les épaules d’un plaisantin Les agents voulaient m’arrêter. La Préfecture de Police m’a dit de revenir le lendemain, à cause des embouteillages. Trente agents faisaient le service d’ordre ; j’ai été filmé à mon entrée chez le tailleur. A la sortie, la foule poussait l’auto : plus moyen de circuler... Alors, vous comprenez, j’hésite à sortir en ville !
La glace est tout à fait rompue, le géant ne s’arrête plus de nous conter de bonnes histoires... marseillaises mais véridiques.
C’est la tête que faisait le major quand Ferdinand passa le conseil de révision, à Thône (Savoie). La toise ne put enregistrer ses 2 m. 27, mais la bascule accusa 167 kilos.
— On m’a réformé, bien entendu, pas pour faiblesse de constitution ! Mais qu’est-ce que j’aurais pu faire à la caserne ?
Une anecdote en appelle d’autres.
Celle de l’automobiliste découvrant dans ses phares le géant revenu voir sa Savoie, à la nuit tombée, et sortant d’un bois avec une ombre démesurément grandie. L’automobiliste appela au secours et stoppa, n’osant aller plus loin.
Enfin, Ferdinand Contat rit encore en pensant qu’il ne craint pas la concurrence. Il a mis au défi des géants américains, il dépasse de beaucoup le géant Bronner, décédé il y a dix ans Mais ce n’est pas tout :
— En passant par la Haute-Loire, je suis allé dans une mairie où les célèbres géants Hugo ont écrit leur nom sur le mur. Alors, j’ai essayé à mon tour, mais j’ai signé cinq centimètres plus haut. Les frères Hugo ne faisaient que 2 m 18 et 2 m. 30. Moi, 2 m. 35, répète fièrement notre géant.
D’ailleurs, jusqu’ici, aucun géant net venu réclamer les mille francs offerts à celui qui égalera Ferdinand Contat, et la Foire de Nantes se terminera sûrement sans qu’il se présente !
Le bon géant savoyard donnera encore de nombreuses et mémorables poignées de main, fera passer sa chevalière entre les mains de ses admirateurs, qui pourront presque s’en faire un bracelet, permettra à chacun de se mesurer avec lui et, la foire terminée. Il s’évadera de sa baraque pour aller tremper le fil dans l’eau, sur une chaussée clissonnaise ou saumuroise qui, un instant, deviendra la « Chaussée du Géant ».
Inutile de détailler ici l’état-civil de notre Géant, vous l’avez déjà amplement commenté. Je ne livrerai donc à votre curiosité que ce document qui n’est pas disponible en ligne ailleurs et qui indique que Ferdinand, en dehors de son "gigantisme" avaient quelques autres "particularités" qui aurait pu le faire réformer... Inutile de s’y étaler, je vous laisse découvrir lesquelles...
Encore merci à toutes et à tous et bonne année 2022 !