- Affiche placardée sur les murs.
- Elle existe également en breton
Archives municipales de Quimper. Le grenier de la mémoire
Nous nous plaignons à juste titre des déjections diverses et variées qui salissent les trottoirs de nos villes.
Relativisons en effectuant une petite plongée dans le Quimper de 1832. Absence totale d’hygiène, insalubrité des logements, contamination des puits et des fontaines publiques par l’infiltration dans le sol des boues et autres fumiers, tel est le spectacle peu reluisant que nos ancêtres paysans découvrent lorsqu’ils viennent le samedi au marché. Mais ce n’est guère mieux chez eux !
À Quimper, ville de près de dix mille habitants, rue Verdelet, plusieurs ménages sont logés dans une écurie infecte que traverse un ruisseau fangeux où les eaux séjournent, le sol étant en dessous du niveau de la rue. Dans le bulletin de la Société archéologique du Finistère, Hervé Glorennec écrit que même les porcs périssent à cause de l’extrême insalubrité des lieux !
Deux tueries publiques sont situées sur les bords de la rivière Steïr. L’abattage annuel de 1200 bœufs, 4000 veaux et moutons, ainsi que de 600 porcs engendre une forte pollution qui inquiète les riverains.
Les autorités reçoivent des nouvelles peu rassurantes venant de la capitale. En avril 1832, le préfet fait placarder sur les murs de la ville des affiches interdisant les rassemblements d’animaux carnivores et de ceux tenus malproprement, tels les chevaux, les cochons ,les poulets et les lapins.
Il est conseillé de nettoyer les vitres de son logis une fois par semaine , car l’action de la lumière est utile à la santé.
Il est aussi préférable d’éviter les émotions fortes, telles que la colère et la frayeur. Et pourtant, le peuple s’affole bien vite devant cette maladie qu’il ne connaît guère.
Le 13 mai, dans l’hôtel du Lion d’Or, situé place Saint-Corentin, l’épidémie fait une première victime : le marin Catel, venu d’Alger, qui se rendait à Brest.
- Hôtel du Lion d’Or, place Saint-Corentin (Quimper)
Le 16 mai, monsieur Le Jumeau de Kergaradec, médecin et président de la commission médicale, se veut rassurant dans un courrier adressé au maire Éloury. Les deux victimes du choléra, mortes ce jour à l’hospice, n’ont pas été en contact avec le nommé Catel. L’une, épileptique et idiote depuis son enfance, a fait un grand écart de régime la veille. L’autre, âgé de 83 ans, était dans un état d’extrême décrépitude et grabataire. Comme tous ceux qui ont approché le marin mort sont en parfaite santé, le médecin en conclut naïvement que le choléra n’est pas contagieux.
Pourtant, à Paris, le 16 mai, Casimir Périer, président du Conseil, en meurt, après avoir visité des malades à l’Hôtel-Dieu.
La commission de l’hospice exige que deux médecins soient extraordinairement attachés au service des malades. Messieurs de Kergaradec et Bonnemaison se portent volontaires, assistés par les dames du Saint-Esprit, dévouées au culte du malheur. Par voie d’affichage, le maire précise que l’administration ne force personne à aller à l’hospice de Creac’h-Euzen, mais que le public ne doit pas craindre d’y être soigné. Certains prétendent cependant que les lieux sont déplorablement mal tenus et que l’on éprouve de la répugnance à y entrer.
Il est vrai que l’hospice ne présente pas toutes les garanties de guérison. Arrivées en 1831, les sœurs de la congrégation du Saint-Esprit sont dépassées par tous les patients qui arrivent. Malgré les secours gouvernementaux et une souscription ouverte, les dévouées religieuses manquent de couvertures, de draps, de lits, et les malades sont parqués dans deux salles isolées de l’hospice. Épuisées, elles délaissent les enfants "trouvés" qui errent dans la cour, les tuberculeux, les scrofuleux et les vieillards (plus de 50 ans !).
M. Le Jumeau de Kergaradec, président de la commission médicale, qui prétendait, il y a peu, que la maladie n’était pas contagieuse, soudainement guéri de son optimisme béat, implore l’envoi de fonds pour déplacer les vastes fosses d’aisance placées à l’intérieur de l’hospice et qui communiquent à tous les étages. Ces foyers d’infection répandent partout une odeur essentiellement méphitique.
Dans la cour, un menuisier construit un amphithéâtre fait en planches pour exposer les morts et faire les autopsies.
Les nombreux militaires hospitalisés, fragilisés par la dysenterie contractée aux colonies, sont une proie de choix pour le choléra, mais le ministère de la Guerre fait la sourde oreille aux demandes de secours en couchages. Question importante : les effets d’habillement des militaires morts du choléra peuvent-ils être distribués à d’autres hommes ?
Un bureau de secours est établi à la mairie. Il est écrit qu’il se portera avec zèle au lit du pauvre ou du riche. Mais ce sont plutôt les quartiers insalubres qui souffrent. Refusant les aides, de nombreux malades qui habitent dans les rues Sainte-Catherine, Neuve (actuelle rue Jean Jaurès) et Sainte-Thérèse , meurent dans d’horribles souffrances. Ainsi, un aveugle mendiant, qui a refusé de se laisser porter à l’hospice, décède sans traitement.
- Rue Sainte-Catherine, durement touchée par l’épidémie
À l’image de mon arrière-arrière-arrière-grand-mère, les gens âgés se calfeutrent chez eux dès qu’ils ressentent ou croient ressentir les premiers signes de la maladie : une grande fatigue, des nausées, une froideur de tout le corps et des crampes des membres inférieurs. Ceux qui assistent aux offices saints ne sont guère plus rassurés. Le curé de la cathédrale menace et tempête en chaire. Dans son sermon, il prévient : le choléra est un missionnaire que Dieu nous envoie pour nous prêcher son enseignement. La peur est telle que le châtiment supposé de Dieu réveille la foi dans les cœurs les plus endurcis et que l’on se réfugie dans les églises au risque d’accroître la contagion.
Mon aïeule, après la mort de sa sœur à l’hospice, convoque le notaire pour lui dicter son testament, dans la vue de la mort. Nombreux sont ceux qui agissent ainsi.
Pendant l’été, l’épidémie semble moins virulente et les Quimpérois entendent avec plaisir les salves des vingt et un coups de canon tirés au lever et au coucher du soleil, les 27, 28 et 29 juillet, pour commémorer les trois journées qui, en 1830, ont précipité la chute de Charles X, et amené Louis-Philippe sur le trône. Celui-ci a recommandé de ne pas dépenser de l’argent pour fêter son avènement, et de le consacrer plutôt à soulager les souffrances des malheureux, mais les conseillers municipaux quimpérois dilapident une centaine de francs pour acheter de la poudre.
Dès le mois de septembre, le choléra-morbus fait de nouveau des ravages. 11 militaires du 51e régiment d’infanterie meurent à l’hospice. Ceux qui sont bien portants deviennent infirmiers et soignent les cholériques. Les sœurs du Saint-Esprit se dévouent sans compter avec les remèdes aux vertus incertaines qui leur sont alloués : les cataplasmes de farine de moutarde et de graines de lin, les décoctions de tilleul, l’ipecacuanha en poudre, les gouttes de laudanum, l’éther, la gomme arabique en morceaux ou en poudre, et les fameuses sangsues, sensées tuer le mal.
Quimper a été divisé en six quartiers avec, pour chacun d’eux, un médecin qui reçoit une dotation de 200 sangsues. Comme cela ne suffit pas, les pharmaciens Bourassin (rue Kéréon) et Fatou livrent 1400 sangsues supplémentaires.
Un nouveau moyen de lutter contre le mal arrive sur Quimper. Il s’agit du Sudatorium, vivement recommandé par le ministère de l’Intérieur. C’est un véritable supplice pour le malade, dont la température baisse rapidement en- dessous de 37°. La machine provoque une transpiration salutaire, mais au moindre refroidissement, le malade affaibli décède.
- Le Sudatorium
- Archives municipales de Quimper. Le grenier de la mémoire
L’hospice ne pouvant plus accueillir de nouveaux malades, le maire autorise l’ouverture d’une maison de secours à l’ancien couvent Saint-Joseph (actuel évêché, rue de Rosmadec). Louis-Philippe accorde la somme de 3000 francs pour soigner les indigents et la municipalité rajoute la même somme. Le préfet Pellenc donne 250 F lors d’une souscription, l’évêque 300 F et le maire 150 F.
Semblant ne pas craindre la maladie et ses miasmes, certains conseillers municipaux visitent les familles éprouvées, d’autres fournissent des draps et des comestibles. Courage, fuyons ! MM Bohan, ancien maire, et Coatpont, sont précipitamment partis à la campagne et ne siègent plus au conseil. Ce dernier se réunit très souvent pour discutailler des heures et des heures.
Le 18 octobre, le secrétaire de la commission médicale écrit à l’intendant militaire du département que l’épidémie parait avoir cessé, aucun nouveau cas n’étant signalé depuis une dizaine de jours.
État fin septembre Malades : hommes : 159 femmes 215 , soit un total de 374 personnes Morts : hommes : 74 femmes 122 , soit un total de 196 personnes |
Il s’agit maintenant de remercier ceux qui se sont dévoués. Tous les soignants se sont dépensés avec abnégation, mais ils ne seront pas décorés, car ils n’ont fait que leur travail. Les sœurs du bureau de bienfaisance et celles de l’hospice n’y ont pas droit non plus, la religion leur faisant un devoir de résignation. Par contre, par leur contenance et leur calme, quatre militaires du 51e régiment de ligne, ayant remonté le moral de la population de l’hospice, reçoivent une médaille d’argent.
Un détail : pendant la durée de l’épidémie, vingt-huit enfants dits trouvés, déclarés de père et mère inconnus, ont été exposés (déposés) au tour de l’hospice de Creac’h-Euzen. Il a fallu beaucoup de courage ou d’inconscience à ces mères ou leurs commissionnaires pour quitter leur campagne et venir déposer un enfant dans une cité où la contagion menaçait à chaque coin de rue et encore plus à l’hospice.
Dès les premiers jours d’octobre 1834, une nouvelle épidémie de choléra, partie de la rue Neuve (actuelle rue Jean Jaurès), s’étend rapidement en ville et tue une dizaine de personnes. Le commissaire de police n’y voit pas d’effets effrayants, sauf chez cette malheureuse classe d’individus que l’intempérance ou la malpropreté assujettissent à un foule de vicissitudes sanitaires.
Cette nouvelle épidémie fera, suivant les sources, entre 90 et 150 victimes…
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