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Le Cap Horn

Souvenir de mer

Le samedi 16 juillet 2005, par Jean-Pierre Bernard

Je suis un "Cap Hornier", et j’en suis fier !

Sur la route des trois caps, dans les mers du Sud, ce cap, situé tout en bas du continent américain, à l’extrémité sud de la Terre de Feu, est situé sur le territoire du Chili.
Il est difficile à passer, et doubler le Cap Horn a toujours été un honneur pour les hommes de mer. On devenait alors un vrai marin, et on avait le droit de "cracher au vent".

Mais "le Cap", comme l’appellent familièrement les anciens Cap Horniers, n’est pas un point géographique sur la carte du monde, un pic sombre aux confins des mers du Sud éternellement malveillantes, une terre de désespérance, un rocher hostile et noir jailli de la tempête.

C’est avant tout le symbole d’une épopée glorieuse et magnifique, de Magellan qui en découvrit le détroit, aux fiers clippers qui ramenaient la laine d’Australie, et jusqu’aux navigateurs solitaires qui le franchissent aujourd’hui sur leurs immenses catamarans, équipés comme des formules 1.

Perdus au milieu des éléments déchaînés, les anciens de la voile et ceux d’aujourd’hui se sentent fraternellement unis.
Pour les clippers, les itinéraires d’est en ouest entraient dans le golfe de Patagonie, et s’écartaient très au large du Chili dans le Pacifique.
Les passages de retour, d’ouest en est, serraient la côte au plus près, et convergeaient à l’est des Malouines avant d’entreprendre la traversée de l’Atlantique.

Pour franchir le Cap Horn, il est nécessaire d’aller jusqu’à cinquante-six degrés de latitude. C’est une limite, car plus bas c’est l’Antarctique, les icebergs et la banquise.
Des centaines de navires se sont perdus et ont disparu dans ces parages, corps et biens, dont on ne retrouve rien. Combien de marins dorment au fond de ces eaux redoutables ?

C’est dire dans quel état d’esprit j’étais tandis que l’on progressait dans l’océan Pacifique, venant de Tahiti, en ce début d’octobre 1966. Plus "le Horn" approchait, et plus j’étais partagé entre l’angoisse de franchir ces lieux redoutés, et la fierté pour l’exceptionnelle chance qui s’offrait à moi de faire partie prenante de tous ces fiers marins, cette élite des mers, qui l’avaient franchi au travers des siècles de navigation, et souvent dans des conditions bien plus précaires.

Le "Foch", porte-aéronefs de 32.000 tonnes, taillait sa route. Le temps fraîchissait, la houle devenait plus forte et plus sournoise. La pluie et le brouillard s’ajoutaient au froid, et le bateau tanguait et roulait de plus en plus, fétu de paille, malgré sa taille et son poids, sur cette mer déchaînée.

A bord, on se déplaçait difficilement, les coursives étant dans un perpétuel mouvement de va-et-vient. Il fallait tout capeler, tout ranger afin d’éviter les heurts et les bris de multiples objets et équipements.
Il était pratiquement impossible, pour ceux qui avaient faim, de prendre un repas normal, les plateaux de nourriture glissant d’un bout à l’autre des tables fixées au sol.
Et comment dormir dans nos banettes en perpétuel mouvement ? Et puis le bruit du vent, le vent énorme, qui se déchaînait et couvrait même le ronron des moteurs.

L’angoisse aussi, qui nous tenait au ventre. Nous avions pourtant parcouru bien des milles sur toutes les mers, doublé Bonne-Espérance, franchi les 40es rugissants, traversé l’océan Indien....
Oh, la mer d’Iroise et le golfe de Gascogne n’étaient assurément que peu de choses comparés à cette mer-là !

Mais, poussé quand même par la curiosité, je décidais de voir dehors. Ayant déverrouillé une porte étanche qui donnait sur un sponcon d’artillerie, tout de même à une hauteur importante par rapport à la ligne de flottaison, je vis, en quelques secondes, des rochers noirs, déchiquetés, à travers la brume et la pluie. Vision fugitive, très vite remplacés par une masse d’eau, une vague énorme plus haute qu’une maison, tandis que le bateau semblait s’enfoncer dans l’abîme.
La porte fut très vite refermée, et je regagnais mon poste d’équipage empreint d’un sentiment de petitesse et d’écrasement.

Nous mîmes deux jours à douler le Cap Horn. Une fois passées les Malouines, et poussant désormais la vitesse par un temps plus clément, la navigation nous sembla être une simple promenade jusqu’au large de Rio-de-Janeiro.
De là, nous traversâmes tout l’Atlantique jusqu’aux îles Canaries, pour une nouvelle escale de quelques jours à Las Palmas.

De là, Gibraltar, la Méditerranée et Toulon ; puis de nouveau Gibraltar et le golfe de Gascogne pour cingler vers la Bretagne et Brest, notre port d’attache, où le bateau devait subir un carénage de quelques mois, durée qui fut mise à profit pour prendre une permission bien méritée après ce périple de neuf mois autour du monde.

Les émotions à doubler ce cap redouté sont toujours présentes à mon esprit, accompagnées du bonheur de l’avoir fait... et d’être un "Cap Hornier".

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7 Messages

  • Le Cap Horn 24 août 2010 18:08, par Franco

    Bonjour , je voudrais simplement partager quelques paroles amicales sur le cap horn ou vous avait navigué , ces coin ce pour moi, une eternel nostalgie pleins de profonds souvenirs. felicitations pour votre experience et merci pour le partager.

    Voir en ligne : http://www.atelierdrakemarina.com

    JPEG - 353.6 kio

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  • Le Cap Horn 24 juillet 2008 20:08

    Bonjour,
    A la recherche d’informations sur la vie des vrais cap-horniers, je viens de lire votre article. Si je suis sensible à votre aventure et vous en laisse tout le mérite et même vous envie, pour moi les cap-horniers sont ceux de la navigation à la voile, sans aide de moteur, de radio ou autre équipements aujourd’hui disponibles.

    Sans aucune agressivité. Cordilalement un fils de VRAI cap-hornier.

    Serge lafourcade

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    • Le Cap Horn 9 août 2008 00:54, par Jean-Pierre BERNARD

      Bonjour,
      Merçi pour votre commentaire au sujet de ce petit article.
      Même si je ne suis pas, pour vous, un "VRAI" Cap Hornier, j’ai eu au moins le plaisir de le passer, et plusieurs fois ! Ce n’est pas ma faute si je ne suis pas né au temps de la marine à voile, et j’aurai sans doute détesté de fréquenter ce cap redouté, comme tous ces gens-là !
      De nos jours, personne n’oserait doubler le Horn sans radio ou équipement météorologique ou autre.
      Cordialement.
      Jean-Pierre BERNARD, l’auteur.

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      • Le Cap Horn 3 avril 2010 02:25, par Capdestroy

        Comme Serge Lafourcade, qui défend à juste titre l’honneur des "vrais" cap horniers, je trouve que passer ce fameux cap à bord du Foch, ne vous fait pas rentrer dans "l’élite des mers" ! Cette "élite" est composée en grande partie d’anonymes, de marins de la marine à voiles, de pècheurs, d’aventuriers, mais pas de "passagers" sur des paquebots ou assimilés ; et beaucoup d’entre eux n’en sont pas revenus ! Ne mélangeons pas les genres !! Amicalement, P. LeSéach

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        • Le Cap Horn 3 avril 2010 10:06, par Jean-Pierre Bernard

          Bonjour,
          Votre message, empreint d’un ton sarcastique, ne me trouble guère. Pourquoi ternir cette impression qui me tenaillait à cette époque ? J’avais 19 ans, et il y a plus de 40 ans de cela ! Le texte tente de retrouver cette émotion de jeune marin, et d’un rêve d’enfance qui se concrétisait un peu, et je pensais alors de cette manière.
          Et puis, "vrai" ou pas, c’est déjà formidable d’avoir vécu cette expérience, n’est-ce pas ? Même si nous n’étions pas des pêcheurs, des aventuriers ou autres, mais, si vous le dites, de simples "passagers sur des paquebots ou assimilés" !!
          L’avez-vous passé, vous aussi ? (à la voile ou sur un bateau de pêche).
          Désolé de n’être pas né il y a 100 ou 200 ans !

          Répondre à ce message

  • Le Cap Horn 21 février 2008 19:02, par Mme claude Barnet - Résidence Hespérides 12, Rue de Tourville 78100 (…)

    Bouleversée et joyeuse,j’ai80ans. Je suis la fille d’un aventurier qui est né en 1876 dans l’Orne, école des mousses à Brest. Embarquement. Sédition, mutinerie, saut dans le port de Brest à l8/19ans. Sauvé par des pêcheurs. 1 saison de grande pêche. Retour à terre, embarquement pour du cabotage, une circumnavigation qui durera 8/10 ans. Passé de la voile aux premiers moteurs. Il fera le Horn, puis le Chili,le Pérou et j’en oublie et il posera son sac, sous un faux nom à Vancouver. Traversera le Nord de l’Amérique en direction de Detroit avec des convois de peaux et de bois, sera engagé par Henry Ford en personne, qui lui proposera de l’envoyer en Russie avec quelques voitures en pièces détachées.Il arrivera à St-Petersbourg, en contact avec le prince Narychkine .

    Répondre à ce message

    • Le Cap Horn 22 février 2008 19:52, par L’auteur.

      Bonsoir Madame,
      Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour avoir bien voulu lire et apprécier mon article "Le Cap Horn".
      Je suis heureux de voir que cela a réveillé chez vous des souvenirs concernant votre père.
      C’est une vie extraordinaire... ! On peut vraiment dire que c’est un "aventurier", dans le bon sens du terme.
      Que de souvenirs il devait détenir ! J’espère vraiment qu’il vous a raconté son histoire, avec le détail.
      Savez-vous que sa vie pourrait donner lieu à l’écriture d’un beau roman !
      Avez-vous des souvenirs, des documents... ? Racontez-moi la suite, s’il vous plaît.
      Pourrait-on avoir matière à un article ?
      Espérant votre prochaine réponse.
      Je vous prie d’accepter l’assurance de mes respectueux sentiments.
      Jean-Pierre BERNARD

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