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La vie ordinaire d’une femme de manœuvrier dans le Sullias au 18e siècle

Le vendredi 9 juin 2023, par Claude Thoret

En parcourant la généalogie de la branche paternelle de ma famille originaire du Sullias (région de Sully-sur-Loire dans l’Orléanais), je me suis intéressé à un couple de manœuvriers [1], Antoine THORET et Solange NOTTIN, ayant vécu dans la deuxième moitié du 18e siècle à Sully. Solange m’a paru être l’archétype de la femme de manœuvrier ou laboureur, petit propriétaire, de cette époque. Laissons lui le soin de nous raconter sa vie après une présentation de Sully et de sa région au 18e siècle.

Sully et sa région au 18e siècle.

D’après D JOUSSE [2], Au 18e siècle Sully [3] était un Duché-Pairie situé dans la Généralité d’Orléans, appartenant au Duc de Sully, grand officier de la couronne ayant pouvoir de rendre justice au parlement. A cette époque c’est Maximilien VIII de Béthune qui était duc de Sully.

En 1768 la paroisse Saint-Germain de Sully comptait 456 foyers, possédait une collégiale avec son chapitre, Saint-Ithier, un couvent d’hommes et un hôtel-Dieu. Elle était le siège de sept foires dans l’année et d’un marché hebdomadaire le samedi.

Le Sullias est une bande étroite sur la rive gauche de la Loire délimitée par les villages de Neuvy-en-Sullias au nord et Lion-en-Sullias au sud, entre le fleuve et la Sologne.

C’est une terre féconde riche de ses blés, de ses prairies et par endroits de ses vins. Elle doit sa fertilité au mélange de sable et d’argile et à l’humidité due au voisinage de la Loire.

Solange

"Je m’appelle Solange NOTTIN, je suis née le 20 novembre 1758 [4] dans la paroisse de Saint-Germain à Sully dans une métairie d’un hameau nommé ’la Picaudière’ comprenant trois habitations.

Mon lieu de naissance

A ma naissance, mariés depuis huit ans, mes parents habitaient une vieille métairie. C’était une maison dont les murs étaient faits de pans de bois torchés d’un mélange de boue, de paille et de bruyères hachées. Le toit, lui, était de chaume.

Cette maison comprenait deux pièces. Dans la plus grande, dont les murs étaient percés d’étroites fenêtres, il y avait une cheminée qui chauffait toute la maison. C’était la pièce à vivre avec, au centre, une grande table de chêne avec ses deux bancs et, contre un mur, un coffre qui servait à ranger la vaisselle. Sur ce coffre il y avait des bougies de résines aux mèches de chanvre qui servaient à l’éclairage. Dans l’âtre un grand chaudron était accroché à une crémaillère. Autour du foyer étaient rangés divers ustensiles de cuisine comme des poêles, des bassines et des seaux à eau ou à lait.

L’autre pièce était une chambre ’froide’ (sans cheminée) sans ouvertures. Dans un coin étaient entassées des paillasses. Celles-ci, au moment du coucher, étaient installées devant l’âtre de la grande pièce. Il y avait aussi un berceau en bois d’osier qui, quand il était occupé se tenait lui aussi près de l’âtre. Contre les murs il y avait deux coffres à vêtements en bois ordinaire.

Au-dessus, un grenier servait de grange. Contre un mur de la chambre froide s’appuyait un ‘toit à vache’. Autour il y avait une cour avec son poulailler et un jardin limité par une haie vive. Ce clos servait à cultiver des légumes, surtout des navets et des choux qui constituaient le plus gros de la nourriture de mes parents.

Le hameau était entouré de lopins de terre tenus en prés et en terres labourables. Mon père en exploitait quelques uns qui appartenaient à la métairie.

Ma naissance et ma petite enfance

Mes parents, François NOTTIN et Jeanne BEAUMARIE m’ont fait baptiser le jour de ma naissance à l’église Saint-Germain de Sully par le vicaire BOULLIER. Ils m’ont choisi comme parrainÉtienne PLANCHERON, un voisin et ami, et comme marraine Solange PICARD, une cousine de ma mère.

Quand je suis venue au monde mes parents venaient de perdre leur quatrième enfant âgé de deux ans, François. Les trois premiers, François, Jean et Jeanne Solange, sont tous décédés à la naissance. Après moi ils n’ont pas eu d’autres enfants, j’ai donc grandi comme enfant unique.

Tout de suite après l’accouchement, la ’sage-femme’, la femme GENIN, avalisée par le curé BOULLIER pour pouvoir pratiquer, si nécessaire, l’ondoiement, m’emmaillota dans des langes qu’elle serra avec des bandelettes afin de former un véritable maillot qui m’immobilisa complètement. Puis elle me coiffa d’un épais bonnet de laine et m’installa dans le berceau en osier placé près du foyer.

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Sage femme emmaillotant un nouveau né.

Tout de suite après ses couches ma mère m’allaita, ce qui dura jusqu’à l’apparition de mes dents. Cela ne l’empêcha pas, après l’accouchement, de reprendre ses travaux domestiques ; entretien de la maison, des volaille et de la vache sans oublier l’aide apportée à mon père dans ses travaux.

Vint la période du sevrage [5] qui se passa bien car je n’ai été infectée par aucune maladie. Ce moment fut suivit par celui du ’robage’ [6]. Je commençais alors à être intéressante pour mon entourage. En effet, c’était l’époque où sortant d’une vie quasi végétative je devenais physiquement indépendante et commençait à communiquer.

Petite fille, je faisais des petits travaux ménagers pour aider ma mère. Je m’occupais aussi des poules, j’arrachais les mauvaises herbes du potager, etc... etc... Il m’arrivait aussi de m’amuser avec des jouets rudimentaires en bois fabriqués par mon père.

Notre déménagement au Trembloy

Le 28 mai 1765, je n’avais pas encore 7 ans, mes parents achetèrent une manœuvrerie au ’Trembloy’, hameau de 5 maisons situé à un peu plus d’une demi lieue (environ 2 km) au sud-ouest de la ’Picaudière’ et à la même distance de Sully, à la toute limite de la Sologne.

L’achat s’est fait à Orléans à l’étude de maître DESCHAMPS et Confrères. Mes parents m’ont laissée chez une de nos voisines de la ‘Picaudière’ pour aller signer l’acte à l’étude. Deux jours après nous déménagions.

C’était une maison de plain-pied avec des murs aux colombages en ’arêtes de poissons’ et un toit en tuiles plates. Elle était composée d’une chambre à feu avec sa cheminée et un four à pain, une chambre froide plus petite que la précédente, dessus un grenier qui pouvait servir de grange pour sécher le foin.

Attenant à ces deux pièces se trouvaient, une grange qui servait aussi de ‘toit à vache’ et un ‘toit à porc’. Le tout était entouré d’une cour et d’un jardin. A toute proximité de la maison il y avait une petite pièce de terre de 54 perches carré (25 ares 56 centiares) qui servait aussi de jardin.

Cette manœuvrerie comprenait aussi 14 pièces de terre dont 4 prés et 10 pièces de terres labourables ou mises en pâture. Le tout pour une superficie d’environ 124 arpents (environ 14 ha). Dans la maison, la chambre froide ne faisait pas partie de la vente mais monsieur THEVENOT, le vendeur, nous en laissait gentiment la jouissance. Mes parents achetèrent le tout pour 200 Livres tournois en argent.

Ils avaient aménagé la maison d’habitation de cette manière :

  • Dans la chambre à feu, ils y avaient mis au centre, la table et les deux bancs que nous avions déjà à la ’Picaudière’. Près de la cheminée, il y avait un coffre qui servait de rangement pour la vaisselle. Dans l’âtre ’trônait’ encore l’inévitable chaudron et sa crémaillère, sur le côté étaient rangés différents ustensiles de cuisine. Contre un autre mur, à proximité d’un four à pain, une autre maie était utilisée pour la conservation de la farine et le pétrissage du pain.
  • Dans la chambre froide, la mal nommée car, l’hiver, la cheminée et le four fournissaient assez de chaleur pour la rendre tempérée, ils y avaient mis une armoire en bois de chêne à deux battants, un lit à baldaquin et un autre lit, plus petit, aux montants en bois, et deux chaises.

Dans sa nouvelle propriété mon père pouvait cultiver pour son compte toutes sortes de ’bleds’, surtout du seigle, du chanvre et faire un peu de maraîchage. Comme nous n’avions pas de cheval c’est son frère Jacques NOTTIN, laboureur, qui venait ameublir nos champs avec son cheval et son araire [7].

Mon enfance et mon adolescence

C’est au ‘Trembloy’, vers l’âge de 7 ans, que j’ai quitté la robe pour endosser des habits d’adultes, à ma taille, bien sûr...J’étais alors vêtue d’une jupe longue en coton, d’un caraco de la même toile et d’un tablier de travail en toile épaisse, recouvert parfois d’un châle en laine. J’étais aussi coiffée d’une câline (bonnet) et chaussée de sabots. Par mauvais temps je revêtais une capote (sorte de grosse cape avec une capuche).

A partir de ce moment les choses devinrent plus sérieuses. Je participais beaucoup plus aux travaux ménagers ; j’aidais ma mère à la lessive, à la cuisine, à la traite de la vache et à la nourriture du cochon. L’été je gardais la vache en pâture et je participais, avec mes petits moyens, aux travaux des champs avec mes parents. Aussi je parcourais les environs de la métairie pour cueillir des fruits rouges et diverses baies avec les enfants de mon âge demeurant au Trembloy, notamment les enfants BOLLARD et COMAILLES.

C’est aussi à cette époque que je suis allée au catéchisme enseigné par le curé BOULLIER dans son presbytère près de l’église Saint-Germain, dans le bourg de Sully.

Le curé m’a ouvert à la ’vraye foy’, comme il disait. Contrairement à l’un de ses prédécesseurs qui a enseigné le catéchisme à mes parents, il insistait beaucoup moins sur la peur de la mort et de l’enfer mais favorisait une pratique religieuse plus intériorisée en insistant plus sur la prière personnelle. C’est ainsi que dans la région, comme au ‘Trembloy’, on vit apparaître dans les foyers, sous l’influence du curé BOULLIER, crucifix et images de la Vierge.

A partir de ce moment, tous les dimanches, par tous les temps, j’allais à pied avec mes parents, qui en avaient perdu l’habitude, à la messe et aux vêpres à l’église Saint-Germain de Sully située à 1/2 lieue du ‘Trembloy’.

Pour l’occasion nous mettions tous les trois nos habits du dimanche. Mon père délaissait sa ’biaude’ [8] d’un bleu délavé qu’il portait la semaine pour un gilet sans manche enfilé par dessus une chemise en flanelle blanche. Il mettait aussi une culotte réservée pour les dimanches et jours de fête. Par contre il gardait ses sabots et son chapeau rond à fond plat et à larges bords.

Moi et ma mère nous délaissions nos habits de tous les jours pour revêtir un caraco de toile de Jouy [9], une jupe longue et un tablier, tous deux en toile légère. Notre câline du dimanche était plus jolie et plus décorée que celle de la semaine. En cas de mauvais temps nous gardions notre capote.

C’est ainsi qu’un dimanche, après la messe, le curé aborda mon père et lui dit qu’il serait bien que je suive l’instruction gratuite des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul à l’hôtel Dieu de la ville. La réponse de mon paternel, qui ne savait ni lire ni écrire, fut sans équivoque. Il estimait que l’instruction n’était bonne que pour les fainéants et les bourgeois et que la place d’une fille de manouvriers était plus à la maison à faire les travaux ménagers et à aider dans les champs que sur des bancs d’école.

J’allais donc à la messe tous les dimanches et les jours de fête comme Pâques et la Pentecôte. Avec les autres enfants de la paroisse nous étions installés près du chœur et tout au long de l’office nous chantions de plain-chant les cantiques que nous avait appris le curé BOULLIER.

En parlant de fête de Pâques, je me rappelle bien de celle de 1767. C’était le dimanche 19 avril, Quand nous nous sommes réveillés la neige tombait abondamment sur déjà une épaisseur d’une à deux dizaines de pouces (de 20 à 40 cm). Le froid vif était porté par un fort vent du nord. Malgré ce temps épouvantable, ma mère insista, comme c’était le jour de Pâques, pour que nous nous rendions tout de même à la grand-messe.

Nous fîmes, avec difficulté, la demi-lieue qui nous séparait de l’église sous une véritable tempête de neige. Arrivés à bon port nous suivîmes l’office comme d’habitude. A la fin de ce dernier la tempête sévissait encore et la couche de neige n’arrêtait pas de s’épaissir.

Le curé BOULLIER demanda à tous les fidèles qui habitaient dans les hameaux environnants de rester dans l’église jusqu’aux vêpres. C’est ce que nous fîmes mes parents et moi. Les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul , de l’Hôtel-Dieu, nous apportèrent du bouillon bien chaud et du pain afin de nous sustenter.

A la fin de l’office des vêpres, vers 4 heures de l’après midi, la situation était encore mauvaise. Tous les fidèles présents qui vivaient de la terre commençaient à craindre sérieusement pour leurs productions qui risquaient d’être perdues.

Le curé nous invitat à prier tous en chœur, au son des cloches, pour que Dieu sauve les récoltes à venir. Au bout d’une heure, à peu près, la tempête cessa et nous décidâmes avec les familles BOLLARD, COMAILLES et la femme THORET, tous du ‘Trembloy’, de rentrer chez nous malgré le froid vif et l’épaisseur de la couche de neige.

La progression sur le chemin du retour fut pénible, le froid nous transperçait et l’épaisseur de la neige ralentissait notre marche. Tout le long du chemin nous entendions le son monotone des cloches de l’église Saint-Germain et nous imaginions le reste des fidèles en train de prier avec ferveur.

Enfin nous arrivâmes au Trembloy où nous pûmes nous sécher et nous réchauffer. La nuit venue, au moment de nous endormir nous entendions toujours, au lointain, le son des cloches...

Les deux jours qui suivirent ne virent pas la neige mais ils furent traversés par un froid très vif qui favorisa de fortes gelées. Plus tard les semences poussèrent mal et les récoltes se virent diminuées de presque des deux tiers.

L’année suivante, en 1769, l’hiver fut très froid. En janvier la Loire charriait de nombreuses plaques de glace. Dans la nuit du 11 au 12, une forte crue soudaine transporta ces blocs sur les bords de la rive gauche à hauteur de la métairie ’des Noyers’. Les glaçons se sont accumulés de telle façon qu’ils formèrent une véritable jetée de 6 à 8 pieds [10] de haut dirigeant les flots sur Saint-Germain. L’église fut rapidement envahie par l’eau surprenant les fidèles et le curé qui priaient devant le Saint-Sacrement. A trois heures du matin la décrue s’amorça et la rivière reprit son lit normal au petit matin.

Dès le matin du 12 janvier le curé ’réquisitionna’ les enfants du catéchisme pour aider à enlever la boue de l’église. Nous passâmes toute la journée dans la gadoue et la puanteur pour le nettoyage.

L’hiver fut froid et relativement long, au bout d’un moment nous eûmes des difficultés pour nous approvisionner. Les récoltes ayant été maigres, la farine commença à manquer. Ma mère était obligée de nous rationner en pain. Les réserves du cochon tué à l’automne finirent par ne plus suffire. Notre vache paralysée par le froid ne fournissait plus guère de lait. C’était la disette.

Pour nous c’était dur, mais nous n’étions que trois sur nos maigres réserves. Pour les grandes familles de 10 enfants ou plus qui étaient en nombre dans les hameaux du Sullias, c’était beaucoup plus difficile. La famine s’installa dans la région et la mortalité augmenta d’un tiers par rapport aux autres années.

Les deux tiers des décès concernaient des nourrissons et des enfants en bas âge. Les mères avaient du mal à allaiter leurs bébés, ce qui rendaient ces derniers beaucoup plus fragiles. Les enfants plus âgés étaient affaiblis par le manque de nourriture et ne pouvaient résister au froid.

En septembre 1770, après 36 heures de pluie incessante sur toute la région, la Loire déborda d’une façon exceptionnelle, ce qui occasionna des dégâts considérables dans toute une partie du Sullias.

1770 fut aussi l’année de ma communion, c’est toujours le curé BOULLIER qui officia. Nous étions une trentaine de communiants, garçons et filles. A partir de ce moment je devais aller obligatoirement à la messe et aux vêpres tous les dimanches ainsi qu’aux fêtes religieuses, principalement à Pâques. Je devais aussi me confesser au moins une fois par an.

A la maison ma vie changea, mon père considérait maintenant que je devais travailler plus sérieusement qu’auparavant. L’été, tout en aidant ma mère aux travaux domestiques, je continuais à garder la vache, j’allais au bois de ’Pissseloup’ chercher des branches mortes pour le feu, mon travail aux champs lors des moissons était plus dur. Pour le seigle c’est moi qui confectionnais les gerbes à l’aide d’un fil de lin et les mettais en tas pendant que mes parents coupaient les tiges avec une faucille.

Pour le chanvre c’était la même chose, j’aidais à sa récolte et à son traitement. Nous possédions une petite chènevière qui nous permettait, l’hiver, avec la filasse du chanvre, en guise de mèche, de confectionner nous mêmes nos chandelles de suif pour nous éclairer.

La récolte se faisait en août. Comme pour le seigle c’est moi qui liais les tiges par poignées, toujours avec du fil de lin, et les mettais en tas pour les faire sécher pendant que ma mère les cueillait.

Puis nous allions toutes les deux les porter jusqu’à une petite pièce d’eau située à proximité de la manœuvrerie pour les faire ’rouir’ [11]. Après le ’rouissage’, qui durait une dizaine de jours, on faisait sécher les gerbes avant le ’teillage’ [12], toujours effectué par mon père avec sa teilleuse. Puis, avec ma mère, nous séparions la filasse de la chènevotte pour pouvoir la carder avec un peigne de façon à rendre les fibres parallèles avant le filage.

Ma mère m’a vite appris à filer avec la quenouille [13] et le fuseau [14] J’obtenais ainsi des bobines de cordonnet de chanvre. Ce système était pratique car je pouvais filer n’importe où même quand je gardais notre vache.

L’hiver quand le travail dans les champs n’était pas possible, avec mes parents, à la maison, nous confectionnions nos chandelles. Mon père se procurait de la graisse de mouton (suif) chez un fermier de Viglain, petit village de Sologne situé à environ une lieue et demie du ‘Trembloy’. Il faisait fondre cette graisse dans un chaudron réservé à cet emploi. Une fois la graisse liquéfiée nous y trempions notre cordonnet de chanvre, qui deviendra la mèche de la chandelle, à plusieurs reprises. Après chaque trempage on laissait refroidir le suif qui se solidifiait. Nous arrêtions la trempe quand l’épaisseur de la chandelle nous paraissait convenable.

Nous arrivions tous les ans à nous confectionner un stock de chandelles qui nous permettait de nous éclairer pendant toute une année. Ce mode d’éclairage n’était pas idéal, la flamme était petite, éclairait peu et dégageait une fumée noire et une atroce odeur de suif, mais c’était le seul moyen pour nous, petits paysans, de nous éclairer.

Deux ans après ma communion en 1772, nous eûmes à Pâques le même phénomène qu’en 1768. La période de neige dura trois jours mais le froid ne fut pas si rigoureux et seulement un tiers des récoltes furent perdues. Mais cela n’empêcha pas la disette qui suivit.

L’année suivante, en 1773, après un hiver très humide, la paroisse fut touchée par une terrible maladie. Ma mère et moi fûmes contaminées ainsi que de nombreux habitants du ‘Trembloy’. Nous souffrions tous d’une fièvre intense, d’une grande lassitude, de douleurs dans tous les membres, de nausées, de vomissements et de diarrhées. Le docteur DELACHENE, de Sully, venu en urgence au ‘Trembloy’, nous dit qu’il s’agissait de la fièvre putride pourprée [15]. Pour cela il nous conseilla d’aérer la pièce le plus souvent possible et de faire une cure de tisane de camomille à raison de trois infusions par jour pendant 10 jours. Au bout de quelques jours notre état s’améliora.

Ce ne fut pas le cas pour tout le monde. A Saint-Germain le nombre de morts augmenta d’un tiers, plus de 50% de ces décès impactèrent des enfants en bas âge qui périrent de déshydratation. Au ‘Trembloy’ il y eut deux victimes, Marie COMMAILLES, âgée de 12 jours et Simon BOLLARD âgé de 2 ans.

Le 26 octobre de cette même année, un mois après mon rétablissement, ce fut le jour de ma Confirmation, j’avais 15 ans. C’était justement à cause de l’épidémie que cette cérémonie fut retardée de trois mois. Ce fut une très grande cérémonie puisque nous étions presque 500 confirmands de 10 à 50 ans, l’évêque n’étant pas venu à Sully depuis très longtemps [16]. Ce fut Monseigneur BRIGOT, évêque d’Orléans, qui officia.

Le curé BOULLIER nous expliqua que son ‘Éminence’ avait été évêque de Trabaca dans l’archidiocèse de Carthage en Afrique du nord. Il avait été obligé de revenir en France après de terribles persécutions. Le curé nous précisa que le saint homme était originaire de Sully et qu’il avait été vicaire 2 ans à Saint-Germain.

Ma jeunesse

A partir de 1774 [17], à la maison je fus considérée comme une adulte, je faisais exactement les mêmes travaux que mes parents que ce soit au foyer comme aux champs.

L’été, souvent la femme THORET, qui habitait aussi au Trembloy, venait nous aider pour les moissons aussi bien pour le seigle que pour le chanvre et pour d’autres tâches aussi. Quand l’âge commença à lui peser elle nous envoya son neveu et filleul, Antoine THORET, pour la remplacer.

Quand Antoine vint travailler pour nous, comme journalier [18], il avait 17 ans, 5 ans de plus que moi. Il habitait Viglain, un petit village voisin situé à l’orée de la Sologne, chez son frère Jean-Baptiste, son tuteur. Il avait 13 ans quand son père est décédé. Sa mère ayant encore 6 enfants à charge l’avait confié à son fils aîné.

Après le décès de son père il venait souvent aider sa marraine au ‘Trembloy’, c’est comme ça que nous l’avons connu. C’était un garçon travailleur, gentil et affable mais qui avait quand même son caractère. Il était intelligent mais n’avait pu aller à l’école, car son père, comme le mien, préférait faire travailler ses enfants plutôt que de leur faire user les bancs d’école.
Avec Antoine nous travaillions souvent ensemble. Il était hébergé chez sa marraine, ainsi il était sur place pour travailler, cela nous a rapprochés. L’hiver nous passions les veillées ensemble soit chez la femme THORET soit chez nous.

Arrivée à 18 ans, mon père me laissa sortir avec Antoine, il avait confiance en lui. Il l’aimait bien, parfois je me demandais s’il ne voyait pas en lui son fils François qui, malheureusement, est parti trop vite.

L’été nous allions dans les fêtes patronales des villages voisins et bien sûr à celle de Saint-Germain de Sully. Nous étions bien tous les deux, comme frère et sœur. C’est ce qu’il disait, mais moi je n’étais pas insensible à son charme et je le considérais bien plus qu’un frère. Aux bals nous dansions toujours ensemble. Si bien que le 10 mai 1777, le jour de la Sainte-Solange j’eus la surprise de le voir demander ma main à mon père. Ce dernier n’hésita pas pour accepter. J’étais folle de joie et de bonheur.

Nos fiançailles durèrent plus d’un an, aussi le 11 octobre 1778 nous signâmes notre contrat de mariage et le 10 novembre suivant nous nous mariâmes à l’église de Saint-Germain de Sully.

Mon mariage avec Antoine

Le contrat de mariage, la noce.

C’est maître CLEMENT , de Sully, qui vint chez nous au ‘Trembloy’, à 10 heures du matin, pouracter notre contrat de mariage. Étaient présents mes parents, bien sûr, mes deux oncles paternels Jean et Jacques NOTTIN et du coté d’Antoine son frère Jean-Baptiste et ses deux sœurs Anne et Françoise THORET.

Ce contrat stipulait qu’Antoine se mariait pour ses droits parentaux échus, sa mère, Jeanne BAUDOIN, étant décédée un an auparavant. Droits évalués à 100 livres. En ce qui me concerne je me mariais pour mes droits parentaux à échoir (la manœuvrerie du ‘Trembloy’ et ses terres).

Antoine et moi nous devions ‘ameublir’ la communauté de 30 livres. Lui, devait aussi me donner bague et joyaux nuptiaux d’une valeur de trente livres également. Mes parents me constituaient une dot d’une valeur de 100 livres comprenant une armoire en chêne, fermant à deux battants, un lit garni de droguet croisé [19], une demi douzaine de draps en toile d’étoupe [20], les lingeries et ‘échardes’ servant à ma personne et, bien sûr, mes habits nuptiaux. Ma douaire [21] fut fixée à 60 livres.

Il fut aussi stipulé qu’avec Antoine et mes parents nous devions former qu’une seule communauté. Les termes du contrat étaient les suivants :« Ils ne feront qu’une seule et même habitation, ledit NOTTIN et Jeanne BAUMARIE, sa femme, seront membres de la dite communauté et, comme tels, respectés et honorés ».

Le contrat établi, le notaire nous en fit lecture et demanda si les deux parties l’approuvaient. Après une réponse positive de l’auditoire il fit signer ceux qui le pouvaient, Jean-Baptiste, le frère d’Antoine et mon oncle Jacques NOTTIN. S’ensuivit un repas réunissant le notaire et toutes les personnes présentes.

La noce eut lieu presque un mois jour pour jour, le 11 novembre 1778, après la signature du contrat de mariage. Le matin mon père m’emmena à l’autel de l’église Saint-Germain. Antoine, lui, était aux bras de ma mère. C’est le vicaire DEMURY qui nous maria. Nos témoins ont été les mêmes que ceux du contrat de mariage. Dans l’assistance les deux familles étaient bien représentées.

Au sortir de la bénédiction nous prîmes, Antoine et moi, la tête du cortège nuptial pour aller de l’église au le ‘Trembloy’. Malgré un temps maussade nous fîmes la demi lieue de marche dans la joie et la bonne humeur.

Arrivés à destination, nous nous installâmes tous dans notre grange, tendue de draps blancs, autour d’une grande table dressée dés la veille. Il s’ensuivit, malgré les maigres réserves de nourriture, un bon et plantureux repas où la cochonnaille et le vin des bords de Loire furent à l’honneur.

Au lendemain de la noce, j’installai Antoine dans la maison familiale. Mes parents mirent le lit à baldaquin dans la chambre ‘chaude’. Antoine et moi nous nous sommes installés dans la chambre ‘froide’ où l’on venait de mettre le lit et l’armoire qui constituaient une partie de ma dote. Ces deux meubles côtoyaient mon lit de fille et l’armoire de mes parents.

La cohabitation avec mes parents se passait très bien. Antoine et mon père s’entendaient toujours bien. Après le mariage, dans le courant de l’hiver, ils travaillaient dehors quand ils le pouvaient autrement ils fabriquaient des chandelles pendant que ma mère et moi filions la filasse de chanvre avec la quenouille et le fuseau.

Ma vie avec Antoine

Six ou sept mois après notre mariage je m’aperçus que j’étais enceinte. Antoine était content et espérait que j’accouche d’un fils. Ma mère alla aussitôt à Saint-GERMAIN chez la femme GENIN, sage-femme et guérisseuse, pour lui acheter des herbes à tisane afin d’atténuer les désagréments des débuts de grossesses ; nausées, vomissements, envies fréquentes d’uriner, etc...

Au début j’avais peur d’une ’fausse grossesse’, d’avoir en moi un ’faux germe’, mais le temps passant cette appréhension s’atténua petit à petit.

Pendant toute ma grossesse j’ai travaillé à la maison et aux champs comme à l’habitude malgré les incommodités dues à mon état . Le neuvième mois fut particulièrement difficile, mon ventre énorme me gênait beaucoup dans mes gestes et je fatiguais énormément. Comme je portais sur le devant, la femme GENIN qui venait me voir de temps en temps, me disait que j’allais probablement accoucher d’un garçon. Antoine était ravi...

La veille de l’accouchement je fus prise de fortes douleurs contractiles dans le bas-ventre. Ma mère alla vite chercher la femme GENIN. Une fois arrivée, cette dernière me fit asseoir sur une chaise d’accouchement qu’elle avait apportée auparavant. Elle demanda à ma mère, seule présente, de me maintenir, doucement, les genoux bien écartés. Le travail commença dans des douleurs épouvantables. Ma mère me réconfortait de sa voix douce et apaisante mais la douleur par moment était trop forte et je manquais de m’évanouir. Mes mains s’agrippaient aux montants de la chaise, à les casser. Je n’en voyais pas la fin. Plus tard ma mère m’a dit que cela avait duré une bonne dizaine d’heures.

Puis vint la délivrance, ce fut un soulagement et en même temps une énorme fatigue. Je me sentais complètement vide. J’entendis à peine la femme GENIN s’exclamer ; "C’est un garçon !!!". Ma mère et moi étions soulagées car pour une première grossesse c’était bien vu par tout le monde que ce soit un garçon.

Le lendemain, le 9 janvier 1780, le vicaire BOUCHERON baptisa notre premier enfant. Nous l’appelâmes Antoine, comme son père. Nous avions demandé à mes parents d’être les parrain et marraine, ce qu’il ont accepté bien volontiers.

Dès la montée de lait, j’ai commencé à allaiter. Le bébé avait du mal à s’alimenter et dépérissait de plus en plus, il ne survécut pas plus de deux jours [22]. Avec Antoine nous vécûmes ce malheur entre tristesse et fatalité.

A peu près trois mois après le décès du petit Antoine je fus de nouveau enceinte. Cette fois là, la grossesse s’est bien passée dans l’ensemble. Je continuais à travailler, comme à l’habitude, à la maison et dans les champs sans trop souffrir.

C’est toujours la femme GENIN qui m’accoucha. Là, ce fut beaucoup plus rapide et moins douloureux. C’est encore un petit garçon qui nous arriva. C’était un beau bébé plein de santé. Le lendemain de sa naissance, le 16 février 1781, le curé BOULLIER le baptisa, nous le nommâmes Antoine, comme pour remplacer le bébé que nous avions perdu un an auparavant. C’est Pierre COULLONET, un voisin du Trembloy, qui fut le parrain et Françoise THORET, une de mes belles-sœurs, la marraine.

Un peu plus d’un an après cette naissance, le 15 avril 1782, j’accouchais de mon troisième enfant. C’était une petite fille, j’étais ravie. L’accouchement s’était bien passé comme pour ma grossesse précédente. Lors du baptême donné par le vicaire BOUCHERON à l’église Saint-Germain, nous l’avons nommée Solange, comme moi. Nous lui avons donné comme parrain François COMAILLES, un ami, voisin du ‘Trembloy’ et comme marraine Françoise LECORNU, une de mes amies.

Malheureusement le pauvre bébé décéda au bout de quatre mois [23]. Au début de l’allaitement il se nourrissait normalement, tout allait bien. Au milieu du quatrième mois, il s’alimentait moins bien, fut pris de vomissements, perdit du poids et ses selles se transformèrent vite en diarrhées parfois sanglantes. Il décéda le 16 août 1782. Le docteur FROGIER, de Sully, nous a dit qu’il avait été contaminé par l’épidémie de dysenterie qui sévissait dans la région [24].

Environ deux mois après le décès de la petite Solange, le 10 octobre 1782, nous avons acheté le reste de la manœuvrerie du ‘Trembloy’ à la veuve THEVENOT. C’est son mari qui avait vendu à mes parents en 1765 une grande partie de la manœuvrerie.

Malgré les difficultés financières, la Taille augmentant de plus en plus chaque année, sans compter les autres impôts comme la Gabelle (impôt indirect sur le sel), la Dîme (impôt sur les récoltes prélevé par l’église) et le Cens (redevance foncière fixe payable au duc de Sully), nous avons pu faire des petites économies. Comme nous habitions avec mes parents nous ne formions qu’un seul foyer fiscal. Pour la Taille mon père, considéré comme le chef de ‘feu’ [25], payait seul la cote (quote­part) de l’impôt. Ce qui nous soulageait financièrement, Antoine et moi.

Antoine alla donc à Orléans, à l’étude de maître CHARTRAIN pour signer l’acte d’achat. Il s’agissait d’acheter la chambre froide de la maison, une grange et 3 pièces de terre d’environ, en tout, 4 arpents (2 ha) pour la somme de 75 Livres d’argent payées comptant à la veuve THEVENOT et l’acquittement de 4 rentes foncières. La première de ces rentes est de ‘24 quartes de ’Bled Seigle’(seigle), ‘mesure de Sully’(soit 360 litres ) due à l’hôtel Dieu d’Orléans. La deuxième est de ‘ 4 boisseaux de pareil bled, même mesure’ (soit 30 litres de seigle) et 35 sols en Argent, due au sieur Robert BAILLY de Coullon. La troisième est de ‘huit quartes de bled seigle, mesure de Sully’ (soit 120 litres de seigle) due au ‘sieur curé de Viglain’. La quatrième et dernière est la même que la précédente, elle est due au sieur LUISY, boulanger à Sully.

En rentrant d’Orléans, l’acte de vente en main, je voyais Antoine un peu contrarié. Il n’avait pu signer l’acte, ne sachant écrire, et cela l’avait mis mal à l’aise. Il aurait aimé laisser sa trace sur ce document. Aussi, il avait décidé d’aller apprendre à lire et écrire chez les sœurs de Saint-Vincent­de-Paul. Je trouvais que c’était très courageux de sa part.

Peu de temps après notre achat je me découvris encore enceinte. Quand j’ai accouché le 17 juillet 1783, j’étais exténuée. Du mois de juin au mois de juillet nous avions eu droit à de fortes chaleurs, particulièrement au moment des moissons. Couper les poignées de seigle à la faucille, faire les gerbes et les mettre en tas, tout cela avec mon gros ventre, sous la canicule et pendant une dizaine de jours m’avait complètement épuisée.

Si bien que l’accouchement fut difficile, j’avais à peine la force de pousser malgré les efforts de la femme GENIN qui m’aidait en pressant mon ventre de haut en bas. Comme pour ma première grossesse cela a duré une dizaine d’heures. A la fin ce fut encore un garçon que me montra la sage-femme.

Le lendemain nous avons fait baptiser le nouveau-né par le vicaire BOUCHERON à l’église deSaint-Germain. Nous l’avons appelé Étienne, le même prénom que son parrain Étienne MAITRE, un de nos amis. Nous avions pris la jeune Marie LECLAIR, fille de voisins du ‘Trembloy’, comme marraine. Malheureusement le bébé ne vécut pas plus de huit jours [26]. Je repris le travail le lendemain de l’accouchement, mais avec peine.

L’année d’après, 1784, fut caractérisée par un hiver long et froid. Il a neigé quasiment tous les jours pendant deux mois. Heureusement les récoltes n’ont pas été trop endommagées. C’est au début de cet hiver que je me redécouvris enceinte.

Cette fois-ci l’accouchement s’était bien passé. Ce fut encore un petit garçon qui vit le jour le 15 octobre 1784. Nous l’appelâmes Pierre lors de son baptême donné par l’abbé GUYOT, chantre de l’église Saint-Pierre Empont à Orléans, le remplaçant du curé BOULLIER. Nous prîmes Pierre LEBRUN, un ami de mes parents, comme parrain et Anne THORET (la femme THORET), la tante d’Antoine qui habitait au ‘Trembloy’, comme marraine.

Le bébé se portait bien et profitait. Nous avions maintenant deux beaux garçons. Antoine avait maintenant trois ans, c’était l’âge du sevrage et du robage, il demandait plus d’attention car il commençait à gambader dans la maison. Je continuais à allaiter Pierre. Aussi ma mère m’aidait à surveiller notre aîné ce qui me permettait d’assurer mes tâches domestiques d’intérieur et d’extérieur sans gros problèmes.

L’hiver 1785 fut neigeux mais moins que le précédent, nous pûmes faire une bonne récolte de foin et de seigle. Dans le reste du val, plus près de la Loire les vignerons se vantaient d’une quantité prodigieuse de vin.

C’est cette même année 1785, le 17 juin, que ma mère nous quitta à l’âge de 58 ans. Ce fut pour moi une terrible épreuve, car étant son unique enfant survivant, nous avions de très bons rapports. Mon père aussi fut très peiné. Durant l’hiver elle avait attrapé une infection pulmonaire qui ne guérissait pas et qui finit par l’emporter.

Aux lendemains du décès de ma mère je dus assurer toutes les tâches domestiques, tâches auparavant partagées avec la défunte. Cela n’était pas facile car le petit Antoine, à quatre ans, était autonome mais avait encore besoin de surveillance et j’allaitais toujours pierre. Je tenais donc la maison, trayais la vache et m’occupais du cochon et des volailles. C’était l’été et je devais aussi faire le jardin potager et aller aider Antoine et mon père aux travaux des champs.

Le 2 janvier 1787 j’accouchais de mon sixième enfant. Comme pour Pierre, l’accouchement s’était bien passé. C’était, là aussi, un petit garçon que nous appelâmes Jean-Vincent. Ce fut le vicaire PARISY qui le baptisa, toujours à l’église Saint-Germain de Sully. Nous choisîmes Jacques LABBE, un ami d’Antoine, manœuvrier à Viglain, comme parrain. C’est Marie-Anne CHOLET, une amie d’enfance de la ‘Picaudière’ avec laquelle j’étais restée en contact, qui fut la marraine.

Au lendemain de l’accouchement, j’allaitais le nouveau né qui profitait bien. Pierre qui venait d’avoir 3 ans était sevré et robé. Antoine, l’aîné, avait maintenant 6 ans et commençait à bien m’aider en faisant plein de petites tâches à sa portée. Comme c’était l’hiver je n’avais pas à aller aux champs.

L’hiver terminé je repris les travaux des champs pour aider mon père et Antoine. Le printemps et l’été ont été particulièrement secs, ce qui a compromis fortement les récoltes qui furent désastreuses.

Nous avons fait très peu de seigle, tout juste assez pour payer nos quatre rentes foncières que nous devions pour notre achat de 1782. Nos réserves pour faire notre farine furent fortement amoindries.

Au début de l’hiver 1788 je débutais ma septième grossesse. L’hiver ne fut pas très froid mais long. J’avais du mal à nourrir correctement ma famille. J’étais obligée de nous restreindre, malgré cela les réserves en viande du cochon que nous avions tué l’automne précédant s’amenuisaient de plus en plus. Je faisais beaucoup de bouillons de viande pour pouvoir subsister, mais ce n’était pas toujours suffisant. Pour la farine de seigle c’était pareil, nous ne pouvions pas manger du pain tous les jours. En un mot c’était la disette.
Le printemps fut marqué par des pluies continuelles, nous ne pouvions ensemencer, les rares semences que nous avions pu faire étaient noyées. Après les pluies, s’installèrent des chaleurs étouffantes qui déclenchèrent de nombreux gros orages de grêle.

Le 7 mai 1788, avec Antoine et mon père nous nous rendîmes à Sully à l’étude de maître ARNAL pour échanger 2 pièces de terre avec le sieur VATELLIER, marchand à Sully. Mon père et nous, avions chacun une pièce de terre, achetée aux THEVENOT, située aux ’Rattières’, hameau situé tout près de Saint-Germain. Le sieur VATELLIER avait, lui, 2 pièces situées près du ‘Trembloy’, comme les surfaces correspondaient on a pu faire l’échange. Sur cet acte Antoine a dû donner son autorisation pour que j’assiste à l’élaboration de ce document [27].

Quand le notaire a demandé de signer au bas de l’acte, Antoine qui savait écrire depuis peu était tout fier d’apposer son paraphe et de laisser sa trace sur cet acte [28].

Dans la signature d’Antoine THORET L’inversion du ‘e’ et du ‘n’ du prénom et l’écriture maladroite montrent qu’il ne sait écrire que depuis peu.

J’ai accouché le 26 août au moment des grosses chaleurs humides. L’accouchement s’est globalement bien passé. Ce fut encore un petit garçon. C’est le vicaire SIVENOT qui l’a baptisé. Nous lui avons donné le prénom d’Augustin-François. Mon père fut le parrain et Marie Anne LAVOIX, la fille d’un laboureur de Viglain, un ami d’Antoine, la marraine.

Les lendemains de l’accouchement furent assez difficiles. Je n’avais pas beaucoup de lait du fait de la disette que nous avions subie. De plus, j’essayais de continuer à allaiter Jean-Vincent... Je faisais toujours tous les travaux intérieurs et extérieurs avec l’aide du petit Antoine qui maintenant avait 7 ans.

Cette année là le froid fut précoce et s’installa dés fin octobre. La Loire fut prise de glace le 28 de ce même mois. La débâcle eut lieu dix jours après, ce qui étonna tout le monde, vu qu’un froid à fendre les arbres sévissait toujours. On supposa que c’était la fonte des neiges dans les montagnes qui était la cause de ce phénomène. Augustin-François qui était resté chétif ne put résister à la froidure et décéda le 8 novembre 1788.

Début décembre la Loire fut de nouveau prise par un froid encore plus fort, disait-on, que celui du ’grand hiver 1709’. Froid qui persista jusqu’au 12 janvier 1789.

Comme l’année 1788, 1789 fut une année noire [29]. Le curé BOULLIER la dénommait ainsi en latin : ’Annus horribilis’ [30]. Après le grand froid de la première quinzaine de janvier, le vent du midi vint fondre les neiges. S’ensuivit une crue qui souleva la glace en formant un énorme amas qui barra la Loire entre Saint-Benoit et Sully. Ainsi bloquée la rivière reflua en débordant pour ensuite entrer dans la ville.

Le printemps fut raisonnablement pluvieux, par contre les mois de juillet et août connurent la canicule. Les récoltes furent précoces mais abondantes. En effet, pendant la période de grand froid, la neige ayant recouvert nos seigles, ces derniers n’ont pas gelé. Heureusement car nos réserves en seigle de l’année précédente étaient épuisées. Nous ne pouvions plus faire notre pain.

Les prix de tous les blés ayant énormément augmenté, la disette, pour les plus démunis, s’installa dans la région. Mais il y eut dans notre paroisse un grand élan de générosité. Toutes les personnes aisées se sont cotisées et certaines sont allées à Orléans pour chercher des farines du gouvernement et acheter de grandes quantités de riz. C’est ainsi que, contrairement à d’autres régions, il n’y a pas eu de soulèvement populaire dans le Sullias.

En effet, Antoine nous apprit, en lisant régulièrement la Gazette, que de graves évènements s’étaient passés à Paris, la prise de la Bastille par les Parisiens et une marche populaire sur Versailles qui contraignit le Roi et sa famille à s’installer à Paris. Il nous dit aussi que le manque de farine avait provoqué une émeute au Faubourg Bannier à Orléans.

Ce fut en juillet ou août 1789, en pleine moisson, que débuta ma huitième grossesse. Elle ne se déroula pas trop mal malgré une fatigue chronique due à presque deux ans de sous alimentation. L’hiver 1789-1790 ne fut pas trop rude et nous pûmes nous nourrir correctement.

Le bébé arriva au monde le 22 avril 1790. L’accouchement ne s’est pas trop mal passé. C’est le vicaire SIVENOT qui baptisa l’enfant. Nous l’appelâmes Georges-Simon. Le parrain fut Jean LEMAITRE, un manœuvrier de Viglain, ami d’enfance d’Antoine. J’avais choisi comme marraine Françoise RICHARD, une vieille amie de ‘Pisseloup’ avec laquelle j’ai fait ma communion.

J’allaitais le bébé, tout allait bien jusqu’au jour où, contre toute attente, il rendit, sans cause apparente, son dernier soupir [31]. Il était âgé de deux mois et quatre jours. Avec Antoine nous vécûmes cette disparition, comme les précédentes d’ailleurs, avec fatalisme.

L’été ne s’était pas mal passé. Les moissons nous donnèrent de bonnes récoltes de seigle, nous étions contents. Seulement fin août , de gros orages nous obligèrent à ranger les gerbes dans la grange pour qu’elles puissent sécher. Des pluies continues nous empêchèrent de les sortir pour les faire sécher complètement. Si bien qu’une partie des grains pourrirent et nous perdîmes un tiers de notre récolte.

Les pluies constantes provoquèrent, le 13 septembre, un violent débordement de la Loire occasionnant de nombreux dégâts. Le pont de Jargeau situé à environ 12 lieues en aval de Sully fut emporté par les eaux furieuses de la rivière.

Cette année là, quand nous allions à la messe, durant le sermon, le curé BOULLIER ne cessait de se plaindre contre l’Assemblée Nationale qui, d’après lui, malmenait les religieux [32]. Lui, issu d’une famille de mariniers de Sain-Germain, qui, au début des évènements, était favorable à la révolution le devenait de moins en moins…

Ce fut au début de l’année 1791 que débuta ma neuvième grossesse qui se passa bien dans l’ensemble. L’accouchement eu lieu le 19 novembre de cette même année. Ce fut une petite fille que nous nommâmes Marie-Jeanne Solange. Le baptême fut encore donné par le vicaire SIVENOT. Le parrain fut François COMAILLE, parrain de la petite Solange décédée prématurément en 1782. la marraine fut Marie Jeanne LACROIX.

1792 fut une mauvaise année pour notre famille. Le 16 mars c’est mon père qui passa de vie à trépas à l’âge de 67 ans. Le pauvre homme était complètement usé par le travail et, aussi, diminué par la perte de ma mère. L’hiver, qui pourtant n’a pas été très rigoureux, a fini par l’achever, il n’a pas vu le printemps.

Cette disparition nous a bien éprouvés, Antoine et moi. C’était notre patriarche, nous l’aimions et le respections beaucoup. A partir de ce moment, c’est Antoine qui devint chef de notre communauté qui se trouva enrichie de mes droits parentaux, alors échus ; tous les biens de mes parents, maison, terres et tout leur mobilier.

Après le décès de mon père, Antoine et moi nous nous installâmes dans la chambre chaude avec le lit à baldaquin de mes parents. Les garçons, eux, ont été logés dans la chambre froide.

Antoine se retrouvait tout seul pour exploiter la manœuvrerie, il mit tout de suite notre aîné, Antoine, âgé de 11 ans, au travail avec lui. Ce dernier se mit rapidement à l’ouvrage et devint une aide essentielle pour son père. Surtout que depuis à peu près un an nous nous sommes mis, en plus du seigle et du chanvre, à la culture de la pomme de terre, nouveau légume très prolifique qui nous a sauvés de la disette.

Cette année là les récoltes de seigle et de chanvre ne furent pas très abondantes mais suffisantes pour nous permettre de vivre correctement avec en plus notre potager. C’est le 24 septembre, après la récolte de chanvre que décéda la petite Marie-Jeanne Solange. Nous ne nous y attendions pas, elle se développait normalement. Elle est morte durant son sommeil [33]. Comme pour nos autres enfants qui n’ont pas survécu, nous avons vécu ce décès avec fatalisme.

Le 29 janvier 1793, nous décidâmes, Antoine et moi de vendre une parcelle de terre à Ithier, Edmée LEBER. En effet le produit de cette vente nous a aidés à finir de payer les nouveaux impôts qui, malgré la suppression de ceux de l’ancien régime, restaient encore conséquents. C’est maître ARNAL, notaire à Sully, qui a acté cette transaction.

Le 26 septembre 1796, notre patrimoine s’est enrichi d’une pâture de 71 perches (36 ares 23 centiares) qui nous a été attribuée lors du partage des communs de ‘Fougerois’. Même chose le 7 août 1798 où il nous fut attribué une autre pâture de un arpent 22 perches (622 ares 27 centiares) lors du partage des communs du ‘haut Trembloy’. Ces deux attributions ont été arrêtées devant le Juge de Paix de Sully.

Mon dixième et dernier accouchement eut lieu le 23 juillet 1799, dans ma 41e année. Cette fois-ci c’est la femme MICHAUT, qui m’a accouchée. Françoise THORET, ma belle sœur, m’assistait. Ce fut affreux. J’ai cru revivre mon premier accouchement, en pire. Au bout d’un temps qui m’a paru une éternité j’accouchais de deux petits garçons...

Nous les fîmes baptiser le lendemain par le curé BOULLIER, qui maintenant, malgré ses réticences, avait prêté serment à la constitution civile. Nous leur donnâmes les noms de Laurent et Louis.

Le même jour, après le baptême, Antoine a été les déclarer à la maison commune en compagnie de Gabriel PARRANDEAU, serrurier, Sévère BOULLIER, couturière, Joseph BOULLIER, épicier et Jeanne MICHAUT, la sage-femme qui m’a accouchée, ses témoins.

Au lendemain de ces naissances me voilà avec deux bébés à allaiter. Mes trois autres garçons ont alors 18 ans pour Antoine, 15 ans pour Pierre et 12 ans pour Jean-Vincent. Ils étaient tous les trois en âge de travailler, les deux aînés avec leur père et le troisième avec moi pour m’aider au jardin à la récolte et au travail du chanvre.

L’hiver 1800 se passa bien, mais à son sortir, Antoine, mon mari, et Pierre, le cadet de nos fils, tombèrent malades. A peu près au même moment tous les deux se plaignirent de maux de tête violents, de nausées et de vomissements. Pensant qu’il s’agissait de la fièvre putride pourprée [34], je leur fis faire une cure de tisane de camomille pendant une dizaine de jours.

Cette cure n’eut pas d’effet, au bout de quelques jours des taches rouges apparurent sur leurs visages qui devinrent en peu de temps de véritables vésicules qui se transformèrent en pustules.

Alerté, le docteur DELACHESNE nous dit qu’il s’agissait de la petite vérole [35], qu’il venait d’en dénombrer plusieurs cas à Viglain. En effet, la semaine d’avant Antoine et Pierre avaient été à Viglain pour aider le frère d’Antoine. C’est probablement là qu’ils ont été contaminés.

Il nous dit aussi que pour Antoine et Pierre la maladie était avancée et qu’il n’avait pas vraiment de remède efficace. D’après lui, il fallait attendre l’évolution, soit les pustules séchaient et c’était la guérison, soit elles ne séchaient pas et les symptômes accompagnant (maux de tête, fièvre et vomissements) s’aggraveraient de plus en plus jusqu’à provoquer la mort.

C’est ce qui se passa pour Antoine ; il périt au bout de quelques jours. Par contre pour Pierre, sans doute plus résistant, la fièvre baissa et les pustules séchèrent laissant des cicatrices sur son visage.

Antoine décéda donc le 1er Avril 1800, il avait 47 ans. Il fut inhumé au cimetière de Saint-Germain le lendemain. Beaucoup de personnes l’accompagnèrent dans sa dernière demeure car il était très estimé. Son frère et ses sœurs étaient là, bien sûr, mais il y avait aussi de nombreux amis.

Au lendemain du décès d’Antoine, à 42 ans je me retrouvais seule avec mes cinq garçons dont deux petits de 10 mois à peine. Mon fils Antoine, âgé de 19 ans, prit tout de suite la place de son père et fit autorité sur ses deux cadets.

Les semences, après un bonne pousse au printemps, prirent une bonne apparence et présagèrent des récoltes abondantes. Tous les quatre nous nous mîmes au travail d’une façon acharnée de façon à y faire face honorablement. Pour moi c’était difficile car en plus du travail domestique et celui des champs, il me fallait allaiter les deux jumeaux, ce qui m’épuisait. Pour ce qui était de ces derniers, un seul, Louis, profitait bien. Laurent, lui, était plus chétif et n’avait pas beaucoup d’appétit.

J’étais satisfaite de mes trois aînés car ils mettaient du cœur à l’ouvrage et remplaçaient bien leur père. Mais je me faisais tout de même du souci pour eux, surtout pour Antoine et Pierre qui approchaient tous les deux de l’âge de la conscription. En effet depuis 1790 nous étions toujours en guerre pour sauver la patrie. Et cela ne semblait pas s’améliorer avec notre Premier consul Bonaparte qui semblait être un va-t-en-guerre...

Après de bonnes moissons effectuées sous un temps chaud et sec, à partir de la mi-septembre les pluies et le froid s’installèrent définitivement. Le petit Laurent, déjà fragilisé, ne put résister à ce changement de temps brutal et décéda le 2 octobre 1801, il avait 26 mois.
L’année 1801 fut aussi l’année où Antoine passa le conseil de révision. Dieu merci, il tira un bon numéro ce qui lui permit de ne pas être incorporé. J’étais soulagée.

Grâce aux bonnes récoltes de 1801 et au travail de mes trois aînés, le 9 juin 1802 je fus en mesure d’acheter au sieur BURGEVIN, de Sully, une pièce de terre de 63 ares 80 centiares aux ‘loups Billons’, dans la commune de Sully, pour la somme de 250 francs. C’est encore maître ARNAL qui rédigea l’acte. A partir de ce moment, avec mes enfants, nous étions à la tête d’une manœuvrerie de presque 15 hectares.

Cette même année 1802, mon fils Antoine demanda en mariage une jeune fille du ‘Trembloy’, Marie COMAILLES. Les COMAILLES étaient une vieille famille du ‘Trembloy’. Les grands parents de Marie étaient des amis de mes parents. Le fils COMAILLES, François, prit après son mariage avec Anne BOLLART la suite de ses parents. Avec Antoine, mon mari, nous avions sympathisé avec le couple si bien que François fut parrain de nos deux défuntes filles.

Ceci pour dire que mon fils Antoine et la petite Marie, tous deux du même âge, se sont toujours connus et ont fini, avec le temps, par s’apprécier et même à se fréquenter. Marie venait de perdre sa mère quand Antoine la demanda en mariage.

Ces fiançailles rapprochèrent encore plus nos deux familles. Si bien qu’un jour François me demanda en mariage.

Mon mariage avec François

Le contrat de mariage, la noce

J’acceptais mais à condition de ne pas me marier en communauté de biens, je voulais préserver mon patrimoine pour mes enfants. François accepta sans discuter. Ainsi, le 30 janvier 1803 nous fîmes venir maître ARNAL à la manœuvrerie pour rédiger le contrat de mariage, ou plutôt les contrats car nous avions l’intention de nous marier le même jour qu’Antoine et Marie.

En ce qui concernait notre contrat à François et à moi, la non communauté de biens fut bien spécifiée. Le 5e article du contrat m’obligeait à loger François, à entretenir ses habits et linges et à assumer toutes les dépenses domestiques. En contrepartie, il devait me donner tous les ans la somme de six francs. Le 6e article stipulait que François apportait ses habits, son linge, un lit et un coffre, et là, c’est moi qui lui donnait la même somme de six francs tous les ans. Ceci pour bien montrer la non communauté de biens.

Les deux mariages eurent lieu le 14 février 1803 d’abord à la mairie puis à l’église Saint-Germain de Sully sur-Loire [36].

A l’hôtel de ville, c’est monsieur LEBER, le maire, qui maria nos deux couples, le mien avec François et celui d’Antoine et Marie. Pour nous, nos témoins furent, du côté de François ses deux fils François et Louis et de mon côté Antoine et Marie.

A l’église c’est le curé BOULLIER, devenu chanoine, qui a béni les deux mariages. Les témoins de François furent encore ses deux fils, et les miens, mes deux fils Pierre et Jean-Vincent.

Au sortir de l’église, le cortège se rendit au Trembloy où tout était prêt pour le repas de noce. En fait cette fête était plus destinée à honorer le jeune couple qu’était celui de Marie et Antoine que le notre avec François.

Ma vie avec François

Au lendemain de la noce, François vint s’installer à la manœuvrerie avec ses habits, son lit et son coffre à linges. Antoine étant établi avec Marie dans une métairie du ’Petit Reilly’, toujours sur la commune, François s’occupa de nos terres avec Pierre et Jean-Vincent âgés alors, respectivement, de 19 et 16 ans. Tous les trois s’entendaient bien et travaillaient dur.

En 1805 Pierre passa la conseil de révision, il n’eut pas la chance de son frère aîné car il tira un mauvais numéro. Le 29 novembre 180537 il fut incorporé dans le 64e régiment de Ligne. Lors de son départ j’étais très inquiète car la France était en guerre contre la Russie et l’Autriche. Il partait donc à la guerre. Quand allais-je le revoir ?…

Au lendemain de son départ je me retrouvais seule pour m’occuper de la manœuvrerie avec François et Jean Vincent. Ce dernier avait alors 19 ans et faisait son travail à part entière. Louis, lui, n’avait que 7 ans mais il m’aidait bien.

Le matin du 15 avril 1806 je vis monsieur LEBER, le maire de Sully, arriver au Trembloy accompagné de deux gendarmes. A la vue de ces derniers j’ai tout de suite pensé à Pierre, il lui était certainement arrivé quelque chose.

Effectivement Monsieur LEBER m’annonça que Pierre avait succombé le 2 Janvier dernier à une pneumonie, à l’hôpital de Besançon. Cette annonce me bouleversa, il n’avait que 21 ans et toute la vie devant lui. Je maudissais la guerre, même si Pierre n’a pas été tué par l’ennemi, et parfois, je peux l’avouer, je maudissais aussi cet Empereur qui voulait conquérir l’Europe…

Le 9 avril 1808 je décidais de donner à mon fils Antoine, comme cela avait été précisé dans son contrat de mariage, la somme de 250 francs provenant de l’héritage mobilier de son père et de son frère Pierre. C’est maître DEBOURDELLE, notaire à Sully, qui rédigea l’acte de donation.

Comme pour son frère Antoine, je décidais de donner à Jean-Vincent la même somme de 250 francs provenant de l’héritage mobilier de son père et de son frère. C’est toujours maître DEBOURDELLE, qui rédigea l’acte de donation le 8 janvier 1809.

Jean-Vincent n’ayant pas été incorporé comme frère d’un soldat mort aux armées, il s’était fiancé et projetait de quitter la manœuvrerie du ‘Trembloy’ pour s’installer chez ses futurs beaux parents.

Allant me retrouver seule avec François et le petit Louis, ne pouvant plus, à nous seuls, exploiter les quelques 15 hectares de la manœuvrerie, je me suis décidée de la vendre, avec ses terres, à monsieur LEBER, le maire de Sully, qui désirait l’acquérir. Nous nous sommes rendus chez maître DEBOURDELLE le 30 mai 1809 pour élaborer l’acte de vente. Antoine, Jean-Vincent et François étaient aussi présents. Ce dernier dut me donner son autorisation pour que le document soit acté.

Je lui vendais donc le bâtiment d’habitation, les dépendances et les presque 15 hectares de terres qui composaient la manœuvrerie pour la somme de 5000 livres (4138 francs de l’époque). En contrepartie, monsieur LEBER s’était engagé à verser cette somme un an après mon décès à mes enfants afin que François, s’il me survivait, puisse avoir une année pour retrouver un logement. Il s’engageait aussi à me verser, jusqu’à mon décès, une rente annuelle égale à 5% du prix de vente amputée d’un loyer de 75 Livres pour la jouissance de la maison, de ses dépendances, de la cour, de deux pièces de terre à jardin et d’un petit pré.

Le 6 juin de la même année 1809, huit jours après la vente de la manœuvrerie, Jean-Vincent se maria avec Charlotte MARSAS, jeune fille âgée de 19 ans et demi. Ses parents habitaient à ‘La Grille’, lieu-dit situé dans le quartier de Saint-Germain à Sully. Le père, François MARSAS, manœuvre, était avant la Révolution concierge au château de Cuissy, grosse maison bourgeoise située au bord de la Loire dans la commune de Saint-Aignan-le-Jailliard à environ 6 km en amont de Sully.

Après leur mariage, Jean-Vincent et sa femme s’installèrent chez les parents de cette dernière à la manœuvrerie de ‘La Grille’. Nous voilà alors, François et moi, seuls avec Louis qui n’avait que 10 ans. Comme nous n’avions plus les terres de la manœuvrerie à cultiver, nous n’avions plus besoin de main-d’œuvre. François allait donc travailler comme journalier dans les métairies et fermes alentour. Avec le produit de son travail et ma rente annuelle de 175 livres nous arrivions à vivre correctement. Nous avions toujours un cochon, une vache, des volailles et le jardin potager pour nous nourrir.

En 1810 l’été fut très sec, nous n’avions pas eu une goutte de pluie de mai à septembre. Ce qui fait que partout dans la région les récoltes de tous les ‘bleds’ [37] furent désastreuses. S’ensuivit les deux années suivantes, par manque de farine, une disette qui nous rappela celles de la fin du 18e siècle [38]. Mais dans nos régions bordant la Loire, où la culture est plus diversifiée et où la pomme de terre a fait son apparition depuis un moment, la disette fut moins sensible que dans d’autres régions, notamment en Sologne. Nous, au ‘Trembloy’, nous n’en avons pas trop souffert.

A partir de 1812, les nouvelles des défaites de la grande Armée se succédèrent, la retraite de Russie, la campagne de Saxe, la campagne de France et enfin Waterloo. Nouvelles qui nous ont été communiquées par le garde champêtre qui les tenait de la mairie.

En 1815, au mois de novembre nous vîmes apparaître, de l’autre côté de la Loire, l’établissement d’un grand camp militaire à proximité de Saint-Père. D’aucuns affirmaient qu’il s’agissait de l’armée d’occupation [39]. C’était vrai, Dieu merci, ils n’avaient pas le droit de traverser la Loire car le bruit courrait qu’ils menaient la vie dure aux habitants de Saint-Père en multipliant les réquisitions et, parfois même, les mauvais traitements. »

Le récit de Solange s’arrête là en 1815, car elle décéda le 31 janvier 1816, à l’âge de 57 ans, au ‘Trembloy’. Son décès fut suivi de celui de son mari, François COMAILLES, âgé de 64 ans, 5 jours après le sien et de celui de son fils Antoine, 36 ans, qui décéda le 26 mars 1816. Ces disparitions rapprochées nous suggèrent que tous les trois ont été victimes d’une épidémie.
L’hiver 1816 ayant été long et pluvieux, suivi d’un printemps froid auquel a succédé un été qui ne méritait pas son nom car il a été froid et humide, nous pensons que tous les trois ont été victimes d’une pneumopathie infectieuse.

Ce qu’il faut retenir de ce récit

Il nous renseigne assez bien sur les conditions de vie de ces femmes de manœuvriers ou laboureurs de la fin du 18e siècle :

* les conditions de travail. Très vite, souvent à partir de 10-11 ans, elles aidaient les parents pour devenir petit à petit leur ‘ouvrière’ à partir de l’adolescence. ‘Ouvrière’ de la mère en assurant avec elle toutes les tâches ménagères comme la cuisine, la lessive, s’occuper des enfants plus petits dans les familles nombreuses, ce qui n’était pas le cas pour Solange car elle était fille unique, s’occuper des animaux et du potager etc... ‘Ouvrière’ du père en participant pleinement aux travaux des champs et travaux annexes comme ici pour Solange le travail et filage du chanvre et la confection des chandelles.

D’ailleurs, à cette époque, la plupart des enfants de manœuvriers n’allaient pas à l’école pour être les ‘bras’ dont leurs parents avaient besoin pour pouvoir vivre, parfois difficilement.

* Les conditions de maternité. Les grossesses. Lors de leurs grossesses qui étaient nombreuses, 10 pour Solange, elles travaillaient normalement jusqu’à l’accouchement, quelque fois dans de dures conditions ce qui augmentait les risques pour la santé de la mère et aussi du fœtus.

Tout de suite après les couches elles reprenaient le travail sans pouvoir récupérer vraiment leurs forces et les plus fragiles pouvaient ne pas survivre.

Contrairement à Solange qui survécut à ses 10 couches, probablement grâce à une constitution robuste, certaines femmes, après une série d’accouchements, étaient de plus en plus fragilisées et, souvent, ne survivaient pas à leur dernier enfantement.

Les accouchements. Lors des premières grossesses les risques de complications lors de l’accouchement comme, par exemple, la pré-éclampsie (tension sanguine anormalement élevée et un tôt de protéines trop haut dans l’urine) ou le décollement précoce du placenta sont élevés, mais ils peuvent être traités. A la fin du 18e siècle ces notions étaient inconnues et ne pouvaient donc être soignées, ce qui entraînait souvent la mort précoce du bébé et, parfois même celle de la mère.

La faiblesse physique de la parturiente pouvait être aussi un risque lors de l’accouchement car, trop fatiguée, ne pouvant faire le travail, la matrone procédait à des manipulations pour aider à sortir le bébé le plus vite possible et pouvait ainsi provoquer des séquelles chez ce dernier. C’était peut être le cas pour Solange, lors de son quatrième accouchement, qui ne pouvant pousser fut aidée par lafemme GENIN. Celle ci a peut être eu des gestes trop brusques qui ont nuit au petit Étienne décédé au bout de huit jours.

* La mortalité infantile. A cette époque elle était très importante et était liée à de multiples causes : Le manque d’hygiène de la part de la sage femme. Souvent celle-ci ne se lavait pas les ongles, ou mal. Les pansements qu’elle utilisait n’étaient pas stériles. Cela facilitait l’apparition d’entérocolites qui étaient les principales causes de décès avant un an.
Un accident dû à un emmaillotement trop serré, le bébé succombant dans ce cas d’un ‘coup de chaleur’.

L’affaiblissement de l’état général du bébé provoqué, parfois, par un sevrage trop rapide ou par la malnutrition. Cet état de faiblesse était un terrain idéal pour les maladies létales.
Les traitements prodigués, comme les sudorifiques ( poivre, gingembre, sauge, génépi, infusés dans le vin), pouvaient rendre mortelles les maladies les plus faciles à guérir.

La mortalité infantile au 18e siècle était souvent vécue par les parents comme une fatalité jusqu’à devenir presque normale.

* La mortalité chez les post-parturientes. Elle était aussi très importante à cette époque et pouvait aussi avoir plusieurs causes : Parfois, la brutalité de la sage-femme, quand l’enfant se présentait mal, provoquait des hémorragies et des blessures chez la mère, blessures qui s’infectaient et conduisaient souvent à la mort.

La délivrance de l’accouchée faite trop tôt pouvait induire des péritonites mortelles.
Souvent, surtout dans les campagnes, l’accouchée reprenait ses activités trop rapidement, c’est le cas de Solange, dés le lendemain de la mise au monde. Les plus fragiles ne peuvent survivre. Il faut noter qu’à cette époque les veufs sont beaucoup plus nombreux que les veuves et souvent se remarient 2, 3, ou parfois, 4 fois avec des jeunes femmes pour avoir des enfants afin d’avoir de la main d’œuvre gratuite.

*les condition sociales. Au 18e siècle le statut social de la femme est simple : C’est une personne juridiquement ‘incapable’.

Quand elle est jeune fille elle est sous l’autorité de son père et quand elle est mariée elle est sous l’autorité de son époux. C’est seulement si elle est veuve qu’elle récupère une capacité juridique pleine et entière.

Solange étant passée par ces trois ‘statuts’ est un bon exemple :

*Jeune fille, prête à se marier, elle est totalement passive dans l’élaboration des clauses de son contrat de mariage la concernant. C’est son père qui décide de son apport à la communauté (les biens à échoir de ses parents), de sa dot de 100 livres et de sa douaire de 60 livres.

*Épouse, quand son couple, avec Antoine, achète ou vend un bien de la communauté cela se fait sous l’autorité de son mari, même quand c’est un bien lui appartenant par héritage.
La gestion de la manœuvrerie du ‘Trembloy’ était officiellement sous la responsabilité d’Antoine alors que c’était un bien par héritage de Solange. De plus, dans cette gestion il y avait certainement une collaboration entre les deux époux.

*C’est une fois veuve d’Antoine qu’elle accède à l’indépendance et à la capacité juridique. Elle assure maintenant l’exploitation et la gestion de sa manœuvrerie avec ses terres tout en continuant d’être la maîtresse de maison et d’élever ses enfants mineurs, en l’occurrence ses quatre garçons, Antoine, Pierre, Jean-Vincent et Louis. Son statut social est maintenant reconnu, ainsi sur l’acte d’achat des terres du sieur BURGEVIN en 1802 et sur son contrat de mariage avec François COMAILLE en 1803, le notaire la qualifie de manœuvre.

Une fois mariée avec François elle retourne en l’état de minorité comme elle l’avait été avec son premier mari. Ainsi quand elle vend sa manœuvrerie du ‘Trembloy’ avec ses terres, il est bien précisé qu’elle est dûment autorisée par son mari à l’effet de cette vente, alors qu’elle n’est pas en communauté de biens avec ce dernier.

En lisant le récit de Solange, on peut, sans trop caricaturer, résumer sa vie en une formule : travailler dur et enfanter. C’était le lot de toutes les paysannes de cette fin du 18e siècle et du début du 19e.

Nous avons vu qu’elle était passée par des moments difficiles comme les épidémies, les disettes, la perte de 7 enfants sur 11 et le veuvage, et elle n’a pu, sans doute à cause de cela, dépasser l’âge de 60 ans. C’est probablement la dureté de la vie et l’usure qui l’ont fragilisée.

On peut voir que la condition féminine depuis la fin du 18e siècle a énormément évolué jusqu’à nos jours, même s’il reste encore des progrès à faire...

Sources :

Documents d’archives ( A D du Loiret ) :
Registres paroissiaux de Sully sur Loire ( 1776-1790) : GG 1 Mi Ec 315- 113 à 115.
Notes du curé BOULLIER à Sully-sur-Loire ( 1767-1790) : GG 1 Mi Ec 315- 113 à 115.
Répertoires des notaires de Sully sur Loire ( 1754-1807 ) : 3 E 3240 à 3 E 3245.
Échange VATELLIER-THORET. Maître ARNAL à Sully-sur-Loire. 3E 3194.
Vente BURGEVIN-THORET. Maître ARNAL à Sully-sur-Loire. 3E 3210.
Mariage COMMAILLES-THORET. Maître ARNAL à Sully-sur-Loire. 3E 3211.
Quittance Antoine THORET. Maître DEBOURDELLE à Sully-sur-Loire. 3E 3220.
Quittance Jean-Vincent THORET. Maître DEBOURDELLE à Sully-sur-Loire. 3E 3220.
Vente NOTTIN-LEBER. Maître DEBOURDELLE à Sully-sur-Loire. 3E 3222.

Documents bibliographiques :
Histoire de l’Orléanais. R Crozet. 1936.
Histoire de Sully-sur-Loire. B Barbiche. 1986.
La vie quotidienne sous la révolution.
Les communes de France. Sully sur Loire. C N R S.
Les 2000 dates qui ont fait la France. France Loisirs . 1995.
Sages-femmes et accoucheurs : obstétrique populaire au 17e et 18e siècles. Jacques Gélis. 1977.
La mortalité maternelle en France au 18e siècle. Hector Gutierrez, Jacques Houdaille. 1983.
Le vécu de la grossesse aux 18e et 19e siècles en France. Emmanuelle Berthiaud. 2012.
La mortalité en Sologne orléanaise de 1670 à 1870. Charles Poitou. 1978.
Les femmes dans le monde rural à l’époque moderne, 16e-18e siècles. Scarlet Beauvale. 2005.

Iconographie :

* Provinces de France. Vidal-Lablache.
Carte postale de L. Marchand montrant le château de Sully-sur-Loire dans une configuration ancienne.
Généralité d’Orléans. 17.. Le Sullias.
La Picaudière. Carte de Cassini.
La Picaudière. Extrait du cadastre napoléonien de Sully-sur-Loire. 3 P315/4.
Pans de bois avec torchis. Architecture en Sologne. Guide de visite prof architecture.
Chaumière solognote. Photographie personnelle.
Le Trembbloy. Extrait du cadastre napoléonien de Sully-sur-Loire. 3P315/14.
Maneuvrerie solognote. Architecture en Sologne. Musée de Sologne, Romorantin (41).
Colombage en arrêtes de poisson. Le grand livre de la Sologne. P 133.
L’école au XVIIIe siècle. D’après G DURAND.1868.
Manouvrier. La vie en Sologne autrefois. Musée de Sologne, Romorantin (41).
Manouvrières du Sullias. Traditions paysannes de Sologne. Claude Seignolle. 2019.
Câline des dimanches.La vie en Sologne autrefois. Musée de Sologne, Romorantin (41).
Crue de 1769. carte de Cassini.
Confirmation 18e siècle. Pietro Longhi. 1757.
Chaise d’accouchement. Wikipédia.
Moissons à la faucille. Museepaysderetz.com.
Contrat d’échanges Vatellier-Thoret. Maître ARNAL à Sully-sur-Loire. 3E 3194.
Signature Antoine THORET. Maître ARNAL à Sully-sur-Loire. 3E 3194.


Un grand merci à Odile Jublot et Monique Laneelle pour leur participation à la rédaction de cet article.


[1Les laboureurs dans la région du Sullias sont appelés manœuvriers. Ce sont, dans le cas de notre couple, des petits propriétaires qui travaillent aussi, à l’occasion, pour d’autres fermiers.

[2Daniel JOUSSE était un juriste orléanais (1704-1781) qui publia de nombreuses notices sur l’histoire de sa province.

[3Sully a été renommé Sully-sur-Loire après la révolution.

[4A la naissance de Solange c’est Louis XV qui gouverne le royaume de France.

[5Le sevrage était à cette époque une étape importante pour l’enfant. La désaccoutumance au lait maternel était souvent une période difficile, car les anticorps de la mère n’étaient plus là pour protéger l’enfant contre les divers agents d’infection.

[6Le robage était le passage du maillot à celui de la robe, commune aux deux sexes.

[7Charrue

[8Blouse

[9La toile de Jouy est une étoffe de coton dite indienne sur laquelle sont représentés des personnages avec décors ou des paysages.

[10Environ 2 mètres.

[11Le rouissage permettait de détacher les fibres de la filasse qui étaient collées entre elles et fixées à la tige par une gomme très tenace. Pour ce faire , on laissait séjourner les gerbes dans l’eau dormante, en mettant par-dessus des planches et des pierres.

[12La teilleuse servait à broyer les tiges afin de pouvoir séparer les fibres textiles de la chènevotte (partie ligneuse de la plante) pour obtenir de la filasse de 70 à 80 cm de longueur.

[13Tige de bois ou d’osier qui peut être décorée, la quenouille sert à maintenir et stocker les fibres qui ne sont pas encore filées, afin qu’elles ne s’emmêlent pas et qu’il soit facile de les utiliser. Les fibres sont enroulées autour de la quenouille et maintenues en place à l’aide d’un ruban.

[14Petit instrument (généralement de bois) cylindrique, renflé au milieu, effilé aux deux extrémités, servant à tordre et à enrouler les fibres stockées sur la quenouille. Il tient le rôle de bobine.

[15La Typhoïde.

[16Pour la Confirmation, à cette époque dans les campagnes, il fallait attendre le passage de l’évêque, ce qui ne se produisait pas toutes les années, loin s’en faut... Ce qui explique parfois le nombre important des confirmands.

[17Le 10 mai 1774 voit le décès de Louis XV et l’avènement de Louis XVI.

[18Personne qui travaille à la journée quand le laboureur a besoin de lui.

[19Étoffe tantôt toute de laine, et tantôt moitié laine et moitié fil, quelquefois croisée, et ordinairement sans croisures.

[20Toile faite avec la partie la plus grossière de la filasse de chanvre ou de lin.

[21Biens ou somme d’argent que le mari assignait à sa femme dans le cas où elle lui survivrait. La douaire fut abolie à la révolution.

[22Quand le décès d’un nouveau-né survient dès la première semaine, on parle de mort endogène (due à des malformations congénitales ou aux conséquences d’une naissance difficile). Dans le cas de Solange la mort de son bébé semble bien être due à un accouchement difficile ce qui était souvent le cas lors d’une première grossesse. Il semblerait, d’après certains auteurs, qu’à cette époque la mortalité endogène touchait beaucoup plus les garçons, il y aurait donc une inégalité biologique entre les sexes...

[23Dans le cas de la petite Solange, on parle de décès post-natal exogène provoqué par des maladies contractées après la naissance ou d’accidents sans lien direct avec l’accouchement.

[24En 1782, après un hiver rude, surtout au mois de février, de très fortes chaleurs ont sévis au mois de juillet. Canicule qui avait provoqué un assèchement des rivières dans la région surtout dans la Sologne toute proche. Moins abondante, l’eau devint plus vaseuse, plus sale et sa consommation généra des infections bactériennes, telles que la dysenterie, une maladie des intestins qui fut un véritable fléau à cette époque. Cette année là à Sully, la mortalité a augmenté de 25% et 50% des décès ont impacté la tranche d’âge entre 10 jours et 10 ans.

[25Sous l’ancien régime on dénommait ainsi le foyer fiscal.

[26Ce fut là aussi une mort postnatale de nature endogène. Ce sont probablement l’accouchement difficile dû à l’extrême faiblesse de Solange et aux manipulations de la sage-femme qui provoquèrent ce décès.

[27A cette époque, dans un couple la femme est le principe spirituel (l’âme) du foyer, l’homme en est le principe juridique. Pour toute action officielle elle doit avoir l’autorisation de son mari.

[28La direction montante de cette signature indique, d’après les graphologues, une certaine ambition. La barre placée au-dessus de la hampe du T majuscule pourrait révéler, elle, un caractère autoritaire.

[291789 est aussi l’année du grand bouleversement, qui vit se succéder les États Généraux, le serment du jeu de paume, l’Assemblée Constituante, la prise de la Bastille, la grande peur, l’abolition des privilèges et droits féodaux, la Déclaration des droits de l’homme et enfin, la division du royaume en 83 départements.

[30Année qui a été particulièrement difficile.

[31Le petit Georges-Simon a probablement été victime de la mort subite du nouveau né.

[3213 février 1790, suppression des ordres religieux autres qu’enseignants et hospitaliers. 14 mai, mise en vente des biens du clergé, déclarés’ biens nationaux’. 12 Juillet, vote de la constitution civile du clergé. 27 novembre, l’Assemblée exige des membres du clergé un serment de fidélité à la Nation, à la loi et au Roi.

[33Comme pour son frère Georges-Simon, décédé en 1790, La petite Marie Jeanne Solange a probablement été victime de la mort subite du nourrisson qui concerne les bébés âgés de moins d’un an. Cette notion, à l’époque, était totalement inconnue, ces décès étaient noyés au milieux des autres pathologies mortelles.

[34La typhoïde.

[35La variole. Cette maladie virale était la plaie de l’ancien régime. Elle a fait d’énormes ravages jusqu’à la fin du 18e siècle.

[36Après la révolution, la ville de Sully fut renommée Sully-sur-Loire. 37 Quand Pierre est incorporé, Napoléon a été sacré Empereur un an auparavant. Il est alors en guerre contre la Russie et l’Autriche, le 2 décembre 1805, trois jours après l’incorporation de Pierre, c’était la victoire d’Austerlitz.

[37Les blés et le seigle.

[38C‘est la mauvaise récolte de blé de 1810 qui obligea à entamer prématurément les stocks de celle de 1811. Ceci ne se produisit pas dans toutes les régions mais c’est surtout la panique qui, en déclenchant les réflexes de stockage, fut responsable de l’accroissement du déséquilibre. Dans le Loiret la récolte de blé, habituellement tout juste suffisante, fut déficitaire en 1811, ce qui n’arrangea pas les choses.

[39Le 18 juin 1815 voit la chute de l ’Empire avec la défaite de Waterloo. Le 8 juillet c’est le retour de Louis XVIII à Paris et le 20 novembre le pays est partiellement occupé. Les Hessois et les Wurtembergeois occupent la rive droite de la Loire entre Orléans et Gien, notamment à St Père sur Loire en face de Sully.

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