François Thoumelin [1] naît à Crac’h, près d’Auray dans le Morbihan, le 28 février 1746. Il est baptisé le jour même par Joseph Rio, curé de Crac’h [2]. Son prénom est choisi identique à celui de son parrain, François Bagousse, comme le veut la tradition. Son père,
Bertrand natif de Crac’h, est meunier au moulin de Kerverch en Crac’h. Sa mère, Anne Le Pevedic [3] est aussi native de Crac’h. Il est le cinquième enfant de la famille. Ses parents ont eu huit autres enfants, tous nés à Crac’h ( Philibert le 13 juin 1739, Nouëlle le 26 novembre 1741, Anonyme né et décédé le 10 juillet 1743, Marie Thuriane le 5 juillet 1744, Hélène Marie le 27 février 1749, Charlotte Marie le 4 octobre 1751, Joachim Marie le 14 mars 1753 et Vincente le 23 février 1755 ).
Acte de baptême de François Thoumelin
L’an de grace mil sept cent quarante six, et le vingt huit février, je soussigné ay baptisé un fils né le même jour du légitime mariage de BERTRAND THOMELIN, meunier au moulin de KERVERCH en CRACH, et d’ANNE LE PINVEDIC, on luy a imposé le nom de FRANCOIS, le parein a été FRANCOIS LE BAGOUSSE et la mareine, LOUISE LE CORVEC laboureurs, qui ont déclaré ne savoir signer en foy de quoy, je signe, Joseph Rio, curé de Crach.
François est un grand garçon, aux cheveux châtains. Il est enrôlé le 9 janvier 1762 [4] par la Compagnie des Indes et à 16 ans, donc, il embarque à Lorient sur la flûte de la Compagnie le Massiac [5] (construit à Lorient en 1758 - 900 tonneaux - 24 canons). Le navire est armé fin 1761 par la Compagnie des Indes et part de Lorient pour " L’Isle de France " (île Maurice), le 2 février 1762 [6].
A l’arrivée à Port-Louis de l’île de France, le 29 juin 1762, François est débarqué malade et hospitalisé [7]. L’hôpital où est soigné François appartient à la Compagnie des Indes et fut construit, dans le port de Port-Louis, sur les plans de Mahé de Labourdonnais en se conformant aux desseins de la Compagnie de telle façon que les deux ailes du bâtiment puissent un jour être transformées en magasins. Cet hôpital fut le premier ouvrage de terre du port et fut construit à proximité du trou Fanfaron et du bassin des chaloupes. L’eau potable fut obtenue de la Grande-Rivière au moyen d’un aqueduc connu depuis sous le nom de canal Labourdonnais [8].
François revient en France en 1766 sur le vaisseau de la Compagnie le Bertin (construit à Lorient en 1761 - 900 tonneaux - 28 canons). Pendant ces quatre années, il est tout d’abord considéré comme novice et ensuite comme matelot et, il reçoit une solde de 15 livres par mois [9]. Du montant de cette solde, il faut retirer six deniers par livre versés à la caisse des Invalides de la Marine.
Il est engagé au mois comme tous les équipages des navires de la Compagnie des Indes. Une avance de six mois lui est attribuée dès la sortie du port et des acomptes sont versés au cours de la campagne à sa famille ; deux mois par année sur présentation d’un certificat du curé de la paroisse attestant du degré de parenté. Il perçoit une autre partie de son salaire au retour en France au désarmement du navire ; deux mois à l’arrivée ainsi qu’une "conduite" de 3 sous par lieue pour lui permettre de regagner son quartier d’origine. Le solde intervient généralement moins de six mois après le retour.
En plus de son salaire, François possède l’avantage du "port permis", c’est-à-dire le droit d’embarquer une certaine quantité de marchandises qu’il peut vendre avec un bon bénéfice à son retour [10].
Les bâtiments de la Compagnie des Indes, sur lesquels François navigue, sont des navires marchands. Ils sont amortis sur cinq campagnes d’une durée de dix-huit mois. Généralement, un important carénage est effectué au retour de la troisième campagne ; ce carénage peut être considéré comme une refonte. Après ces travaux, deux autres campagnes peuvent être effectuées et ensuite le bâtiment est condamné.
Le voyage pour l’île de France dure en moyenne trois mois et demi, ceci sans escale. Le premier voyage de François a duré cinq mois avec une escale à l’île de Bourbon (île de la Réunion) pour débarquer un passager et faire des vivres. Le voyage de retour se fait toujours en faisant escale à l’île de Bourbon, et la durée de la traversée au départ de cette île, jusqu’à Lorient, est en moyenne de trois mois. Une relâche a parfois lieu au cap de Bonne-Espérance ou à l’île de l’Ascension.
Pour les Indes, les escales à l’aller peuvent avoir lieu à Cadix, à Gorée, à St-Yago (île du Cap Vert), au cap de Bonne-Espérance, à l’île de France, à l’île de Bourbon, à Anjouan (ancien nom de l’île Ndzouani des Comores). La durée de la traversée est de six mois de navigation.
Au retour, la durée de navigation est aussi de six mois, comme à l’aller, des escales ou des relâches ont lieu à l’île de France ou à l’île de Bourbon, à l’île de l’Ascension et parfois à celle de Ste-Hélène.
Pour la chine, la traversée d’aller dure sept mois environ et celle de retour huit mois et demi. Les vaisseaux relâchent à l’île de France, à celle de Bourbon et au retour à l’île de l’Ascension ou au cap de Bonne-Espérance.
Les bâtiments en quittant Lorient sont très chargés par une cargaison lourde qui occupe la totalité de l’espace des cales prévues pour contenir au retour des marchandises légères et d’un grand volume.
En effet, les vaisseaux de la Compagnie chargent en poivre à Mahé (ville du sud de l’Inde, sur la côte de Malabar ; établissement français) ; en toiles de coton à Pondichéry ainsi qu’en mousselines de la côte Coromandel (côte orientale de l’Inde, sur le golfe de Bengale), en chittes (étoffes de toile peinte à la couleur très résistante), en mouchoirs de toutes espèces et en café moka ; en mousselines fines et en poivre au Bengale ; en porcelaine, en thé et en soieries en Chine ; en café aux îles de France et de Bourbon.
La vie quotidienne sur le navire n’est pas de tout confort. En effet, l’espace disponible à bord est très restreint. Le pont principal sur lequel vit l’équipage à une surface d’environ deux cents mètres carrés et il est encombré par des bagages, par les cages ou les parcs abritant les animaux vivants et par les réserves de nourriture. Pour dormir, les hommes disposent d’un hamac pour deux.
Dans ce milieu confiné, les relations sociales sont fort tendues. En mer l’équipage est parfois inoccupé et donc désœuvré durant de longs moments lorsque la manœuvre ne nécessite pas sa présence. Les travaux quotidiens de nettoyage et d’entretien sont entrecoupés d’entraînement au combat et en particulier au maniement du canon.
Aux conditions matérielles médiocres s’ajoutent le désagrément de la promiscuité et de l’ennui. A bord l’humidité est constante. Les matelots ont peu de vêtements, en général deux vestes ou deux gilets, quatre chemises, trois paires de culottes, trois ou quatre paires de bas de laine ou de fil, un bonnet ou un chapeau et une couverture. Ayant peu de vêtements, les hommes conservent des tenues humides lorsqu’il n’est pas possible de les faire sécher. L’absence de vêtements chauds se fait cruellement sentir au départ dans la traversée de la partie septentrionale de l’Atlantique, puis lors du passage du cap de Bonne Espérance.
La ration alimentaire est déséquilibrée et sa nature est toujours identique. La quantité de nourriture change avec le grade à bord. Les matelots reçoivent la simple ration. L’essentiel de la ration est formé de féculents, de pain, si l’état de la mer permet d’utiliser le four, de biscuit ou à défaut de riz. A ces aliments, s’ajoutent de la viande, bœuf salé ou lard salé, les jours gras et du poisson ainsi que du fromage les jours maigres, avec un accompagnement en légumes secs. La boisson consiste en du vin, au moins 1 pinte [11] par jour pour l’aller et au retour de l’eau de vie car elle se conserve bien et occupe un faible volume.
La ration alimentaire est satisfaisante en valeur nutritive mais légèrement déséquilibrée, trop de protides et pas assez de lipides et de glucides, ce qui, en raison de l’absence de peptides entraîne une digestion difficile. Elle présente de très graves lacunes dans la répartition en vitamines (pauvreté en vitamine B2 et carence totale en vitamine C) ce qui entraînent des anémies et une moindre résistance au scorbut qui se développe aisément dans le milieu humide et mal aéré de l’entrepont.
De plus, l’eau douce est peu abondante à bord et de qualité médiocre. La ration ordinaire est d’une pinte par jour.
La pêche fournit un complément appréciable de nourriture, en particulier des tortues de mer ramassées à l’Ascension, dont la chair est utilisée pour préparer un bouillon reconstituant. Les escales permettent d’avoir des produits frais, riches en vitamines.
A bord du navire, du fait des manœuvres, les traumatismes sont fréquents et les dures conditions de vie ainsi que la fréquentation des ports lointains occasionnent de nombreuses maladies à l’équipage. celui-ci peut être atteint par la fièvre jaune, ou "mal de Siam ", la variole, la syphilis, le typhus exanthématique ou "fièvre des vaisseaux " et, surtout la dysenterie et le scorbut [12]. Heureusement sur le navire est embarqué un médecin : le chirurgien. Ce dernier est chargé de soigner l’ensemble de l’équipage et dispose pour ce faire d’une pharmacie bien équipée [13].
A son retour, François habite Locmariaquer et il se marie le 26 octobre 1766 à Riantec [14], avec Marie Le Gallo native de Gâvres dont le père [15] est maître de chaloupe de pêche [16]. Comme le père de François est décédé et que François est mineur, il a moins de 30 ans, il a besoin d’un décret de justice de la juridiction de la baronnie de Kaër à Auray pour se marier.
La baronnie de Kaër est établie dans le château du Plessis de Kaër. Ce château a été bâti au XV ème siècle en bordure de la rivière d’Auray par François de Malestroit [17]. François Thoumelin et sa famille s’y rendent pour faire établir cette décision de justice datée du 29 septembre 1766.
Acte de mariage de François Thoumelin
L’an de grace mil sept cent soixante six, le vingt huitième jour du mois d’octobre, la publication des bans ayant été faite sans opposition ny empêchement aux prônes des messes paroissiales de RIANTEC par trois dimanches consécutifs, savoir le vingt-unième, vingt-deuxième et vingt-troisième après la Pentecôte de la présente année, je soussigné curé de RIANTEC ayant interrogé FRANCOIS THOUMELIN originaire de CRACH et domicilié de celle de LOCMARIAQUER où pareilles publications ont été faites sans opposition ny empêchement les mêmes jours que cy dessus suivant le certificat de Monsieur le curé J. RIO et le sus dit FRANCOIS THOUMELIN, fils mineur de feu BERTRAND et d’ANNE LE PEVEDIC et décrété de justice de la Baronnie de KAËR à AURAY le 29 septembre de la présente année signé HENRY au greff d’une part et MARIE LE GALLO âgée de 20 ans, fille d’YVES et de MARIE LESCOET demeurante au village de GAVRE en cette paroisse de l’autre part ; ayant requis et reçu leur mutuel consentement les ay solennellement conjoints en mariage par paroles de présent en présence d’YVES LE GALLO, de LOUIS LE GALLO, d’YVES QUER et de FRANCOIS SONIC pris pour témoins et ayant ensuite célébré la sainte messe leur ay donné la bénédiction nuptiale selon la forme et cérémonies observées par notre mère la Sainte Eglise, les témoins ne signent. L. JEGO Curé.
Une fois marié, le couple s’installe à Gâvres dans le village natal de l’épouse.
Quatre mois après le mariage, le 8 mars 1767, le Dauphin, vaisseau de la Compagnie, est armé pour aller à Pondichéry. François fait partie de l’équipage, comme matelot à 18 livres par mois, mais il reste encore une fois malade au débarquement à l’île de France, le 17 août 1767 [18], [19].
En juin 1770, il revient à Lorient sur le vaisseau de la Compagnie le Marquis de Castries (construit à Lorient en 1766 - 700 tonneaux - 20 canons). Il est alors matelot à 20 livres [20].
En 1771, le 26 août, marie donne naissance à un garçon, prénommé Gildas et dès janvier 1772, François part en Chine sur le Duc de Duras (construit à Lorient en 1764 - 1000 tonneaux - 20 canons) en tant que matelot à 25 livres pour revenir à Lorient en juin 1773.
En 1774, le 11 mars, le couple a son deuxième enfant, un autre garçon qui est prénommé Jacques. François est absent pour la naissance car en janvier 1774, il a embarqué pour la Chine sur le navire Les Trois Amis de la Rochelle comme matelot à 27 livres et il ne revient en France qu’en février 1776.
Marie accouche à nouveau le 4 novembre 1776 de jumelles, Françoise et Marie. Ce même mois, François quitte à nouveau Lorient pour les Indes et la Chine sur le vaisseau le Pondichéry en tant que matelot à 26 livres. Il débarque le 12 mai 1777 à l’île de France.
Il reste aux Indes huit années. Il revient en France, en 1784, sur le St Michel. Pendant son séjour à l’île de France, il effectue quatre voyages aux Indes sur le vaisseau le Duc de Duras [21].
Grâce à ses embarquements sur les navires de Compagnie des Indes, il reçoit des parts de prise sur les vaisseaux capturés aux anglais pendant la guerre de sept ans. Il touche des parts pour la prise de la Betty rançonnée par le Massiac à son départ de Lorient en 1762 et sur les captures faites par l’escadre de monsieur Grout de Saint-Georges en océan Indien.
Pour chaque prise, un tiers du produit de la vente revient au vaisseau capteur et deux tiers à la Compagnie. Souvent les équipages trouvent dans ces prises une amélioration de leurs soldes. Pour l’escadre Grout de Saint-Georges, la répartition des parts de prises donne lieu à de nombreuses contestations et c’est M. de la Vigne-Buisson, Capitaine de Vaisseau de la Compagnie des Indes, Commandant Militaire et Directeur des Armements, qui a réglé les litiges [22].
En août 1786, François arrête ces embarquements au long cours pour la Compagnie des Indes et change de travail : il réalise des embarquements à la pêche.
Le 17 février 1787 à Gâvres, Marie donne naissance à des jumelles : Marie Josephe et Jeanne. Marie Josephe décède 8 jours après sa naissance et Jeanne 2 jours après sa sœur.
En 1789, le 18 mai, François décède à Gâvres, il est âgé de 43 ans. Il est inhumé le 19 mai dans le cimetière de Riantec.
Acte de sépulture de François Thoumelin
L’an de grace mil sept cent quatre vingt neuf le dix-neuf du mois de mai a été inhumé dans le cimetière de RIANTEC le corps de FRANCOIS LE TOUMELIN époux de MARIE LE GALLO décédé le jour précédent à GAVRE, âgé d’environ quarante quatre ans, muni du sacrement d’extrême onction présent à la sépulture JEAN FRANCOIS MO ? [23], PIERRE LESCOËT ET JULIEN MOGAIGNE qui ont déclaré ne savoir signer. GUILLOUZIC Curé.
Sa femme, Marie, accouche le 10 juillet 1789 à Gâvres d’un septième enfant qui est le fils posthume de François. Marie lui donne le nom d’Aubin.