Voici cinq exemples près de chez moi :
Le pont du Diable
- © Jacques Mossot, Wikimedia Commons.
Dans ma jeunesse, mon escapade favorite consistait à traverser le magnifique pont du Diable (daté du Xe siècle) situé en contrebas du hameau perché de Chalencon, à Saint-André-de Chalencon, dans le Velay. Selon Philippe Walter, « le pont est un site mythique majeur des légendes celtes, des récits arthuriens et des traditions folkloriques apparentées »... d’où la présence dans nos paysages de nombreux ponts attribués au Diable. Selon la tradition, les villageois auraient réalisé un pacte avec le démon afin de construire ce pont qu’ils ne pouvaient réaliser seuls. En contrepartie de son aide, le diable aurait exigé qu’on lui accorde la première âme qui traverse le pont... Plus malins que le Malin, les autochtones auraient fait passer un chien sur le pont entre les deux rives.
La colonne de Souvigny
À une heure de voiture du Roannais, le petit musée de l’abbaye de Souvigny, en Bourbonnais, présente une étrange colonne octogonale, réalisée au XIIe siècle, à moitié brisée, couverte de bas-reliefs sur quatre de ses côtés. On peut y voir les Travaux des mois, les Signes du Zodiaque, les peuples et les monstres les plus étranges de la terre. Ainsi, cette colonne serait à la fois un calendrier ancien et un tableau des principaux personnages païens de nos légendes.
Saint Blaise et l’ours
À une heure trente de voiture du Roannais, à Berzé, près de Cluny, la légende de Saint Blaise a été peinte au XIIe siècle sur les murs de la chapelle aux moines. En 1945, dans cette localité, le préhistorien André Leroi-Gourhan a découvert une grotte néolithique contenant des crânes d’ours, qui semblent y avoir été rassemblés pour un culte. Ce n’est sans doute pas un hasard si, au Moyen Âge, le site a été christianisé et placé sous le patronage de Saint Blaise, réincarnation chrétienne d’une divinité païenne homme-ours.
Le mythe de l’animal Homme-sauvage
Dans le monde primitif, l’ours était le roi des animaux car il était doté d’une force prodigieuse, d’une sauvagerie sans limite et d’une capacité sexuelle hors norme. Mi-homme, mi-bête, cousin ou ancêtre supposé de l’homme, la figure de l’ours se confondait avec celle de l’Homme sauvage humanisé, un rustre velu d’allure bestiale ou un animal à l’apparence humaine. On lui prêtait des comportements humains et on le redoutait car il convoitait les jeunes filles et les femmes pour s’accoupler et les rendre fécondes. Cette défiance explique la réaction de l’Église qui, dès le Moyen Âge, a encouragé les massacres d’ours puis a humilié et apprivoisé la bête grâce à l’intervention des saints afin d’étouffer tous les cultes et les rites païens liés à l’ours. Depuis, dans le calendrier liturgique, de nombreux personnages divins, le plus souvent légendaires, portent son nom (Martin, Ursin, Bernard...) et ces « saints ursins » ressemblent étonnamment aux figures païennes d’Homme sauvage qu’ils cherchent à occulter. Ainsi, la rencontre entre l’intercesseur de Dieu et le plantigrade, entre l’ordre divin et le monde naturel, a permis à l’Église de lutter contre les anciens cultes païens rendus à la grande figure de l’Ours-Homme sauvage, personnage clé de la mythologie préchrétienne, divinité toute-puissante de l’Autre Monde, capable de réguler la vie et la mort et d’ordonner les cycles du Temps. Désormais, l’Ours-Homme-sauvage, mâle fécondant, se retrouve dans les jeux du Carnaval, notamment dans les chasses à l’ours où un homme se déguise avec des peaux de bêtes afin de s’attribuer la force virile de l’animal sauvage.
- Le sauvage des stalles de l’église prieurale Saint-Martin d’Ambierle (Loire).
La tête passée à travers le trou
À Saint-Menoux, dans le Bourbonnais, le sarcophage en pierre dans lequel les reliques de Saint-Menoux étaient exposées à la vénération des fidèles. Selon une croyance locale, de nombreux miracles eurent lieu ici lorsque des personnes tourmentées par la folie mirent leur tête dans la cavité du tombeau et furent guéries sur-le-champ.
Selon Paul Sébillot, la pratique de passer la tête dans le trou d’un sarcophage, comme ici saint Menoux, dans l’Allier, est le reliquat, à peine christianisé, d’anciennes pratiques païennes.
De nos jours encore, selon la croyance locale, l’enfant qui passe sa tête dans l’ouverture du débredinoire de Saint-Menoux ne deviendra jamais un imbécile. On dit aussi que les simples d’esprits retrouveront leur santé mentale.