Depuis les années 1990, la question du retour du loup en France suscite les controverses passionnées et les oppositions d’intérêts entre les éleveurs et les écologistes.
Les sources d’Ancien Régime, étudiées par l’historien Jean-Marc Moriceau, et les témoignages écrits des contemporains, nous renseignent sur les rapports entretenus autrefois entre l’homme et le loup.
A titre d’exemple, voici le témoignage, teinté d’ironie, de François-Auguste Fauveau de Frénilly, alors retiré dans son château de Bourneville, dans l’Oise, au début du XVIIIe siècle :
« Les loups foisonnaient dans la forêt. A la faveur de la Révolution, ils avaient prospéré dans les campagnes comme les tigres dans les villes. On avait soigneusement détruit les cerfs, les daims et les chevreuils, tous aristocrates qui se mangent ; mais quant aux loups, gibier révolutionnaire qui mange les autres, on les avait laissés croitre et multiplier en paix. L’abandon de l’immense forêt leur avait fait une patrie paisible où les cors ni les chiens ne les incommodaient jamais. Dans mon parc intérieur qui avait alors beaucoup de portes, mais peu de murailles, ils se promenaient familièrement la nuit : nous en entendions sous nos fenêtres, et le matin on voyait le long des perrons leurs larges pattes imprimées dans le sable. Les bergers n’osaient parquer qu’avec de bons chiens, un ou deux fusils chargés et des mèches enduites de poudre qui brûlaient toute la nuit et dont l’odeur écartait les loups. Mais le loup est l’animal le plus fin de la nature.
Mon premier berger, mon “majoral”, était un personnage important, décoré d’une médaille par la Société d’agriculture et renommé dans le pays comme le roi des mérinos ; avec cela mauvais sujet et ivrogne, qui comptait fort mal son peuple et se souciait peu que les loups mangeassent pour cinq ou six cents francs de côtelettes à son maitre.
Un soir, il avait rentré son troupeau en oubliant trois béliers dans le parc extérieur. Le matin, lorsqu’il fut dégrisé, il les chercha, et, auprès d’une des portes du petit parc, il trouva leurs cornes et leurs sabots au milieu d’un vrai champ de bataille, avec toutes les traces d’un combat à outrance et des empreintes qui prouvaient la présence de trois loups au moins. Je fis placer les débris aux environs ; on les entoura de pièges, et cette ruse de guerre se continua pendant huit jours ; pas un loup n’approcha. Qu’on juge tout ce que cela suppose en eux de calcul et de réflexion. Il fallut plusieurs années, la renaissance de l’ordre, les chasses multipliées et le règne de Bonaparte pour réduire cette peuplade à un petit nombre dont les louvetiers conservaient la graine afin d’avoir le plaisir de les chasser. »
Note : C’est en 1804 que le service de louveterie est fondé pour lutter contre la profusion des loups dans les campagnes. En effet, malgré les nombreuses battues organisées et l’augmentation de la prime distribuée aux chasseurs, les dégats humains et économiques causés par les loups sont énormes (A Varzy, dans la Nièvre, ils tuent sept enfants et blessent une vingtaine d’adultes). Les résultats des mesures prises ne se font pas attendre : Selon Boris Dänzer-Kantof, « en une dizaine d’années, c’est près de 15 000 animaux qui sont abattus. » |
Sources :
- François-Auguste Fauveau de Frénilly, Souvenirs du baron de Frénilly, pair de France (1768-1828), Paris, Plon-Nourrit, 1908. Ouvrage consultable sur Gallica.
- Boris Dänzer-Kantof, La vie des Français au temps de Napoléon, Paris, Larousse, collection « L’histoire au quotidien », 2003.
- Jean-Marc Moriceau, Mythe ou réalité ? Les loups mangeurs d’hommes, in L’Histoire, numéro 299, juin 2005, pages 64-69.