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La pêche au XVIII° siècle en Manche et en Atlantique

Importance pour les populations maritimes

Le jeudi 1er mai 2008, par Jean-Yves Le Lan

Parler de la pêche d’une manière générique en France au XVIII° siècle est très difficile tant ce métier à des facettes variées. En effet, il y a peu de points communs entre le pêcheur d’estuaire, le pêcheur de sardines de Bretagne Sud et le pêcheur de morues de Terre-Neuve si ce n’est que la pêche à un rôle économique important pour ces populations et participe à l’alimentation du pays.

La pêche française en 1788 [1]

Des enquêtes réalisées en 1783 et 1788, par le secrétaire d’Etat à la Marine, Castries, permettent de se faire une opinion sur le commerce maritime en France, les constructions navales et aussi la pêche.

Patrick Villiers a exploité en particulier l’enquête de 1788 conservée aux Archives Nationales [2] pour en tirer une synthèse. Cette synthèse nous montre que le poisson le plus pêché en France à cette époque était la morue qui représente à elle seule plus de la moitié de la valorisation globale française qui s’élève à 25 millions de livres. D’après Patrick Villiers, l’importance de la morue dans la pêche française est sous-estimée par l’enquête car il n’est pas pris en compte les morues vendues aux Antilles et à l’étranger et, celles vendues par les Malouins à l’Espagne et à l’Italie. Ensuite, viennent les poissons divers (frais) et le hareng. La sardine, le maquereau et la baleine représentent pour chacun qu’un faible pourcentage de la valorisation totale.

Type de pêchePourcentage
Pêche à la morue 54,6 %
Pêche du poisson divers (frais) 15,9 %
Pêche au hareng 13,1 %
Pêche à la sardine 6,2 %
Pêche au maquereau 4,4 %
Pêche à la baleine au Groenland et à la côte du Brésil 3,3 %
Apport pêches étrangères 2,5 %
Total 100 %

Pourcentage suivant le type de poisson du tonnage pêché en 1788 en France.

L’enquête permet aussi de dresser un état synthétique de l’activité des ports de pêche français en 1788. Les statistiques concernent l’achat ou la vente du poisson et non la quantité de poisson pêché par le port ; elle valorise donc la commercialisation du poisson. Il apparaît à l’exploitation de cet état que Marseille est le premier port de France pour l’achat de poisson, principalement de la morue. Elle nous montre aussi que Dieppe-Le Tréport était un important lieu de vente des produits destinés à Paris. Par contre, Saint-Malo et Granville ne sont pas mis en valeur car ils livraient leur produit de pêche dans un autre lieu.

Les hommes et les pêches

La pêche à la morue [3]

Philippe Jacquin dans son ouvrage sur les terre-neuvas, nous précise que les premiers à s’aventurer à Terre-neuve furent les Normands de Dieppe et Fécamp et les Bretons de Saint-Malo, les Rochelais et les Basques et qu’aux XVII°-XVIII° siècles, tous les ports importants de l’Ouest armèrent pour les bancs. Ensuite, il précise qu’au cours du XIX° siècle, la décrue s’amorça et que l’activité se recentra sur la Manche et la Rochelle : les flottes les plus importantes ne partirent plus que de Granville, Honfleur, Fécamp, Saint-Malo et la Rochelle.
L’équipage de ces navires était constitué d’un capitaine expérimenté ayant de l’autorité. Un pilote était embarqué pour guider le navire à terre-neuve et un chirurgien pour assurer les soins.

La pêche à la morue était considérée comme une pêche très intéressante économiquement car elle exigeait de longs embarquements et des armements conséquents pour aller sur les côtes de Terre-Neuve. Il y avait deux sortes de morues débarquées, l’une seulement salée, qui se consommait dans les provinces intérieures du Royaume, et l’autre salée et séchée, dont le débouché se faisait à Marseille pour approvisionner la Provence et le Languedoc, le surplus allant sur l’Italie et l’Espagne.

Philippe Jacquin signale que « deux types de pêche se pratiquent à Terre-Neuve.

  • 1) La pêche errante, où la prise de morue verte se fait en pleine mer ; on la sale à bord et le bateau revient à son port d’attache.
  • 2) La pêche sédentaire qui se fait le long de la côte ; quelques hommes dans une petite embarcation capturent la morue qui est ramenée à terre, salée et mise à sécher. Quelques mois plus tard, on rentre avec une cargaison de morue séchée. Cette technique permet de la conserver longtemps et de vendre dans les pays chauds tels que les Antilles et le pourtour la Méditerranée. »
(Extrait de l’ouvrage de Philippe Jacquin, La Grande aventure des Terre-neuvas)

Le Capitaine Repère un Haut-fond

La morue abonde de la mi-avril à la mi-juin. On quitte donc les ports courant février ou mars pour être sur les lieux de pêche environ un mois après. Le départ, qui coïncide avec Mardi gras et le carnaval, donne lieu à des réjouissances. L’armateur offre toujours une prime, afin que le matelot s’équipe en chemises, sabots et cirés. L’importance relative de cette somme, dans un milieu très pauvre, engendre une certaine euphorie qui conduit à des abus. On se déguise, on boit plus que de coutume, et les tavernes retentissent de chants et d’altercations.
Sur les lieux de pêche, le travail varie suivant que le navire se destine à la morue verte ou à la morue sèche. La morue verte occupe un équipage réduit, une trentaine d’hommes. A l’aller, ils ont préparé leurs lignes et construit à l’extérieur du bastingage une sorte de galerie, le " bel ", large d’un mètre et longue pour contenir 10 ou 12 pêcheurs.
Une fois « banqué », le capitaine repère un haut-fond à l’aide d’une sonde ; on se met immédiatement à l’oeuvre et le navire dérive vent de travers, le côté tribord au vent. Le lignottier jette sa ligne. Une secousse -car la morue se précipite avec force sur l’appât -, et il la relève. Un bon lignottier tire une centaine de morues par jour. La morue est ensuite accrochée par la tête à un piquet, puis elle est vidée, et jetée sur la table de l’étesteur, qui enlève la tête, les entrailles et met le foie - dont on tirera de l’huile - à part. L’habilleur, à l’autre bout de la table, enlève la grosse arête centrale. Le saleur la frotte de sel et l’empile sur les autres, dans la cale. Au bout de quarante-huit heures, les morues ayant rendu leur eau et leur sang, on les couche sur un plancher de fagots et on les recouvre de sel ; à la fin de la campagne, le mur qui s’élève ainsi touche les poutres du pont.

La pêche sédentaire demande une importante main-d’oeuvre. Les bateaux embarquent 100 à 150 hommes malgré les risques de surcharge. En arrivant à Terre Neuve, la première préoccupation est de trouver sur la côte un havre, avec un terrain nommé la " grave ", qui permet d’étendre convenablement le poisson sur une couche assez épaisse de branchages de sapin, à l’abri du sable et de l’humidité. A la pointe du jour partent des dizaines de chaloupes avec chacune trois hommes à bord. Un petit baril d’eau et du pain tiennent lieu de repas de midi. Les lignes sont amarrées sur la chaloupe et deux des hommes tirent le poisson à bord.

La pêche au poisson frais, au hareng et au maquereau

Le hareng était un poisson très abondant en Manche et en mer du Nord. Trois zones de pêche existaient en fonction des migrations pour la reproduction : le large de l’Ecosse pour se déplacer vers les eaux norvégiennes, le large des côtes anglaises pour migrer vers le Skagerrak et les harengs qui frayaient le long des côtes françaises, entre novembre et janvier, pour se rendre l’été dans la mer du nord. C’est cette dernière zone de reproduction qui concernait particulièrement les pêcheurs français et notamment les boulonnais. La pêche se pratiquait de septembre à la chandeleur et ne durait que six à huit semaines. Elle utilisait un filet en nappe dérivant : la tessure. Chaque navire embarquait entre 40 à 60 sennes liées entre-elles pour former la tessure. A bord des bateaux de pêche aux harengs, l’équipage était assez nombreux pour remonter les filets de chanvre alourdis par l’eau et pour débloquer les harengs. Les pêcheurs ne pouvaient pas vivre uniquement de la pêche au hareng, il leur fallait un complément d’activité comme la pêche au maquereau ou au poisson frais, ou bien faire du cabotage. La pêche au maquereau se pratiquait, pour une grande partie, sur les côtes d’Irlande et de l’île de Batz.
Certains marins étaient aussi matelots/cultivateurs et produisaient du chanvre pour fabriquer les filets dont la vente offrait un bon complément de revenus.

La pêche à la sardine [4]

La pêche à la sardine et aux anchois se pratiquait sur les côtes de Bretagne, de Vendée, de Provence et du Languedoc [5] . Christian Duic nous précise qu’en Bretagne la campagne de pêche à la sardine durait six à huit mois maximum. Elle remontait en banc l’été le long des côtes Atlantique. Elle apparaissait en mai à La Turballe et Le Croisic. Ensuite, elle stationnait de mi-mai à mi-octobre dans les coureaux de Belle-île et Groix, de juillet à début novembre face à Concarneau, de septembre à mi-décembre dans la baie de Douarnenez, puis elle s’éloignait des côtes. Ces débuts et fins de périodes étaient variables suivant les conditions météorologiques et chaque zone n’était vraiment concernée par la pêche guère plus de 2 mois.

La sardine était pêchée au filet droit maillant avec un appât pour l’attirer : la rogue (œufs et tripailles de poissons – hareng, morue et maquereau). Une autre technique existait la pêche au filet dérivant qui procurait des sardines plus grosses et plus grasses donc moins appréciées.
La pêche à la sardine était une pêche côtière à la journée car les embarcations rentraient pour le soir pour vendre leur pêche. Le départ avait lieu de bonne heure le matin, vers deux ou trois heures, pour être à l’aube sur les lieux de pêche. Une fois sur place, l’équipage composé de 4 à 5 hommes, sous les ordres d’un maître de chaloupe, affalait les voiles, rabattait les mats et sortait les avirons. Le filet était alors mis à l’eau, la rogue jetée par le maître de chaloupe pour attirer la sardine qui venait se mailler. Ensuite venait l’opération de démaillage des sardines réalisée par l’ensemble de l’équipage.

Cette pêche étant saisonnière, les marins étaient obligés d’avoir une autre activité pour survivre. Certains étaient agriculteurs et d’autres pratiquaient la pêche au chalut pendant le reste de l’année

La pêche à la baleine [6]

A la fin du XVIII° siècle, la pêche à la baleine se pratiquait au départ de Dunkerque et quelques navires partaient de Lorient. La pêche à la baleine s’effectuait au Groenland et dans les mers du Sud : côtes du Brésil et mers australes. Pour les mers du Nord, la campagne de pêche durait de 5 à 7 mois et pour la pêche sur les zones des mers du Sud, l’expédition avait une durée de 14 ou 18 mois. L’équipage était composé de quarante à cinquante marins. La pêche à la baleine se pratiquait à partir d’embarcations dites des pirogues mises à l’eau à partir du navire base. Ces pirogues servaient à poursuivre la baleine quand celle-ci était signalée par la vigie et la capture s’effectuait par harponnage de l’animal. Thierry Vincent, nous raconte en ces termes une séance de pêche à la baleine sur le « Groënlandais » nous donnant ainsi le rythme de la vie à bord d’un baleinier : « […] à minuit et demi, une baleine est en vue par la vigie à 200 m du « Groënlandais ». Une demi-heure après, la baleine est harponnée ; elle est assurée, une heure plus tard, par la tenue de quatre harpons. Une demi-heure plus tard la baleine, lancée, est morte et elle est remorquée jusqu’au navire en une heure et demie. L’équipage des six pirogues, remonté à bord, est alors dégagé du travail pour aller manger. Une demi-heure après, les hommes, revenus sur le pont, commencent le dépeçage qui est achevée en 4 heures et demie. »

Nous constatons donc que suivant le type de poisson, l’éloignement des lieux de pêche était variable et entraînait des moyens et des techniques de pêche très différents. La vie du pêcheur était étroitement liée au type de pêche et en particulier les rythmes de ces absences de la maison familiale. Toutefois, il y a des points communs entre tous ces pêcheurs :

  • Ils pêchent tous un produit qui est du poisson – à l’exception de la baleine qui est un mammifère marin.
  • Ils utilisent un bateau pour la pêche spécifique à chaque type de pêche.
  • Ce métier leur permet de gagner un salaire pour faire vivre leur famille.

Les bateaux

Pour la pêche, le bateau est l’outil de travail. Il était choyé par l’équipage car non seulement il était indispensable pour assurer leur métier mais il était aussi un gage de sécurité pour eux. Le bateau est d’un tonnage et d’une architecture adaptés au type de pêche. Il peut appartenir au pêcheur (seul ou en copropriété) ou à des négociants. Le marin était donc payé soit avec un salaire fixe comme sur les baleiniers ou à la part. En 1788, toujours selon l’exploitation par Patrick Villiers de la statistique de 1788, la France compte 5322 bateaux. La répartition suivant le type de poisson pêché est variable suivant la région. C’est en Atlantique que les bateaux sont surtout armés pour la pêche à la sardine et aux poissons divers. En Manche, l’activité est plus variée car les bateaux font la pêche à la morue, aux harengs, aux maquereaux, à la baleine et aussi aux poissons frais. En Méditerranée, c’est la pêche aux poissons frais qui l’emporte largement suivi par le maquereau et la sardine.

En nombre de bateaux, c’est l’Atlantique qui comporte le plus grand nombre d’embarcations suivi par la Méditerranée et ensuite la Manche. Mais raisonner sur le nombre de navire est trompeur car il n’est pas complètement représentatif de l’activité. Quand on affiche le « tonnage en tonneau » des bateaux, la Manche l’emporte largement devant les deux autres secteurs géographiques, avec ces 52 881 tonneaux de navires pour l’année 1788 représentant 67 % du port français.

PortMoruePoissons divers (frais)HarengSardineMaquereauBaleineTotal en nombreTotal du tonnage en tonneau [7]
Atlantique 103 1085 0 1325 0 0 2513 19 194
Manche 329 238 330 0 319 14 1230 52 881
Méditerranée 0 1345 0 116 118 0 1579 7 046
Total 430 2668 330 1441 437 14 5322 79 121

Les navires de pêche suivant le secteur géographique et le type de pêche, en 1788.

La pêche a donc un rôle économique non seulement pour l’activité pêche proprement dite – salaire des équipages, transformation et commercialisation du poisson - mais aussi pour toute la communauté qui gravite autour par la constitution des flottes de pêche : armateurs, fournisseurs de matériel et constructeurs de bateaux pour la construction neuve et l’entretien. Elle joue aussi un rôle important dans l’alimentation du pays et en particulier pour l’alimentation au quotidien des familles qui habitent sur le littoral.

Les bateaux étaient bien entendu adaptés au type de pêche avec des particularités régionales.

Bateaux au départ des ports de l’Atlantique

Pour la pêche à la sardine

En Bretagne sud de nombreux petits chantiers navals construisaient les embarcations pour la pêche à la sardine. Ces embarcations étaient dénommées des chaloupes et de dimensions réduites. En effet, on trouvait une multitude de chaloupes de 2 ou 3 tx, mesurant 7 à 8 mètres de long pour 2 à 3 mètres de large. Elles n’étaient pas pontées et avaient environ 1 mètre de tirant d’eau. Elles étaient équipées d’une voilure supportée par deux mats, le mât de misaine à l’avant et le grand mât au milieu. Les deux mâts étaient légèrement inclinés vers l’arrière. Ces chaloupes étaient très maniables et filaient entre 6 à 8 nœuds.

Bateaux au départ des ports de la Manche

Pour la pêche à la morue

Philippe Jacquin nous indique que les navires pour la pêche à la morue étaient construits dans les ports d’armement et que leur type était varié : pinasse (embarcation à fond plat), frégate (bâtiment léger, de forme fine, à trois mâts), ou goélette (bâtiment léger à deux mâts). Le tonnage de ces navires était relativement faible (90 à 100 tonneaux en moyenne). A la fin du XVIII° siècle, des unités de 200 tonneaux apparurent. La construction d’un navire engageait des sommes importantes : environ 10 000 livres au XVII° siècle. Sur le pont étaient stockés en même temps que les réserves de boissons, les lignes de pêche, les hameçons (les « aies ») et les chaloupes.

Pour la pêche la baleine

Les navires pour la pêche à la baleine étaient des trois mats de 200 tx à 350 tx équipés de 5 à 7 pirogues de chasse. Ces embarcations étaient maniées à l’aviron et servies par 6 hommes dont 1 harponneur, un patron et 4 matelots. Sur les navires baleiniers pour les mers du Sud, il y avait 5 pirogues suspendues à des bossoirs. Par contre, sur les navires pour le Nord, les pirogues étaient stockées sur le pont et préparées une fois sur les lieux de pêche.

Un autre élément majeur différenciait les navires pour les mers du Sud et du Nord, c’était le système de fonte des graisses de l’animal qui n’existait pas sur les navires des expéditions en mers boréales atlantiques. La graisse n’était pas fondue à bord mais conservée dans des barriques jusqu’au retour. Il n’y avait donc pas derrière le mât de misaine l’installation nécessaire à la fonte du lard de la baleine et le pont était dégagé, offrant ainsi un espace de travail pour la découpe de l’animal. En contre partie, le lard stocké dans les barriques occupait une place importante car il perdait un tiers de son volume à la fonte. Au départ, les barriques étaient remplies d’eau et logées en fond de cale pour servir de lest.

Les pirogues étaient équipées d’avirons, d’un compas de poche, de 7 lignes de 195 mètres chacune – pouvant être liées entre elles - pour laisser filer la baleine, de 2 harpons, d’un « patin » pour freiner la vitesse de fuite du cétacé, de 4 lances et de nombreux autres matériels

Pour la pêche au hareng, au poisson frais et au maquereau

La pêche aux harengs se pratiquait avec une grande quantité de filets qui nécessitait des bateaux avec des cales importantes. D’autre part, le grand mât devait être rabattable sur les lieux de pêche pour permettre à l’embarcation de dériver au gré des courants et du vent.

D’après Patrick Villiers, « Il existait trois flottes de pêches à Boulogne : deux pratiquaient un seul type de pêche, le poisson frais ou le maquereau, la troisième regroupaient ceux qui faisaient le maquereau puis le hareng. L’étude des tonnages des pêcheurs permet d’affiner cette analyse. On trouvait à Boulogne des bâtiments de 2 tx, de 4 tx et de 10 tx. La pêche au poisson frais n’employait que des navires de 2 ou 4 tx, c’est-à-dire de très petites unités dont beaucoup avaient le même nom, ce qui rend l’identification difficile. […] La pêche au hareng et au maquereau utilisait des navires soit de 4 tx soit de 10 tx. »

Les équipages des navires pour la pêche au poisson frais étaient en général permanents par contre pour les autres pêches, la pêche n’était qu’une activité temporaire, au maximum six mois dans l’année.

Le poisson dans l’alimentation

Le produit de la pêche, au XVIII° siècle, sert à l’alimentation des populations maritimes et des villes. Les populations côtières sont moins sujettes à la disette grâce au poisson. L’utilisation du poisson dans la ration alimentaire était très variable suivant l’éloignement à la mer car les moyens de distribution et de transports sont très réduits. Ainsi" le ravitaillement de Paris en poisson frais, salé et préparé pour le transport, vient de Dieppe. Pêché dans la nuit du mercredi, il est porté très vite par les charrettes des marchands chasse-marée qui arrivent aux halles par la route du faubourg Poissonnière au petit matin du vendredi ". Le poisson frais, représentant la quantité la plus importante produite après la morue, est réservé à la population habitant près des ports de pêche ; ailleurs, c’est un produit de luxe. Le poisson reste toutefois un produit marginal dans l’alimentation globale car il représente entre 1 et 5 % de la consommation générale, c’est un produit peu connu à la campagne. D’après Gérard Le Bouëdec, le poisson est un produit cher par rapport aux produits agricoles. Le poisson frais vaut soixante-cinq fois le pain, six fois la viande et dix fois les œufs. Le poisson salé est la forme la plus consommée car il est transporté facilement. La consommation du poisson est fortement influencée par les principes religieux. En effet, le calendrier chrétien impose 116 jours de maigre et dès l’époque médiévale, le poisson est considéré comme l’aliment maigre par excellence. Cette contrainte des jours maigres va avoir tendance à se relâcher et la demande du poisson va souffrir et baisser du fait de cette habitude de consommation uniquement les jours maigres [8] .

Mais le peuple de la mer, les marins et leur famille mangeaient-ils beaucoup de poissons ? Il est difficile de se prononcer sur l’alimentation à terre car les historiens ont trouvé peu de sources sur ce sujet. Alain Cabantous [9] cite le témoignage du médecin Tully sur les conditions alimentaires des classes populaires d’Ostende incluant très probablement les marins montrant que le poisson faisait partie de la nourriture mais avec une qualité laissant à désirer : « le peuple boit de la bière […] mange de la morue à moitié gâtée, du saumon et des harengs salés et surannés et autres villenies ».

Par contre, en mer, nous possédons plus d’éléments indiquant que le poisson est inclus dans la ration alimentaire du marin. Sur les navires pratiquant la navigation hauturière, il est embarqué sous forme de poisson salé et c’est ainsi que le menu quotidien de l’équipage d’un navire de la Compagnie des Indes est « [d’] une livre et demie (735 grammes) de pain frais [et de] huit onces (250 grammes) de viande salée les jours gras, ou l’équivalent en poisson et fromage les jours maigres, ainsi que quatre onces (120 grammes) de légume sec. [10] » En général, le poisson embarqué à bord de ces navires était de la morue salée.

C’est aussi le cas des navires pratiquant la pêche à la morue où la nourriture de base est principalement le pain, la viande salée et les légumes secs mais aussi le poisson frais qui est proposé à volonté à bord.

Livres conseillés :

  • 1. Histoire des pêches maritimes en France sous la direction de Michel Mollat – Editions Privat – 1987.
  • 2. Le grand marché – L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime – Reynald Abad - Editions fayard – 2002.

[1Villiers (Patrick) – La flotte de pêche dans l’activité de Boulogne à la veille de la révolution – in La pêche en Manche et mer du Nord - 18° - 20° siècles – Cahier du littoral – 1998.

[2Archives Nationales – Marine C5-58 – Balance du commerce, tableau des marchandises provenant du commerce des pêches françaises rapportées dans chaque port du royaume pendant l’année 1788.

[3Jacquin (Philippe) – La Grande aventure des Terre-neuvas.

[4Duic (Christian) – La famille Le Duic – Trois siècles d’aventures maritimes et de pêches en Bretagne Sud – Auto-Edition – 2002.

[5Etat sommaire des Archives de la Marine antérieures à la révolution – Librairie militaire de L. Baudoin – Paris – 1898 – page 466.

[6Vincent (Thierry) – Le « Groënlandais » - Trois mats baleinier des mers polaires – Editions Bertout – 1994.

[7Le terme tonnage utilisé par Patrick Villiers représente la jauge (ou port) en tonneau c’est-à-dire un volume déterminé par les dimensions du navire et non le déplacement du navire qui est une notion moderne. Le tonneau a un volume de 1,44 m³ pour une masse de 2000 livres ; la livre valant 489 grammes, 2000 livres représentent 978 kilogrammes ou 0,978 tonne.

[8Le Bouëdec (Gérard) – Activités maritimes et sociétés littorales de l’Europe atlantique 1690 - 1790– Editions Armand Colin – Paris – 1997- page 26.

[9Cabantous (Alain) – La mer et les hommes – Pêcheurs et matelots dunkerquois de Louis XIV à la Révolution .Westhoek-éditions – 1980 – pages 137 à 140.

[10Haudrère (Philippe) – Les Voyages in Les Compagnies des Indes – Editions Ouest-France – 2001 – page 71

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4 Messages

  • Bonjour d’Acadie, Nouvelle-Écosse actuelle, Canada Atlantique.
    Mon nom est Richard Laurin. Je suis historien de formation mais surtout tour opérateur spécialisé sur l’Acadie des origines càd : des 17è et 18è siècles.
    J’aimerais me familiariser avec tous les types de batiments (mais surtout les chaloupes ou bateaux de petite/moyennes tailles) qu’ont dû utiliser nos ancêtres Acadiens avant la Déportation par les Britanniques (qu’ils aient été de Basse Bretagne, Normands, Poitevins, Saintongeais, Basques Etc.) pour leurs besoins domestiques de transport et de pêcheries. merci à l’avance !

    Bien à vous !
    Richard

    Répondre à ce message

  • La pêche au XVIII° siècle en Manche et en Atlantique 26 juillet 2019 09:39, par Anik LECOMTE-HARSCOUET

    Bonjour,
    C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu votre article.
    J’ai toujours entendu mon père dire qu’un de nos ancêtres était terre neuvas. Tradition orale mais jamais d’autres informations ne m’ont été fournies. J’ai entamé depuis de nombreuses années notre arbre généalogique et j’ai retrouvé deux ancêtres "marin" né respectivement en 1858 et 1818. Serait-ce eux ? Je n’arrive pas à trouver sur internet d’archives en ligne de rôles d’embarquement.
    Pourriez-vous, à tous hasard, me dire si ces archives existent et sur quel site.
    Merci par avance pour votre réponse.
    Cordialement.
    Anik Lecomte-Harscouët.

    Répondre à ce message

    • La pêche au XVIII° siècle en Manche et en Atlantique 26 juillet 2019 10:20, par Jean-Yves Le Lan

      Bonjour,

      Les archives de l’inscription maritime sont détenues dans les différents centres du Service historique de la Défense (Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon). Il vous faudrait donc vous adresser à ces services en fonction du lieu d’où étaient originaires vos ancêtres.

      Je ne pense pas que la totalité de ces archives soit en ligne.

      Bien cordialement

      Jean-Yves Le Lan

      Répondre à ce message

  • bonjour !
    C’est avec plaisir que j’ai lu votre article sur les Terrreneuvas.
    Je suis moi même fille de marin.. Mon père Francis a été embarqué à 12 ans (vers 1927)..
    et j’avais un oncle patron de doris
    merci encore

    Répondre à ce message

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