- Le marché aux fruits et légumes Meulan vers 1900
Depuis les origines le Mantois et le Vexin sont des pays de fruits et de légumes. Le pommier pousse partout, poiriers et pruniers sont en abondance dans le Serve et la vallée de la Vaucouleurs, l’Arthies cultive les cerisiers et à Villiers les cerises sont renommées. L’abricotier, le pêcher sont un peu plus rares mais on les trouve cependant en compagnie d’amandiers et de figuiers sur les pentes les plus ensoleillées de la vallée de la Seine de Bennecourt à Guernes !
Il y a aussi, au temps de nos ancêtres, en plein champ, de beaux noyers, des « caloquers » : leur nom populaire, mais on n’apprécie moins les cognassiers, les cornouillers et les néfliers. Dans presque tous les jardins les allées sont bordées de fraisiers, framboisiers, groseilliers, « guédelliers » comme on les appelle, à grappes et à maquereau.
Mais le paysan ne tire guère partie de tous ces fruits ! En général les poires et pommes sont vendues sur pied à des ramasseurs qui les revendent sur les marchés à Mantes, Vernon, Rouen et jusqu’aux Halles de Paris, mais il en pourrit beaucoup sur les arbres. Pourtant certains propriétaires tentent de conserver les meilleurs fruits...
On coupe les grappes de chasselas blanc et on le suspend aux solives de la cuisine ou du fournil où elles sèchent pendant l’hiver. Après les avoir rafraîchies dans l’eau, on les mange en janvier ou février. Les pommes et poires sont gardées jusqu’en mars/avril dans le cellier ou dans le grenier. Lorsqu’il fait très chaud, on expose les prunes sur des claies d’osier et l’on achève de les sécher au four après la cuisson du pain. Les prunes deviennent ainsi des pruneaux ridés constituant un fort bon dessert.
Le paysan met également des prunes et des cerises à l’eau-de-vie dans des bocaux de verre que l’on sort les jours de fête, lorsque l’on reçoit des amis, de même le cassis...
Mais tous ces fruits servent également à élaborer de succulentes confitures.
Pour les prunes, les reines-claudes, abricots, il faut d’abord dénoyauter « l’enuyautage » en langage du Mantois, auquel bien sûr toute la maisonnée participe y compris les enfants.
Les groseilles ou « guédelles » blanches ou rouges, étant égrenées, ébouillantées, et pressées dans une toile grossière, un charrier, sont mises dans le large chaudron en cuivre rutilant qui recueille le jus visqueux auquel on ajoutera le sucre cristallisé suivant le poids des fruits.
- La saison des confitures…tableau d’Émile MUNIER
Dans la cheminée sur le feu doux, on laisse bouillir les confitures réduisant dans leur chaudron. L’écume d’un blanc rosé, remonte à la surface, la ménagère alors l’enlève à l’aide de son écumoire et la distribue aux enfants qui l’attendent avec impatience et s’en barbouillent mains et visage avec délectation.
Les confitures étant cuites, elles sont versées dans les pots de verre que l’on recouvre d’une feuille de papier blanc que l’on ficelle, puis on retourne les pots afin que l’air circule et dès qu’elles seront refroidies elles seront rangées soigneusement sur le haut de la grande armoire familiale afin d’y vieillir… peu de temps en réalité ! On les conserve cependant d’une année sur l’autre car la prévoyance paysanne n’aurait pas admis qu’on mangeât pendant l’hiver, celles de l’automne précédent.
Voilà pour les réjouissances frugales… Voyons un peu maintenant ce que nos ancêtres du Mantois et Vexin mangeaient tout au long de l’année – En fait tout dépendait des villages du Vexin. Dans certains cantons on fait plusieurs déjeuners et l’on mange de la viande, surtout du porc salé qui est la nourriture ordinaire, peu de viandes de boucherie à savoir le bœuf (uniquement le dimanche ou jour de fête ou… en cas de maladies) du mouton parfois mais jamais de veau beaucoup trop cher.
On déjeune également de pain et de fromage, œufs, laitage, harengs frais ou salé, haricots, choux, navets, salade dans laquelle entrent un peu d’huile et beaucoup de vinaigre. Quelquefois une fricassé de lapin bien dodu du clapier accompagné d’une salade avec des œufs durs… Du boudin, des saucisses, des tranches de porc grillées : font tout le régal de nos paysans.
Avant la Révolution, le pain est souvent fait d’orge pure mélangée quelquefois à l’avoine ! Après la Révolution, le pain devient bis fait de seigle et d’orge ou de blé et seigle. À partir du 19e siècle début 20e le pain de farine de froment est consommé.
Avant la Révolution on cuisait soi-même son pain à la maison ! La boisson était le cidre mais aussi un peu de vin.
Dans les familles ouvrières on faisait souvent la soupe au salé ! Les dimanches et jeudis on ne touchait pas au morceau de viande au principal repas : un peu de soupe et des légumes suffisaient. Le morceau de lard était réservé au dîner du soir ou, pour être emporté le matin aux champs. Petit à petit les repas deviendront mieux équilibrés et surtout plus riches. D’ailleurs tout va de pair : vêtements plus gracieux, maisons plus coquettes, et nourriture plus appropriée à une santé saine.
Dans certains villages reculés, en 1830, on ne connaît même pas la viande de boucherie ! Elle est totalement inconnue et l’on ne se contente que du porc salé ou frais. La principale nourriture reste le légume avec le pain, un oignon et la soupe au pain ou au lait le soir. Les jours de fête on mange le cochon ! Dès 1850, le bœuf fait son apparition sur quelques tables privilégiées. La boisson habituelle étant là aussi le cidre, on ne commencera à acheter du vin qu’à partir de 1870.
- Le repas de fête… au 17e siècle
Dans le canton de Limay la nourriture est peu variée. Une fois par semaine on sert le pot-au-feu le dimanche. Comme viande, du bœuf un peu de mouton ou de veau, beaucoup de porc frais ou salé. Un peu plus loin dans le canton de Bonnières on se nourrit d’œufs, de laitage, de poisson frais ou salé, de légumes : haricots, choux, navets, poireaux, carottes et pommes de terre.
Il est étrange de constater que dans une même région les repas divergent selon tel ou tel village.. Tout dépend de la richesse du village. Limay regorgeant de vignobles on y boit également du vin mais également un petit cidre dit « de Limay » qui a son heure de gloire...
On ne boit le café que le matin ou l’après-midi aux champs auquel on ajoute alors la « rincette », entendez-par là la petite eau-de-vie fabriquée à la ferme avec les noyaux et les vieux fruits mis en tonneaux et que l’alambic ambulant vient distiller une fois par an.
Les repas ont généralement lieu à midi tapant pour ce qui est de la première moitié de journée et le soir vers huit heures en été mais à six heures en hiver. Très peu font de collation à quatre heures sauf lorsque l’on est aux champs et qu’il faut reprendre du cœur à l’ouvrage en milieu d’après-midi.
Curieusement on ne trouve guère de volailles dans le repas de nos paysans ! Est-elle réservée uniquement aux familles bourgeoises ? Seul le lapin est servi aux amis ou parents les jours de réceptions familiales ! C’est que les paysans en élèvent tellement de lapins qu’il faut bien en sacrifier un de temps à autre.. Le poulet bien gras et dodu lui sera vendu sur le marché par la paysanne avec ses œufs...
C’est vrai que les prix sont élevés entre 1834 et 1840 et tendront à diminuer vers la fin du 19e siècle...
Le pain a trois qualités : la première, la seconde et le Méteil, le prix oscille entre 0,17 franc et 0,22 le ½ kilo dans certains cantons ; quant à la viande Bœuf, Veau, Mouton, Porc cela se tient quelque peu à 0,70 franc le ½ kilo – Si le prix du pain diminue à la fin du siècle, celui de la viande augmentera entre 0,85 franc le ½ kilo et jusqu’à 1,15 franc toujours pour le même poids selon les viandes.
Le vin et le cidre quant à eux sont : Pour le litre de vin ordinaire consommé dans un ménage à 0,60 franc entre 1834 et 1840 et diminuera à 0,54 franc en 1899. La bière ordinaire restera au même tarif 0,30 franc le litre et le cidre 0,15 franc du litre passera à 15 francs la pièce en 1899 !
- On a tué le cochon !
En fait à la campagne, le nombre des repas varie suivant les saisons et la longueur de la journée de travail.
La cuisson s’effectuera longtemps sur le feu de la grande cheminée de la salle commune dans des marmites en terre ou des cocottes en fonte que l’on posait sur un trépied rond de fer forgé. À la fin du Second Empire, l’usage à la campagne, est au poêle-cuisinière en fonte à plusieurs foyers, avec son four à rôtir et son bassin à eau chaude... Ces cuisinières perdurèrent au moins jusqu’après la seconde guerre mondiale… Je me souviens que le premier levé de mes parents l’allumait en se levant de manière à ce que nous ayons bien chaud en descendant à notre tour de nos chambres et puis, sur le coin, ma mère gardait toujours une cafetière au chaud et l’eau qui, depuis le matin, était devenue chaude, servait à nos toilettes. Elles étaient solides ces vieilles cuisinières à charbon et bois, faisant quasiment toute une vie ! Mes parents l’avaient acquise en 1934, elle les suivit partout jusqu’à leur retraite en Alsace où la cuisinière continua ses fonctions jusqu’à leur départ définitif.. Dans les années 80… la cuisinière, elle, était toujours aussi solide, aujourd’hui encore remisée dans un hangar, elle redemanderait, sans doute à fonctionner, si besoin s’en faisait sentir !
Petit à petit l’alimentation de nos aïeux va s’améliorer, tout comme leurs conditions de vie. Cependant, dans nos campagnes encore aujourd’hui certains casse-croûte sont encore bien tenaces, les plats régionaux ont toujours la cote, pot-au-feu, potée, backaeoffa en Alsace remplaçant avantageusement la choucroute qui est un plat moderne, le backaeoffa étant beaucoup plus ancien.
C’est un plat que les ménagères préparaient la veille et emmenaient chez le boulanger du village à cuire dans son four (d’où son nom qui veut dire Boulanger) les jours de lessive (le lundi), et qu’elles reprenaient au retour, pour nourrir toute la famille. Chaque région à « son plat » venant du fond des âges, bien souvent fait de légumes et de viande de porc ou d’agneau.. La soupe reste encore bien appréciée le soir dans nos campagnes, suivie de quelques œufs ou de jambon. Et fruits pour dessert.
De tout temps nos aïeux ont su se nourrir, pas toujours à leur faim hélas, mais, les paysannes faisaient souvent des miracles, avec quelques farines de gruau et quelques œufs, deux ou trois légumes du potager et le repas se déroulait dans la maison devant le feu de l’âtre, où chacun y allait de son souvenir du jour passé.
- Allégorie de la nourriture bien grasse…
La peinture fameuse des frères Le Nain représente-t-elle donc mieux la famille paysanne à table, avec la nappe blanche, la miche dorée, le vin clairet et la simplicité honnête du mobilier et du costume, s’interroge Pierre GOUBERT dans son admirable analyse de la vie quotidienne des paysans au 17e siècle.. ? Sans doute pas, parce que la nappe trop blanche et le vin sont de trop ainsi que la tranche de pain elle aussi trop blanche pour être vraie !
Ces grands dévots rigoureux que furent ces peintres, n’ont-ils pas simplement voulu donner une représentation symbolique, transparente, légèrement populaire de la célébration de la Cène, avec justement le pain, le vin et la blancheur du linge ?
Autrefois le pain provenant du « bled » (ou blé), se définissait comme toute céréale servant à faire du pain. Pas seulement puisque nous l’avons vu : l’orge, l’avoine et même le millet, le sarrasin, le maïs également (introduit au début du 17e siècle), entraient fréquemment dans la composition de bouillies, crêpes, galettes bien épaisses non pas destinées seulement aux enfants ou aux édentés car très molles, mais à la consommation courante dans certaines provinces, en Bretagne et en Aquitaine par exemple.
Le pain demeure cependant le symbole religieux de base de la nourriture même chez les paysans aisés ; rompre le pain demeurera très longtemps un geste solennel réservé au père de famille à chaque début du repas qui y faisait, sur la croûte, le signe de croix avant de le couper. Mais quel pain ! Pas celui que nous mangeons désormais, mais un pain réellement de campagne, noir, avec un mélange de farines plus ou moins goûteux, principalement fait de méteil en île de France comme nous l’avons vu ci-dessus.
Ce pain est cuit dans le four communal bien souvent, que l’on appelle « le four banal » mais également dans le fournil de la ménagère dans les campagnes reculées qui n’ont aucun four communal à des kilomètres à la ronde.
Mais n’oublions pas non plus les disettes où tout manquait : le pain, principalement, du fait de la rareté des récoltes, due aux intempéries bien souvent, où aux guerres qui ravageaient les campagnes. D’où un coût exorbitant du prix des farines obligeant le paysan à se priver de cette nourriture céleste. On se servait alors de vieilles farines, moisies la plupart du temps, on mélangeait orge, seigle, avoine à toutes sortes d’autres graines déterrées et à demi-germées, des fèves écrasées, des vesces, des glands disputés aux porcs, des trognons de choux, des racines de fougère, des feuilles de n’importe quoi, parfois même des écorces d’arbres et cela contentait l’estomac.
L’usage de ces ingrédients est attesté dans nombreux actes, par des témoignages officiels privés, laïques, ecclésiastiques, littéraires : le Roi Louis XIV l’a admis lui-même dans ses Mémoires (1662), Bossuet l’a proclamé en chaire, et de nombreux curés l’ont consigné dans leur registre paroissial.
Par certaines régions, l’on verra même des paysans, privés de tout, déterrer des charognes, aller roder près des « tueries » urbaines pour avaler les boyaux des bêtes abattues pour les riches bourgeois et nobles, ce qui produisait, on se l’imagine, forces maladies contagieuses par les eaux et déjections entraînant des décès par milliers.
Tous ces horribles moments nos ancêtres les ont vécus, principalement au 17e siècle avec les guerres incessantes des grands de ce monde et, dans l’Est, la guerre de 30 ans (1618-1648) qui fera d’énormes ravages, réduisant à néant certains villages où il ne restait plus que cadavres et bêtes mortes dit un registre paroissial !
Chaque époque a eu son lot de misères et la nourriture réduite à néant, aussi de quoi nous plaignons-nous aujourd’hui, alors que nous avons, dans nos sociétés modernes et de grande consommation, tout ce que nous souhaitons sous la main !
Bien sûr la misère est toujours là, à nos portes, et de plus en plus, il semble difficile à certains de trouver pain à leur faim, mais la solidarité fait, qu’en définitive, rares sont ceux mourant de faim.. Alors que du temps de nos aïeux, tous les jours, un pauvre hère succombait au manque de pain..
Sources : D’après La vie rurale dans le Mantois E. Bougeâtre, - Pierre Goubert Les Paysans Français au XVIIe siècle et mes propres recherches.
- Le repas des Frères LE NAIN