- Armoiries de la famille de Chivallet : « De Gueules au cheval échappé, (alias Gai), d’argent. Devise : liberté aiguillonne ».
Extrait de l’« Armorial du Dauphiné », M. Rivoire de la Batie, Lyon, 1867
Etymologie : Chivallet est le diminutif de « chival », petit cheval.
J’ai voulu en savoir plus et notamment quel était la place de cette famille dans cette société alors extrêmement hiérarchisée et dans laquelle l’état de naissance déterminait les droits et les devoirs des individus. Il n’était pas impossible mais très difficile de déroger à ses obligations conditionnées par son appartenance à un ordre et à sa place dans celui-ci.
Les anciens nobiliaires et les armoriaux m’ont été d’une grande aide et ont bien complété les informations glanées dans les registres paroissiaux et d’état civil. De nombreux actes notariés retrouvés aux Archives Départementales de l’Isère ont également apporté leurs lots de précieuses informations. Plusieurs ouvrages mentionnés en bibliographie à la fin de cet article ont été très utiles afin de comprendre à quoi correspondaient concrètement les différents titres et métiers militaires des membres de la famille de Chivallet, présents sur plusieurs champs de bataille qui ont marqué l’Histoire.
La noblesse et l’armée royale aux XVIe et XVIIe siècle
Le ban, l’arrière-ban et le prestige des ordres de chevalerie
Les premiers membres connus de la famille de Chivallet ont vécu au XIIIe siècle. Mais la plupart des anciens documents parvenus jusqu’à nous ne datent que du XVIe siècle.
En ce temps-là il n’y a pas encore d’armée régulière, au grand dam du roi de France qui ne sait jamais précisément de combien d’hommes il disposera lorsqu’il part guerroyer. À sa demande les membres de la noblesse sont tenus de se présenter en armes lors de la convocation du « ban » et de « l’arrière-ban ». Il s’agit d’une organisation féodale impliquant la réunion des vassaux du roi ainsi que des vassaux de ces derniers. C’est « l’impôt du sang », le service militaire noble et obligatoire en quelque sorte. Dans ce système l’argent comme toujours est le nerf de la guerre et l’équipement coûte très cher : il faut un cheval, une armure et une arme. Certains membres de la petite et de la moyenne noblesse ont des difficultés financières et sont quelquefois renvoyés chez eux faute d’un équipement suffisant. D’autres un peu plus aisés peuvent participer mais sont parfois mis en difficulté voire ruinés par le nombre importants de campagnes notamment sous François Ier.
Gaspard de Chivallet de Chamont est le premier de la famille dont on peut retrouver quelques traces écrites. Chevalier appelé au service du roi François Ier, il prend part aux guerres d’Italie dès 1523 aux côtés de son jeune frère Pierre de Chivallet, qui lui est archer. Le titre de chevalier indique que Gaspard fait partie de la noblesse d’épée, capable financièrement de se présenter sur le champ de bataille muni de son cheval, de son armure et d’une arme ; mais il ne fait pas partie de la « grande » noblesse car il ne possède pas de fief de dignité qui aurait pu lui conférer le titre de pair, duc ou bien comte par exemple. La qualité d’archer de Pierre le cadet confirme l’appartenance de la famille de Chivallet à une famille noble, aisée mais sans plus : les termes d’une ordonnance royale de 1515 indiquent que l’archer était le subalterne d’un homme d’arme ayant le statut de capitaine et disposant de plusieurs gentilshommes -au bas de l’échelle noble- et archers – juste « au-dessus » des gentilhommes - à son service.
En Italie les deux frères de Chivallet sont sous le commandement du fameux Chevalier « sans peur et sans reproche », Pierre Terrail seigneur de Bayard, noble originaire comme eux du Dauphiné. Ce dernier mourra au combat avant le désastre de la Bataille de Pavie en 1525 à l’issue de laquelle le roi en personne sera fait prisonnier.
Le fils de Gaspard de Chivallet de Chamont, également prénommé Gaspard, est Capitaine et membre du Parti catholique qui s’oppose aux Protestants lors des guerres de religion de la seconde moitié du XVIe. Ce conflit qui débute en 1562 sous la régence de Catherine de Médicis se clôture par la promulgation de l’Édit de Nantes en 1595. La succession de conflits qui marque cette période coûte fort cher à la noblesse française.
Parmi les membres de la famille de Chivallet, certains appartiennent à un ordre de chevalerie militaire catholique.
Le fils du Capitaine Gaspard de Chivallet, Pierre de Chivallet de Chamont, est Chevalier de Malte. Son frère André de Chivallet de Chamont porte le titre de chevalier hospitalier de Saint-Jean-de-Jérusalem en 1601. L’ordre des chevaliers de Malte est issu de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem instauré au XIIe siècle pour aider et soigner les pèlerins lors des croisades. Il devient un ordre militaire par la suite. Les deux titres sont employés indifféremment, l’un ou l’autre apparaissant dans les actes.
Les frères de Chivallet ont ainsi participé à la défense de Malte contre les Turcs Ottomans et porté la cape noire de l’ordre, ornée d’une croix blanche. Dans le monde chrétien la participation à cette organisation procure beaucoup de prestige et nombreux sont les nobles à souhaiter l’intégrer. Les chevaliers de Malte se sont en effet illustrés notamment lors de la fameuse Bataille de Lépante en Grèce en 1571, au cours de laquelle la flotte chrétienne a mis en déroute la flotte turque emmenée par le puissant général Ali Pacha.
L’un de leurs descendants, un cadet nommé également Pierre de Chivallet, porte les titres militaires suivants dans différents actes : chevalier de Malte, chevalier de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, commandeur de Montceau en 1644, commandeur de Bellecombe en 1660 et commandeur de Chamont (Montceau, Bellecombe et Chamont sont des terres situées dans l’Isère). L’emploi du terme « commandeur » signifiant aussi que Pierre est membre d’un ordre chevaleresque, plutôt que celui de « seigneur » d’une terre, lui permet d’insister sur son engagement militaire et de se mettre en avant selon les circonstances ; cela démontre s’il en était besoin le prestige procuré par de tels titres aux 16e et 17e siècles.
- « …de noble Pierre de Chevallet, commandeur d’une commanderie en l’ordre de St Jean de Hierusallem mon frère … », extrait du contrat de mariage de Jacques de Chivallet et de Claudine du Faurès, 6 novembre1638, copie de 1713
(Archives Départementales de l’Isère, cote 3 E 327).
Son fils César de Chivallet de Chamont, né en 1671, est lieutenant-colonel dans un régiment de cavalerie. Le titre de lieutenant-colonel créé quelques années auparavant est attribué au plus ancien capitaine du régiment et lui permet de diriger le premier bataillon de ce régiment. César a donc servi de longues années avant d’atteindre ce grade et a peut-être participé à la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), déclenchée suite à la politique d’annexions de Louis XIV et entraînant contre lui une large coalition européenne, et certainement à la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714).
Le prestige procuré par l’engagement militaire des nobles a toutefois un coût.
Jean-Baptiste de Chivallet, l’aîné de la branche de Chamont, vers 1693, occupe une place importante dans la hiérarchie militaire puisqu’il commande le ban et l’arrière-ban de la noblesse du Dauphiné de même que l’avait fait le chevalier Bayard un siècle et demi avant lui. Il participe aussi à la guerre de la Ligue d’Augsbourg. En 1693 notamment l’armée française connaît quelques victoires aux Pays-Bas et en Piémont où probablement il se trouve également.
Il y a donc un revers à cette gloire qui rejaillit sur toute la famille de Chivallet. Jean-Baptiste se marie tardivement à cause de la pratique de la guerre et de son coût. Les principales difficultés financières de la famille sont à imputer à son père Jacques et sont dues (d’après les actes que j’ai pu consulter) à la fois à une mauvaise gestion de la part de ce dernier et aux dettes contractées pour faire la guerre, accumulées au fil du temps. Ainsi Jean-Baptiste né en 1644 ne se marie qu’en 1696 avec Dame Espérance de Claveyson. Ils ne donneront naissance qu’à une seule fille, Anne Claudine Espérance de Chivallet de Chamont, qui devra se marier avec son cousin germain, Jean-Baptiste de Chivallet de la Garde, afin que les biens de Chamont restent dans la famille. Son engagement au service du roi a bien failli causer la fin de cette lignée.
Les nobles et les évolutions de l’armée royale au XVIIIe siècle
Des troupes régulières et le titre de « Chevalier » comme récompense
À la fin du règne de Louis XIV la pratique de la guerre se modernise, s’organise et l’existence de troupes régulières devient indispensable. Le ban et l’arrière-ban, désormais institutions obsolètes, disparaissent. Mais en pratique un conflit coûte toujours beaucoup d’argent à la noblesse : quand un noble achète une charge de capitaine il lui revient de lever sa propre compagnie et les troupes sont désormais soldées. Les nobles constituent donc les cadres de la nouvelle armée. Toutefois le pillage étant de mise les gains sont souvent supérieurs à l’investissement de départ et faire la guerre devient « rentable » tout en continuant de procurer un pouvoir politique et une aura non négligeable, mise en avant dans les actes.
Noël de Chivallet, issu d’une branche cadette, est major de cavalerie au régiment de Villequier en 1733, ayant pour devise l’expression latine « Nec pluribus impar », « À nul autre pareil ». Ce régiment a de nombreuses campagnes à son actif, notamment durant la Guerre de Succession de Pologne (1733 – 1738). L’un des théâtres d’opération de ce conflit européen opposant les Bourbons et les Habsbourg d’Autriche est à nouveau l’Italie. Cette fois la France est l’alliée du Piémont et lorgne sur la Lombardie ainsi que sur le Duché de Parme. Noël de Chivallet est alors présent et meurt d’ailleurs en Italie avant la fin de cette guerre.
Benoît de Chivallet, seigneur de Chamont et de la Garde, est l’aîné et l’héritier de la famille au XVIIIe siècle. Il effectue une carrière militaire au sein des régiments d’infanterie de Monaco et de Bretagne au service du roi Louis XV et participe probablement à quelques campagnes de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) close par le fameux Traité de paix d’Aix-la-Chapelle. Il atteint le grade d’officier lorsqu’il est gravement blessé et infirme à l’âge de vingt-cinq ans. Sa carrière interrompue il est tout de même « Chevalier ». Le titre de Chevalier change de sens au XVIIIe siècle et devient une récompense pour services rendus au combat. Les fils de la famille de Chivallet qui effectuèrent une carrière militaire se virent ainsi attribuer ce titre, personnel et non héréditaire. Il permettait de bénéficier de privilèges tels que la dispense du service militaire pour les hommes encore en âge d’aller au combat, ou bien le droit de porter des vêtements d’apparat les distinguant des simples écuyers.
- « messire Benoît de Chivallet de la Garde de Chamond, chevalier, ancien officier dans les régiments de Monaco et de Bretagne, infanterie, … », extrait de son acte de mariage avec Suzanne Jourdan de Saint-Lager, Ainay, 12 juillet 1747
(Archives municipales de Lyon, cote 1GG370).
Après avoir fait la guerre Benoît se marie à trois reprises et comme tout chef de famille noble, il place ses enfants selon un avenir tout tracé pour eux : à l’armée ou en religion pour les garçons, en religion ou auprès d’un mari avec une bonne situation pour les filles. Mais cela aussi a un coût. La famille de Chivallet de Chamont semble alors encore en difficultés financières : grâce à ses états de service militaire et du fait de sa « pauvreté », Benoît parvient à placer sa fille aînée Françoise-Espérance à Saint-Cyr, en 1763. Créée par Madame de Maintenon en 1686, l’institution accueille en effet des filles de condition noble – il faut justifier de sa condition de noble sur quatre degrés - dont le père était mort pendant le service ou hors d’état d’assumer financièrement leur éducation du fait de dépenses de guerre.
Le frère cadet de Benoît, Abel de Chivallet de la Garde, s’engage lui aussi dans l’armée royale et peut effectuer tout une carrière au service de Louis XV. En 1749 alors qu’il est âgé de vingt-quatre ans il est « Capitaine d’un royal vaisseau ». Il s’agit d’un grade d’officier pour lequel il a reçu une commission du roi afin de lever une compagnie ou pour mener sous ses ordres une compagnie déjà formée. En 1768 il devient « Chevalier de Saint-Louis » sur décision du roi. Cette marque d’honneur était réservée aux officiers français de religion catholique, nobles ou roturiers, et pour services rendus. Il se voit alors attribuer un brevet de pension de quatre-cents livres ainsi que cela se pratiquait pour les membres de l’Ordre militaire et honorifique créé en 1693 par Louis XIV. En novembre 1771 il devient « Major de la ville de Vienne » à l’âge de quarante-six ans. Il gravit donc un échelon supplémentaire dans la hiérarchie militaire et obtient ce grade supérieur qui lui confère une capacité de commandement. Les majors d’infanterie étaient en effet choisis parmi les capitaines. Nombre d’entre eux exerçaient leur activité en-dehors des régiments et étaient commandants d’une forteresse ou d’une ville.
- 3e ligne : « Abel de Chivalet de la Garde, capitaine d’un royal vaisseau … », extrait de l’acte de mariage de Marie-Reine de Chivallet d’Aiguebelle, 20 octobre 1749, à Eyzin
(Archives départementales de l’Isère, table 9 NUM/AC160/5).
L’étude de ces quelques exemples de grades et de titres militaires, en plus d’apporter des renseignements précieux sur la famille de Chivallet, m’a permis d’inscrire leur histoire personnelle dans la grande Histoire et de mieux saisir la contribution de la petite noblesse à la guerre, omniprésente dans la société d’alors.
Bibliographie et sources historiques :
- « Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen-Age », J. Verger, J. Paviot, Paris, 2000
- « L’impôt du sang », H. Drévillon, Paris, 2005
- « 1515, Marignan », A. Sablon du Corail, 2015
- « Nobiliaire universel de France ou recueil général des généalogies historiques des maisons nobles de ce royaume », vol.4, M. de Saint-Allais, Paris, 1873
- « Annuaire du Conseil héraldique de France », disponible sur Gallica
- « L’Armorial du Dauphiné », M. Rivoire de la Batie, Lyon, 1867
- De l’usage des fiefs et autres droits seigneuriaux, Salvaing de Boissieu, Grenoble, 1731
- Dictionnaire de l’Ancien Régime, Ss dir. L. Bély, Paris, PUF, 1996
- Dictionnaire de l’Ancien Régime du royaume de France, JM. Thiebaud, Besançon, 2009.
- Registres paroissiaux, Archives départementales de l’Isère et du Rhône.