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La généalogie dans ses murs : « La maison de famille », une demeure généalogique

Le vendredi 7 mai 2021, par Philippe de Ladebat

Traditionnellement réservées aux périodes de vacances et de réjouissances familiales, les maisons de famille ont souvent joué un rôle de révélateurs des forces et vulnérabilités familiales. Elles ont offert en outre dans les années de la pandémie 2020, un refuge à des familles citadines. Ce nouveau contexte a ainsi confirmé et renforcé le fondement généalogique de ce type de demeures en rapprochant des générations et en ravivant ou renouvelant des relations d’habitude épisodiques ; pour autant cette promiscuité subie a aussi pu révéler, réveiller ou exacerber des tensions ou des conflits latents. L’avenir nous dira ce qui en résultera pour les maisons de famille dont le déclin et le retour ont été tour à tour augurés.

Une maison de famille à Nohant : 
 
« J’avais la maison de mes souvenirs pour abriter les futurs souvenirs de mes enfants. A-t-on bien raison de tenir tant à ces demeures pleines d’images douces et cruelles, histoire de votre propre vie, écrite sur tous les murs en caractères mystérieux et indélébiles, qui, à chaque ébranlement de l’âme vous entourent d’émotions profondes ou de puériles superstitions ?... La vie est si courte que nous avons besoin, pour la prendre au sérieux, d’en tripler la notion en nous-mêmes, c’est à dire de rattacher notre existence par la pensée à l’existence des parents qui nous ont précédés et à celle des enfants qui nous survivront. » George Sand, Histoire de ma vie, 1855.

L’épidémie des années 2020 et les périodes de confinement obligatoire ou volontaire semblent avoir réveillé ou suscité l’intérêt des citadins pour les résidences secondaires hors des villes, ainsi que pour la transformation de résidences, jusqu’ici secondaires, en résidences principales grâce au développement du télé-travail et de la communication par video à distance. En même temps les possibilités de voyages ou séjours hors de nos frontières s’étant raréfiées, les attraits et le goût pour des hébergements familiaux en France sont réapparus.

La possession d’une maison de famille, considérée comme un trait distinctif des classes sociales aisées jusqu’à la seconde guerre mondiale, s’est plus largement popularisée dans la société française à partir des années 1950.

Sur les 36 millions de logements recensés en France aujourd’hui par l’INSEE, cet organisme en qualifie 3,5 millions de « Résidences secondaires » ou « Logements de villégiatures occasionnelles pour des périodes de courte durée » généralement situés à la campagne, en bord de mer ou à la montagne. Parmi elles, on désigne traditionnellement comme « maison de famille » une résidence secondaire qui appartient à une même famille, le plus souvent depuis plusieurs générations et/ou désignée comme telle par la volonté de l’un de ses propriétaires et, dès lors, utilisée et considérée comme lieu de référence symbolique, identitaire, expression d’une parentèle généalogique.

Comme ancrage et demeure de la mémoire familiale, la maison de famille s’inscrit ainsi dans le temps par références aux généalogies de ses hôtes, tout en leur offrant , dans le présent, un lieu de rencontres et d’échanges entre parents, enfants et générations successives ; elle peut aussi rappeler un attachement particulier d’une famille à une région de France et confirmer ou actualiser le sens ou l’esprit de la famille sur un ensemble de valeurs, forces et vulnérabilités familiales.

Pour autant, si l’on a pu parler de la maison de famille comme d’un lieu d’accueil généalogique, certains ont pu y voir aussi un révélateur ou même un générateur de conflits familiaux. Le nombre et la diversité des membres de la famille pouvant alors entraîner des insatisfactions voire des tensions, des rivalités ou des divisions à bases relationnelles et/ou financières. C’est dans ces différentes perspectives qu’on veut évoquer ici la maison de famille dans ses rapports fondamentaux avec les généalogies de ses hôtes.

Un anniversaire en famille

On a fêté ce jour là l’anniversaire des 90 ans du grand-père dans la maison de famille. Une quarantaine de ses descendants et pièces rapportées représentant quatre générations sont réunis dans une grande longère aux environs de Vannes. Cette année un des petits-fils est passé le matin pour installer le diaporama vidéo qu’il va projeter sur un grand écran devant la famille rassemblée.

Sur l’air de piano préféré de l’aïeul, des séquences de films et des photos sous-titrées défilent lentement au rythme des commentaires complices ou humoristiques de l’assistance et parfois de ses applaudissements spontanés : naissances, Noëls, célébrations diverses, vacances, réunions de famille, mais aussi deuils avec les images projetées de proches disparus.

À la fin du défilé des portraits ou évènements familiaux , et tel un dernier membre de la famille accueillant tous les autres, apparaît la grande longère blanche aux volets bleus et toit de chaume avec ses massifs d’hortensias bleus et son nom marqué sur le portail : « Ti Familh ». L’ image de la maison de famille fait vibrer et applaudir à l’unisson toutes les générations présentes.

Comme le mur de l’escalier qui mène au grenier aménagé pour les enfants, est décoré par un grand arbre généalogique dessiné et peint à même le mur par l’artiste de la famille, les conversations se poursuivent sur les marches. Au rez de chaussée on trouve bien sûr la photo de l’ancêtre en gros plan en noir et blanc, puis en montant on découvre les quatre générations qui lui ont succédé dans la maison. Les dernières ramifications qui ornent les murs du palier portent les prénoms des derniers nés avec leurs photos suivies de cases encore vides pour la cinquième génération à venir.

Que l’arbre généalogique soit confectionné sur un modèle ou ainsi créé de toutes pièces par l’artiste ou bricoleur de la famille, quoi de plus indiqué pour décorer une maison de famille. Nul doute que cette décoration ou chacun trouve sa place suscitera toujours des commentaires et des questions, jouant un rôle pédagogique et d’explication des parentés pour les plus jeunes. On ne saurait pas mieux assujettir la maison de famille à la généalogie.

Á l’heure du goûter on se retrouvera tous au salon pour partager des parts de kouign-amann en compulsant des albums de photos soigneusement confectionnés, légendés et reliés par la grand-mère : tout le monde s’y retrouve d’abord apprêtés, figés en noir et blanc par un vieux Kodak dans des poses convenues où chacun sourit, jusqu’aux tirages papiers en couleurs des dernières vacances prises sur le vif, sans souci de postures valorisantes, saisie à l’improviste au smartphone.

Avec leurs noms, leurs adresses, leurs caractéristiques propres et souvent leurs histoires, les maisons de famille ne sont pas un simple patrimoine immobilier, ni même une banale résidence secondaire, elles font partie du roman familial. Depuis leur construction ou leur entrée dans la famille, elles ont subi des restaurations voire des agrandissements ou des restructurations et des aménagements successifs ; elles ont finalement leurs propres généalogies qui se mêlent à celles de leurs propriétaires et de leurs enfants en marquant leurs souvenirs et en s’en imprégnant.

La maison de famille : décor mémoriel photogénique

Actrice privilégiée des cultes domestiques qui pérennise des évènements et des personnages de la vie familiale méritant d’être conservés et transmis, la maison de famille tient une place privilégiée dans les albums de photos de famille.

Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les foires, brocantes et salons de vieux papiers, et de feuilleter les nombreux albums de famille abandonnés bien que joliment reliés et personnalisés . On y trouve notamment des portraits et photos de groupes familiaux mis en valeur dans leurs décors favoris : le plus souvent des maisons de famille où l’on a fêté, traditionnellement, et fixé pour l’avenir les évènements heureux qui s’y sont déroulés.

Ainsi les maisons de famille et les albums de famille se renvoient mutuellement leurs souvenirs communs : les premières abritant souvent, dans leurs greniers ou leurs vieux placards, les seconds qui conservent leurs images.

Les vieux clichés en noir et blanc un peu jaunis côtoient les premières photos couleurs de la famille dans des poses figées, dans des situations valorisantes et des décors convenus ou conventionnels. Bien conservées , légendées et présentées chronologiquement ces photos figurent aux premières pages des albums, tandis que les tirages papiers plus récents en couleurs de photos numérisées au smartphone affichent dans les dernières pages des images de la famille prises « au naturel », dans des poses spontanées et des tenues décontractées, dans des endroits très variés de la maison de famille.

L’album de photo traditionnel pour la mise en scène de la maison de famille et de ses occupants, même modernisé par le livre de photos ou « scrapbooking » ne répond plus guère au souci de pérennité des images de la mémoire familiale et les standards de stockage numériques d’aujourd’hui risquent d’être obsolètes demain pour cette fonction conservatrice. Le devenir du nombre phénoménal d’images numériques stockées que les familles ne souhaitent ni effacer ni mettre sur papier se trouve peut-être dans les sites familiaux sur internet parfois appelés « intranets familiaux » qui ont aujourd’hui une audience significative pour l’élaboration d’une mémoire familiale par la mise en commun de documents et notamment de photographies dont de nombreux services en ligne permettent en outre l’échange. Gageons que les « maisons de famille » contemporaines et futures sauront exploiter ces nouveaux moyens et pratiques qui leur offrent des vitrines de communications vivantes et valorisantes.

Une maison qui a une âme

 « Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force à aimer ? » questionnait Lamartine dans son poème « Milly ou ou la terre natale » à propos de sa maison d’enfance à Milly-Lamartine en Bourgogne. Qu’il s’agisse d’une petite maison sans prétention ou d’un vieux manoir classé monument historique, qu’il s’agisse d’une maison acquise il y a quelques années ou d’une demeure détenue par une même famille depuis plusieurs générations, chaque maison de famille a son style, son esprit, « son âme » disent les membres de la famille. Ça ne s’invente pas, c’est le fruit d’une nécessité, d’une obsession, d’une idée fixe d’un ancêtre plus ou moins lointain qui souvent y a passé son enfance.

Ensuite on a admis le principe sublime de conservation de la maison de famille : elle ne s’acquiert pas, elle ne se vend pas, elle se lègue, elle s’hérite. Alors elle est comme elle est, elle est là où elle est, on y peut rien, on l’aime ou on ne l’aime pas. On ne va pas reprocher à l’ancêtre de la famille ses choix du lieu, de l’orientation, de l’architecture, de la décoration ou des objets qu’on y trouve encore ; ensuite chacun a senti ce qui irait bien dans la maison ou choquerait mais ce n’est pas tant une affaire de goût esthétique, que d’esprit de famille . La maison de famille possède souvent un passé et sa propre généalogie qui s’imbrique à celle de ses occupants et prouve qu’ « elle est de la famille » sans être une pièce rapportée.

Les maisons de famille à livre ouvert

Les maisons de famille sont des sujets récurrents dans les romans et la poésie français en échos avec les commentaires généalogiques et la vie de leurs auteurs. Elles abritent souvent l’intimité et les secrets de leurs enfances, mais aussi leurs bons souvenirs d’adultes comme des espaces de vie particuliers tels des abris, refuges ou ports d’attaches avec leurs ambiances générant des états d’esprits singuliers. Ce faisant ils décrivent toutes les influences que leurs maisons de famille ont eues dans et sur leurs œuvres ; d’autres les mettent en scène pour fournir un décor familier à leurs personnages. Si certains fuient ces maisons trop bruyantes selon eux pendant les vacances car elles nuisent à leur réflexion ou à leurs travaux d’écritures, d’autres s’y réfugient volontiers pour retrouver et évoquer leurs émotions de jeunesses.

On a déjà cité Lamartine qui évoque sa maison de famille dans ses plus beaux poèmes. Pour ce qui concerne les romans beaucoup de grands auteurs s’inspirent de leurs maisons de famille pour en décrire une dans leurs œuvres : c’est le cas de Flaubert qui dans « L’Éducation sentimentale » décrit sa maison comme celle de Frédéric Moreau, son héros romantique. Sur une plaque apposée sur la Maison Flaubert à Nogent-sur-Seine on peut d’ailleurs lire aujourd’hui : « L’illustre écrivain Gustave Flaubert aima cette maison de famille où il séjourna souvent et dont il s’inspira pour L’Éducation sentimentale ».

Quant à lui, Alexandre Dumas dans « Histoire d’un cabanon et d’un chalet » explique avec humour comment l’on nomme les habitations extra-muros à Marseille selon le caractère et l’imagination du propriétaire : « Si le Marseillais est orgueilleux, la maison sera un château ; s’il est simple, elle deviendra une bastide ; s’il est modeste, il la nommera un cabanon. Mais lui seul peut établir cette classification, car rien ne ressemble autant à un château marseillais qu’une bastide, si ce n’est peut-être un cabanon. »

De son côté, Colette fait de sa maison natale de Saint-Sauveur en Puisaye où elle a grandi, un véritable personnage littéraire dans « Claudine à l’école », « La Maison de Claudine » et « Sido » . Colette écrit dans « La retraite sentimentale » : « Ma maison reste pour moi ce qu’elle fut toujours : une relique, un terrier, une citadelle, le musée de ma jeunesse ».

Pour sa part, Antoine de Saint-Exupéry contraint de poser son avion au milieu du désert, s’abandonne aux enchantements de sa mémoire : « Non je ne logeais plus entre le sable et les étoiles... Il était, quelque part, un parc chargé de sapins noirs et de tilleuls, et une vieille maison que j’aimais ». Il évoque ainsi dans « Terre des homme » la maison de famille de son enfance, lieu de vacances et d’inspiration, à Saint-Maurice-de-Rémens dans l’Ain.

Citée au début de cet article George Sand relate dans plusieurs livres les années qu’elle a passées dans sa maison de famille à Nohant avec tous ses souvenirs qui s’y rapportent. François Mauriac cite très souvent sa maison de famille de Malagar et son héroine « Thérèse Desqueyroux » décrit, elle,sa maison d’Argelouse. Marcel Proust dans « Du côté de chez Swann » parle de la maison de Combray, où l’on découvre la fameuse « madeleine » qui le replonge dans son enfance.

Dans « La maison de l’été » c’est Patrick Cauvin qui parle de sa maison de famille comme d’une boite à mémoire avec ses souvenirs accumulés au fil des étés ; puis Marguerite Duras qui dans « La vie matérielle » observe : « La maison, c’est la maison de famille, c’est pour y mettre les enfants et les hommes, pour les retenir dans un endroit fait pour eux, pour y contenir leurs égarements, les distraire de cette humeur d’aventure, de fuite qui est la leur depuis les commencements des âges. »

Ou encore dans son livre « Maisons de famille » Denis Tillinac, récemment décédé, qui raconte sa maison en Corrèze où il vient se ressourcer avec les images du bonheur qu’il croyait enfouies au fond de sa mémoire. Même chemin pour Catherine Clément qui dans « Maison mère » évoque son ancienne demeure au bord de la Loire, son histoire et tous les souvenirs qui s’y rapportent. Et Bruno Combes dans « Si tu en as envie » : « C’est étrange une maison de famille ! Un lieu rassurant avec les odeurs et les bruits de notre enfance et, en même temps, l’endroit qui nous impose le passé et nous empêche d’être nous-même. » Citons enfin Didier Decoin dans « Avec vue sur la mer » : « J’ai écris ce livre pour dire que je n’habite pas une maison mais que j’ai été habité par elle ». Tout est dit.

La « vraie fausse » maison de famille

Nous avons abordé dans un précédent article les « Généalogies imaginaires et les fabulations généalogiques ». On voudrait évoquer ici, en complément, le cas de ces « vraies fausses » maisons de famille, qui selon la sociologue Martyne Perrot sont imaginées par certains en mal d’enracinement immobilier généalogique en France. De telles maisons aux histoires souvent partiellement inventées sont créées à partir de fantasmes et de bricolages romanesques de leurs propriétaires actuels, mélangeant des références littéraires à des éléments de films ou séries télévisées à leurs vrais ou faux souvenirs parfois agrémentés d’une histoire de famille imaginée ou corrigée pour la circonstance.

Dans certains cas on trouve aussi des occupants d’une maison qui tirent profit de leur vraie généalogie pour faire accroire qu’un de leur vrai ancêtre avait été, par exemple, propriétaire ou locataire, dans le temps, de ladite maison ; dans d’autres cas, les occupants actuels peuvent être des personnes nouvellement installées en France qui donnent ainsi de signes et preuves d’intégration dans notre pays. Dans tous les cas le nouveau propriétaire se fait fort de redonner une biographie et un « air de famille » à la maison, par le choix des mobilier et objets qui la meublent désormais. Des achats chez des brocanteurs locaux permettent de fignoler le décor en baptisant une vieille table comme la table de tante x , le lustre comme venant de chez les cousins y, et le bureau-secrétaire comme celui de l’oncle Z, etc. Le propriétaire actuel peut même prétendre que si le mobilier est un peu hétéroclite, c’est que rien n’a été changé et qu’il provient d’héritages divers, ce qui est vrai de toute façon.
 
Si l’on en juge par les sites web et revues de décoration, des arbres généalogiques souvent qualifiés d’arbres de famille sont spécialement prévus ou créés comme motifs décoratifs pour des maisons de famille vraies ou fausses. Sur un grand mur, le long d’un escalier ou au plafond, un arbre généalogique décoratif s’expose tel « Une décoration qui se démarque » comme le prétend une publicité. Une autre invite à « Réaliser un superbe arbre généalogique sur un mur de la maison » à partir de modèles en papiers peints. Des boutiques de décoration comme « Maison de famille » exploitent le filon et jouent le jeu en affirmant sur leur site (Sic) « On entre chez Maison de famille comme on entre chez soi » . On ne saurait mieux dire pour présenter comme anciens « vintage » ou « neo-retro » des objets et mobiliers fabriqués aujourd’hui en séries souvent en Asie.

Paradoxalement la maison de famille créée ex nihilo peut reprendre vie et mériter finalement peu à peu son qualificatif, telle une vraie, grâce à des souvenirs et histoires de famille qui seront racontées puis transmis, agrémentés des évènements familiaux contemporains bien réels qu’elle abritera classiquement désormais : anniversaires, Noëls, vacances, etc. Forte de ces histoires qui s’accumuleront au fil des séjours et évènements la maison deviendra au cours du temps une quasi vraie maison de famille, avec sa propre et nouvelle personnalité définitivement ancrée dans un lieu choisi par son propriétaire. Si l’on est loin de la vieille maison de famille traditionnelle remontant à plusieurs générations, on a pu dire que ces vraies fausses maisons de famille pouvaient offrir aux familles contemporaines plus qu’une simple résidence secondaire impersonnelle banale et sans histoire, grâce à toutes les possibilités de ritualisations et de célébrations des temps forts qu’elles offrent désormais à la vraie famille. Ne deviendront-elles pas au cours des temps de vraies maisons de famille ?

Les maisons de famille comme personnages de cinéma

Au nombre des « vraies fausses » maisons de famille on se doit bien sûr de citer celles qui sont les sujets de certains films. Les romanciers et les poètes, comme on l’a vu, mais encore les dramaturges classiques et contemporains ont souvent mis en scène des maisons de famille comme décors et cadres des relations familiales de leurs personnages, qu’elles soient chaleureuses, conflictuelles ou dramatiques ; il en est de même, plus couramment encore, des scénaristes et réalisateurs de cinéma ou de télé-films.

On peut citer comme exemples : Les dernières vacances (Roger Leenhardt, en 1948), Milou en mai (Louis malle, en 1990), Maison de famille (Serge Moati, en 1999), L’heure d’été (Olivier Assayas, en 2008), Belles familles (Jean-Paul Rappeneau, en 2015), etc.

Dans tous ces films mettant en scène les relations familiales des personnages dans une maison de famille, c’est souvent l’opportunité, la nécessité ou la volonté d’un ou plusieurs héritiers de vendre la maison, qui va déclencher des zizanies ou des remises en cause par certains membres de la famille de ce qu’ils considéraient jusqu’alors comme immuable. Tous ces films que les critiques cinématographiques qualifient alors de « films d’héritages de maisons de familles », racontent pourquoi et comment les personnages se réunissent un jour dans la maison de famille pour prendre la décision de la vendre ou de ne pas la vendre. Pour tous ou la plupart d’entre eux c’est une maison dans laquelle ils ont souvent passé leurs vacances et qui éveille leurs souvenirs d’enfance.

Cette circonstance particulière permet aux cinéastes de faire exister plusieurs époques en même temps, d’évoquer des perspectives généalogiques faisant revivre des personnages disparus et de redonner vie à des objets inanimés . En montrant la variété des attentes et des réactions des personnages, le film suscite les émotions des spectateurs par des évocations qui leur parlent de leurs propres vies ou de comportements et d’attitudes de membres de leurs propres familles...
Pour ces raisons certains analystes des films en question considèrent que le cinéma est, en l’occurrence, le peintre parfait du portrait de la maison de famille. Bien qu’on aie pas vécu dans telle ou telle maison « de cinéma » présentée dans le film et même si les lieux, les personnages et les circonstances nous sont étrangers, elle nous dit quelque chose sur notre famille et sur ce qui se dit ou se passe ou pourrait se passer aussi dans notre propre maison de famille. Comme l’avait affirmé Jean-Luc Godard (Cahiers du cinéma, janv. 1959) en évoquant la magie du cinéma : « Le cinéma est comme une maison de famille : la vie se joue dedans ».

De l’histoire de la maison aux histoires et secrets de famille

D’après les notaires et les agents immobiliers il serait de plus en plus compliqué aujourd’hui de conserver une maison de famille dans une même famille. D’après leurs constats, de moins en moins d’enfants veulent ou peuvent financièrement récupérer la maison de famille au décès de son propriétaire. Dans le cadre de notre article il n’y a pas lieu d’aborder les aspects juridiques ou financiers de cette question ; on se bornera seulement à remarquer qu’avant même les éventuels problèmes d’héritages qui vont se poser un jour ou l’autre, la simple gestion d’une maison de famille à plusieurs peut générer diverses catégories de difficultés principalement relationnelles ou financières, souvent entremêlées dans les périodes de cohabitation et de promiscuité, par exemples :

  • comment assurer le bon entretien et les réparations de la maison et sur quelles bases en répartir les coûts ?
  • comment gérer équitablement l’occupation des lieux et l’affectation des chambres, notamment en périodes de vacances ?
  • dans les périodes de cohabitation, comment prendre en compte les aspirations et les remises en question générationnelles des « Baby boomers » des années 1945 et celles de la « Génération Z » contemporaine, en passant par celles de la « Génération X » des années 60 et celles des « Millennials » des année 80/90 ?

Au total, la maison de famille comme expression du vécu familial et des liens généalogiques serait-elle, au mieux, seulement une maison à vendre « puisqu’il n’y a plus de familles » (Denis Tillinac : Le Patio bleu) ? Ou , au pire, « Un concentré de névroses familiales » (Agnès Desarthe / Le cœur changeant) ? Et Tristan Bernard d’ajouter : « Le mensonge et le silence arrangent bien des drames de famille » pour évoquer les secrets de famille ou fantômes dans les placards des maisons de familles

Beaucoup de romanciers notamment François Mauriac (Thérèse Desqueyroux, Le nœud de vipères) ou Françoise Bourdin (Maisons et secrets) et des psychogénéalogistes telle Anne Ancelin Schutzenberger (Aïe, mes aïeux), citent les maisons de famille comme des lieux où peuvent s’ancrer et se perpétuer le « paradoxe des secrets de famille » : moins on en cause, plus on en dit, dans la mesure où le secret ne doit ne pas être dit tout en faisant parler de lui.

François Mauriac évoque ce type de « fantôme familial » à propos de Julie Bellade, arrière grand-mère maternelle de Thérèse Desqueyroux : « Une femme dont on ne savait rien, si ce n’est qu’elle était partie un beau jour... ». On eût cherché en vain dans la maison de famille un portrait, un daguerréotype, une photographie de cette femme dont le nom n’était jamais mentionné dans les conversations, effacé curieusement de la mémoire familiale sans que l’on dise jamais pourquoi ou que l’on pose une question à son sujet.

Dans la réalité on peut évoquer en ce début d’année 2021, une grande maison de famille à Sanary qui fut le théâtre d’une dramatique omerta racontée dans le livre de Camille Kouchner : « La Familia grande ». Ce témoignage décrit le vécu de l’auteur, acteur obligé d’une « convention collective de silence » sur les abus sexuels subis par son frère dans la maison de famille.

Entre-nous ou entre-soi : qui sont les autres ?

La maison de famille en favorisant et privilégiant les rencontres familiales sur des fondements généalogiques peut aussi parfois devenir un espace très particulier où se révèlent subrepticement, voire s’exacerbent, des réflexes de tribu, d’entre-soi et des comportements claniques et d’exclusions. Des frontières tacites admises entre une lignée issue d’une même famille et « les autres » sont alors perceptibles et confirmées par le vocabulaire adéquat. Belle-famille, beau-frère, belle-sœur, demi-frères, demi-sœurs, parents par alliance, ou valeurs ajoutées et pièces rapportées, jusqu’aux éventuels « petits amis » des uns ou des autres gravitent ainsi autour des membres de la famille « à part entière » unis par le sang…

Dès lors quelle que soit la dimension de la maison de famille et à plusieurs occasions de réunions, de fêtes ou de vacances, la question se pose de savoir quelles sont les limites de l’accueil familial pour la circonstance : qui doit/peut/veut venir, qui va être considéré comme « de la famille » ? Ce genre de question renvoie à un dilemme classique de la généalogie notamment quand l’arbre généalogique familial développe inégalement ses branches collatérales. Cette question dépasse le champ de notre article tant il est vrai que des considérations non généalogiques doivent alors être prises en compte comme les sympathies ou antipathies éprouvées par les uns ou les autres à l’égard des uns ou des autres, les rancœurs ou reproches larvés dans les perspectives de réunions familiales particulières comme celles qui devront traiter de l’avenir et des questions d’héritages.

Quoiqu’il en soit la lignée familiale devient souvent une conscience invisible dont chacun admet les éléments sans jamais les évoquer ou les remettre en cause. Des marqueurs familiaux faits de rituels, d’usages, de vocabulaires, de codes verbaux ou non verbaux, s’expriment spontanément et se transmettent de façon privilégiée dans le cadre intime de la maison de famille. Le plus souvent ces signes de reconnaissance entre les membres de la même lignée familiale s’appuient sur et développent un sentiment d’appartenance voire de familiarité à l’intérieur du clan familial mais peuvent, en même temps, susciter des réticences ou des arrière-pensées voire des sentiments de rejets chez les membres de la belle famille ou les pièces dites rapportées : il y a les initiés et les non-initiés…

Résumons ces points de vues en reprenant une formule de Jean Cocteau : « Un oiseau chante d’autant mieux qu’il chante dans son arbre généalogique ». Mais les membres de la belle-famille se sentent, eux, « comme des oiseaux sur la branche »...

La maison de famille une demeure généalogique

Une métaphore courante des réflexions psycho-socio-historiques présente souvent la généalogie comme un habitat. Pensée en effet comme une demeure - entendue aux deux sens du mot, c’est à dire un lieu de séjour et comme ce qui persiste et résiste dans le temps – la maison de famille apporterait ainsi, à l’instar de la généalogie, à la fois un repère dans le temps pour les générations qui la fréquentent et un repaire pour elles comme lieu d’accueil intemporel. À partir de là certains auteurs développent le concept « d’hospitalité généalogique ». On remarquera cependant que la notion d’hospitalité définie comme « l’action de recevoir chez soi l’étranger qui se présente » (cf Littré, Cntrl,etc.) ne correspond pas à la maison de famille qui accueille, elle, par destination des personnes de la famille.

Dans ces conditions nous préférons qualifier la maison de famille comme un habitat ou une demeure généalogique : offrant une structure de communication et de transmission entre des vivants et des morts, des aïeux et des nouveaux venus, la maison de famille serait ainsi une expression visible de la généalogie.

Mais pour jouer ce rôle dans les esprits, la magie de la maison de famille a besoin du cadre le plus immobile possible ; il en est ainsi de sa situation géographique mais aussi de l’emplacement des meubles et des objets, de l’exécution de rituels incontournables, de la fixité des dates de séjours habituels, de l’affectation des chambres, etc. Les habitués de la maison traquant tout ce qui a pu changer ou disparaître, inspectent ce qui a été abîmé ou tout simplement changé de place. Comme le soulignent plusieurs romanciers déjà cités, ces lieux de l’enfance deviennent des sanctuaires : les souvenirs qui s’y attachent sont souvent plus profonds et déterminants que les autres. Ce désir de fixité peut intriguer gendres, belles-filles ou autres pièces rapportées qui, avec le temps et les remarques des initiés, finissent par s’y habituer ou décident d’aller séjourner ailleurs sans faire d’histoires.

Les métamorphoses familiales contemporaines qui voient l’évolution de la famille traditionnelle en famille réseau avec la banalisation du divorce, les familles recomposées, la procréation médicalement assistée, la coparentalité, l’homoparentalité, l’adoption internationale, etc. brouillent désormais les schémas de parentés classiques, de même que le développement de la mobilité, des échanges et du tourisme internationaux. Toutes ces évolutions, ainsi que les problèmes déjà abordés de gestion d’un patrimoine immobilier commun à plusieurs, verront peut-être s’ébranler les fondements du patrimoine affectif que représente « la maison de famille ».

De nouveaux rôles pour la maison de famille ?

Depuis 2020, plusieurs journaux et documentaires télévisés se sont faits les échos du « grand retour de la maison de famille » en raison des conséquences sanitaires et économiques, ainsi que des confinements provoqués par l’épidémie de covid-19 en France.

La principale raison serait l’exode des citadins vers leurs maisons de famille ou résidences secondaires en province, estimées moins touchées par l’épidémie en périodes de contagions et/ou de confinements que les appartements moins spacieux des grandes villes. En même temps, ces maisons considérées traditionnellement comme des maisons de vacances, se sont trouvées utilisées en partie comme résidences principales « professionnelles » pour des séjours prolongés grâce au développement du télé-travail et des réunions vidéo à distance.

Dotée désormais de moyens de communication et d’applications mobiles efficaces dans la sphère privée, la maison de famille a pu s’adapter : l’arbre généalogique est devenu un réseau de connexions et de communications familiales. Des applications comme Zoom, Teams, Skype, etc. grâce à leur disponibilité et à leur facilité d’usage ont pu pallier l’absence ou les difficultés des rencontres physiques. Les périodes de confinement et ces moyens informatiques plus disponibles ont mis à l’honneur non seulement les fêtes d’anniversaires virtuels par visio-réunions, mais aussi des pratiques de relations courantes, coutumières, voire permanentes entre membres éloignés de la famille de différentes générations.

On trouve encore dans plusieurs régions de France des vestiges, datant des premiers siècles après JC, de ce qui constituait dans l’antiquité gréco-romaine des « résidences secondaires » comme villégiatures de loisir ou de détente . En dépit de leurs grandes dimensions et du grand luxe de ces résidences de plaisance, dénommées « villae urbanae » dans la campagne ou « villae maritimae » en bords de mer, on peut considérer que leurs conceptions, leurs types d’ utilisations et de fréquentations tels que décrits par les auteurs latins de l’époque présentaient des traits ou attributs qui font penser à nos maisons de famille contemporaines.

Depuis lors il va de soi que ces genres de villégiatures occasionnelles ont évolué et se sont diversifiées dans notre pays suivant leurs implantations régionales, les usages qu’on en faisait et les modes de vie, besoins et ressources de leurs propriétaires. On a vu qu’à l’origine elles résultaient la plupart du temps de la volonté, de l’imagination, de l’obstination, des moyens et de l’esprit de famille d’un ancêtre plus ou moins lointain, transmis à ses descendants qui en confirmaient peu à peu le rôle de lieu d’ancrage familial. Si des auteurs de science fiction, en livres et en films, imaginent déjà nos résidences secondaires ou maisons de famille sur d’autres planètes, contentons nous pour le moment de constater seulement leurs évolutions contemporaines sur terre et spécialement en France.

Le développement des comportements individualistes et hédonistes, la fragilité constatée des structures familiales classiques et l’appétit croissant pour le changement et les voyages internationaux ont peu à peu fait vaciller le modèle traditionnel de la maison de famille qui s’était développé après l’instauration des congés payés en 1936 mais surtout après la seconde guerre mondiale et pendant les années de croissance de l’économie et du pouvoir d’achat.

Depuis le début des années 2020 cependant, la pandémie covid 19 semble avoir marqué une nouvelle évolution plus particulière, confirmant les fonctions classiques des maisons de famille tout en suscitant un intérêt renouvelé en même temps que de nouveaux rôles pour ces types d’hébergements. Comme refuge, abri,ou lieu de travail alternatif ou de télé-travail professionnel, permanent ou accessoire, pour les citadins cherchant la sécurité procurée par un isolement/confinement choisi hors de la promiscuité des appartements en ville, la maison de famille a montré alors ses capacités d’adaptation à des nécessités imprévisibles tout en affirmant son importance éventuelle pour la survie des membres les plus vulnérables de la famille en période d’épidémie.

Au total, plus que ses murs et sa charpente plus ou moins pérennes, c’est bien l’usage qu’on en a fait au cours des temps, en fonction des évolutions des comportements et du contexte social, qui a toujours confirmé la maison de famille dans sa fonction de demeure généalogique.

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6 Messages

  • Propriétaire d’une maison de famille dont j’ai fêté les 650 ans en 2016 (20 générations de père en fils sur le même lieu) j’en connais le poids et le plaisir ... à mon tour de transmettre (peut-être !)

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  • Merci de ce très bel article que j’ai largement partagé.
    Il remue des souvenirs, fait naître des émotions positives et négatives, incite à l’écriture.

    Oui je me souviens du livre de Vigouroux, et aussi d’un numéro de la revue Autrement consacré aux maisons de famille, dont j’avais surtout retenu le portrait du membre de la famille qui sacrifiait sa vie pour se consacrer à la restauration et conservation de la maison de famille.
    Votre article aborde davantage l’intime, les relations d’attachement ambigües, l’existentiel.

    Oui j’ai apprécié ce mélange d’histoire, de sociologie, de passé et de présent.
    Vous dites qu’actuellement les héritiers doivent la vendre plus qu’avant. J’ai entendu ce discours : heureusement que les impôts de succession sont élevés, ça permet de faire tourner !

    Merci encore.

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  • Très belle étude qui fait honneur à son auteur et au site.
    De plus son actualisation à la période troublée actuelle m’a aussi semblé très pertinente.

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  • rouen 7 mai 2021 08:34, par martine hautot

    Merci pour cet article trés intéressant :notez qu’ on peut aussi vouloir fuir une maison de famille .
    J’ai conservé depuis des années un livre de François Vigouroux ,psychologue "l’âme des maisons" où il étudie à partir d’ histoires vraies le lien qui peut vous unir à une maison ,qu’on en hérite ,qu’ on la construise ou qu’ on en rêve... Voir Voltaire à Ferney et Zola qui construit à Medan les tours Germinal et Nana ,avec les revenus de ses livres
    Et puisque vous parlez de Flaubert ,dont on célèbre actuellement le bicentenaire de la naissance,la maison à laquelle il était le plus attaché est celle que son père avait acheté prés de Rouen à Croisset qu’il a craint de perdre à la fin de sa vie et où il est mort .Aprés lui elle a été rasée pour construire une distillerie ,il n’en reste qu’ un petit pavillon à l’entrée. On visite auusi à Rouen (dés que possible ) le logement de fonction,autre façon d’ habiter ,de son père prés de l’ Hôtel-Dieu de Rouen où il est né et qui est devenu le Musée Flaubert et d’ histoire de la médecine .La visite de maisons d’ écrivains et de leurs jardins peut être un but de promenades pour cet été pas somme les autres !

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