Jean-Jacques WEISROCK naquit à Sélestat, ville moyenne d’Alsace, le 6 août 1699. Son père, tonnelier, lui laissa l’échoppe familiale, et il exercera tout naturellement ce métier, dans sa ville natale.
Il rencontra Madeleine HITZELBERGER, du même âge que lui, originaire du village de Boersch, paroisse de Saint-Léonard, et l’épousa à Sélestat le lundi 8 novembre 1723.
Entre 1723 et 1736, Madeleine enfanta six fois. Malheureusement, un mauvais destin s’abattit sur la famille, lorsque survint le décès de Madeleine, un funeste jeudi de nouvelle année, le 16 janvier 1738.
Voici les six enfants issus de cette union :
- Marie-Elisabeth, née le 6/9/1724,
- Joseph Martin, né le 4/4/1726, décédé après 1785, qui deviendra dominicain,
- Ignace, né le 17/8/1728, décédé en 1813, qui sera jésuite et curé,
- Jean-Jacques, né le 28/12/1730, décédé en bas âge,
- François Xavier, né le 23/11/1733, décédé vers 1813, qui sera aussi jésuite et curé,
- Jean Benoît, né le 10/5/1736.
Veuf avec cinq enfants, le petit Jean-Jacques n’ayant pas survécu, le tonnelier laissa passer la période de deuil. Sept mois plus tard, le vendredi 5 septembre 1738,à Sélestat, Jean-Jacques convole une deuxième fois. Il a 39 ans, et la promise 34. Elle se nomme Catherine KIEN, née le 16 décembre 1703 à Sélestat. Comme lui, elle est veuve, d’un nommé Jean KREBS, mort l’année d’avant. On ne sait pas si des enfants étaient venus.
En trois années, entre 1740 et 1743, Catherine met au monde trois enfants. Puis... nouvelle catastrophe, destin fatal, Catherine rend l’âme, à Sélestat, le samedi 25 janvier 1744, à 40 ans.
Voici ces enfants :
- Marie-Catherine, née le 29/4/1740, et qui épousera François Antoine BIGOT de SAINT-QUENTIN, avocat à l’Officialité, dont elle eut un fils : François Antoine fils, qui sera professeur au séminaire épiscopal,
- Jean-Jacques, né le 21/12/1741, qui décède en bas âge,
- Marie-Thérèse, née le 6/5/1743, qui décède en bas âge, ou encore enfant.
A la fin de cette même année, le mardi 3 novembre 1744, Jean-Jacques est de nouveau à l’église de Sélestat. Pour la troisième fois, il convole en justes noces, avec Marie-Elisabeth CUVILIÉ. Celle-ci, née le jeudi 3 août 1724 à Sélestat, est très jeune... elle n’a que 20 ans. Son mari en a 45.
Entre 1745 et 1762, ce couple eut... 10 enfants que voici :
- François Antoine, né le 21/8/1745,
- Marie-Elisabeth, née le 28/3/1747,
- François Joseph, né le 5/4/1749, décédé le 8/4/1806 à Boersch, qui sera prêtre et curé,
- François Ignace, né le 3/8/1750,
- Jacques, né le 2/12/1751,
- François Charles, né le 8/6/1753,
- Anne-Marie, née le 28/9/1756,
- Xavier Ignace, né le 5/5/1758,
- Jean-Jacques, né le 14/11/1759,
- Marie-Thérèse, née le 7/9/1762.
A 38 ans, lors de son dernier accouchement, Marie-Elisabeth se trouve à la tête d’une véritable "tribu". Dix ans plus tard, à 48 ans, elle est veuve : Jean-Jacques meurt le mardi 7 juillet 1772, à 72 ans.
Elle est encore dans la force de l’âge, mais il est fort improbable qu’elle se soit remariée ; à priori, on n’en trouve pas trace.
Le dernier enfant en date, Marie-Thérèse, n’a que dix ans lorsque meurt son père. Trente huit années la séparent de sa soeur aînée, Marie-Elisabeth, née en 1724 !
Donc, à ce niveau, sur les 19 enfants de Jean-Jacques, quatre de ses fils sont entrés en religion :
- Joseph Martin, du 1er lit, dominicain,
- Ignace, du 1er lit, jésuite et curé,
- François Xavier, du 1er lit, aussi jésuite et curé,
- François Joseph, du 3e lit, prêtre et curé,
et également l’un de ses petits-fils : François Antoine (fils) BIGOT de SAINT-QUENTIN (fils de Marie-Catherine, du second lit) et qui sera plus tard religieux lui aussi.
Ces cinq religieux ne seront pas les seuls dans la famille.
Deux neveux, du côté de la première épouse de Jean-Jacques, embrasseront à leur tout une vocation religieuse.
Madeleine HITZELBERGER avait un frère, prénommé Jean Guillaume. Avec son épouse, Marie-Madeleine KUNTZ, ils eurent quatre enfants :
- HITZELBERGER François Joseph, né le 26/1/1729, qui sera curé,
- HITZELBERGER Jean-Jacques, né le 15/8/1730, qui sera curé aussi,
- HITZELBERGER Marie-Agnès,
- HITZELBERGER Marie-Elisabeth.
Serez-vous d’accord avec moi pour convenir que la famille du tonnelier, Jean-Jacques WEISROCK est tout de même hors du commun ?!
Quelques renseignements individuels sur chacun de ces sept religieux :
1 - Joseph Martin WEISROCK
Né le 4/4/1726 à Sélestat
Dominicain - Profès en 1744 - Maître en théologie - Prieur de Guebwiller.
Fait profession chez les dominicains sous le nom de Père Séraphin, vers 1744.
En 1750, il est au couvent de Colmar. Maître en théologie, il est prieur de Guebwiller de 1763 à 1764, de 1768 à 1771, et de 1778 à 1779.
Le 17 mai 1771, il se rend à Paris avec les Pères Hyacinthe Rompler et Antoine Amand Lambla, tous deux originaires de Sélestat comme lui, au chapitre national des dominicains à Paris, réuni sur le désir du roi pour la commission des réguliers, dans la pensée de supprimer les couvents trop petits.
En 1785, il introduit la confrérie du Rosaire à Ottmarsheim.
Pour l’anecdote, voici l’état des frais pour la première messe du dominicain Jacques Jolisaint (joli nom pour un religieux !) par le procureur Alain Fuchs, à Colmar, le 16 avril 1754 : L’ensemble des frais s’élève à 226 livres (belle somme !), dont 34 livres pour 3 ohm et demi de vin blanc et rouge, 12 livres pour une livre de viande de veau, 18 livres pour des paires de jeunes tourteaux, 6 livres pour 3 lapins, 8 livres pour un agneau, 10 livres pour 50 livres de viande, 44 livres "herm städter dem Pasteten Beck sein Conto bezahlt", 8 livres pour du pain, 6 livres pour la peine de frère Sinz comme cuisinier et à frère Antonin, cellerier, comme "trinckgelt" (pourboire). Un vrai menu de noces ! (BM Colmar, ms 746, f 309)
2 - Ignace WEISROCK
Né le 17/8/1728 à Sélestat
Mort vers 1813 à Mayence (84 ans)
Jésuite - Curé d’Eckbolsheim, puis de Rosheim.
Professeur d’écriture sainte et prédicateur à Molsheim.
Curé d’Eckbolsheim de 1773 à 1782, il devient curé de la paroisse Saint-Etienne, à Rosheim, de 1782 à 1792, succédant à son cousin Hitzelberger.
A Mayence, en 1811, il y serait décédé en 1813.
3 - François Xavier WEISROCK
Né le 23/11/1733 à Sélestat
Mort vers 1813 à Mayence (79 ans)
Jésuite - Curé de Landser.
Il entre chez les jésuites de la province de Champagne où il devient docteur en théologie. Il oeuvre à Strasbourg, Colmar, Pont-à-Mousson, Porrentury, Molsheim, Bockenheim et Eslingen.
Après la suppression de la Compagnie de Jésus en France, il devient curé de Landser de 1778 à 1791.
Suspendu par monseigneur Saurine en 1802 parce qu’il ne reconnaissait pas la validité des sacrements donnés par les constitutionnels, il se rend à Mayence, appelé par monseigneur Louis Colmar, où il participe à la formation des futurs clercs du diocèse. Il y retrouvera son frère Ignace. Le décès serait survenu à Mayence en 1813.
4 - François Joseph WEISROCK
Né le 5/4/1749 à Sélestat
Mort le 8/4/1806 à Boersch
Curé.
Demi-frère d’un dominicain et de deux jésuites, il entre, lui, dans le clergé séculier.
Il est successivement vicaire à Westhouse de 1772 à 1773, à Dahlenheim de 1773 à 1776, à Bettenhoffen de 1776 à 1778, à Rhinau de 1779 à 1789, et curé de Barr de 1789 à 1791, puis, après la Révolution, administrateur de Niedernai de 1803 à 1806, et enfin curé de Boersch le 2/1/180 (durant un peu plus de trois mois) où il décède le 8 avril de la même année.
5 - François Antoine (fils) BIGOT de SAINT-QUENTIN
Né le 30/10/1760 à Sélestat
Mort le 20/2/1794 à Sankt Landelin, près de Ettenheim (33 ans).
Il sera professeur au séminaire épiscopal de 1788 à 1790, et mourra jeune.
Fils de Marie-Catherine WEISROCK (fille du second lit de Jean-Jacques) et de François Antoine BIGOT de SAINT-QUENTIN ; il avait quatre oncles et deux cousins dans les ordres.
6 - François Joseph HITZELBERGER
Né le 26/1/1729 à Boersch, paroisse Saint-Léonard
Mort le 5/3/1806 à Soultz-les-Bains (77 ans)
Curé.
Docteur en théologie et droit canon. Professeur de droit canonique à l’université épiscopale.
Curé d’Innenheim de 1755 à 1764, de Breitenbach de 1764 à 1765, de Soultz-les-Bains de 1765 à 1791.
Adhérent à Soultz-les-Bains le 29/8/1802, il y décède en 1806.
7 - Jean-Jacques HITZELBERGER
Né le 15/8/1730 à Boersch, paroisse Saint-Léonard
Mort le 18/12/1813 à Rosheim (83 ans)
Curé.
Au séminaire de Porrentury le 26/11/1763, et ordonné prêtre le 16/5/1764.
Vicaire à Soultz-les-Bains, chez son frère (ci-dessus) de 1766 à 1768.
Curé de Saint-Etienne, à Rosheim, de 1768 à 1782.
Il est à remarquer que ces vocations religieuses peuvent s’expliquer aussi bien par la tradition familiale Weisrock (un oncle fut aussi religieux - voir ci-après) que par la tradition familiale Hitzelberger (les neveux).
nb : en effet, il y eut un autre religieux : Joseph WEISROCK, frère cadet de notre tonnelier Jean-Jacques, et qui fut bénédictin.
Né le 12/12/1703 à Sélestat
Décédé le 25/3/1771 à Marmoutier (67 ans).
Bénédiction à l’abbaye de Marmoutier - Vicaire à Lohwiller de 1734 à 1736. Curé de Saint-Jean-les-Saverne.
Vicaire à Reutenbourg de 1748 à 1759.
Curé de Marmoutier de 1760 à 1771.
Le métier de tonnelier
A travers ce qui suit, on pourra imaginer un peu la vie de Jean-Jacques WEISROCK.
Le maître tonnelier va choisir de beaux chênes en forêt. Il appose sa marque sur l’écorce.
Le bûcheron débite.
Le feuillardier taille des lattes de châtaignier. Quelques tonneliers s’en servent encore pour cercler les tonneaux.
Le merrandier fend les billots de bois vert.
De fente en refente on obtient les merrains.
Les merrains sont de la longueur des tonneaux à venir. Les merrains sont empilés en plein air. Ils y restent des années : pluie, soleil, vent... qui les lave et les assèche de la sève. Quand les fibres sont bien dures, on passe à l’atelier.
A califourchon sur son banc, le manche de la doloire appuyé sur sa cuisse, le doleur transforme les merrains et douelles. Le tranchant de son outil en arrondit doucement les bords, et incurve légèrement la face du dessus. 16 couples de douelles font déjà un tonneau de belle taille.
Ensuite : les douelles sont assemblées dans un cercle de moule. On cale la dernière au maillet. Puis, au feu des braseros, les douelles humidifiées sont chauffées ; elles se gonflent et s’assouplissent.
Alors, à l’aide du bâtissoir, le tonnelier resserre le bas du futur tonneau avec un câble qu’il visse au plus serré. Le tonneau prend enfin sa forme.
Dans la forge, le cercleur rivette les anneaux de métal (ils ont remplacé les cercles en bois de châtaignier). Le tonnelier ajuste les cercles bien parallèles ; les coups de maillet résonnent dans l’atelier.
Le fond : avec l’herminette le tonnelier taille le bord du tonneau en biseau, puis le rabote. Pendant ce temps, un compagnon assemble des planches avec des joints de roseau. Sur ce carré, un autre trace un cercle au diamètre du fond, puis il le découpe. Le premier fond se cale facilement dans les bords biseautés du tonneau. La pose du second, à l’aide du tire-fond, est plus délicate.
On vérifie l’étanchéité : on remplit le tonneau d’eau et on le roule en tous sens. Si pas une goutte ne s’échappe de ses douelles, on peut percer la bonde, par où le vin sera versé. Le tonnelier signe son œuvre sur la barre de fond.
Puis, le client le cherche, ou le tonnelier le livre avec sa charrette et son cheval. Certains sont mis sur des bateaux.
En fait, donc, tout commence dans la forêt. Le chêne, débité en merrains, puis en douelles, devient tonneau entre les mains de l’artisan habile. Son ouvrage terminé permettra à un grand vin de bien vieillir.
Le métier de tonnelier a-t-il changé ?
Notre tonnelier est vieux à présent. Il répète à qui veut l’entendre : « de mon temps... chaque tonneau était unique, fait à la main, avec la scie à chantourner, l’herminette, le stockholm, la guillotine, le couteau à revers, la coulombe et la scie à jabler... » Il énumère les outils qu’il maniait « de main de maître » comme s’il récitait une prière, celle des artisans compagnons et de leur savoir-faire inimitable.
Aujourd’hui, les petits-enfants du merrandier ne construisent plus de cabane dans la forêt, la forge du cercleur s’est éteinte et la rogneuse-double, une grosse machine, fait à elle seule le minutieux travail de préparation des fonds.
Pourtant, les tonneaux d’aujourd’hui ressemblent comme des frères à ceux du temps des Gaulois ! Leurs cercles de métal remplacent les cercles de châtaignier ligaturés à l’osier, pour leur donner plus de solidité, et ils sont moins rugueux, plus réguliers dans leur forme, grâce aux machines.
Pour remplacer la main de l’homme, son geste précis, il a fallu concevoir les machines avec une grande ingéniosité. Elles n’interviennent qu’à certaines étapes, lorsqu’elles peuvent alléger la tâche du tonnelier, mais l’ordre des opérations reste immuable : les douelles sont toujours humidifiées « à la vadrouille », le compas sert encore à déterminer la place exacte de la barre de fond et la bonde est toujours percée à la main.
Notre vieil artisan ne serait pas dépaysé si l’envie lui prenait de faire un dernier tour chez le tonnelier d’aujourd’hui : les gens du métier ont conservé le meilleur de la tradition, toujours attentifs au choix du meilleur bois, celui qui conviendra le mieux au vin du client.
Tonneaux, barriques et bassines... de toutes tailles
Notre tonnelier avait plusieurs cordes à son arc : il fabriquait des tonneaux pour la conservation et la transport des vins de sa région, un pays de vignoble comme l’Alsace, mais aussi toutes sortes de bassines, indispensables pour les artisans.
Pour les vins et l’alcool, il réservait son chêne ou son châtaignier. Le peuplier, résistant au sel, conservait bien le poisson. Pour les auges, le sapin et le pin suffisaient.
Son enseigne, au-dessus de sa maison, était réputée, comme celles de la plupart de ses confrères, nombreux en ce pays de tonnellerie. Les années où les vendanges s’annonçaient bonnes, le métier payait vraiment bien.
Du lever du jour à l’Angélus, lui et ses apprentis travaillaient sans relâche et déjeunaient même sur place, dans l’atelier.
Ses commis transportaient les commandes dans de petites charrettes sitôt qu’elles étaient prêtes.
Il aurait pu remercier Dyonisos, le petit dieu grec qui enfourche son tonneau et invite à boire à la régalade.
Mais ses saints patrons étaient l’archange Saint-Michel et Saint Joseph qu’il ne manquait jamais d’honorer à date fixe, en septembre et en mars.
Le bois... irremplaçable
Le tonneau n’est pas seulement un emballage pratique mis au point par le génie des Celtes pour remplacer les amphores romaines trop fragiles.
Chaque tonneau a ses qualités qui dépendent du bois, à grains fins ou épais, du terroir où l’arbre a poussé, du climat qui l’a fait grandir, du séchage à l’air libre, du brûlage des douelles, à la vapeur ou à la flamme nue. Ni les cuves de ciment, ni les emballages de plastique ne peuvent apporter au vin un aussi bon logement pour son vieillissement.
Le bois, lui, est un matériau vivant qui respire et change, et échange avec son contenu, le vin. Cette chimie là comporte encore un peu de mystère !
D’un chêne entretenu depuis 150 ans, le tonnelier tire juste le bois de deux tonneaux dont la contenance équivaut à 600 bouteilles.
Dans la forêt exploitée, les plantations succèdent aux coupes pour que le matériau ne manque jamais, pour que la forêt ne s’appauvrisse pas. Le chêne rouvre et le chêne pédoncule donnent le bois le plus souple et le plus imperméable, et c’est aussi celui dont le vin tire les meilleurs parfums.
Le bouge
Le bouge est la partie la plus ventrue du tonneau. Une fois couché, celui-ci ne repose que sur quelques millimètres carrés, une assise suffisante pour qu’il se laisse « bouger », sous l’effet d’une faible poussée, quand bien même il pèse près de trois quintaux. Le bouge désigne aussi la forme bombée du pont de certains bateaux.