Vous savez mon bon m’sieur, c’est pu ben facile à s’t’heure pour m’bouger avec ma canne et mes vieux sabots.
Ils vont être tout pattés [1] si on prend par la rote [2] !
Le photographe a récupéré un fauteuil afin de l’installer dans la rue, devant la barrière de la maison où vit Pétronille tout près du « Château ».
Il a essayé de trouver le bon angle, la bonne lumière et surtout de choisir le bon moment dans la journée car en ce début de siècle, la photographie en est encore à ces balbutiements.
Sans compter que ce n’est pas très aisé de faire bouger « une vieille dame » quand un inconnu lui dit qu’il est venu dans son petit village simplement pour lui « tirer le portrait ».
Il a fini par la convaincre…
Et elle a fini par le suivre, toute flétrie dans sa robe noire, boutonnée jusqu’au cou et ne laissant deviner que le col blanc de sa chemise. Flanquée de son tablier bleu, armée de sa canne et la tête couverte de sa coiffe, elle s’est assise sur le fauteuil et a pris la pose…
Le photographe a ramené le fauteuil et la « vieille dame » jusqu’à chez elle avant de disparaître…
- © Collection personnelle de L’auteur
Presque 100 ans plus tôt…
C’est jour pour jour, une semaine après la naissance à Paris d’un certain « Charles Louis Napoléon » [3] que René BESNARD, « journalier âgé de trente ans » se présente en la maison communale le mercredi 27 avril 1808 de Marray (37) pour « présenter » et déclarer la naissance de sa fille Pétronille Marthe « de lui déclarant et de marthe délouard, son épouse […] ».
« Le vingt sept avril mil huit cent huit à six heures après midi, par devant nous […] est comparu René Besnard […] lequel nous a présenté un enfant de sexe féminin […] à laquelle il a déclaré vouloir donner les prénoms de Pétronille Marthe […] »
- Acte de naissance de Pétronille Marthe BESNARD – © AD 37 – 6NUM8/149/002 – vue 141/409
Marray est une commune d’Indre-et-Loire située à une trentaine de kilomètres au nord de Tours.
- Illustration provenant d’internet
Sur le premier recensement de Marray numérisé et disponible en ligne de 1836, Pétronille a 29 ans et habite encore chez ses parents (FR_AD037_6NUM5/149/001 - vue 24/33). Marray compte alors 883 habitants.
« Marthe Pétronille » se marie le 28 novembre de l’année suivante avec Antoine FOREAU, un charpentier de 27 ans natif de la commune de Chemillé (37) et demeurant à Château-Renault (37).
Il faudra à peine le temps d’une « grossesse » pour que, le 07 septembre 1838, Paul Pierre, vienne agrandir le foyer (FR_AD037_6NUM8/149/006 - vue 12/391).
Pétronille et son mari Antoine ont fait le déplacement jusqu’à Nantes (44) pour assister, le 04 juin 1859, au mariage de leur fils avec Anne Joséphine DURAND, lingère, née à Vallet (44), le 18 juin 1833.
Paul est domicilié « de droit & de fait » à Nantes, rue des Carmélites. Il habite lui aussi près d’un château mais celui-là est un peu plus grand que celui de Marray puisque c’est celui des « Ducs de Bretagne » (© Archives Municipales de Nantes – Mariage 1859 – 4éme canton – 1E1052 – vue 32/82)
- Illustration provenant d’internet
Paul habite à Nantes « rue de Verlais » en 1860 quand il vient déclarer le 23 avril à la mairie du 4e canton, la naissance de sa fille Anne « née hier à cinq heures du matin, à son domicile » (© Archives Municipales de Nantes – Naissance 1860 – 4éme canton – 1E1064 – vue 33/107).
En 1861, on retrouve Pétronille et son mari Antoine habitant « Le Château » dans le bourg de Marray. Pétronille habite avec son mari « rue de la roche » en 1866.
Le château de Marray…
Il existe sur la commune de Marray, le « Château de la Roche » représenté sur de nombreuses cartes postales anciennes sous les appellations diverses de « Château de la Roche Racan », « Château de la Roche d’Alès »
Le rapprochement serait facile mais ce château n’est pas situé « au bourg ».
Cette carte postale trouvée sur internet confirme que ce n’est pas le bon « château ».
- Illustration provenant d’internet
Le « château de Marray » où Pétronille a « travaillé de longues années » est situé au bourg (juste en face de la mairie actuelle). Le cadastre numérisé sur le site des archives départementales d’Indre-et-Loire pour la commune nous confirme sa position géographique.
- © AD 37 – Commune de Marray - 1834 – 6NUM10/149/001 – Tableau d’assemblage
Cette demeure est également connue sous le nom de « Maison de Bellay ». Elle est située 4 route de la Ferrière et est actuellement la propriété d’un collectionneur, spécialiste en livres anciens
C’est Paul qui déclare, le 17 février 1871, le décès de son père âgé de 60 ans « décédé hier seize février à sept heures et demie du soir ».Pétronille devient veuve à 63 ans, elle est « sans profession » et habite « aussi en ce bourg » (FR_AD037_6NUM8/149/005- vue 239/254).
Anne a 19 ans quand elle se marie à Marray le 29 avril 1879 avec Victor-Gustave GARDIEN, charpentier, né le 30 août 1855 à La Ferrière (37) et y demeurant
Pétronille reçoit pour Noël 1880 un joli cadeau en devenant, pour la première fois, arrière-grand-mère : Paul Victor Emmanuel GARDIEN nait à Marray le 25 décembre. Victor GARDIEN et sa femme habitent la Ferrière (37) mais Anne est venue accoucher chez ses parents (FR_AD037_6NUM8/149/006- vue 311/391).
La naissance à La Ferrière de la petite sœur de Paul : Marie Agnès GARDIEN, le 2 septembre 1886 fait de Pétronille une arrière-grand-mère pour la deuxième fois.
Il est temps de changer de siècle !
Pétronille à 93 ans au recensement de 1901, elle vit toujours à Marray avec son fils et sa belle-fille (FR_AD037_6NUM5/149/014- vue 5/26).
Paul FOREAU déclare le 7 août 1903 le décès de son épouse Anne DURAND (FR_AD037_6NUM8/149/011- vue 163/176).
1904 verra le mariage des deux arrière-petits-enfants de Pétronille :
D’abord Paul GARDIEN qui épouse à Cérelles (37), Octavie Marie VINCENT le 6 juin (FR_AD037_6NUM8/047/032- vue 137/145).
Puis Agnès se marie avec Onézine Eugène Joseph POUSSIN le 15 octobre à La Ferrière (FR_AD037_6NUM8/106/035- vue 95/104), son frère Paul est témoin.
Pétronille vit avec son fils en 1906. Son arrière-petit-fils Paul et sa femme Octavie vivent à leurs côtés (FR_AD037_6NUM5/149/015- vue 5/26).
C’est la fête à Marray en ce 27 avril 1908, Pétronille fête ces cent ans !
Cette carte trouvée sur internet dont le recto est identique à notre carte de départ montre que l’on s’est déplacé pour assister à cet anniversaire.
« Marray 27 avril 1908
Nous sommes ici avec André à voir la fête de la centenaire. Nous vous envoyons sa photographie. A Danger ».
Cet autre exemplaire de la même carte postale nous permet quant à elle de savoir que Pétronille n’avait pas encore 100 ans sur cette photographie car elle est expédiée presque 10 jours auparavant. Si l’on tient compte en plus des délais d’impression…
Pétronille n’aura malheureusement pas la chance de souffler sa 101e bougie. Le 20 mars 1909, à peine un peu plus d’un mois avant son anniversaire, son neveu déclare son décès à la mairie de Marray.
Elle n’aura pas non plus la chance de connaître son arrière-arrière-petite-fille Paulette GARDIEN née le 6 octobre 1911.
Dans toute son existence, la centenaire de Marray aura connu : 2 empereurs, 3 rois et 9 présidents :
Napoléon 1er, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, Louis Napoléon Bonaparte (devenu l’Empereur Napoléon III), Adolphe Thiers, Mac-Mahon, Jules Grévy, Sadi-Carnot, Casimir-Perier, Félix Faure, Émile Loubet et Armand Fallières.
Il existait 100 centenaires en 1900. Presque 18000 en 2017 ! L’Institut National d’Études Démographiques (ined) en prévoit plus de 50000 en 2030 et presque 200000 en 2060 … (https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/structure-population/centenaires/)
De quoi donner du travail aux historiens et généalogistes qui nous succéderont !
Une pensée pour mon grand-père paternel Roland Aimable BOULINGUEZ, né le 10/10/17 à Mardié(45) et qui aurait eu 100 ans cette année !