- Fernand Massicard
Fernand MASSICARD né à Paris le 24 février 1913, habite plus tard Montrichard ( 41) où il passe le Conseil de révision de la classe 1933. Il est incorporé le 15 avril 1934 et effectue son service comme appelé au 309 ° Régiment d’Artillerie Portée à Strasbourg, de avril 1934 à juillet 1935, soit quinze mois. A son incorporation le service durait 12 mois. L’arrivée de HITLER comme Chancelier en 1933, puis Führer du Reich à la mort de HIDENBURG, en août 1934 entraîne le rétablissement du service militaire obligatoire en Allemagne le 16 mars 1935 et a pour conséquence l’allongement à 2 ans du service militaire en France pour le nouveau contingent, à partir du 17 mars 1935. Il sera toutefois allongé proportionnellement pour ceux déjà sous les drapeaux (ART.40 Loi du 31.3.1928).
Fernand est « renvoyé dans ses foyers le 6-7-1935 » et rayé des contrôles de l’activité le 7.7.1935 avec un certificat de bonne conduite !
- Son certificat de bonne conduite
La vie va continuer, Fernand travaille avec son père, entrepreneur de maçonnerie, se marie et s’installe à Bléré (37) comme artisan-maçon. Méticuleux, il notera dans des petits agendas de poche les événements de chaque jour.
Mobilisation en 1939 et « la drôle de guerre de Fernand »
La mobilisation générale commence le 24 août 1939 dans un ordre donné selon l’âge, la profession et la qualification militaire. Fernand reçoit son ordre le 27 août et sur l’ordre de mission : il est affecté à Neufchâteau (Vosges). A son arrivée, il est inconnu, impossible de trouver son nom… mais on le garde. Dix jours plus tard, les gendarmes de Bléré le recherchent, il est porté comme déserteur !! Il aurait dû rejoindre Poitiers (Vienne) dans l’artillerie. Pendant ce temps, les événements se bousculent : le 3 septembre, jour de la déclaration de la guerre, il tombe malade avec 39° de fièvre. Il est évacué sur l’hôpital de Toul (Meurthe et Moselle), … direction Toulouse (Haute-Garonne). Au bout de 3 semaines, il est à nouveau évacué sur Frébécourt (Vosges) à 3 km de Donrémy, puis vers Marsannay-les-Bois (Côte d’Or), à 15 km de Dijon. Le1er janvier, profitant d’une permission, il reprend froid et est à nouveau malade Guéri au bout de 3 semaines, il reste pourtant sur place pendant trois mois - son métier de maçon doit être utile, il va entretenir les bâtiments militaires et vivre en dehors de la guerre. Fin avril, il aura une permission de 25 jours de convalescence.
Mais le 10 mai 1940, les Allemands envahissent les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Rien ne va plus ! Fernand essaie de rester à Bléré, en se présentant au Centre militaire de Tours (Indre et Loire), mais échec, la France est envahie à son tour et il est renvoyé sur Neuchâteau, puis retour sur Dijon. A son arrivée, on lui demande ce qu’il sait faire !! On lui propose de conduire un camion, il refuse. On lui attribue alors une camionnette avec remorque, transportant un canon.
Fernand notera sur des papiers la suite de l’aventure :
1er RAT 662 BAC 3e régiment « Le 21 mai 1940, départ de Brognon [au nord de Dijon] pour Arc-sur-Tille. Commencé formation de la BAC [bataillon d’artillerie ?] qui est prête à partir le 23 au soir avec 8 pièces de 47 –8 chenillettes – 5 voitures de liaison – 10 camionnettes – 6 camions et 4 side-cars, l’effectif se composait de 150 hommes, commandés par le Lieutenant V. et n’ayant reçu aucune instruction ( les officiers pas plus que les sous-officiers ne connaissent le fonctionnement de l’engin ( rendement et portée) ainsi que la manière de viser pour atteindre le but suivant la distance. Départ le 24 au matin, passé par Les Lannes, Montbart, Les Riceys, Bar-sur- Seine, Troyes, Nogent-sur-Seine, Meaux, Creil, Clermont et arrivée le 3e jour à Crèvecoeur-le-Grand dans l’Oise. Le 29 mai après 2 jours de repos dans un bois, à 3 km de Crèvecoeur nous sommes partis sur Couty (Somme). Nous faisions partis de la 13e DI qui nous a placé pour tenir un front de 12 km. Dans l’après-midi, ma pièce (8e) est allée prendre position à Poix. Nous devions garder un chemin venant de la route d’Amiens et traversant la ligne (portée 150m). Le 31, nous avons changé de position dans le même pays, pour aller garder un petit pont sur un ruisseau. Le 3 juin, rechangement de position : nous sommes allés sur la route de Abbeville à 200m du pont qui passe sur le chemin de fer. Le 6 de bon matin après avoir veillé toute la nuit on nous a annoncé la venue de 200 chars. |
- Au sud de Poix, les lieux des batailles retrouvés
Là, une autre pièce est revenue entière avec quelques camarades de 2 autres pièces mais sans leur matériel. En fin de matinée, nous sommes allés plus à l’arrière d’où un lieutenant du 28e RA est venu pour faire mettre les 2 pièces qui restaient complètes, en batterie près de Crèvecoeur. Comme ma pièce allait prendre position vers 14 h alors que nous étions complètement à découvert, nous avons été bloqués par 80 avions de bombardement qui étaient de passage. Ils sont restés1/2 heure au dessus de nous à mitrailler et à bombarder le pays et une batterie qui était tout près. A la suite de cela, comme nous étions repérés, nous avons dû rebrousser chemin et sommes repliés par Beauvais qui était en flammes.
Nous étions seuls – voiture de liaison et camionnette transportant le canon. Avant Bresle nous avons dû nous camoufler sous le passage de 10 avions qui sont venus bombarder cette ville pleine de troupes. Sommes passés aussitôt après où il y avait eu beaucoup de dégâts ( artilleurs, grosse pièce). [ Commentaires en 1998 : « spectacle macabre, toutes les canalisations étaient crevées, l’eau jaillissait de partout. Dans les rues, il y avait des chevaux, ceux qui tiraient les pièces d’artillerie, qui étaient abandonnés. Il y avait des blessés, mais un supérieur m’interdit de m’arrêter.Vue un mort, la tête coupée, grosse frayeur »] Le 9 juin, après avoir couché entre Bresles et Clermont ( le soir, nous avons été bombardés par avions), nous sommes partis pour cette ville, où après les renseignements pour trouver l’échelon, nous nous sommes dirigés sur Neuilly-sur-Thelle. Nous les avons rejoints là et nous nous sommes dirigés sur l’Isle-Adam où était repliée la 13e DI. Dans l’après-midi, l’autre pièce qui était allée prendre position près de Crèvecoeur est revenue . Sommes allés dans le bois –Un jour de repos. Le 10 au soir, nous avons appris que notre batterie était dissoute et que nous étions désignés pour renforcer une autre batterie, la 609e BAC commandée par un capitaine et à qui il lui restait 5 pièces. Dès ce soir là, il a fallu se tenir prêt pour une nouvelle position près de l’Oise, d’où nous y sommes partis vers 6 h, le 11 juin. Ma pièce était commandée par le sous-lieutenant et avait la plus mauvaise place. Nous avons fait là toute la journée, des travaux pour l’abri et le camouflage. Je suis allé chercher des munitions et les camarades, beaucoup de ravitaillement en vivre et vins, dans le pays évacué. Dès le soir, et durant toute la nuit, bombardements de part et d’autres. De là, nous avons pu rejoindre l’échelon et sommes allés ensemble passer la nuit dans un parc de château, à Beffemont [peut-être Bouffémont ?]. |
« Le 9 juin, les Allemands occupent Dieppe, Rouen, Compiègne, et atteignent la Seine et la Marne. Pour les Français, la bataille de la Somme s’est transformée en déroute…
Le 10 juin, les Allemands traversent la Seine, tandis que l’armée française se retire en désordre sur la Loire. Le général Weygand admet officiellement que le front s’est effondré.
Le 12 juin, le général Weygand signe l’ordre de retraite générale. [1] »
On peut considérer que la bataille de la Somme est là aussi terminée pour Fernand MASSICARD, sa guerre continue pourtant et les renseignements apportés par ses notes restent tout aussi intéressants, témoignages réels de ces journées difficiles.
« Par suite d’un camarade qui était malade, la camionnette où j’étais monté a perdu la colonne. Nous avons continué sur Versailles, Palaiseau, où après les renseignements, nous avons pris la route d’Orléans . Nous trouvant parmi les réfugiés qui étaient des milliers, après avoir couché sur la route, nous ne sommes arrivés qu’après 27 h dans cette ville et à 15 h le 14 (juin).Là, petit à petit, les voitures se sont regroupées. Nous sommes allés au quartier Châtillon pour le ravitaillement, vivres et essence. A la tombée de la nuit, nous sommes allés au champ de courses pour coucher.
Le lendemain 15 juin, le capitaine ayant rassemblé tous ceux qui restaient de l’ancienne batterie – 40 hommes – après avoir informé de tout ce que nous avions perdu (7 canons, 8 chenillettes, 8 camionnettes, 2 véhicules de liaison, 1 camion, 2 side-cars) a pris d’office les chauffeurs de voitures rescapés et les cuisiniers [Commentaires de 1998 : peut-être pas tous les chauffeurs !!] et a demandé 12 volontaires pour servir la seule pièce qui restait. Après de longues réflexions, l’instant fût épineux, et les reproches pénibles à entendre. Les 12 volontaires s’étaient inscrits, les 21 qui restaient [certains avaient disparu…] et dont je faisais parti, ont été désarmés et laissé à l’abandon. Nous avons pu arriver à obtenir, tout de même, un ordre de mission qui nous dirigeait sur Blois et par nos propres moyens. [C’est la fuite en avant, au milieu de la débâcle générale]. Nous sommes partis à midi et nous avons couché à Saint-Dye, avec les camarades. Le lendemain [16 juin] avec un camarade, Constant. V, nous avons topé une voiture qui nous a fait faire 10 km, mais nous avons perdu les autres camarades, malgré que nous avions rendez-vous à 1 km de Blois. Avec le copain, nous avons couché à 2 km après Blois. Le 17 juin, nous nous sommes présentés aux renseignements où, avant, nous nous sommes débrouillés pour avoir 2 vélos ! [le système n’était sans doute pas conforme à la loi] On nous a dirigé sur Vierzon. Nous sommes allés jusqu’à Montrichard pour coucher [Chez ses parents]. Le 18 juin, contrordre : ceux qui allaient du côté de Vierzon étaient refoulés sur Tours. Avons donc pris cette direction et sommes arrivés à Bléré (37). |
[Commentaires :Pendant toute cette période, je n’ai jamais vu un Allemand de près].
L’aventure est loin d’être terminée, et je me demande comment tant de gens ont pu vivre cette douloureuse époque, où le sommeil était très perturbé, la nourriture difficile à trouver, le stress permanent, la vie si incertaine...
Quelle connerie la guerre !
A cette date, alors que le Général de Gaulle lance son « appel du 18 juin », les ordres et contre-ordres se succèdent. La situation est difficile et très incertaine. Fernand qui a retrouvé sa femme - sans nouvelles - et son copain Constant, ne passent même pas la nuit à Bléré (37). A la gendarmerie de Bléré, le chef Pinault (qui sera tué par les Allemands) leur conseille de partir au plus vite vers Loches et de gagner le sud. Ainsi commence l’exode de mes parents. Odette, la femme de Fernand ne veut pas rester, elle aussi doit partir…Elle confie son herboristerie à un couple, presque inconnu et valise sur le porte-bagages, « cartes postales » en poche, l’équipée se lance sur les petites routes de campagne.
Fernand reprend son carnet et ses notes.
18 juin. Départ pour Loches par la route de Cigogné. Le soir avons couché à Chédigny [dans une grange et dans le foin].
19 juin. Départ de Chédigny, passé par Chambourg, Dolus (-le-Sec), Manthelan (passé à la gendarmerie), la Chapelle-Blanche, Ligueil et enfin la Haye-Descartes. (Arrêt et couché). (couché à 3 km de la Haye [cette fois dans un lit]. |
- « Cartes postales » utilisées pour l’exode vers le sud
20 juin. Départ de la Haye-Descartes .Passé par route de Châtellerault (6 km) Leugny, Mairé, Lézigny, Coussay-les-Bois, Leigné-les-Bois, Chenevelles, Archigny (déjeuner au bord d’un ruisseau, près d’une laiterie). Puis Bellefonds, La Chapelle-Moulières, Liniers ; Lavoux, Saint-Julien-l’Ars. Arrêt et avons couché à 2 km de Saint-Julien, (famille de 7 enfants).
21 juin. Repos jusqu’à 20 h. [Il était préférable de rouler de nuit, par sécurité]. Puis départ en passant par Savigny-Lévescault, Pinier, Nieul-L’Espoir, Gisay. Avons couché dans une ferme avec un lit. 22 juin. Passé par Marnay, Champagné-Saint-Hilaire (déjeuner), Brux, Chaunay etTraversay où nous avons couché. 24 juin. Départ de Rangogne vers Chazelles, Bouëx, Dignac (déjeuner), Pontaroux, La Roche-Beaumontrt, Mareuil, Périgueux (couché). 25 juin. Départ de Périgueux, et là, nous nous sommes dirigés vers le Bugue (centre de tri), en passant par Les Versannes et Ladouze. Arrivé au Bugue (Dordogne) à 17 h. Nous avons couché là. Le Bugue : « centre de rassemblement général ». Vendu vélo (20 francs). 26 juin. Départ du Bugue à 20 h 30 par le train, direction Castres. Passé Agen, Montauban. 27 juin. Continué voyage par le train. Passé Toulouse, Castelnaudary (Aude) , Castres (Tarn). Arrivé à 16 h. Passé au bureau de la place. A 19 h, pris petit train pour Brassac. A Brassac, pris car pour le Bez. Couché à 1 km plus haut dans un hôtel abandonné. Castres : centre de rassemblement Artillerie. De Castres à Brassac, suivi la vallée de l’Agout, très belle région. Brassac centre touristique très renommé. |
- Le carnet
28 juin. Le Bez : départ à 11 h pour Brassac.
Brassac (Tarn) : logé dans un hôpital religieux St-Joseph, couché dans une classe de l’école libre. |
Dans ce carnet, on trouve aussi les traces épistolaires qu’il entretenait avec sa femme, ses parents et amis, seuls liens qui existaient à cette époque.
Notes de la nouvelle adresse : 4e compagnie, 1re pièce, Parc régional de Vernou, Brassac, Tarn. |
A Brassac, sans doute peu d’événements, car rien n’est signalé jusqu’au 10 juillet, à part un service en ville le 5 juillet, de 8 h à 11 h 30.
Chaque jour, Fernand envoie une lettre, mais aucune n’arrive et pour cause…Sa femme n’avait aucune nouvelle, aucune adresse. La première arrivera le 21 juillet, un dimanche, pourquoi ?
10 juillet. Commencé à travailler maçonnerie. 10 h (à déduire pour l’appel).
12 juillet. Travaillé 5 h route de Castres (soubassement). 13 juillet. Travaillé 10 h, de 6 à 10 h : route de Castres, le restant Usine Boyer. 15 juillet. Travaillé 10 h. Usine Boyer. 16 juillet. Travaillé de 6 à 8 h (Usine Boyer), de1 h à 6 h ( ferme près de l’usine). En tout 7 h. service en ville de 8 h à 11 h 30. du soir]. 17 juillet. 9 h : 6 à 8 h à la ferme, 9 à 11 h à la remise (auge à porcs), 1 à 6 h à la ferme. 18, 19, 20, 22 juillet. 10 h à la ferme. 23 juillet. 8 h à la ferme. 24 juillet. 9 h ½ à la ferme (cabanon Jean-Jean). |
- Courrier adressé le 5 juillet
25 juillet. Garde au poste.
26 juillet. 10 h (cabanon). A déduire ½ h pour renseignements au bureau. 27, 29, 30, 31 juillet et 1er août. 10 ou 9 h (charcuterie). Reçu de Monsieur Oulès pour travail : 600francs. Touché prêt et paye : 570 francs. 2 août. Départ de Brassac à 7 h, par le petit train pour Vabres, passé Centre démobilisateur, resté jusqu’à 15 h 30. Touché 200 francs. Vabres-Castres, arrivé à 18 h, couché dans un hôtel. 3 août. Départ de Castres à 11 h pour Castelnaudary. Arrivé à 14 h 30. Départ à 15 h pour Toulouse, arrivé à 17 h. Départ de Toulouse à 18 h 35 pour Montauban, arrivé à 20 h. Départ de Montauban à 21 h 30 pour Brives, arrivé à 3 h du matin. 4 août. Départ de Brives à 6 h pour Limoges, arrivé à 8 h. Départ de Limoges à 17 h 30 pour Châteauroux (Indre). Arrivé à 20 h 30, couché dans un dortoir. 5 août. Départ de Châteauroux à 7 h 30 par le car, pour Loches ; arrivé à 10 h. Loches-Luzillé (Indre et Loire) à pied, Luzillé-Bléré en vélo ( de quelle origine ?), arrivé à 21 h 30 !!!! Notes du mois d’août : 2 août, consommations : 8.25 chambre : 11.00 3 août, coiffeur : 4.00 consommations : 5.00 consommations : 2.00 dîner : 2.30 |
Fernand sera officiellement démobilisé le 2 août 1940.
Ses extraits des services s’établissent ainsi :
- Extraits des services
Par contre, à l’examen de son dossier militaire, Fernand ne remplira pas les conditions pour être reconnu comme combattant.
C’est la fin de l’HISTOIRE….. et les retrouvailles avec Maman, qui de son côté, après être restée un certain temps à Saint-Junien avait regagné Bléré avec d’autres réfugiés. _ Ceux-ci retournaient vers le nord, en voiture, et avaient pris la femme et le vélo…
Il est dommage de ne pas en savoir plus, c’était quand même une DRÔLE d’AVENTURE et un joli périple.