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La Révolution Française : La naissance du patriotisme (3e chapitre)

Le jeudi 12 février 2015, par Henri-Claude Martinet

Simultanément à la restructuration de l’armée, car tout se passe en même temps, il fallait assurer aux soldats et volontaires leur approvisionnement et les pourvoir en armes et en munitions. Ce sera l’œuvre de Robert Lindet pour toutes les questions d’intendance et celle de Claude-Antoine Prieur pour la fabrication d’armes et de munitions, en particulier la production de salpêtre.

Troisième partie : Il faut assurer l’intendance et l’armement des combattants

Il faut habiller les soldats !

Avec la réquisition de près de 450 000 hommes sous les drapeaux dès juillet 1793, il s’agissait pour Robert Lindet [1] de procéder promptement non seulement à leur habillement, mais également d’assurer leur approvisionnement en nourriture et armes sur les futurs champs de bataille. Car là aussi, la situation était tout aussi dramatique.

Comme Carnot, il se révéla être l’homme de la situation : « Travailleur infatigable, (…) doué de la fermeté indispensable dans de telles circonstances, Robert Lindet accomplit pour l’approvisionnement des armées, les prodiges que Carnot réalisa pour leur organisation » [2].

Dès le 6 août 1792, lors d’une mission au camp de Soisson, Carnot écrivait : « L’existence des faits est dans ces quatre mots des fédérés : Nous manquons de tout. Rien n’est plus réel que ce dénuement absolu ; la plupart n’ont ni bas, ni souliers, ni chemise ; mais leur courage et leur patience suppléent à tout ; en un mot, ce sont des vrais sans-culottes » [3].

En avril 1793, dans un message au Comité de Salut public, Carnot fait preuve de moins d’humour : « Nous ne savons ce que fait le bureau de la guerre ; nos volontaires sont toujours nus, et il faut convenir que c’est un gouffre. A peine un soldat a-t-il des souliers qu’il va les vendre ; il en est qui vendent jusqu’à leurs habits, leurs fusils, brûlent leur poudre et insultent leurs concitoyens » [4], puis de nouveau en mai : « Nous ne cesserons donc, citoyens, de vous demander des culottes tant que nous n’en aurons point. Il y a des bataillons presque entiers qui n’en ont point dans toute la force du terme, pas même des lambeaux et qui ne peuvent faire aucun service » [5].

Désabusé, il écrit plus tard : « Nous avons beau demander, crier, on ne nous répond pas. Les troupes manquent de tout. (…) Nous demandons des effets de campement, et on ne nous écoute pas ; nous demandons des chemises, des culottes, des choses de première nécessité pour la troupe, et on ne nous écoute pas ; nous demandons de l’argent pour faire faire nous-mêmes ce qui nous manque, et on ne nous écoute pas » [6]

La lettre qu’il envoie alors à la Convention se veut plus énergique : « Vous devez être prévenus que les soldats s’attendent à recevoir immédiatement (…) les effets d’habillement et d’équipement dont ils ont le besoin le plus extrême et qu’ils attendent depuis si longtemps. Pressez-donc, nous vous en conjurons, le ministre de la guerre, dont nous n’entendons pas plus parler que s’il n’existait pas ; faites en même temps une loi sévère pour empêcher que le soldat ne vende le lendemain ce qu’il a reçu la veille. »

Lorsqu’enfin le Comité de Salut public prend conscience de la réalité sur le terrain, il va, là aussi, se servir de tous les leviers à sa disposition pour atteindre son but : il va tour à tour s’attaquer aux multiples abus et gaspillages, favoriser les « dons patriotiques », taxer les parents d’émigrés, et, mesure de plus ample portée, il va instaurer une production structurée, quasi industrielle d’un habillement militaire uniforme.

Cependant, réaliste, la Convention se sait incapable de fournir à tous l’habit prévu d’où sa décision que « tous les réquisitionnaires seront autant que possible revêtus de l’uniforme national » [7]. Et ainsi, l’équipement en uniforme des troupes va se faire au fur et à mesure de l’approvisionnement et de la production, le tout assuré par Lindet.

Premier pas dans cette voie, le Comité décide, dans sa séance du 23 mai 1793, de s’attaquer au gaspillage et aux vols, l’influence de Carnot étant ici indéniable : « Le Comité a arrêté, pour prévenir le gaspillage et la dissipation des effets d’habillements destinés aux troupes, de proposer à la Convention nationale de décréter que tous les effets d’habillement à l’usage des troupes seront marqués et estampillés et qu’il n’en sera délivré aux soldats en rechange des effets usés qu’en représentant lesdits effets usés revêtus des marques dont ils auront été empreints ou frappés lors de la délivrance qui leur en aura été faite » [8]. Le Comité de salut public pense ainsi limiter « ces friponneries sans nombre », sinon enrayer les vols qui se commettent à grande échelle.

Car de toute part, lui parvenait des rapports dénonçant ces exactions : c’est celui d’un commissaire observateur dans Paris (ancêtre de nos Renseignements généraux) : « Le peuple se plaint de ce que les voleurs sont en si grand nombre, et de ce que la police ne les surveille pas de près. D’après des renseignements pris, je dénonce un grand abus. Aux cy-devant Blancs-Manteaux, on donne des chemises à faire pour les défenseurs de la patrie. Eh bien, le croiroit-on ? Il y a des femmes qui gardent chez elles des 3 et 4 mois de la toile, des culottes, des guêtres, et par le moyen des commissaires chargés de cette partie ; c’est ainsi qu’aux frontières nos soldats manquent de ces objets » [9].

Conscientes du problème, les différentes Sociétés patriotiques se mettent avec ardeur à la chasse aux voleurs et autres accapareurs ! Ainsi, le 23 février 1794, « la Société populaire de Bourbonne-les-Bains a découvert qu’un délit grave se commet par la voie des voitures publiques. La diligence de Chaumont pour Bourbonne était entièrement chargée de 1 800 paquets envoyés, par des volontaires des armées de la Moselle et du Rhin, à leurs parents domiciliés dans ce district. Le Comité révolutionnaire de la commune de Bourbonne, frappé de ce grand nombre de paquets, les a ouverts et y a trouvé des habits uniformes, des vestes, des baudriers, des ceinturons, des cartouches, de la poudre à tirer, des sacs et même des paillasses » [10]. L’administration demande bien de « punir avec toutes les rigueurs de la loi ceux qui auront pu se rendre coupables de pareilles infidélités », mais dans le cas présent les auteurs étaient si divers et variés, des volontaires, des conducteurs ou des gardiens que les délits restèrent impunis.

Outre la répression des vols, la confection d’habits militaires était également l’objet de fraudes et d’un énorme gaspillage de la part de fournisseurs peu scrupuleux, ajouté à cela le non-respect des commandes passées. Les pièces de drap n’avaient pas les dimensions voulues, les semelles des souliers contenaient du bois et du carton. On trouvera un phénomène identique pour l’armement où les lames des sabres d’infanterie étaient en plomb ! 

Et, lorsqu’enfin le pouvoir se mit réellement à combattre ces exactions et que les fautifs de ces manœuvres frauduleuses étaient démasqués, fussent-ils membres de ce même Comité de Salut public, ils étaient, immanquablement traduits devant le tribunal révolutionnaire sous l’accusation d’accapareurs et condamnés « à l’exposition publique et à 12 ans de fers » [11].

Les cordonniers semblaient plus particulièrement visés, car comment faire évoluer sur un champ de bataille des soldats pieds nus ?
D’où toute une série de dispositions les concernant : en septembre 1793, « l’Assemblée décréta la peine de mort contre les fournisseurs infidèles, et par suite de ce décret, une foule de cordonniers furent guillotinés uniquement pour avoir fait de mauvais souliers »  [12] !
Fabre d’Églantine, lui-même, alors secrétaire du département de la justice, participait activement « au coquinisme » général : « Avoir vendu à un prix exorbitant aux défenseurs de la République de la marchandise qui ne valait rien. Ce sont ses fameux souliers qui ne duraient que douze heures à nos volontaires qui pataugeaient dans les plaines de la Champagne » [13].

Mais, il semblerait que la pénurie de souliers pour les combattants soit telle qu’elle devienne un sujet de préoccupation majeur parmi la population et l’objet de propositions les plus variées, voire les plus farfelues.

Ainsi Barère expose la situation en ce domaine le 17 Nivôse An 2 (6 janvier 1794) : « La loi du 2 nivôse qui obligeait tous les cordonniers de la République à travailler exclusivement pour nos frères d’armes, a produit une quantité de souliers considérable, très bien conditionnés ; ils ont été mis en dépôt pendant l’hiver afin de les trouver à l’ouverture de la campagne. (…) Affecté de la pénurie générale de cuirs et de souliers, le comité fit, au commencement de l’hiver, une invitation aux diverses armées pour engager les volontaires à porter des sabots dans les moments où ils ne seraient pas de service. » Et dans la foulée, pour pallier tout manque, la Convention décrète que « pendant la durée de la guerre, chaque ouvrier cordonnier sera tenu de fournir et déposer à l’administration de son district respectif deux paires de souliers par décade » [14]. Mais cette mesure aura pour conséquence immédiate que nombre de cordonniers « contraints de travailler jour et nuit pour chausser les vaillants soldats » préfèrent ne plus exercer ! Cependant, mis sous pression, beaucoup vont reprendre leur activité de sabotier « sous peine d’être dénoncés au comité de surveillance »  [15] !

Toutes les méthodes sont bonnes pour contraindre à faire ces fameux dons patriotiques : ainsi, dans une section parisienne, « il a été arrêté que si d’ici au 10 courant les riches de la section ne se montraient pas en frères pour la collecte, leur nom serait affiché ». [16].

Mais, parfois, les méthodes sont plus expéditives. A Arras, « l’annonce d’une grande revue fit affluer la foule sur le champ de manœuvre ; au moment où la multitude considérait attentivement les mouvements des troupes, une savante évolution eut pour effet d’enfermer les curieux dans un carré dont ils ne sortirent qu’en abandonnant leurs chaussures aux soldats » [17].

A côté de ce chantage à la générosité, l’initiative de vrais et sincères patriotes pouvait concourir à remédier partiellement au dénuement de « ces volontaires héroïques qui allaient aux frontières tenir tête aux meilleures troupes de l’Europe (et qui) n’avaient pas de souliers. » D’où l’« idée patriotique d’un citoyen qui gémit avec tant d’autres sur le dénuement de nos soldats : il est urgent que tout bon patriote se hâte de commander une paire de souliers solidement faits pour en approvisionner nos armées. (…) C’est un sûr moyen d’avoir en moins d’un mois trois à quatre millions de paires de souliers qui ne coûteraient rien au trésor. (…) Ce sacrifice est d’autant plus aisé qu’on peut soi-même faire usage de sabots pendant trois mois »  [18] !

Mais, d’autres pièces de l’habillement des combattants furent également l’objet des mêmes mesures drastiques. Les fournisseurs de capotes données aux soldats pour l’hiver furent arrêtés et conduits devant les troupes pour y être exécutés, couvert des capotes qu’ils avaient fournies !

L’exemplarité des condamnations d’une extrême sévérité porta ses fruits : les peines dissuasives avaient considérablement fait diminuer les vols et les fraudes d’autant que les Comités révolutionnaires et les Sociétés populaires des différentes communes s’en mêlèrent et, comme toujours en ce cas, sans aucun discernement. Un grand nombre de fournisseurs, fraudeurs ou pas, furent indistinctement jetés en prison. Mais, cette exemplarité devenait d’autant plus nécessaire que la Convention pour réunir une grande quantité d’habillements militaires, conséquence de la Levée en masse, venait au début de 1794, d’acheter à des particuliers 100 000 uniformes sur tous les points du territoire.

Autre disposition, dans cette course à l’habillement des soldats, on encouragea les villes, les communes, les Sociétés populaires, mais aussi les simples citoyens à multiplier les dons patriotiques de vêtements et chaussures. Les Municipalités furent invitées à ouvrir des registres pour y inscrire les noms des donateurs et la nature des offrandes. Dans un temps où chaque citoyen tremblait d’être déclaré suspect, la tenue d’un semblable registre constituait pour tous une obligation à la générosité. La quantité des dons patriotiques s’en accrut d’autant plus que chaque commune, chaque société va rivaliser de générosité et se lancer dans un méticuleux décompte des moindres dons, voulant ainsi éclipser les efforts des voisines et briller aux yeux des conventionnels. La Convention va ainsi voir défiler à sa tribune une file ininterrompue de délégations qui vont énumérer leurs listes de dons, véritables catalogues à la Prévert !

L’exemple suivant n’attend que d’être éclipsé par un autre plus patriotique ! « Le 1er Pluviôse An 2 (20 janvier 1794), une députation de la société populaire de Châlons-sur-Saône offrit à la Convention : 4 277 chemises, 339 draps, 269 aulnes de toile, 95 habits d’uniforme, 21 manteaux, 8 houppelandes, 7 pantalons, 3 couverts, 6 soutanes, 1 redingote, 24 paires de guêtres, 26 vestes, 20 culottes, 53 paires de bas, 1 bonnet de coton, 12 paires de souliers, 9 paires de bottes, 4 fusils, 7 gibernes, 2 pistolets, 10 sacs de peau et de toile, 7 mouchoirs, 3 chapeaux, 6 linges à barbe, 2 selles, 1 bride, 1 capote, 4 cols, 3 épaulettes et contre-épaulettes en or, 1 paquet de charpie, 1 cavalier monté et équipé, 8 798 livres 6 sols en assignats, 1 144 livres 14 sols en numéraire, 1 300 marcs d’argent et quelques marcs d’or » [19].

Comme à chaque fois, devant une telle générosité, la Convention décrète la mention honorable pour ces offrandes « qu’elle accepte » et ordonne l’inscription au Bulletin. Mais n’est-ce-pas, en fait, pour les communes, le but de cette prodigalité ?

Cependant, certaines communes, probablement pas encore totalement converties aux idéaux révolutionnaires, telle celle d’Aix-en-Othe, manquaient d’ardeur à collecter les dons patriotiques. Le district d’Ervy informé que « tous les citoyens d’Aix n’ont pas fourni leur contingent de vieux linge » met « en réquisition sur le champ » un voiturier afin de remédier à ce « manquement » et d’assurer le transport dudit linge jusqu’à Ervy [20].

Autre pratique : les dons contraints et forcés des familles d’émigrés ! Conformément à la loi du 28 mars 1793 concernant les émigrés, les parents d’émigrés restés en France sont tenus de fournir l’habillement et la solde de deux hommes pour chaque enfant émigré, solde versée à la caisse du district, c’est ainsi qu’à Plonéis en Bretagne, « il est réclamé à la veuve (d’un émigré) la somme de 1 300 livres pour l’habillement et la solde de deux hommes de troupe » [21]. Dans les Vosges, on resta plus modeste, on exigea des parents d’émigrés pour les frais d’habillement d’un volontaire à leur charge seulement le prix de « 184 livres 19 sous » [22].

Les femmes elles-mêmes participèrent à cet élan de générosité. Elles s’organisèrent en Assemblées populaires et revendiquèrent avec force la reconnaissance de leur action, au grand-damne de révolutionnaires masculins : « N’ont-elles pas donné l’exemple et stimulé parmi les citoyens les dons patriotiques destinés à soulager nos braves volontaires ? Et elles-mêmes n’ont-elles pas travaillé de leurs mains aux équipements de leurs frères d’armes ? (…) C’est encore cette société de citoyennes qui a formé un établissement de secours, où elles occupent à la filature, depuis quinze mois, environ trois cents femmes qui manquaient d’ouvrage » [23].

Mais, ces dons, aussi conséquents soient-ils, ne pouvaient pas constituer du fait de leur irrégularité et de leur imprévisibilité un apport suffisant. Ils apportèrent, certes, une certaine atténuation à la pénurie, mais pour assurer un approvisionnement régulier, le Comité de Salut public se tourna vers une production de type industrielle.

Dès le début de l’année 1793, la Commune de Paris avait fait établir un immense atelier où des milliers de femmes travaillaient exclusivement à la confection des habillements militaires. Mais, la production était des plus modeste parce qu’en plus des inconvénients inhérents à un tel rassemblement d’ouvrières, inhabituel pour l’époque, celles-ci perdaient beaucoup de temps à se quereller et à en venir aux mains !

Dans un souci d’efficacité, on décida alors que les travaux seraient exécutés dans les différentes sections parisiennes sous la surveillance de commissions spéciales assurée par des ouvriers qualifiés. Et, totalement novateur, au lieu de produire dans le même atelier un habillement complet, comme auparavant, chaque atelier se spécialisa : ainsi certains furent affectés à la distribution de l’ouvrage, d’autres spécialisés dans la coupe ou dans la réception des travaux, etc. Cela correspondait, en fait à décomposer le travail en différentes tâches précises plus faciles à exécuter pour des ouvrières inexpérimentées… du type de ce nous connaissons aujourd’hui.

Ultime mesure très pragmatique mais aussi politique : afin de respecter le principe d’égalité dans l’armée, le décret du 7 février 1793, relatif à l’habillement de l’infanterie de ligne, prévoyait qu’il « n’y aura plus aucune distinction ni différence entre les corps d’infanterie appelés régiments de ligne et les volontaires nationaux. (…) L’uniforme sera le même pour toute l’infanterie » [24]. Ici, s’ajoute aux motivations politiques, un véritable souci de rationalisation de la production, en introduisant l’uniforme d’abord dans les régiments de ligne pour ensuite l’étendre à toutes les troupes. Mais, cette mesure se heurte à l’opposition des soldats de ligne qui, malgré l’assimilation avec les volontaires, avaient conservé leur culotte blanche, ultime signe de distinction !

Cependant, la différence de tenue militaire comportait de nombreux inconvénients : inconvénient militaire : lors des combats, elle indiquait à l’ennemi les bataillons les plus aguerris et au contraire ceux contre lesquels il devait envoyer ses meilleures troupes ; inconvénient relationnel : cette différence entretenait la mésentente et le mépris entre les soldats ; inconvénient politique : elle était contraire au principe d’égalité et d’unité des Armées que Carnot voulait réaliser et enfin inconvénient économique : il était plus facile, plus rapide et moins onéreux de produire un seul et unique uniforme.

Ignorant toutes les réticences, la Convention définit, le 24 août 1793, les couleurs de l’uniforme des bataillons d’infanterie légère : « Tous les bataillons d’infanterie légère porteront l’uniforme ainsi qu’il suit : Habit-veste, gilet et culottes, en drap bleu national ; le liseré de l’habit-veste en drap blanc, pattes de parements et petit collet montant écarlate, doublure bleue pour l’habit-veste, gros et petits boutons jaunes à la République avec le numéro du bataillon ; la coiffure sera un casque de cuir verni de couleur verte » [25].

Le Comité de Salut public imposa donc que « tous les officiers de la ci-devant troupe de ligne qui n’ont pas pris l’uniforme national (…) ou qui, l’ayant pris, ont conservé quelques signes de l’ancien uniforme, comme épaulettes blanches et boutons portant le numéro de leur régiment, seront sur le champ destitué » [26].

Uniformisation que le journal « Le Père Duchesne » soutint en lançant une campagne contre les réfractaires au nouvel uniforme : « Ils méprisent l’habit national, et, malgré les décrets de la Convention, ils s’obstinent à porter la livrée de la royauté ; ils veulent continuer d’être les Culs-blancs, plutôt que d’endosser l’uniforme de la liberté. Braves défenseurs de la patrie, dénoncez-moi tous ces jean-foutres qui commandent » [27], les autres étant communément appelés « les bleuets » ou « les culs-bleus » en référence à la couleur de la culotte !

Pendant que l’on assurait, certes plus ou moins bien, l’habillement des combattants, il fallait aussi trouver les moyens de les nourrir. Car, les réquisitions faites sans discernement avaient détruit les ressources dans toutes les communes, pénurie encore augmentée par la loi du maximum qui eut pour conséquence immédiate que chaque cultivateur dissimulait ses récoltes. En réaction l’administration centrale décida la réquisition de toutes les céréales, de les entreposer dans chaque district pour finalement les redistribuer dans chaque commune au prorata du nombre d’habitants. C’est-à-dire que de ce fait les paysans-producteurs étaient dépouillés de leur travail pour devenir des assistés quant à leur nourriture. Cette décision eut une double implication : outre l’effet psychologique de se voir ainsi tributaires, la pénurie alimentaire récurrente qui régnait dans de nombreuses communes se transforma rapidement, comme nous allons le voir pour Aix-en-Othe, en véritable famine, mais en contrepartie, Lindet pouvait puiser dans les stocks ainsi constitués au profit des soldats.

Jusqu’en février 1794, les livraisons de grains et fourrages n’avaient été que « parcellaires ». Mais à partir de mars, les communes sont sommées de livrer sur-le-champ les grains et fourrages non fournis lors des réquisitions antérieures. Toutes ces réquisitions étaient destinées aux différentes armées et aux magasins militaires basés dans chaque département. Résultat, en mai, il ne restait plus à Aix-en-Othe que 9 quintaux de grains pour nourrir les 11 déserteurs étrangers !

Le 28 Messidor An 2 (16 juillet 1794), nouvelle réquisition de « toutes les avoines de la commune et les fourrages de la dernière récolte dont les cultivateurs peuvent disposer. » Chaque commune est sommée « d’obéir et remplir sous les 24 H au plus tard la réquisition demandée sous peine d’amende et que faute d’y satisfaire, il sera envoyé dans la commune un détachement d’armée de la Montagne pour être payés à raison de 6 livres par jour et par individu et nourris aux frais des officiers municipaux ou citoyens refusant ou en retard » [28].

La conséquence immédiate est que nombre de citoyens éprouvent les pires difficultés à se procurer du grain pour vivre. La situation devient à ce point catastrophique qu’une pétition des citoyens aixois est envoyée aux Commissaires départementaux : « Un grand nombre de familles de la commune sont entre la mort et la vie, mais la mort la plus affreuse qui ne pourra manquer d’être causée par l’horreur de la famine (…) alors qu’il y a un dépôt de grain dans la commune destinée à la subsistance des armées » [29].

Autre « bête noire » des cultivateurs, les charrois pour ravitailler les armées.
Les réquisitions de charrettes, chevaux et voituriers afin d’assurer l’approvisionnement des armées sur tous les fronts deviennent au fil du temps de plus en plus nombreuses, jusqu’à une réquisition tous les 5 jours dans certaines communes de l’Aube en 1794. Elles tiennent les cultivateurs longtemps éloignés à cause des longs trajets à effectuer et progressivement, elles deviennent plus difficiles à réaliser et plus lourdes à supporter. Pendant qu’ils « marchent » pour ravitailler les armées, les cultivateurs ne sont pas sur leurs terres.

Les agents nationaux des communes, souvent eux-mêmes agriculteurs, sont, en leur qualité de représentants de l’autorité centrale, contraints à leur corps défendant « de requérir et poursuivre l’exécution des lois révolutionnaires ». Et ainsi le Conseil général de la commune d’Aix-en-Othe est sommé en août 1793 « de faire rendre, demain 12 août, à Troyes 4 chariots ou voitures à moisson attelés de 4 chevaux chacune et un conducteur pour chaque voiture, pour conduire les soldats de la garnison de Mayence qui vont à la Vendée. Chacune des voitures portera 12 hommes et leurs bagages. Elles seront garnies de paille en quantité suffisante. Les voituriers se pourvoieront de pain et prendront le fourrage nécessaire à la nourriture de leurs chevaux pour 3 jours  » [30].

Pour sauver les apparences et faire croire au civisme des réquisitionnés, il est noté dans le rapport : « ce quoi (ceux-ci) s’engagent volontairement » !
Mais, tout est bon pour se soustraire à ces réquisitions. Si les cultivateurs n’abandonnent pas purement et simplement leur charroi en cours de route, ils invoquent toutes sortes de bonnes raisons pour en être libérées : la fatigue des chevaux, la mauvaise santé du conducteur ou la vétusté des charrettes et parfois ils tentent le tout pour le tout. Ainsi, toujours à Aix-en-Othe, un cultivateur requis offre pour « marcher » deux chevaux : l’un de réforme et l’autre boiteux et cache dans les bois son bon cheval. Le Conseil général, lui-même lassé par toutes les réquisitions, ferme les yeux et lui évite ainsi l’accusation de suspect.

Conscient de ces réalités sur le terrain, Robert Lindet, pragmatique, se chargea de solutionner ce chaos ! Comme à maintes reprises déjà, sa solution était simple et pleine de bon sens, donc facilement acceptable par toutes les parties concernées, consensuelle, dirait-on aujourd’hui !
Il met un terme au système des réquisitions tel qu’il existait et transforme le procédé arbitraire des transports. Au lieu d’être contraint de faire des charrois sur de très grandes distances, il impose que chaque commune ne procède aux transports que jusqu’aux limites de son arrondissement, la commune suivante le prenant en charge jusqu’aux limites de son district et ainsi de suite jusqu’à la destination finale, le mouvement ne devant en aucun cas être interrompu.

Selon ce principe, les grains et fourrages de toute la nation voyagent d’étape en étape jusqu’aux frontières. Ainsi naît un courant qui part du centre du pays, et se propage de proche en proche jusqu’aux différentes frontières.

Mais là aussi, alors que la théorie prévoit un roulement ininterrompu vers les frontières, la réalité est parfois différente ! Mais des actes héroïques de civisme peuvent y apporter réparation, comme ici à Saulxures dans les Vosges.

Le 20 Frimaire An 2 (10 décembre 1793), « deux voitures de fourrages impatiemment attendues par l’armée, se trouvaient arrêtées, faute de chevaux, dans cette commune. Seize sans-culottes de Saulxures, pères de famille, se présentent aussitôt et s’attelèrent à tour de rôle aux voitures qu’ils traînèrent par des chemins difficiles, trempés par une pluie continuelle, jusque Colmar, à 22 lieues de chez eux. Ils mirent quatre jours à franchir cette distance. » Si en chemin, « ils n‘avaient rencontré partout que le plus froid accueil ; on allait même parfois jusqu’à leur refuser la nourriture et à les insulter sur les routes », la Convention décréta dans le plus vif enthousiasme « qu’un uniforme national au complet, avec l’équipement serait fourni, aux frais de la patrie, à chacun de ces courageux républicains, et mention honorable de leur conduite et de leur dévouement fut faite au procès-verbal » [31], le tout immortalisé par une estampe !

Plus important peut-être que le récit en lui-même est « le plus froid accueil » que ces 16 sans-culottes rencontrèrent tout au long de leur parcours. Il peut être considéré comme l’expression de ce qu’une bonne partie de la population, celle silencieuse, éprouvait face à ce zèle patriotique exagéré à leurs yeux. Ils manifestaient ouvertement leur désapprobation et leur mépris en les insultant et en leur refusant la nourriture, eux qui, contraints et forcés, devaient répondre aux multiples réquisitions et se comporter en bons républicains s’ils ne voulaient pas se retrouver sur la liste des suspects ! Patriotisme de façade, donc, qui, à la première occasion, volait en éclats.

Mais là aussi, lorsque l’enthousiasme n’était pas suffisant, Lindet agissait par l’intimidation et la menace de déclarer suspects ceux qui tentaient d’entraver son œuvre, car l’urgence de la situation n’autorisait aucun débat pour convaincre. Quelques exemples suffirent à faire rentrer dans le rang les plus réfractaires !

Maintenant que l’habillement et l’approvisionnement des combattants, tant aux frontières qu’à l’intérieur, étaient en passe d’être assurés par Lindet, il fallait pourvoir à leur armement.

« Il faut des armes ! »

Pourvoir la patrie d’un grand nombre de défenseurs et assurer l’intendance étaient une chose, leur procurer des armes et les équiper en était une autre. C’est à Claude-Antoine Prieur [32] d’intervenir pour la production d’armes et naturellement à Carnot pour l’évaluation et la définition des besoins. Nous dirions aujourd’hui à Carnot d’établir le cahier des charges, à C-A Prieur de l’exécuter !

Les besoins estimés pour les prochaines campagnes prévues par Carnot étaient gigantesques : 500 000 fusils, 6 000 canons en fer, un plus grand nombre en bronze, 12 000 caissons, 6 000 chariots et 17 millions de livres en poudre.

La pénurie en armes était récurrente depuis le début de la Révolution, car la formation des Gardes nationales avait vidé la plupart des arsenaux et ce manque ne faisait que croître au fur et à mesure des combats. Les réquisitions des armes chez les particuliers, le désarmement des nobles et des suspects, la recherche des anciennes arquebuses, les achats chez les fournisseurs avaient quelque peu atténué le dénuement, mais tous ces moyens réunis restaient très marginaux, car entravés par l’inertie, le manque d’argent, la fraude et le désordre général.

Dès le 1er août 1792, avant Valmy donc, Carnot met déjà cette question en exergue. Sa volonté est « d’armer de piques uniformes tous ceux (les citoyens retenus dans leurs foyers) qui ont la volonté et la force de concourir à la défense de leur patrie », ceci étant pour lui « la seule résolution qui puisse faire trembler tout à la fois les ennemis du dehors et ceux du dedans, le seul moyen de jeter les bases d’un nouveau système militaire, qui, rendant tous les citoyens soldats, portera enfin le dernier coup à l’esprit de distinction, par l’anéantissement de cette dernière et terrible corporation qu’on nomme armée de ligne » et de proclamer « la pique est en quelque sorte l’arme de la liberté » [33] ! Et « le modèle qui lui a paru le plus convenable est la pique du maréchal de Saxe, réduite à onze pieds de longueur. »

Avec les piques apparaît déjà chez lui un désir d’uniformisation de l’armée par pragmatisme mais aussi par rationalisation de la production : production simplifiée par le choix d’un modèle unique de piques, donc « peu dispendieuses et promptement exécutées » [34].

Mais la fourniture des simples piques n’était que la phase préliminaire d’un armement digne de ce nom des quelques 500 000 réquisitionnaires de la Levée en masse. Il imposait la mise en production d’une quantité prodigieuse d’armes de toutes catégories pour les rendre aptes au combat.

Dans son décret du 23 août 1793, la Convention investit le Comité de Salut public, donc Carnot et Prieur, de cette tâche gigantesque : il « est chargé de prendre toutes les mesures nécessaires pour établir, sans délai, une fabrication extraordinaire d’armes de tout genre qui répondent à l’élan et l’énergie du peuple français. Il est autorisé, en conséquence, à former tous les établissements, manufactures, ateliers et fabriques qui seront jugés nécessaires à l’exécution de ces travaux, ainsi qu’à requérir, pour cet objet, dans toute l’étendue de la République, les articles et les ouvriers qui peuvent concourir à leur succès » [35].

Une véritable industrie de guerre voit ainsi le jour :

Un recensement des disponibilités existantes fut la première démarche effectuée au niveau national, le Gouvernement révolutionnaire n’hésitant pas à relancer les retardataires à ses demandes, comme ici dans le Doubs : « Vous avez dû remarquer, citoyens, (…) la disposition qui a pour objet d’établir un grand nombre d’ateliers, manufactures et fabriques, pour armer au plus tôt les citoyens qui vont marcher. Elle me fait voir avec beaucoup de peine le retard où vous êtes de me fournir l’état des fabriques et usines qui existent dans les domaines soit nationaux, soit provenant d’émigrés, que renferme votre arrondissement. (…) Vous sentirez aisément, citoyens, qu’il n’y a plus un moment à perdre pour me le procurer. Rien n’est plus précieux aujourd’hui que des renseignements qui tendent à faciliter le triomphe du peuple français sur les ennemis de sa liberté » [36]. Évidemment un tel appel aux sentiments patriotiques ne pouvait rester sans réponse, d’autant plus que le suivant aurait probablement été plus direct, voire menaçant !

Recensement fait, il est établi un plan d’action.

Les besoins étant définis, il fallait maintenant les couvrir : c’est Barère, encore lui, qui exposa les moyens pour y parvenir :
« Au moment où toutes les maisons vont être converties en casernes, les places publiques seront transformées en ateliers. La République a besoin qu’on fabrique sur-le-champ un nombre d’armes illimité ; Paris a besoin pour l’emploi de sa population d’un établissement nombreux et diligent ; c’est donc à Paris qu’il faut rassembler la multitude d’ouvriers nécessaires pour parvenir bientôt à une fabrication de 1000 fusils par jour. (…) Le Paris de la République va devenir l’arsenal de la France. »
Car, pour le Comité de Salut public, cette production d’armes ne pouvait se faire qu’à Paris, c’est-à-dire sous sa surveillance directe, ne laissant ainsi à personne la possibilité de dilapider, ou même de fomenter une quelconque révolte.

Comme pour les uniformes, on envisage dès l’origine une production de type industrielle des armes, chaque établissement ayant une fonction bien précise : nous pourrions considérer qu’était prévue, pour chacun, une spécialisation dans la chaîne de production !
Car, elle n’est pas le fruit du hasard ou des opportunités. Les délégués envoyés prospecter sur l’ensemble de la République pour recenser les disponibilités, ramenèrent avec eux les échantillons et les modèles d’armes déjà en production ainsi que les plus habiles ouvriers, disposant ainsi des premiers éléments pour lancer leur fabrication.

Concomitamment, le Comité de Salut public se tourna vers les scientifiques dans des appels chaleureux quelque peu flatteurs. Ceux-ci ne purent résister et se mobilisèrent en faisant des prodiges. « Eh bien ! Faisons notre acier ! » répondirent Monge, Vandermonde et Berthollet et rédigèrent une instruction très largement répandue pour fabriquer le fer et l’acier : « Avis aux ouvriers en fer » [37].

Principale caractéristique de cet ouvrage, mais aussi de la plupart de ceux qui suivront : la vulgarisation de procédés simples qui permettaient au plus grand nombre d’atteindre rapidement le but escompté même sans grande formation. Un souci d’efficacité, de rationalisation et de productivité dirait-on aujourd’hui, semble avoir primé.

Puis suivit une spécialisation des lieux de production : Paris pour les armes à feu, la province pour les armes blanches. Car, si cette production était encadrée par des ouvriers spécialisés dans le travail du métal, l’énorme majorité des ouvriers était novice, d’où là aussi un découpage de chaque étape de la fabrication.

Et ainsi commença la réalisation de ce plan :

A Paris d’abord :

L’organisation de la production à Paris fut minutieusement préparée :

La matière première : Pour satisfaire la production parisienne, il fallait faire venir 6 millions de livres de fer des forges et fourneaux des départements de l’Allier, de la Nièvre, du Cher, du Doubs et de la Haute-Marne : deux raisons très pragmatiques à ces choix : la qualité des produits proposés et la facilité des arrivages par la voie fluviale.

Organisation de la production : Pour débuter la production, 250 forges s’élevèrent autour du jardin du Luxembourg, 10 « foreries à canons  » furent installées sur la Seine et 16 maisons nationales furent ouvertes pour héberger chacune 150 ouvriers.

La main-d’œuvre : Tous les horlogers furent réquisitionnés pour la confection des pièces les plus délicates et ultime mesure, les sections eurent pour mission de veiller à ce qu’aucun ouvrier en fer ne pût se soustraire à l’obligation de fabriquer des armes pour la Patrie.
Mais, comme pour l’habillement, la concentration d’un grand nombre de personnes fut à l’origine de nombreux conflits. En particulier, les armuriers refusèrent, par esprit de corporatisme, de former les horlogers, les serruriers et les menuisiers parisiens.
De plus, la quantité d’ouvriers nécessaires à une telle entreprise exigeait une surveillance incessante, en particulier à l’égard de ceux qui réceptionnaient les matières premières, le charbon et les outils.

Comme à plusieurs reprises déjà, l’excès de patriotisme des surveillants contribua à encore multiplier les difficultés. Le Comité de salut public fut obligé d’arrêter le zèle d’agents dont l’interventionnisme pointilleux désorganisait la production sous prétexte de surveiller. Pour juguler les vols et le refus de la réquisition, mais aussi les excès des surveillants, on employa la méthode habituelle instaurée par le Gouvernement révolutionnaire : l’intimidation. Tout individu qui entravait d’une manière quelconque la fabrication des armes, était considéré comme complice de l’étranger et en tant que suspect méritait la mort.

Résultat : Paris était devenue une immense manufacture : Les ateliers étaient partout ; ils encombraient les places publiques, remplissaient les églises et peuplaient les cellules ou les cloîtres des couvents ; les salles de réception des matières et les magasins avaient envahi de nombreuses demeures d’émigrés. Et deux mois après le début de la production, Paris était capable de livrer environ 600 fusils par jour. Carnot dira : « Paris (…) pourra se glorifier du titre immortel d’arsenal des peuples libres » [38].

Sur le territoire national ensuite :

Selon les mêmes principes, il fut mis en place la fabrication des armes blanches sur l’ensemble du territoire : des manufactures s’organisèrent à Langres, Châtellerault, Grenoble, Thiers, etc. Les serruriers et les maréchaux-ferrants forgèrent, de gré ou de force, baïonnettes et sabres.

Lorsque l’intérêt particulier était à l’origine d’une production insuffisante, comme pour la manufacture de Moulins, Carnot n’hésitait pas à user de la menace pour arriver à ses fins : « Quel est donc le moyen d’éviter et la paralysie de cette manufacture, d’une part, et le gaspillage, de l’autre ? Il nous paraît de dire aux entrepreneurs : « Faites des fusils, faites-en le plus que vous pourrez, nous vous les prendrons tous au prix courant ; et si vous n’en fournissez pas une quantité déterminée et suffisante, la nation rentrera dans ses bâtiments et vous lui rembourserez les avances qu’elle vous aura faites. » [39]
(Nationalisation avant l’heure ?) Quand vous saurez que l’entrepreneur en question était déjà sous le coup d’un ordre d’arrestation, vous comprendrez qu’il manifeste par la suite beaucoup de bonne volonté !

Mesures diverses qui concourent à améliorer la situation :

Certaines communes allaient au-devant des sollicitations des membres du Comité de Salut public avec des dons patriotiques inattendus : elles offraient aux armées des soldats habillés et armés, voire des cavaliers montés et équipés. La Société populaire de Sedan offrit ainsi à la Patrie un cavalier armé et un cheval. Les louanges qu’elle reçut poussèrent les autres sociétés à l’imiter. Exemplarité oblige : « on donnait 500 livres pour l’enrôlement d’un soldat, on l’habillait, on l’armait même de pied en cap, et l’on était encore obligé de garnir abondamment son portefeuille ou sa bourse »  [40] !

Melun fera preuve d’une plus grande générosité : « deux bataillons, composés de la plus belle jeunesse, ont été organisés, habillés, équipés et armés ; ils ont juré d’exterminer les tyrans ; ils tiendront parole » [41]. Les communes les plus pauvres incapables de les imiter mais voulant montrer leur patriotisme se contenteront d’offrir un ou deux combattants équipés.
Dans ces cas, les communes se substituaient tout à la fois à Carnot, Lindet et Prieur en organisant elles-mêmes, à leur échelle, ce qu’ils étaient contraints de faire au niveau national.

Outre ces dons, en fait limités et à finalité de propagande, et s’ajoutant à la mise sur pied de la production industrielle des armes, Carnot agit, exactement comme pour l’approvisionnement, dans deux autres directions. En elles-mêmes, elles ne sont certes pas suffisantes pour pallier les pénuries, mais elles permettent de les atténuer en attendant une production d’armes à la hauteur des besoins.

Une première mesure politique et pratique :
On désarma tous ceux pour qui les armes n’étaient pas d’une absolue nécessité, comme par exemple ceux détenteurs de lames de 30 pouces de longueur. Plus difficiles et plus longues à produire, elles furent purement et simplement réquisitionnées et enlevées à tous ceux pour qui elles n’étaient pas indispensables pour les attribuer aux seuls cavaliers !

De même, on réquisitionna toutes les armes à feu dispersées dans les communes depuis le début de la Révolution pour les mettre à disposition du seul gouvernement révolutionnaire. La crainte d’une révolte spontanée de la part de citoyens excités était par la même occasion de ce fait bannie. Il en fut de même pour toutes les armes blanches susceptibles de servir aux combattants !

Et toujours dans ce souci d’économie : une décision à volonté humiliante ! Les soldats qui perdaient leur baïonnette, étaient privés de l’honneur de marcher à l’ennemi et, au moment où l’on battait la charge, ils devaient se retirer en arrière !

Seconde mesure : l’amélioration de la production :

Avec l’aide des scientifiques et des spécialistes, on apporta de notables améliorations aux différents procédés de production. De plus, au lieu de se lancer dans une multitude d’armes, on se limita, pour chaque catégorie à quelques types en fonction de leur utilisation : ainsi rationalisée, la production s’en trouva d’autant plus facilitée.

C’est la fabrication des canons nécessaires qui connut le plus d’améliorations grâce aux scientifiques : on substitua le moulage en terre par celui en sable. Et là aussi, on rationalisa la production : les fonderies de Paris ne produisirent plus que 20 modèles différents pour approvisionner toutes les armées en canons en bronze et la marine en canons en fer.

Où trouver les matières premières nécessaires ?

Autre question d’importance : maintenant que l’on avait les moyens de production, il était indispensable d’en assurer l’approvisionnement en matières premières.
Les matières premières indispensables à tout cet armement furent obtenues avec beaucoup de pragmatisme et selon une méthode … révolutionnaire :
Les conventionnels usèrent, pour ne pas dire, abusèrent de l’enthousiasme révolutionnaire qui animait les citoyens dans chaque commune pour pourvoir aux énormes quantités nécessaires en appelant aux dons de toute matière utile à fabriquer des armes.
A nouveau, une véritable compétition acharnée s’engagea entre chaque commune, chacune voulant mettre à la disposition de la Révolution des quantités de plomb, de cuivre, d’or, d’argent, … supérieures à celles du voisin à seule fin de prouver son engagement révolutionnaire. Le patriotisme de la commune se mesurait à l’aulne des quantités fournies.

Les églises et les propriétés des émigrés furent ainsi dépouillées de tout ce qui pouvait avoir une quelconque utilité.
« Il s’était établi, entre les diverses communes, une sorte d’émulation à cet égard : l’honneur était à celles qui apporteraient le plus tôt et en plus grande quantité les dépouilles de leur paroisse ou des maisons religieuses »  [42].
Le but réel étant de se faire remarquer, certains envois à la Convention ne trouvant pas aux yeux de l’expéditeur la notoriété escomptée, celui-ci n’hésite pas à relancer l’Assemblée pour enfin obtenir la reconnaissance attendue, en particulier la publication au Bulletin ! Car, fréquemment, il n’est présenté à la Convention qu’un résumé succinct où y apparaît la hauteur des dons, ce n’est que dans le bulletin que se retrouve l’intégralité du message, souvent plusieurs pages à la gloire de la Révolution, car le cortège des donateurs aurait été si long que tout travail législatif aurait été impossible !

La Convention accueille, cependant de temps à autre, à sa tribune des pétitionnaires qui annoncent eux-mêmes en termes révolutionnaires les dons proposés, Et, lorsque l’un d’eux est autorisé à monter à la Tribune, l’Assemblée ne perd « jamais l’occasion de témoigner à un dévouement aussi républicain les sentiments d’estime et de reconnaissance dont ils pénètrent les vrais amis de la liberté » [43].

Exemplaire est ce message à la gloire de la Révolution lu à la tribune de la Convention : « La commune de Charenton-Saint-Maurice, département de Paris, a apporté l’argenterie de son église pesant 105 marcs 6 onces ; le cuivre qu’elle a déposé pèse 427 livres. « Bientôt, a-t-elle dit, nos cloches converties en canons n’importuneront désormais que l’ennemi ; et nos fers transformés en piques achèveront de lui faire mordre la poussière. (…) Les bons exemples produisent toujours leurs effets. La commune de Charenton-Saint-Maurice (…) a aussi reconnu que l’or et l’argent employés dans nos temples étaient une superfluité consacrée par un superstitieux orgueil, car si l’œil du curieux imbécile en était ébloui, celui du pauvre ne s’ouvrait que pour lui faire sentir plus profondément sa misère. (…) » [44].

Mêmes élans patriotiques à Saintes où « 226 marcs d’argenterie fanatique partent pour la purification » ou bien à Mer : « J’ai vu se réaliser onze mille et quelques cent livres d’offrandes ».

Ce défilé incessant de délégations aux allégations surfaites en faveur de l’œuvre de la Révolution avait une fonction politique de première importance : entretenir sur tout le territoire français une fièvre révolutionnaire qui tenait les citoyens en haleine. Pensez que tous les rapports concernant les travaux de la Convention devaient être lus dans chaque commune par les Comités et les Sociétés patriotiques.

De ce fait, dans un but d’exemplarité et à des fins de propagande en faveur de sa politique entreprise, la Convention mentionne dans son bulletin tous les dons, même les plus modestes, réunissant s’il le faut plusieurs donateurs dans la même annonce : un citoyen « fait don de sa montre d’or » ou encore « Deux citoyennes anonymes font hommage de trois petites croix en argent et d’un chiffre » [45] ou ce citoyen, homme de lettres, qui dépose sur l’autel de la patrie 1 piastre, 6 jetons et quelques pièces de monnaies, « desquelles je n’aime point la vue. »

Tout était mentionné, même les dons les plus caricaturaux : tel celui de ce citoyen de Reims : « en bon républicain, il mange tout aussi bien avec des cuillères d’étain qu’avec des cuillères d’argent : il fait don à la patrie de 3 couverts de ce dernier métal. »

Mais, fréquemment, les dons sont d’une grande importance : « Une députation de la commune d’Étampes annonce à la Convention l’arrivée de 18 voitures chargées de 51 035 livres de fer, cuivre, bronze et plomb, qui bientôt seront suivies d’autres » et d’estimer que « 200 voitures sont insuffisantes pour conduire les matières de cloches, plomb, fer, etc. » [46].

A Reims, « Les cloches, jusqu’ici respectées malgré leurs sons discordants, sont à bas de leurs observatoires, s’acheminent pour Metz, et vont se changer en bouches à feu. (…) Environ 300 milliers de fer, détachés de la seule église ci-devant cathédrale, se rendent aux ateliers de Paris, pour être transformés en fusils. » [47].

Tous ces dons patriotiques portèrent rapidement leurs fruits :

La République forgeait des armes avec le fer des grilles des palais royaux et transformait en balles le plomb des toits. Les vieux parchemins se transforment « en si bonnes gargousses » et le papier des livres « se prête le mieux à la confection des cartouches. » [48]

Elle trouvait une mine inépuisable de cuivre dans l’immense quantité de cloches enlevées aux communes, les scientifiques ayant indiqué le moyen d’extraire de leur métal l’étain nuisible à la solidité des canons. En un an, on obtint ainsi plus de 20 000 canons.

« Dès lors la France était en droit de croire que ses ennemis manqueraient de canons avant elle. » [49]


[1Robert Lindet accomplit un travail important dans les domaines de l’agriculture, des transports et du commerce pour lutter contre la famine qui menace Paris. Révolutionnaire modéré, il refuse de signer le décret d’arrestation de Danton déclarant à Saint-Just : « Je suis ici pour secourir les citoyen, non pour tuer les patriotes. »

[2L’Armée et la Garde nationale, tome 3, p. 149

[3Correspondance générale de Carnot, tome 1, p.17

[4Correspondance générale de Carnot, tome 2, p.232

[5Correspondance générale de Carnot, tome 2, p.232

[6Correspondance générale de Carnot, tome 2, p. 181

[7L’Armée et la garde nationale tome 2 p. 493

[8Correspondance générale de Carnot, tome 2, p. 173

[9Paris en 1794 et en 1795, p. 85

[10Les actes du gouvernement révolutionnaire, tome 2, p. 339

[11L’Armée et la garde nationale tome 2 p. 517

[12La Démagogie en 1793 à Paris, p. 427

[13Histoire de la révolution française, tome 32, p. 232

[14Paris en 1794 et 1795, p. 146

[15La terre aux sabots, p. 75 et 81

[16aris en 1794 et 1795, p. 85

[17L’Armée et la garde nationale, tome 3, p. 145

[18La Démagogie en 1793 à Paris p. 21-22

[19L’Armée et la garde nationale, tome 3, p. 140

[20L’histoire d’Aix-en-Othe sous la Révolution, p. 64

[21Pierrick Chuto, La terre aux sabots, p. 61

[22Les Vosges pendant la Révolution p. 177

[23La Démagogie en 1793 à Paris p. 106

[24Archives parlementaires, tome 58, p. 365

[25Archives parlementaires, tome 73, p. 495

[26Archives parlementaires, tome 73, p. 173

[27L’Armée et la garde nationale tome 2 p. 521

[28L’histoire d’Aix-en-Othe sous la Révolution, p. 64 et 67

[29L’histoire d’Aix-en-Othe sous la Révolution, p. 68

[30L’histoire d’Aix-en-Othe sous la Révolution, p. 49

[31http://canopeegenealogie.wordpress.com/2014/09/14/1793-saulxures-sur-moselotte/, origine : Les Vosges pendant la Révolution, p. 269 – 270

[32Claude-Antoine Prieur, officier du génie comme Carnot, se consacra entièrement à l’organisation des fabrications de guerre et sut s’entourer d’une élite de savants et de techniciens.

[33Correspondance générale de Carnot, tome 1, p. 409

[34Correspondance générale de Carnot, tome 1, p. 410

[35Archives Parlementaires tome 72 p. 674-675

[36Les actes du gouvernement révolutionnaire, tome 1 p. 13

[37L’Armée et la garde nationale tome 3 p. 161

[38Correspondance générale de Carnot, tome 4, p. 461

[39Correspondance générale de Carnot, tome 4, p. 104

[40La Démagogie en 1793 à Paris p. 104

[41Archives Parlementaire tome 79 p. 137

[42Esquisses historiques des principaux événements de la Révolution Française, p. 59150 Correspondance générale de Carnot, tome 4, p. 137

[43Esquisses historiques des principaux événements de la Révolution Française, p. 59150 Correspondance générale de Carnot, tome 4, p. 137

[44Archives Parlementaire tome 79 p. 82

[45L’Armée et la garde nationale tome 3 p. 333, 423, 438, 410

[46Recueil des actes du Comité de Salut public, p. 513

[47Archives Parlementaire tome 79 p. 177

[48L’Armée et la garde nationale tome 4 p. 433

[49L’Armée et la garde nationale tome 3 p. 169

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