La suppression du monopole
La Compagnie des Indes fut créée en 1664 sur l’initiative de Colbert par une déclaration du Roi Louis XIV. Elle porta le nom de Compagnie des Indes Orientales de 1664 à 1719. De 1719 à 1725, la Compagnie fut englobée dans une vaste opération financière montée par le banquier, John Law. Une nouvelle Compagnie vit le jour par la réunion à la Compagnie d’Occident (Edit de réunion de mai 1719) de la Compagnie des Indes Orientales, du Sénégal, de Chine, de Barbarie et de la Mer du Sud et porta le nom de Compagnie Perpétuelle des Indes [1].
La première attaque contre le monopole de la Compagnie Perpétuelle des Indes, vint en 1755 de monsieur de Gournay [2], le célèbre intendant général du commerce. Elle se concrétisa par un mémoire [3] adressé au contrôleur général Moreau de Séchelles sur l’état de la Compagnie. Il indiqua que la situation de la Compagnie était très mauvaise et en précisait les causes en ces termes " sa régie est peu conforme à l’esprit du commerce, elle fait des dépenses très étrangères à son objet (dépenses de la guerre de Dupleix) ; depuis 25 ans elle ne travaille pas sur son propre fonds et empreinte sans cesse à un taux très onéreux ; enfin les directeurs, au lieu de s’occuper uniquement du bien des affaires générales, se livrent au négoce pour leur compte et remplissent leur charge avec négligence... ".
Cette opinion peu flatteuse envers la Compagnie l’amena à la conclusion qu’il convenait d’adopter une mesure radicale " liquider le commerce et les dettes de la Compagnie et déclarer le trafic de l’Inde ouvert à tous ". La guerre qui se déclara l’année suivante détourna les esprits de ce sujet et les idées de de Gournay n’eurent pas d’écho à ce moment.
Quelques années plus tard, l’arrivée au contrôle général de monsieur Maynon d’Invau familier du Duc de Choiseul et ami de de Gournay relança le débat. Maynon d’Invau appuyé par le Duc de Choiseul refusa tout remboursement de la dette de la Compagnie et s’opposa au lancement d’un nouvel emprunt. Il mis alors la Compagnie dans une situation insoluble et les idées de de Gournay revinrent à l’ordre du jour.
Lors de la réunion des députés des actionnaires du 29 mars 1769, le banquier Panchaud se fit le porte-parole de cette opinion et lut un mémoire signé avec lui par le Comte de Lavragais, messieurs Dupan et La Rochette. Dans l’assemblée, il y eut un seul adversaire, monsieur Duval d’Espréménil qui réussi à retourner la situation et à faire repousser la proposition.
Maynon d’Invau convia alors à l’abbé Morellet la tache de rédiger un mémoire attestant du mauvais état des affaires de la Compagnie et de démontrer que l’on avait intérêt à établir la liberté du commerce aux Indes. Ce mémoire [4] fut un document d’une très grande importance qui détermina la chute de la Compagnie. Le mémoire terminé, il fut imprimé et communiqué aux ministres.
Une seule personnalité tenta de s’opposer aux idées développées par l’abbé Morellet, ce fut Necker. Mais le dimanche 13 août 1769, à Compiègne, la destinée de La Compagnie des Indes basculait. D’une compagnie ayant le monopole du commerce avec les îles de France et de Bourbon, avec les Indes et la Chine, elle devenait une compagnie maritime ouverte à la concurrence. Cette décision fut prise par le Roi et ses ministres en Conseil du Roi, après un exposé du contrôleur Maynon d’Invau s’appuyant sur le contenu du mémoire de l’abbé Morellet, rejetant les projets d’emprunt pour relancer la Compagnie et concluant que faute de fonds, elle ne pouvait plus assurer, seule, pleinement sa mission de fournir les subsistances aux colonies. Cette décision fut suivie d’un arrêt du Roi dont l’article premier suspendait le monopole de la Compagnie :
" L’exercice du privilège exclusif de la Compagnie des Indes aux îles de France et de Bourbon, aux Indes, à la Chine et dans les mers au-delà du cap de Bonne-Espérance, sera et demeurera suspendu jusqu’à ce qu’il en soit par S.M. autrement décidé [5]".
Avant cet arrêté, les armements privés ( Marion Dufresne, Arnous Frères, Foucault) au départ de Lorient faisaient du commerce principalement en Europe (Cette [6], Marseille, la Rochelle, Cadix, Barcelone, Maderre [7] et la Martinique) A partir d’août 1769, ces autres armateurs purent s’intéresser au commerce avec l’Inde et la Chine ; la Compagnie fut soumise à la concurrence.
L’année charnière
En 1768, la Compagnie des Indes avait une bonne activité car elle armait 11 navires pour transporter les subsistances pour les colonies de l’Océan Indien et d’Asie. Les armateurs privés se limitaient au commerce avec les ports européens : Cette, Barcelone, Maderre, Marseille, etc [8].
L’année 1769 fut une année charnière pour la Compagnie des Indes. Les armements, tous armements confondus, au départ de Lorient au nombre de 25 se firent pendant la première partie de l’année comme les années précédentes, par la Compagnie des Indes pour les îles de France et de Bourbon, pour l’Inde et la Chine et par les autres armateurs (Arnous Frères [9], Foucault) pour les autres destinations (Cadix, la Martinique, Cette et Maderre). Mais dès la sortie de l’arrêté du Roi, les autres armements lancèrent des opérations commerciales avec l’île de France. Il y eut même un navire Le Jazon appartenant et armé par les sieurs Arnous qui partit pour l’île de France le 9 juillet 1769 anticipant d’un mois la décision de Compiègne.
Les armements Bernier, Roth, Arnous Frères et Masson & Compagnie s’attaquèrent dès la sortie de l’arrêté au commerce précédemment réservé à la Compagnie ; deux d’entre eux, les armements Bernier et Roth armèrent des navires appartenant au Roi.
Pour les armateurs privés, cette suppression de monopole fut une ouverture considérable de marché car lorsque l’on examine les tonnages transportés pour l’année 1768, on remarque que la part du marché réservée à la Compagnie est la plus importante : 9710 tonneaux sur un marché global de 10540 tonneaux. Pour assurer le commerce qui leur était ouvert les armateurs privés utilisaient des navires d’un port en lourd faible, inférieur à 260 tonneaux alors que la Compagnie avait des navires de 900 tonneaux. Ces armateurs étaient donc peu préparer à prendre le relais de la Compagnie car ils ne disposaient pas de navire d’un tonnage important. Ils armèrent quelques navires appartenant au Roi pour suppléer à ce manque de moyen. De plus, la situation à laquelle ils étaient soumis, n’était pas sans difficultés car il leur fallait pour pouvoir faire partir des navires avoir le passeport établi par les bureaux de la Compagnie à Paris. D’autre part, ils ne pouvaient pas armer pour l’Asie dans n’importe quel port mais uniquement avec ceux ouverts au commerce avec les colonies.
La pénétration du marché, jusqu’alors réservé à la Compagnie des Indes, par les armateurs privés fut assez rapide car dès l’année 1769, la Compagnie des Indes perdit 2610 tonneaux de transport de marchandises sur un total de 7930 tonneaux et n’assura le transport sur aucune autre destination.
La Compagnie avait perdu son monopole mais elle conservait le rôle de délivrance des passeports - autorisation pour commercer avec les colonies - aux commerçants. Ses comptoirs maintinrent leur personnel qui passèrent de son service à celui du Roi. A Paris, l’administration centrale fut aussi maintenue pour assurer la délivrance des passeports et aussi pour conduire sa liquidation.
Le 17 février 1770, un arrêté fut établi et complété le 8 avril pour définir la situation respective du Roi et de la Compagnie. La Compagnie céda au roi ses immeubles, meubles - en particulier ses navires - et ses droits ; le Roi de son côté se reconnut débiteur d’une rente perpétuelle.
Le déclin de l’activité
Le déclin d’activité de la Compagnie se fit sentir dès l’année 1770. Sur les 5135 tonneaux d’armement au départ de Lorient seul 2650 tonneaux revinrent à la Compagnie et 1725 tonneaux sur l’Asie furent transportés par des armateurs privés ( Breton de Blessin & Compagnie, Foucault et Bourdé & Maurice) [10].
En 1771, elle n’assurait plus que 650 tonneaux de transport avec un seul navire Le Gange et en 1772 elle n’avait plus aucune activité de transport.
Pour ces trois années, le transport fut assuré par de nombreux armateurs qui armaient un nombre faible de navires (fréquemment 1 navire dans l’année). Deux armements furent présents sur la toute la période, les armements Arnous Frères et Foucault. Dans le tableau ci-dessous, il est résumé les armements au départ de Lorient pour la période de 1768 à 1772 (cf. annexe pour le détail de l’ensemble des armements au départ de Lorient ; classés par ordre alphabétique des armateurs).
Un dernier sursaut
Un arrêt du Conseil du Roi Louis XVI en date du 14 avril 1785 établit à l’instigation du ministre Calonne créa une nouvelle Compagnie des Indes car on reprochait aux armements privés de mal approvisionner les colonies. A partir de cette date, il existait alors 2 Compagnies des Indes ; une la Compagnie Perpétuelle des Indes qui poursuivait sa liquidation - sa suppression intervint en 1794 - et l’autre la Compagnie de Calonne qui reprenait en partie les privilèges de la précédente. En effet, cette nouvelle Compagnie ne reçut point de droits de souveraineté sur les pays dont le commerce lui était concédé, de plus elle n’avait pas le caractère d’une société financière et enfin la durée de son privilège était limitée à 7 années de paix. Comme la précédente, elle avait le monopole du commerce avec les Indes mais aucun privilège de commerce dans l’Atlantique et avec les îles Mascareignes.
Cette nouvelle Compagnie eut une existence brève car l’Assemblée Constituante lui enleva son privilège le 3 avril 1790, la Convention prononça sa dissolution le 14 avril 1794 et elle fut liquidée définitivement en 1875.
- Type de document exploité pour la réalisation de cette étude
- Rôle d’équipage du navire Le Gerion avec l’indication du port en lourd,
du propriétaire et de l’armateur (Arnous Frères) et de la destination - SHM de Lorient - 2 P 44 I 6 pièce 2.
Annexe