Au XVIIe siècle, le quartier de Paris, dit du Marais, n’était pas comme aujourd’hui un endroit où se trouvent les plus belles demeures de la capitale et qui sera quelque peu abandonné à l’industrie au XIXe siècle. C’était là, que se réunissait le monde élégant, dans les hôtels de la noblesse de robe et d’épée rivalisant de luxe et de splendeur, tandis que le vieux Paris conservait ses ruelles boueuses et infectées de miasmes nauséabonds. Ce n’est que vers 1760, que les gens riches le désertèrent pour migrer vers Saint-Germain lorsque la cour fut définitivement établie à Versailles.
Il faut bien dire que sous Louis XIV, la cour résidant le plus souvent à Vincennes, les hommes de plaisir, courtisans, fonctionnaires et financiers préféraient sans doute le Marais, sous la protection des canons de la Bastille.
Cette Bastille était aux yeux du peuple, le symbole de la citadelle de la royauté. Les révoltes les plus fougueuses n’aboutissaient à rien tant que le drapeau royal flottait sur ses tours et une sorte de prestige défendait le vieux bâtiment. On n’osait pas l’attaquer le pensant invulnérable. Aussi, le premier soin des vainqueurs de révoltes, était-il d’acheter la Bastille, le gouverneur la revendant généralement au plus offrant en tachant, bien évidemment, de rentrer dans ses propres avances.
Sous la Fronde, Louvière fils de Broussel, précédent Gouverneur, se vendit comme les autres, mais il voulut un simulacre de siège pour cacher sa défection. Pourtant, mal lui en pris car les assiégeants n’osèrent pas l’attaquer et les batteries étaient mises hors de portée. En fait le véritable Maître de la Bastille restait bien encore Maître du pays tout entier, ce vénérable monument étant considéré comme le point central de Paris et donc de la France. Et tout aussi bien que sous Louis XIV, où il restera inviolé, il en fut de même lorsque Louis XVI arriva au pouvoir et que l’on ne songeait donc nullement à le mettre sous protection. Il faut bien le reconnaître, sans l’imprudence étourdie de Monsieur de Launay, son dernier Gouverneur, le bâtiment n’eut peut être pas été emporté en 1789, défendu par son antique prestige qui terrifiait aussi bien les Gardes françaises que le peuple lui-même tous étonnés, les uns comme les autres, de remporter un tel succès en mettant la Bastille à bas.
La Bastille était un grand carré. Des deux extrémités, l’une faisait face à la rivière de Seine, l’autre à la place où s’élevait la colonne de juillet. Les deux autres côtés de ses murs s’allongeaient parallèlement au boulevard Bourdon. Un large fossé, ordinairement à sec, l’isolait de la ville et de la campagne. Le château n’avait pas eu tout d’abord ces grandes dimensions.
Ce n’était sans doute, à l’origine, qu’un fortin construit pour défendre la Seine à son entrée dans Paris. Plus tard, Charles V ordonnera d’enfermer la ville dans une enceinte continue et Hugues Aubriot, le prévôt de Paris, fit exécuter les ordres du roi. Cette enceinte commençait entre les Tuileries et le Louvre actuel, se prolongeait à travers le Palais-Royal et la place des Victoires jusqu’à la porte Saint-Denis. De là, elle suivait les boulevards jusqu’à l’ARSENAL.
- Plan d’élévation de la Bastille
Ce travail fut commencé en 1367 et terminé en 1383. Les ouvertures des enceintes étaient protégées par des tours accouplées deux à deux défendant des ponts-levis par où l’on pénétrait dans la ville. Aubriot posa, dit-on, le 22 avril 1367, la première pierre de la porte qui défendait l’entrée du quartier Saint-Antoine. La forteresse se composa d’abord de deux tours reliées par un mur, au milieu duquel s’ouvrait une porte sur la campagne. Elle devait rester à tout jamais fameuse sous le nom de « BASTILLE ».
Ce nom est probablement plus vieux que la forteresse elle-même et l’on suppose qu’elle fut bâtie sur l’emplacement de fortifications encore plus anciennes. Autrefois, tous les lieux fortifiés s’appelaient en fait des « Bastillons » dont est issu le mot « bastion » mais quand le bastillon défendait une porte, le nom devenait féminin et se changeait en celui de bastille. Les deux tours de la Bastille de Paris furent construites sur les bords du fossé et l’on passait sous une arcade ogivale fermée et défendue à chaque bout par une herse.
Puis on chercha à multiplier les obstacles et l’on creusa d’abord un fossé en dedans de la première porte et deux tours furent élevées vis-à-vis des anciennes de sorte, que la première entrée forcée, il fallait encore enlever celle-ci, avant de pénétrer en ville. On les réunit par un mur dans lequel s’ouvrit encore une arcade ogivale et l’on établit un pont-levis sur le fossé. Plus tard, furent réunies les deux tours par un autre mur semblable. Ces ponts subsistèrent longtemps et l’on en voyait encore quelques restes en 1774.
La ville étant toujours attaquée par ce côté-là, on jugea nécessaire de la mettre bien mieux à l’abri et l’on décida la construction d’une véritable forteresse. Les ingénieurs y ajoutèrent quatre nouvelles tours réunies dans toute leur hauteur, comme les premières par un mur d’une épaisseur considérable, puis un fossé lui aussi gigantesque et très profond tout autour du bâtiment. Tout sera terminé en 1380. Il avait fallu 12 années pour clore cet ouvrage monumental et rien n’y fut changé jusqu’au XVIe siècle où l’on ajouta une enceinte flanquée de bastions et entouré là encore d’un fossé. En 1634, on traça les boulevards avec un autre fossé.
Au bout de la rue Saint-Antoine, à droite venant des Tuileries, après avoir dépassé l’ancien couvent de la Visitation, on voyait une sorte de passage pour pénétrer dans la cour de l’orme. L’entrée en était libre, mais une sentinelle défendait d’y pénétrer ! Une fois dans ce passage, se trouvaient, à gauche, cinq à six boutiques louées à divers artisans et dont le loyer fort élevé était un surcroît de revenus pour le gouverneur. A côté, se trouvaient les casernes, puis les écuries et les remises du gouverneur ! Était encore un pont-levis qu’on appelait « l’avancé » et qui était baissé pendant la journée et relevé la nuit et enfin un corps de garde devant lequel se tenait un factionnaire empêchant tout attroupement qui se formait généralement à l’arrivée des prisonniers modestes soient-ils.
Il fallait encore traverser un autre pont-levis menant à la grande porte et au portillon du château. Cette porte, elle aussi, était ouverte de jour et de nuit ; on y pénétrait par un petit portillon. S’y trouvait d’abord la cour du gouvernement et tout près de la porte un autre corps de garde.
A droite et en face de l’entrée du château, était l’hôtel du gouverneur avec un fossé devant. Cet hôtel fut, à de nombreuses reprises, refait et, au temps de la prise de la Bastille, c’était une construction très moderne et de fort belle apparence.
De l’autre côté, en face de cet hôtel était un pont-levis protégé par une barrière de poutres revêtues de fer et formant une sorte de cage où se tenaient à l’intérieur des sentinelles.
Devant cette dernière enceinte, protégée par une barrière, était encore un corps de garde puis une fois franchie, on se trouvait dans une cour d’environ 50 mètres de long sur une quinzaine de large. C’était la cour des prisons !
Six des tours avaient leur entrée sur cette cour (voir plan ci-dessus). A main droite, en entrant était un logis occupé par quelques subalternes ou par des prisonniers moins sévèrement gardés que les autres. Elle était d’ailleurs souvent pleine de monde et ressemblait plutôt à la cour d’un collège qu’au préau d’une prison. Les détenus, leurs amis qui venaient les voir, se livraient là à toutes sortes de jeux. Pourtant, la nuit, tout bruit cessait et l’on n’entendait plus que le pas des gardiens ou quelques prisonniers échangeant des propos dans leurs chambres.
De même côté s’élevaient les tours de la Comté, celle du Trésor, et de la Chapelle. De l’autre côté, celle de la Bazinière de la Bertaudière et de la Liberté.
En face de l’entrée se trouvait une grande maison que divisaient en deux corps de logis un large escalier et une allée qui servait de passage. C’était là que le lieutenant général de police interrogeait les prisonniers. On y avait mis au préalable les archives ainsi que les effets des prisonniers saisis sur eux. Plus tard, l’encombrement fut tel, qu’on fut obligé de construire encore un autre bâtiment dans la cour. On y porta alors les papiers du château où ils étaient toujours en 1789.
Les cuisines et les offices ainsi que le réfectoire de la domesticité occupaient le rez-de-chaussée de cette maison. Le premier étage était réservé aux prisonniers qui y avaient une liberté toute relative. Le lieutenant du roi demeurait au second étage et, de ses fenêtres, voyait sur les deux cours, ce qui lui permettait, sans sortir de chez lui, d’exercer une surveillance incessante.
Dans le mur qui reliait en un seul corps les six donjons, avaient été aménagés, des chambres, une chapelle et divers magasins. Entre la tour de la Comté et celle du Trésor, s’élevait un vieux bâtiment où se trouvaient les officiers inférieurs. Au bout du passage ménagé dans la maison du lieutenant du roi, on entrait dans une cour étroite et obscure. Elle servait de basse-cour pour la volaille…et le gouvernement !
S’y entassaient les fumiers et ordures, les cuisiniers y lavaient la vaisselle et, à l’une des encoignures était un grand puits appelé « puits des deux tours ». Aux deux extrémités de cette cour, se trouvaient encore deux autres tours, celle dite du coin et celle dite du puits. Le long du mur qui les réunissait, étaient les logements des cuisiniers, des marmitons et des domestiques, laissés par tolérance à quelques prisonniers et souvent aussi à des détenus de bas étage qui pouvaient, pendant la journée, se promener dans la cour.
L’eau des fossés n’arrivait qu’au moment des crues de la Seine. Sur ces murs étaient une galerie de bois avec parapet et pendant la journée, un factionnaire et deux pendant la nuit s’y tenaient, surveillant les fenêtres des prisonniers. Un officier les relayait toutes les deux heures et un caporal faisait, à heures irrégulières, des rondes fréquentes ! En rentrant, il mettait un jeton dans une boîte. Celle-ci était portée chez le lieutenant du roi qui s’assurait ainsi que la ronde avait été bien faite.
Toutes les heures une cloche était frappée, son qui s’entendait depuis le bout des faubourgs alentours. Une autre cloche annonçait, elle, l’arrivée de prisonniers, évènement redouté qui préoccupait tout le monde à la Bastille, les officiers aussi bien que les détenus.
L’état-major avait de multiples devoirs à remplir car on n’entrait pas si facilement que cela dans le bâtiment et les incarcérations se faisaient avec les soins les plus méticuleux. Le gouverneur agissant avec un pouvoir absolu, s’entourait de précautions rigoureuses sentant tout le danger d’une responsabilité sans contrôle.
La Bastille était placée sous la surveillance d’un ministre (généralement celui qui avait Paris dans sa juridiction) qui en contrôlait les dépenses et se faisait rendre compte de tout. Chaque jour le gouverneur lui faisait connaître le nombre de prisonniers amenés au château ainsi que les ministres qui les y envoyaient. A la fin de chaque année, il recevait un état général des détenus. (Ceci se faisait d’ailleurs dans toutes les prisons du royaume). Aux autres ministres, le gouverneur se contentait d’adresser un compte particulier des prisonniers ressortissant de leur juridiction. Pendant le règne de Louis XIV, ce furent Colbert, Seignelay et les deux Ponchartrin qui furent chargés de la Bastille. Il y avait donc bien un contrôle général, fait avec soin, et qui empêchait les secrétaires d’état d’être les maîtres absolus des gens qu’ils faisaient enfermer.
Justement comment se déroulait généralement une arrestation ?
Dans les affaires importantes, les personnages les plus qualifiés ne dédaignaient pas de faire eux-mêmes les arrestations ordonnées par la cour.
Lorsque l’ordre en était exécuté, l’agent appelait le commissaire le plus proche, qui dressait un procès-verbal et mettait les scellés en cas de besoin sur le domicile du prisonnier. Cela était la règle dans les délits ordinaires, mais dans les affaires où le secret devait être absolu, on négligeait cette formalité, seul suffisait le procès-verbal de l’agent, ce qui semble assez anachronique.
En province, l’intendant visitait les papiers et faisait dresser par son greffier ou secrétaire les procès-verbaux qu’il envoyait ensuite au ministre. A Paris, afin de concilier la légalité avec les besoins du service, on attacha spécialement un commissaire à la Bastille. C’était un homme de discrétion éprouvée et dont la fidélité était à l’abri de tout soupçon.
L’agent arrêtait le « prisonnier » au nom du roi, en le touchant d’une baguette blanche. Des hoquetons et les archers empêchaient toute résistance qui était rare devant le nombre. Pour éviter le bruit, on ne conduisait jamais l’accusé à pied, mais si l’on n’avait pu s’assurer d’un véhicule quelconque à l’avance, on s’emparait, au nom du roi, du premier véhicule venu où le prisonnier était bousculé de force à l’intérieur et l’agent montait à ses côtés, le véhicule allait alors au pas, les mantelets relevés.
Une troupe d’archers environnait le véhicule et ce cortège défilait au milieu de la populace morne et effrayée. En province, c’était le même rituel qu’à Paris. C’était la Maréchaussée ou le capitaine des gardes qui se chargeait de l’exécution de l’ordre d’emprisonnement.
Lorsque le gouverneur était au château, le prisonnier lui était conduit. Il le recevait tout en donnant à celui qui l’amenait un reçu de sa personne et de la procédure si elle existait… Une conversation de quelques instants avait lieu entre le prisonnier et le commandant, sorte d’interrogatoire officieux et, en cas d’absence du gouverneur, c’était le lieutenant du roi qui remplissait cet office.
Avant d’entrer dans sa cellule, le prisonnier remettait ses armes, son argent, ses papiers. Il était fouillé avec soin et l’on dressait un inventaire complet de ses effets qui lui seraient remis à sa sortie ! Si ce dernier sortait un jour… !
Les chambres qu’elles que fussent, n’avaient pas de mobilier. Le roi ne donnait à ses prisonniers que le vivre et le couvert. Les prisonniers se devaient donc de payer le loyer de tout mobilier à moins que leurs parents ou amis ne leur envoyassent de quoi garnir leur cellule. Ceci dura jusqu’en 1709. Mais tout en payant, on ne pouvait se servir que chez un artisan qui avait toute la confiance de la Bastille. Après cette date, le roi défendit ces pratiques et ordonnera un fonds spécial pour acheter les meubles nécessaires. A partir de là, cinq ou six chambres furent toujours meublées, avec un lit garni, deux chaises, une table et, en 1783 monsieur de Breteuil ordonna d’en meubler 18 autres.
Les deux sexes étaient toujours séparés. Hommes et femmes ne se voyaient jamais, tout au plus échangeaient-ils quelques signaux au travers des plafonds.
Quant un prisonnier était incarcéré dans une tour, un officier accompagné d’un porte-clefs le conduisait à travers les cours. On choisissait les moments où il ne s’y trouvait personne. La porte était ordinairement doublée et chaque serrure avait une clef différente. Derrière la porte d’entrée, était une grille fermée et elle fut la seule pendant longtemps, le reste de l’escalier étant libre. Dans la suite, pour empêcher toutes communications entre prisonniers, on sépara par des grilles de distance en distance les différents étages.
Le château contenait 42 chambres dont 37 dans les tours et les autres pratiquées dans le mur qui les reliait entre elles. Toutes les tours étaient à peu près semblables. La tour de la Liberté comptait 7 étages, celle de la Bertaudière 6, celle de la Comté, de la Bazinière et du Coin en avaient 5, celles du Trésor et de la Chapelle 2 seulement. Rondes à l’extérieur, elles présentaient au-dedans la forme d’un octogone irrégulier voûté et au bas de chaque tour se trouvait un cachot où l’air et la lumière n’arrivaient que par des créneaux qui venaient prendre jour sur le fossé. C’étaient bien entendu, les lieux de punition ! Une chaîne était rivée au milieu de ce réduit où étaient enchaînés les plus furieux.
Quant à l’hygiène intime, il faut bien dire qu’elle était assez réduite et incommode. En face des fenêtres était une petite pièce aménagée dans l’épaisseur du mur : c’était les « lieux d’aisances » mais toutes les chambres n’en possédaient pas ; on fournissait alors aux prisonniers des « garde-robe » ou pot de chambre, que les porte-clefs vidaient tous les matins.
Toutes les chambres étaient bien entendu fermées par une double porte, avec des serrures et verrous énormes. Dans chaque tour, les trousseaux de clefs faisaient la charge d’un homme. Au bruit, les prisonniers savaient qu’ils allaient recevoir une visite qui avait lieu, en général, trois fois par jour : le matin, les domestiques arrangeaient les chambres, apportaient le déjeuner, et à midi ou une heure, le dîner et le soir ils montaient la soupe. A la Bastille la nourriture était bonne, saine et abondante malgré tout ce qui a pu en être dit.
Constantin de Renneville qui fut incarcéré pendant douze ans et qui a écrit l’histoire de sa captivité, énumère avec complaisance les bons repas qu’il faisait « au château ». Il faut songer que c’était un espion et donc un prisonnier de seconde catégorie traité comme un homme sans importance, c’est dire comment devaient être traités les prisonniers de première classe !!
Il y avait toujours au menu plusieurs plats :
- potage
- entrée
- relevés ou plat du jour
- dessert
A chaque dîner, deux bouteilles de vin du Bourgogne ou bien du Champagne pour les plus en vue et une troisième bouteille pour les menus besoins de la journée de ces « messieurs dames » !
Cette abondance s’explique par l’intérêt du gouverneur de garder en parfaite santé ses prisonniers car leur entretien lui était grassement payé. Il avait donc tout intérêt à les soigner étant lui-même contrôlé. Un comble !... des prisonniers qui trouvèrent que la nourriture était si recherchée et si copieuse, proposèrent au gouverneur de les traiter plus simplement et de partager ensemble la différence entre la dépense réelle et l’allocation payée par le roi ! Le gouverneur accepta !
Malgré quelques punitions qui privaient certains prisonniers de cette bonne chère, le détenu avait tout de même, pendant son enfermement au cachot : de la soupe, de la viande, du pain et une demi-bouteille de vin. Seuls les cas extrêmes étaient mis au pain sec et à l’eau, châtiment réputé tellement rigoureux qu’on n’y recourait presque jamais, ni sans l’ordre exprès de la cour.
Elle était donc loin l’idée que l’on se fait du prisonnier enchaîné au pain sec et à l’eau durant toute sa détention comme nous le démontre quelques imageries populaires.
Seule véritable époque de disette : sous le gouvernement de monsieur de Bernaville entre 1709 et 1710 où le régime fut moins bon à cause de son avarice légendaire, mais sous les cris des prisonniers entendus des ministres, le gouverneur fut obligé de se justifier. Cela lui fut aisé et il trouva prétexte de la guerre et des famines de cette malheureuse époque traversée en outre par un hiver des plus rigoureux. Il justifia que les prisonniers ne devaient pas être mieux traités que le roi et la cour de Versailles réduits à manger du pain de seigle et les paysans eux-mêmes à vivre d’herbes et de racines.
Nous le constatons la Bastille n’était pas la sombre prison que l’on imagine et, à tout cela, ajoutons encore que lorsqu’un prisonnier était malade, le chirurgien du château lui administrait les premiers soins et remèdes. Si le mal empirait on appelait alors le médecin du roi et près d’eux était un garde. Pour couronner le tout, lorsque ce malade entrait en convalescence, c’était à la table même du gouverneur qu’il recevait sa nourriture. Quant à la santé de l’âme, elle était soignée par le chapelain du château qui visitait les prisonniers très souvent et un confesseur était souvent appelé auprès d’un mourant s’il y avait lieu le préparant à recevoir les derniers sacrements.
Le prisonnier mort, les gardiens ensevelissaient son corps le soir venu pour dérouter les curieux et quelques prières étaient dites à Saint-Paul. Son corps était déposé dans le cimetière de cette église proche de la Bastille.
L’acte de décès était inscrit par le clergé sur le registre mortuaire de la dite église mais le nom du défunt était le plus souvent déguisé, sinon inscrit en toutes lettres. On peut donc se référencer au registre paroissial de cette église pour tenter de retrouver un de ses ancêtres morts à la Bastille si toutefois, l’acte a fait l’objet d’une reconstitution (incendie de la Commune de 1870).
Les hérétiques eux, étaient ensevelis dans le premier endroit venu, dans les cours ou dans le jardin du château. Ce sont ces restes qui furent découverts en 1789 et qui firent penser que c’étaient les ossements de prisonniers tués à la Bastille durant leur incarcération.
Les prisonniers avaient autorisation de lire et d’acheter des livres qui étaient entièrement décousus au préalable afin de surprendre quelques billets cachés à l’intérieur et c’étaient généralement les officiers eux-mêmes qui prêtaient leurs propres livres aux prisonniers afin d’éviter tout incursion de plan d’évasion ou de mots insidieux. En 1783, fut établi une bibliothèque à la Bastille, d’ailleurs assez considérable pour mériter qu’un prisonnier en fit un catalogue conservé à l’Arsenal.
Ceux qui n’aimaient pas lire, pouvaient jouer à toutes sortes de jeux (dames, échecs etc.) et les jeux de carte étaient tolérés. Quant à l’écrit, avec autorisation ministérielle les prisonniers pouvaient posséder : papier, plume, encrier (le papier étant distribué feuille à feuille et rigoureusement comptabilisé) le tout étant remis ensuite aux officiers pour contrôle. Bien souvent y furent composés des vers, romans, mémoires, des sermons ou traités religieux et plusieurs de ces productions ont même fait l’objet d’impression.
Pour ceux qui avaient droit de sortie dans les cours (qu’on appelait les « libertés de la Bastille » ils pouvaient en outre recevoir des visites, jouer également aux jeux de quilles et de tonneau. Il se trouvait même en cet endroit un billard. Seuls les fils de famille détenus étaient ainsi traités, par correction, ou quelques militaires aux arrêts et même également quelques prisonniers, dont les affaires étaient terminées, mais que l’on gardait par mesure de sûreté.
Parmi les célèbres prisonniers de la Bastille, je citerais le fameux et ténébreux « MASQUE DE FER » mais aussi Jean-François MARMONTEL Secrétaire perpétuel de l’Académie Française mis à la Bastille pour offense à un familier de la cour, VOLTAIRE et bien d’autre. MARMONTEL avait même emmené son domestique avec lui en prison (Concernant le prisonnier appelé « le Masque de Fer », en réalité le prisonnier avait le visage recouvert d’un masque de velours et il fut identifié comme étant Eustache DANGER un pauvre domestique) [1].)
- Masques de fer en usage à la Bastille
Parmi les gouverneurs célèbres citons : Le Duc de Guise, Sully, Bassompierre, Monsieur de Saint-Marc qui en restera gouverneur jusqu’en 1708 date à laquelle il mourut âgé de 82 ans. Le gouverneur Marquis de Launay dernier de tous mourut décapité par les révolutionnaires qui, en même temps, décapitèrent cette très vieille dame symbole du joug de la royauté et du mal être, tant de fois redoutée de nos ancêtres qu’elle en était demeurée imprenable !
Sources :
- La vieille prison par François RAVAISSON-MOLLIEN
- Bibliothèque de l’Arsenal et mes recherches Bibliothèque Mazarine
– Musée des Familles 1897² collection personnelle (extraits)
– texte édité par MELLENTENSIS Bulletin de l’A.G.H.Y.N. même auteure 2e trimestre 2002 N° 53.
Comment rechercher ses ancêtres embastillés :
Bibliothèque de l’Arsenal : 1 rue de Sully, PARIS 4e tel = 01 53 01 25 25 – ouverte tous les jours de 10 h à 18 h – samedi de 10 h à 17 h.
- Fonds Bastille registres et feuilles d’écrou de la prison
- Mss manuscrits 5133 et 5134 (m’ayant servi à plusieurs points de cet article)
- Mss 12479 à 12484 (années 1690 à 1787)
On peut également consulter pour ces manuscrits :
- Funck-Brentano Frantz : Archives de la Bastille : catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal tome IX Paris 1892 Paris 1894
- Funck-Brentano Frantz : Histoire générale de Paris : collection de documents publiés sous les auspices de l’édilité parisienne.
- Les lettres de cachets à Paris, étude suivie d’une liste de prisonniers de la Bastille (1659 à 1789) Paris 1903 – portant sur 5279 noms
- En province : Les lettres de cachet sont à rechercher en série C des Archives Départementales.
- Quelques belles collections dans le Calvados et notamment concernant la Basse Normandie.
Les fonds Bastille à la Bibliothèque de l’Arsenal sont libres de consultation (sans rendez-vous).
Bonnes recherches.
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