Dans la Beauce du premier XIXe siècle, le médecin est rare [2]. Le canton de Voves n’en a aucun et se contente de deux officiers de santé. C’est donc avec une certaine surprise que l’historien découvre les sommes dues pour « derniers soins » : évalués en travail, elles correspondent à plusieurs mois de gages d’un domestique et montrent que le recours aux hommes de l’art ne relève pas de l’exception.
Les frais de « dernière maladie » d’Aubin, paysan aisé, atteignent 100 francs. Mais le recours au médecin concerne aussi les petits revenus. En 1823, son voisin, le journalier Pichart, laisse une ardoise identique. Ces dépenses entrent dans un système d’échanges. Raimbert, de Viabon, doit 189 francs « pour soins et médicaments » à Laronde, l’officier de santé d’Ymonville, mais il affirme que ce dernier est son débiteur pour « loyers de chevaux de 1846 à 1849, fournitures de vesce et de sainfoin et raccommodage d’un fusil » ; c’est aussi « 8 francs pour journée et pâtisserie » qu’entend retrancher le journalier Brûlé des 32 francs dus au même Laronde [3]. Ces montants élevés suggèrent qu’ils couvrent des soins dispensés pour plusieurs personnes, sur plusieurs mois.
Nuançons l’appel au médecin : on le fait surtout en dernier recours. Il est loin [4], il coûte cher, ses mots sont savants et ses ordonnances sont illisibles…. C’est pourquoi, souvent, on lui préfère des « praticiens » locaux parlant la même langue et appartenant au même univers mental.
Ainsi à Viabon, le village d’enfance d’Aubin, Charles-Théodore Augé « exerce la chirurgie et les accouchements sans diplôme ». Malgré ses condamnations, il récidive, profitant des habitudes de ses patients, confiants et, au fond, peu regardants sur les titres. Son frère Paul fait de même, mais écope de huit jours de prison en mai 1839 après le décès suspect de l’un de ses patients. À Allonnes en 1843, la femme Bruneau pratique « l’inspection des urines par lesquelles elle reconnaît les maladies » avant de prescrire le traitement à suivre. C’est un sirop qu’un associé concocte dans une « pharmacie » en même temps que la note.
- Le médecin, Messager de la Beauce et du Perche, 1879
L’officier de santé et le médecin doivent aussi composer avec les pratiques ancestrales du « marcou [5] » de Vovette, du « toucheux » de Reclainville ou du berger censé guérir la maladie du charbon.
Reste enfin la concurrence des saints guérisseurs à l’instar de Saint Sébastien qui, à Baignolet, est réputé vaincre les épidémies. Le clergé compose, nolens volens, avec ces pèlerinages miraculeux quand il ne les organise pas comme en 1832 pour écarter le choléra qui endeuille le département de huit cents morts, dont deux à Germignonville, le village d’Aubin. Le médecin - et nos ancêtres - étaient dans ce monde là, à la croisée de frontières mouvantes entre science, charlatanisme, superstition et croyance.
- Un malade, Messager de la Beauce et du Perche, 1867
Mauvais chemin, ignorance des patients, impuissance devant les cas désespérés, tel est la condition du médecin de campagne : « trop tard, trop loin, trop grave », écrit l’historien Jacques Léonard.
Enfin réédité !