Nous sommes sous le second empire, dans un village de la Nièvre, Asnan, situé dans le canton de Brinon, à une vingtaine de kilomètres de Clamecy, sous-préfecture du département.
Leonard Cointe, né dans ce village, songe à se marier. Il est temps, Il a déjà 35 ans. Sa promise s’appelle Jeanne Jouot, elle habite le même village, a sensiblement le même âge. Des deux côtés les parents sont propriétaires, tout s’annonce pour le mieux. Et les bans sont publiés les 20 et 27 janvier 1856.
- Archives départementales de la Nièvre
5MI15 676 (1822-1870) page 510/1078
L’an mil huit cent cinquante six, le 27 Janvier nous, Jean Ranvier maire et officier d’état-civil de la commune d’ Asnan, canton de Brinon, département de la Nièvre, après nous être transporté devant la principale porte d’entrée de la maison commune, à l’heure de midi, nous avons annoncé et publié pour la seconde publication qu’il y a promesse de mariage entre Leonard Cointe, âgé de trente-cinq ans laboureur, demeurant à Asnan, fils majeur de Gabriel Cointe, âgé de soixante un ans, propriétaire demeurant à Asnan et de feue Marie Tissier et demoiselle Jeanne Jouot …
Mais le maire de la commune, Jean Ranvier, en rassemblant les documents pour le mariage découvre qu’il n’a pas dans les registres de l’année 1820 de naissance pour un Leonard Cointe mais la naissance le 17 Octobre 1820 d’une enfant reconnue de sexe féminin prénommée Marie, fille de Gabriel Cointe et Marie Tissier. Impossible dans ces conditions de marier Léonard avec sa promise : l’acte de naissance est obligatoire et le mariage entre personnes de même sexe n’est pas autorisé. Le maire est perplexe : que s’est-il passé, un enfant dont le sexe est mal défini à la naissance, une tromperie pour faire échapper l’enfant plus tard à la conscription, une erreur du déclarant ou une étourderie du rédacteur, il ne saurait dire. Il n’était pas maire à l’époque. Ce dont il est sûr, c’est qu’il ne peut corriger l’acte d’un trait de plume. Il se renseigne, il faut passer par un jugement du tribunal demandé par la personne intéressée [1].
- Archives départementales de la Nièvre
5MI15 675 Asnan (1795-1821) page 499/654
Aujourd’hui dix-sept octobre mil huit cent vingt devant nous Jean Bte Philippe Voillaud maire d’Asnan en notre hotel a comparu en personne Gabriel Cointe laboureur à Asnan qui en présence de Jean Montier vigneron et de Claude Margot laboureur demeurant au dit Asnan nous a déclaré que Marie Tissier sa femme est accouchée aujourd’hui d’une fille qu’il nous a présentée à laquelle il a donné le prénom de marie de quoi avons dressé et signé l’acte ont le déclarant et les témoins dit ne savoir signer de ce enquis et interpellés.
C’est ainsi que Léonard Cointe, propriétaire et cultivateur à Asnan, assisté d’un avoué, maître Davous, dépose une requête auprès du tribunal civil de première instance de Clamecy, seul compétent.
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5MI15 675 Asnan (1795-1821) page 499/654
Pour appuyer sa requête, après avoir décliné son identité, donné sa date de naissance et le nom de ses ascendants, il affirme qu’il a été déclaré par erreur à sa naissance sous le prénom de Marie et de sexe féminin, alors qu’il est le seul enfant, né ce jour-là, à Asnan, de Gabriel Cointe et Marie Tissier. En conséquence il demande qu’un rectificatif soit établi pour lui permettre de se marier. La requête signée de l’avoué est transmise au procureur impérial qui ne la rejette pas. La cour se réunit, écoute le rapport du Président et les conclusions du procureur. Les témoins désignes par l’avoué sont entendus en audience publique et séparément. Il s’agit de Gabriel Cointe, le père de Léonard. Il dit avoir eu six enfants de son épouse Marie Tissier, Léonard étant le troisième, il ajoute que la déclaration a été faite par son beau-père (ce qui ne correspond d’ailleurs pas à l’acte de naissance) et que l’erreur vient de l’officier d’état-civil. Le second témoin est Léonard Tissier, oncle maternel de l’enfant et son parrain. Il dit ne pas connaître l’origine de l’erreur. Le troisième témoin est Guillaume Tissier autre oncle de l’enfant qui n’ajoute rien de nouveau. Le témoignage de la mère aurait pu être très utile, mais elle est décédée deux ans plus tôt. Le tribunal délibère et au vu des pièces apportées et des témoignages, la Cour ordonne qu’en application des articles 89 du Code Napoléon, l’acte soit rectifié, que le jugement soit porté sur le registre des naissances de l’année en cours et que la décision apparaisse en mention marginale de l’acte de naissance initial, ce qui fut fait et qui m’a permis de vous raconter cette histoire !
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5MI15 676 Asnan (1822-1870) page 626/1078
Vu l’article quatre-vingt-dix neuvième et suivants du Code Napoléon, le tribunal ordonne que les registres de l’état-civil de la commune d’Asnan seront rectifiés en ce sens qu’il y sera dit que Léonard Cointe est né le dix sept octobre mil huit cent vingt de Gabriel Cointe et de Marie Tissier, que par erreur dans l’acte de naissance dressé par l’officier de l’état-civil de la commune d’Asnan le dit jour dix sept octobre mil huit cent vingt il a été donné à l’enfant désigné au dit acte le prénom de Marie au lieu de Léonard et il a été dit que cet enfant est de sexe féminin au lieu de masculin.
On est le 31 Janvier 1856. Le jugement est transmis sans tarder à Asnan et le 3 Février 1856, à six heures du soir, le maire, en possession de l’acte de naissance rectifié, unit Leonard Cointe et Jeanne Jouot. Au préalable, ce même jour, les futurs époux ont pris le temps de signer, chez maître Davous, celui-là même qui a assisté Leonard dans sa requête, leur contrat de mariage. Tout est bien qui finit bien !
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5MI15 676 Asnan (1822-1870) page 690/1078
L’an mil huit cent cinquante six, le trois février à six heures du soir par devant nous Jean Ranvier, maire et officier de l’état-civil de la commune D’Asnan, canton de Brinon, département de la Nièvre, sont comparus dans la maison commune, Leonard Cointe, né à Asnan le dix sept octobre mil huit cent vingt, ainsi qu’il est constaté par son acte de naissance rectifié par jugement du tribunal civil de Clamecy du trente et un Janvier dernier, laboureur demeurant à Asnan, fils majeur de Gabriel Cointe, âgé de soixante-un ans, propriétaire demeurant à Asnan, ici présent et consentant, et de feue Marie-Anne Tissier, décédée à Asnan le cinq mai mil huit cent cinquante quatre et demoiselle Jeanne (Jouot)…
Un an plus tard Leonard se rend de nouveau à la mairie pour déclarer un premier fils prénommé Gabriel Leonard : gageons qu’il a fait attention à sa déclaration !
Vous croyez peut-être qu’un tel cas est exceptionnel, mais ce n’est pas si rare [2] :
On trouve ainsi quelques mois plus tard, le 19 Décembre 1856, un deuxième jugement de rectification d’état-civil dans les registres d’Asnan établi pour les mêmes raisons : permettre le mariage de François Chaloin déclaré à sa naissance Françoise Chaloin, une simple étourderie ? Celui-ci était né en 1825 et l’officier d’état-civil n’était pas le même que pour Léonard. Dans ce second cas, la rectification de l’acte est également suivie rapidement d’un mariage. On peut s’interroger longtemps sur les causes de ces erreurs, vous en conviendrez, bien embarrassantes
Note : Si les erreurs de sexe sont effectivement fréquentes dans les actes de naissance, elles sont en revanche très rarement imputables à un sexe irrégulier mais plutôt à une fausse déclaration du père ou à une simple négligence rédactionnelle de l’officier d’état civil. Ainsi à Châteauroux, le tribunal civil procède à dix-huit rectifications d’erreurs de sexe dans des actes de naissance entre 1810 et 1859, onze entre 1860 et 1865, vingt-et-une entre 1866 et 1873 et quinze entre 1877 et 1885, sans que rien dans les jugements émis permette d’affirmer que certains cas concernaient des hermaphrodites (Tribunal civil de Châteauroux, arch. dép. Indre, 3u1/419 à 422).