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L’apport culturel des migrants du Massif Central

Réflexions sur les migrations des ouvriers et artisans originaires du Massif Central

Le samedi 1er décembre 2001, par Jean Monange †

Certes, le migrant du Massif Central a tendance lorsqu’il arrive ailleurs à réunir ses "pays" pour célébrer sa culture, on parle patois, on danse la bourrée, on mange le cochon fait au village, on boit un "canon" de Chanturgues ou de Chateaugay. Mais comment oublier qu’il a inventé le "bistrot", "l’Auvergnat" du coin de la rue ou l’on trouve outre les produits du pays, fromages et cochonnailles, tout ce dont on a besoin de bonne heure le matin à tard le soir, et son accent légèrement chuintant. Il est aussi l’inventeur du musette bien dénaturé par la suite. On le voit on lui doit bien des choses, et je ne résiste au plaisir de citer :

Jean Richepin qui en 1882 dans "L’Auvergnat de Paris" écrivait :

"O mes confrères auvergnats, que réunit mensuellement le dîner de la Soupe aux Choux, pourquoi pas un de vous ne s’est-il élevé contre la stupide légende ? Pourquoi laissez-vous ainsi calomnier vos braves et honnêtes pays, pourquoi ne connaissez-vous pas un peu mieux ces arrière-boutiques où danse le vivant souvenir de vos montagnes ? Pourquoi faut-il enfin que ce soit un profane comme moi qui ait l’idée de pénétrer dans le temple, pour soulever le voile noir où s’abritent les arcanes de l’Isis charbonnière, et pour rendre aux pauvres bals musette la considération dont ils sont dignes ?"

"Sans doute, le long des boulevards extérieurs, au bas de Ménilmontant, de la Villette, de Montmartre et de Montparnasse, il y a des bals musette comme ceux dont parlent les chroniqueurs de chic, des bouges où se rassemble la racaille de l’égout, où les faces blêmes sont souvent tatouées de pochons noirs, où il coule parfois du sang dans les saladiers de plomb gluants de vin bleu, où les pierreuses viennent se donner du cœur à l’ouvrage en avalant un verre de pétrole qui leur flanque un coup de fer rouge dans l’estomac.

 Mais peut-on appeler bals musette ces bals ou il n’y a plus d’Auvergnats, où, même, la plupart du temps, il n’y a plus de musette, instrument trop doux que remplace le strident et brutal cornet à piston ?"

"Passez les boulevards extérieurs, remontez vers le haut des faubourgs, ou dévalez vers les banlieues, et là seulement, vous trouverez les bals musette, les vrais, tenus par des Auverpins à la fois mastroquets et charbonniers, hantés par des Auverpins aussi : porteurs d’eau, commissionnaires, frotteurs, cochers, cuisinières et bonnes d’enfants, les bals musette que parfume la chaude et souveraine odeur de la soupe aux choux, les bals musette qu’arrose de sa mousse pourprée le vin noir du pays, les bals musette au plancher de bois qui sonne comme un tympanon sous les talons tambourinant la bourrée montagnarde, les bals musette enfin que la musette remplit de son chant agreste, ronflant comme un chat, gazouillant comme un oiseau, crécellant comme une cigale .

Ah ! certes, ce ne sont pas des figures de malandrins, des frimousses d’Alphonses, des museaux de dogue ou de fouine. Rien que de bonnes grosses faces rougeaudes, qui sentent encore le soleil rude et l’âpre vent de là-bas ! Pas d’yeux clignotants aux paupières rongées ; mais des regards simples et sains, bruns comme la peau des châtaignes ou bleus comme le ciel d’été. Pas de bouches aux lèvres minces mais de franches lippes couleur de fraise. Pas de moustaches aux pointes en crève-cœur, ni de rouflaquettes pommadées, mais des barbes de sapeur, ou des favoris de matelot et des tignasses hirsutes semblables à des broussailles, ainsi qu’une églantine sauvage, la fleur épanouie de la gaieté, la large rose des joyeux éclats de rire.

Et ces fortes filles, qui, les poings sur les hanches, toutes droites, infatigables, tricotant des jambes, ont l’air de danser une danse de guerre antique, et poussent des "yous" pareils à des hurlements d’amazone, qu’ont-elles donc de commun avec les pâles et mièvres rôdeuses de barrière, avec ces gamines émaciées, perdues de chlorose et d’anémie plus encore que de vice, pauvres spectres errants de la débauche précoce et de la misère perverse. Ah ! les gigoteuses du cancan n’auraient pas beau jeu et tomberaient vite pâmées, s’il leur fallait tenir tête aux sauteuses de bourrée, dont la gorge tendue se contente d’une brassière en guise de corset, dont les mollets sont plus durs que du chêne, dont les poumons ont été bronzés par la farouche haleine des montagnes !

Essayez, d’ailleurs, d’y toucher, à ces gaillardes, qui, pourtant retroussent volontiers leurs jupes pour mieux lancer le coup de jarret final de la bourrée. Voilà celle-ci, qui n’est qu’une cuisinière, et dont les doigts sentent le miroton. En voici une autre, à la joue encore barbouillée de charbon, et qui rit d’un rire de négresse en folie, avec ses dents blanches dans sa face noire. Et celle-la, le front ceint d’un bonnet en serre-tête, pour cacher sa chevelure tondue ! Celle-là, mine d’innocente, et innocente en effet, qui, avant de quitter le pays, a vendu ses cheveux pour s’acheter des chemises. Essayez un peu d’y toucher à cette cuisinière, à cette charbonnière, à cette innocente, et, sans qu’aucune appelle un homme pour la défendre, vous verrez quelle mornifle vous enverra vous asseoir.

Car c’est un bal de famille, que ce bal musette. Tous ces gens sont des maris, des frères, ou des fiancés. Des amoureux dupeurs, sans doute, il y en a aussi. Mais des malandrins, chercheurs de marmites non pas ! Et des filles vendant leur jeunesse non plus ! Elles ne vendent que leurs cheveux.

Et tous viennent la pour se distraire, se voir, se dégourdir les jambes, entre le doux instrument à danser la robuste danse qui leur rappelle le pays. Et si des cœurs suivent les mains qui s’enlacent, tant mieux ! Cela fera un couple de plus qui, bientôt retournera au pays aimé, et bravement y cultivera un lopin de la terre natale, et qui, en attendant, retrouve sur ce plancher sonore les échos et jusqu’à la poussière de la patrie absente.

Pas plus tard qu’hier, j’ai vu, dans le bout de la rue Laugier, une noce entière entrer au bal musette. Et non des varpouilles du boulevard extérieur, vous entendez bien ! En landaus, les hommes sanglés dans des redingotes, les femmes en robes de soie, cochers, charbonniers, riches nounous ou cordons-bleus, ils venaient se marier à l’auvergnate sans en rougir, et crânement. Et la mariée, une jolie brunette, relevant sur les hanches ses jupons de satin blanc et de mousseline, se mit à danser comme les autres sa danse de sauvage, et a taper de ses pieds mignons, et à se balancer au rythme tournoyant de la musique enragée, et à pousser d’une voix d’aiglonne les terribles "yous" pareils à des hurlements d’amazone."

Quel plus bel hommage leur rendre, aux migrants du Massif Central ! 


Merci au Syndicat des Cochers-Chauffeurs de Taxi, au service culturel de la mairie de Meymac, à Monsieur Curlier archiviste de la mairie d’Arbois, à Jean Fualdes, à Pierre Vaux fabricant de parapluies à Saint-Claude, à Marie Louise Monanges épouse de cordonnier marchand de parapluie à Quingey et aux auteurs des ouvrages suivants qui m’ont permit d’écrire cet article :

  • Marc Prival, Les migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au XXe siècle, IEMC Clermont-Ferrand 1979.
  • Roger Girard, Quand les Auvergnats partaient conquérir Paris, Fayard 1980.
  • Jean-Claude Roc & Huguette Pagès, Migrants de Haute-Auvergne, Watel 1994.
  • François-Paul Raynal, Les Auvergnats de Paris, Revue L’Auvergne, littéraire, artistique & historique N° 86 1936.
  • Marc Prival & Madeleine Jaffeux, Artisans & Métiers d’Auvergne, Société d’Ethnographie du Limousin Bulletin 56/58 1975.
  • Abel Poitrineau, Remues d’hommes, les migrations montagnardes en France au 17è/ 18è siècles, Aubier/ Collection historique 1983.
  • Jean Anglade, La vie quotidienne dans le Massif Central au XIXe siècle, Hachette 1971.
  • Hebdomadaire "L’Auvergnat de Paris".

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