René CHAMPEAUX, maçon, né le 12 novembre 1916 à Lyon (2e), fils d’Hippolyte CHAMPEAUX (1876-1955), originaire de la Creuse, maçon à Chaponost (Rhône) et de Marie CONCHONNET (1880-1965), très beau garçon, « yeux bleus, cheveux foncés, 1m71, cicatrice à l’œil droit » (extrait de son livret militaire), de la classe 1936, âgé de 21 ans, est appelé à Lyon sous les drapeaux, le 15 octobre 1937, pour faire son service armé. Il est incorporé pour deux ans au 21e régiment d’infanterie et rejoint la caserne de Chaumont en Haute-Marne.
Etant un soldat exemplaire et sportif, il est nommé caporal le 16 avril 1938 et sergent le 1er novembre de la même année.
- René CHAMPEAUX (à gauche) au régiment
- En 1939, le bon temps avec les copains de régiment , à la caserne de Chaumont en Haute-Marne, avant les évènements.
Dans les papiers de famille, les dernières lettres de René à ses parents, que Marie, sa mère, conservera toute sa vie, les relisant fréquemment avec toujours autant de peine, ayant mis beaucoup de temps à faire le deuil de son « petit René chéri », certainement le plus tendre et le plus affectueux de ses huit enfants.
Le 11 juillet 1939, à deux mois de sa libération, il écrit à ses parents :
Chaumont le 11 juillet 1939 _ Mes biens chers parents, Je viens faire réponse à votre lettre avec un peu de retard, mais comme dit le proverbe, mieux vaut tard que jamais. Je pense que ma lettre vous trouvera en excellente santé. Quant à moi ça va bien à part une petite toux opiniâtre qui disparaîtra assez facilement avec le beau temps. J’ai reçu votre mandat samedi ; je vous remercie de votre promptitude pour me l’envoyer. Voici le départ au Valdahon qui arrive petit à petit. Je crois que çà va être dur encore ce coup là, plus que l’année dernière d’après les dires ; il faut ne pas s’en faire, le temps passe pendant ce temps-là et la libération approche. Le travail marche t-il un peu ; je le souhaite ; vous avez commencé la villa au « mas », vous n’avez pas eu le temps encore sûrement de terminer les façades ?. et au sujet du type d’Oullins qui voulait faire _ un garage, avez-vous eu des nouvelles à ce sujet ? Je vais vous quitter et dans l’attente de vous lire et de vous voir, recevez biens chers parents de votre fils qui vous aime ses meilleurs baisers. Signé : René |
Il semble rejoindre dans les jours qui suivent et pour peu de temps le camp de Valdahon dans le Doubs ?
Mais, malheureusement, il n’y eut pas de libération ...
Le 1er septembre 1939, ordre de mobilisation générale.
Le 2 septembre 1939, René est affecté à la campagne contre l’Allemagne (noté sur son livret).
Le 3 septembre 1939 à 17h. la France déclare la guerre à l’Allemagne.
Le 21 septembre, il se déplace en Alsace et écrit à ses parents :
Maman chérie et petit papa chéri, Je profite de tous les instants pour vous écrire, pour vous donner de mes nouvelles qui sont très rassurantes ; j’espère pour vous qu’il en sera de même. Je viens de recevoir des nouvelles de Claudia [2] à l’instant ; je suis très content qu’elle m’ai envoyé un petit mot. J’ai rien d’extraordinaire à vous apprendre à part que nous avons changé de pays encore une fois ; mais nous sommes très bien reçu où nous cantonnons , les gens nous reçoivent comme leurs fils ; ils font tout pour nous faire plaisir. Petite maman chérie, je voudrais que tu ne te fasses aucun souci de moi ; je t’assure que tout va bien. Pour le moment, nous allons faire des travaux pendant un mois ; c’est la belle vie ; pourvu que cela dure et je crois que jamais nous ne verrons la guerre qui sera terminée d’ici peu de temps ... Alors tu vois, ne te fais aucun mauvais sang à mon sujet, vis comme le passé : sans souci ; je voudrais que tu me fasses cette promesse sur ta prochaine lettre. J’ai reçu des nouvelles d’Henriette ; quel brave cœur elle a ; elle me donne des nouvelles rassurantes de vous et je l’en remercie ; Ecoutez-là et suivez ses conseils qui sont très sages. J’ai appris qu’il y avait des soldats à Chaponost ; ils doivent être bien à comparer de l’Alsace, des pays dont le nombre d’habitants ne dépasse pas le chiffre maximum de 200 à 250 personnes. Je vous quitte ; soyez même confiant en l’avenir et vous verrez que mes prédictions seront justes et que bientôt, nous serons de nouveau tous rassemblés comme autrefois ; Quelle bonne bombe allons nous faire ! A bientôt ; Soyez en sûr et certain, tout va bien se terminer. Signé : René |
Du 12 au 27 janvier 1940 (noté sur son livret), René obtient une permission de détente et il revient probablement à Chaponost voir sa famille.
Lundi 5 février 1940 : lettre de René à ses parents :
Mes chers petits parents et André, Je suis parti pour écrire et ne veux pas cesser ma correspondance d’aujourd’hui sans vous donnez de mes nouvelles qui sont très bonnes et par la même occasion vous demandez des vôtres qui me préoccupent beaucoup. Aujourd’hui il fait un beau temps et un soleil de printemps qui me donne une joie et me donne un courage et moral épatant. Les nuits ne sont plus très froides, nous allons vers le printemps ; quel bonheur ! Cette nuit j’ai pris la garde et cette après-midi à partir de 3h30, nous allons faire une manœuvre ; c’est la bête noire pour moi, enfin, il le faut pour avoir de très bonnes troupes pour défendre notre cause. Je vais vous quitter ; à bientôt de mes nouvelles ; recevez de votre fils qui pense sans cesse à vous ses plus doux et tendres baisers ; écrivez-moi vite une grande lettre. |
Jeudi 21 mars 1940 : nouvelle lettre de René :
Mon cher petit papa et chère petite maman et André, Je suis de jour à la compagnie ; je profite de cette liberté devenue rare depuis les dix heures de travail par jour, pour vous donner de mes nouvelles et vous dire que j’ai reçu votre colis depuis six jours et votre mandat avant hier ; c’est le dernier que je vous demande, car maintenant nous touchons 10 francs 50 par jour ; j’ai déjà touché les 15 premiers jours de mars ce qui n’est pas à dédaigner. Pour le moment tout va très bien ; et vous, comment va la santé va -t’elle ? bien je l’espère. Ici, toujours pareille, la pluie sans cesse tous les jours et vers vous, quoi de neuf ? Le travail marche t-il un peu ? je l’espère. Marcel [5] est-il toujours en permission agricole ? Auguste [6] ne doit pas tarder, donnez-lui le bonjour de leur frangin. Je ne vois plus rien à vous dire, vivement la perme ; recevez, dans l’attente de vous lire et de vous voir, les plus affectueux baisers de votre fils qui vous chéris. Signé : René. |
Du 1er au 14 avril 1940 (noté sur son livret), dernière permission de détente où il reverra sa famille... D’après la lettre
qui suit, il semble que ses parents l’ont ramené à la gare de Perrache ? peut-être même à sa caserne de Chaumont ?
Rappelons que le 9 avril 1940 les troupes allemandes entrent en Norvège et au Danemark. L’état-major français se rend compte que l’invasion de la France est imminente ! Pour René et son régiment, les évènements vont alors se précipiter :
Le 16 avril 1940 : lettre de René après son retour de permission :
Mes chers parents, Je viens profiter d’un moment de liberté pour venir bavarder un peu avec vous. Depuis votre départ, il s’est passé beaucoup de changement ; je ne suis pas parti en travaux, mais je suis sur la frontière depuis vendredi et comme vous devez le savoir, çà va très mal depuis le lundi de pâques ; le soir même de votre départ, on est venu me chercher pour que je parte immédiatement pour me mettre en tenue de guerre et se mettre en défense contre avions toute la nuit ; je vous prie de croire que j’ai passé une belle nuit, sans compter les autres qui ont suivi. Je suis dans un pays très petit de 400 habitants ; le pays n’est pas très gai et il n’y a pas de distractions et les gens ne sont pas abordables. J’espère que vous n’avez pas été fâché car j’ai tant tardé à vous écrire, mais il m’était impossible avant ; le moment est critique à l’heure actuelle qu’il m’est difficile d’avoir un peu de tranquillité ; mais je m’en fou, j’ai trouvé une planque : je fais chef de cuisine pour les officiers ; je fais les emplettes comme toi ma petite maman. Pour m’adresser mes lettres, vous mettrez comme suit : « Sergent CHAMPEAUX René - 21e régiment d’infanterie CA 3 - Chaumont - Haute-Marne » et mettre dans le coin de la lettre la mention « à faire suivre », car je vais vous le dire, il nous est interdit de faire connaître notre adresse, tout cela doit rester confidentiel. Nous sommes, je vais vous le dire, à peu près sur le territoire de Belfort, à 10 Kms des « frigolins » et il y a toute ma division soient 30.000 hommes, sans compter les autres. Je vais vous quitter et dans l’attente d’avoir de vos nouvelles, recevez, bien chers parents, de votre fils qui vous aime et qui pense sans cesse à vous, ses meilleurs baisers. |
10 mai 1940 : à la surprise générale, l’Allemagne déclenche une grande offensive contre la Belgique et les Pays-Bas, bombarde les aéroports et cloue les avions au sol, parachute des bataillons entiers sur les points stratégiques et lance la fameuse IX ème division de chars Panzer...
Une semaine plus tard, ils sont à la frontière française.
Mercredi 15 mai 1940 : nouvelle lettre de René. Les Pays-Bas capitulent devant les ruines...
Les lettres de René vont à présent être de plus en plus fréquentes, comme s’il pressentait le grand désastre qui se profile.
Quelque part en forêt... Mes chers et tendres parents, Depuis ma dernière lettre, beaucoup d’évènements sont arrivés : départs inopinés, plusieurs fois de suite. Depuis deux jours nous avons parcouru 50 Kms, ne dormant plus depuis plusieurs nuits déjà. En ce moment et depuis deux jours, nous sommes cantonnés dans la forêt, à 30 Kms de la frontière, prêt à y rentrer à la moindre alerte ; ce n’est plus les moments calmes passées de ces huit mois de guerre ; mais maintenant c’est la VRAIE et le terrible cataclysme qui met la jalousie et le crime contre des puissances qui ne voulaient que la paix éternelle. Mais tout cela nous conduit plus vite à la victoire des alliés qui ne fait plus aucun doute en moi. Mes chers parents, depuis plusieurs jours je suis inquiet et sans nouvelles de vous ; ne tardez plus à m’écrire ; écrivez-moi au moins tous les deux jours car c’est dur de vivre dans l’anxiété perpétuelle ; si je ne vous fais pas réponse de suite à vos lettres, tranquillisez-vous, des évènements imprévus m’en empêcheront. Ici, tout le long du Rhin on se bat maintenant. Je voudrai que vous m’envoyiez un petit colis avec une ceinture, des enveloppes et des savonnettes ; je n’ai plus rien et maintenant, impossible de se ravitailler : du chocolat et des matières non périssables. Je vais vous quitter, je n’ai plus beaucoup de temps à moi ; faites-moi vite une réponse et parlez-moi un peu des bombardements de Bron. |
Dimanche 19 mai 1940 : nouvelle lettre de René, les suivantes suivront tous les deux ou trois jours...
Mes biens chers parents, Je fais réponse à votre lettre avec 3 jours de retard, je ne pouvais pas avant ; jour et nuit, nous sommes constamment éveillés et depuis que je vous ai écrit, nous avons changé de cantonnement ; nous sommes venus dans un pays, près d’une gare et je crois, si les tuyaux sont vrais, nous devons embarquer pour la Belgique, environ dans deux ou trois jours. Ici, tout va bien, la santé et le moral sont très bons ; la guerre totale ne m‘effraie pas ; je sais que du coté du nord la guerre est terrible, pire qu’à Verdun en 1916, c’est la vie, quoi ! il faut savoir souffrir, mais je ne veux pas me plaindre. En ce moment je prends la DCA jusqu’à ce que nous partions d’ici, pour assurer la protection du PC de la division. Nous avons été mitraillés par les avions « bôches » mais il n’y a eu aucun mal parmi les hommes. Et vers vous, quoi de neuf ? Chaponost n’a pas trop souffert des bombes ; j’espère et je le souhaite, car il faut que vous ayez un bon moral pour que votre santé soit parfaite. Pour les permissions, il ne faut plus y compter avant x temps, si des fois je ne pars pas pour la Belgique, je vous avertirai, soyez sans crainte jusqu’à ce jour. J’ai reçu des nouvelles de Marguerite [7] aujourd’hui même, elle me demande de lui écrire souvent ; je vais lui faire une réponse de suite. |
Mardi 21 mai 1940, nouvelle lettre de René. Il annonce son départ pour le front coté Belgique, destination qui lui sera fatale...
Mes chers et tendres petits parents et André, Vite, je vous fais un mot en vitesse ; le temps presse, mes prédilections sont justes : je pars ce soir en Belgique ; ne vous en faites pas, tranquillisez-vous, je vais très bien, le moral est bon et je crois et j’ose espérer que l’avenir me verra dans les mêmes conditions. J’espère que vers vous la santé est très bonne : avez-vous des nouvelles de mes frères ? Je voudrais que sur votre prochaine, vous me disiez où ils sont et s’ils vont très bien ? Et à Chaponost, qu’y a t-il de nouveau ? Je ne pense pas qu’il y ai des morts à déploré ? Dites à André qu’il m’écrive souvent ainsi que vous-même ; moi, je ne pourrais peut-être pas souvent, mais dès que j’aurais un moment, je vous l’accorderai. Je vous quitte, l’heure du départ approche excusez-moi pour ma petite lettre. Recevez de votre fils qui vous aime ses plus douces pensées et affectueux baisers ; embrassez tous mes frères et sœurs ainsi tous mes petits-neveux. N’oubliez pas de m’envoyer un tout petit colis ; mettez-y deux paires de chaussettes. A bientôt, votre fils qui ne pense qu’à vous ; le bonjour chez Raincier. Signé : René. |
Du 24 au 27 mai 1940 : L’Etat-major français, qui pensait que la forêt des Ardennes était infranchissable, voit déferler de Sedan à Dunkerque plusieurs divisions blindées allemandes...
L’invasion de la France est lancée, mais le commandement des envahisseurs, surpris par la rapidité et l’ampleur de sa propre victoire, craignant un piège et une contre-offensive, ordonne une halte des opérations pour se regrouper.
Samedi 25 mai 1940 : nouvelle lettre de René qui remonte en train vers le front Nord et arrive à la hauteur de Versailles :
Mes chers parents, Nous voici arrivés depuis cette nuit dans un coin très charmant à 15 Kms de Versailles où nous avons débarqué et à 40 Kms du centre de Paris. Nous sommes ici pour une durée indéterminée, peut-être pour 15 jours, peut-être plus ou moins, jusqu’à ce qu’il y ai du grabuge ou que nous fassions une contre-attaque. Je vais très bien, j’espère que vers vous il en sera de même. Tout au long de la voie, les Allemands ont bombardé ; il y a eu 4 tués dans un régiment qui voyageait devant nous. Je vais vous quitter, tranquillisez-vous ; je vais très bien. A bientôt, bons baisers de votre fils qui vous aime et pense souvent à vous. Signé : René |
Samedi 1er juin 1940 : Nouvelle lettre de René, qui depuis près d’une semaine a rejoint le front dans la région d’Amiens et découvre la vraie guerre, avec les bombardements et face à l’avancée allemande qui a repris de plus belle.
Il fait part de sa détermination à les vaincre et à les stopper au péril de sa vie. Il semble déjà avoir décidé qu’il ne se repliera pas, quoiqu’il lui en coûte :
Mes petits parents chéris et petit André, Je reprends courage ; j’ai reçu trois lettres de vous hier ; il y avait 12 jours que nous ne recevions plus aucune lettre. Voici au huitième jour de front : c’est terrible : à la pensée de tout cela, mon cœur se serre ; mais je suis courageux et je ferais mon devoir jusqu’au bout, car j’ai la responsabilité de 15 hommes et je ne veux pas qu’ils soient démoralisés. Nous avons l’habitude de dormir et de manger ; la fatigue nous terrasse mais nous réagissons et nous avons tout ce qu’il faut pour rehausser notre volonté : rhum, champagne et eau-de-vie et de bonnes bouteilles. Nous ne sommes pas en Belgique, mais à 6Kms d’Amiens, vers la pointe que les Allemands ont faite. Le bombardement par avions et canons continue jours et nuits ; nous avons l’habitude. Mes petits parents pensent souvent à moi comme je pense souvent à vous, cher papa et petite maman chérie, ainsi qu’à mon petit André ; il faut qu’il s’amuse, je le veux ; nous, nous ferons tout notre possible pour que la guerre soit vite terminée et qu’il ne parte pas. Je vous quitte, embrassez tout le monde pour moi, neveux, nièces, frères et sœurs et pour vous, recevez tout ce qu’un fils peut donner à des êtres qui lui sont chères ; Courage et bons baisers. Signé : René |
Lundi 3 juin 1940 : avant-dernière lettre de René, écrite hâtivement au crayon, certainement au cœur d’une bataille violente, jours et nuits sous les bombardements, les tirs des mitrailleuses et les explosions des grenades... mais selon son habitude, il dit que tout va bien, pour ne pas effrayer ses parents, mais il dit aussi, sans détour, qu’il est prêt à sacrifier sa vie pour épargner les souffrances à ceux de l’arrière. Il demande que l’on prie pour lui et espère encore une prochaine relève avant qu’il ne soit trop tard...
Mes doux et chers parents et petit André chéri, Je vous fais un mot pour calmer votre angoisse : je vais très bien moralement et physiquement ; je m’habitue aux bruits des canons et des mitrailleuses. Nous avons des jours impossibles à décrire, mais savoir ce que nous réserve demain ? Les matins, nous nous trouvons tous hébétés de nous voir encore en vie. Nous souffrons pour défendre une belle cause et pour épargner de semblables souffrances à ceux de l’arrière : les femmes, les enfants et les vieillards et nous ferons notre devoir. Depuis plusieurs jours, nous empêchons d’avancer les Allemands. Nous mêmes, nous avons avancé de quelques kilomètres, mais ils sont nombreux les salauds ; la nuit, ils viennent devant et même derrière nous attaquer à la grenade ; je ne veux plus vous parler de ces cauchemars, espérons que bientôt, la relève viendra pour nous reposer des durs labeurs fournis jusqu’à ce jour. J’ai reçu des nouvelles de Germaine [8] et Marguerite et ce matin, des nouvelles de mon petit André ; quelle joie a été la mienne de lire ces quelques mots. Je voudrais qu’il m’écrive souvent, çà rehausse le moral de ne se savoir pas oublié. Je vous quitte ; donner le bonjour à chez Raincier (?), à Michel COULAUD et pour vous, recevez de votre fils qui vous aime, ses plus affectueux et tendres baisers. Signé : René. |
Le 5 juin 1940 : Les Allemands se hâtent d’empêcher la réorganisation des forces françaises. Ils veulent en finir le plus vite possible avec ce qui reste de l’armée française et sceller la victoire en investissant Paris dans les meilleurs délais. Ils redoutent une nouvelle bataille de la Marne. Ils peuvent maintenant donner l’assaut final sans crainte d’être pris à revers : Dunkerque est tombée la veille. Le rapport des forces leur est très favorable : ils sont deux fois plus nombreux que leurs adversaires et ils ont en plus la totale maîtrise du ciel. Le nouveau front s’établit à présent sur une ligne qui va d’Abbeville à Sedan en passant par Amiens et Laon. Ils attaquent donc en force dès le mercredi 5 juin à l’aube, avec 138 divisions et dans trois directions : Dijon, Rouen et Paris.
Mercredi 5 juin 1940, 3h30 l’après-midi...
Dernière lettre de René écrite rapidement au crayon ; il vient de subir dans la matinée l’impressionnante attaque des unités allemandes. Il semble avoir quelques informations de l’extérieur et être très inquiet : de l’évolution que semble prendre cette guerre, des bombardements de Paris et Lyon, de l’Italie qui menace de déclarer la guerre à la France et de l’attitude des alliées et des Américains. Il est prêt, quant à lui, à descendre le plus possible de « bôches »... mais il ne se doute pas que dans 2 jours, ce sont eux, qui auront sa peau !
11e jour de 1re ligne, Mes chers parents et André, C’est moi qui viens vous rassurer à mon sujet, je vous écrirai tous les deux jours si je le peux, car si c’est tous les jours comme aujourd’hui après un bombardement sans interruption depuis 4 h. du matin ; mais depuis quelques instants, c’est un peu plus calme, notre artillerie bombarde sans relâche les faubourgs d’Amiens qui brûle, pour pouvoir déloger les Allemands qui y resteraient. Je vais très bien, le moral est un peu meilleur que les premiers jours, on s’habitue par la force ; vivement la relève si l’on a le bonheur d’y remonter, ses instants sont tellement critiques que l’on ne peut rien remettre au lendemain. Depuis deux jours je n’ai pas de nouvelles de vous ; écrivez-moi souvent, au moins tous les deux jours aussi et dites-moi des nouvelles des journaux : est-ce vrai que l’Italie est sur le point de rentrer en guerre et que Paris a été bombardé ? Lyon doit sûrement en avoir pris un coup aussi ? c’est triste pour les femmes et les enfants ; les salauds ! j’essaye d’en abattre le plus possible de ces « boches ». Dites-moi aussi l’attitude de l’Amérique. Je vais vous quitter mes petits parents chéris, pensez à moi, votre petit René pense à vous nuit et jour ainsi qu’à mon petit André. J’espère qu’il n’est pas appelé sous les drapeaux. Recevez mes affectueuses et douces pensées et d’innombrables baisers pour vous et toute la famille. Signé : René. |
- Sa dernière lettre écrite hâtivement au crayon entre deux bombardements.
Le jeudi 6 et le vendredi 7 juin 1940, la poussée allemande s’intensifie et devient apocalyptique. René n’a certainement plus le temps d’écrire encore une ultime lettre... Ils défendent leur position, avec l’appui des seuls blindés qui se battent à un contre quatre et de quelques canons anti-chars. Durant ces deux jours, ils subissent les bombardements aériens massifs et le pilonnage de l’artillerie lourde. Le vendredi 6 juin, l’assaut final est donné : des dizaines de blindés encerclent leurs positions et s’engouffrent bientôt dans les brèches, semant l’épouvante chez les survivants. L’infanterie motorisée allemande intervient alors pour neutraliser les derniers défenseurs...
- Mai 1940
- Le Sergent René CHAMPEAUX, le premier à droite, chef de pièce mitrailleuse, quelques semaines avant la bataille de la Somme
qui lui coûtera la vie pour être resté jusqu’à l’extrême limite à son poste de combat...
René et ses compagnons sont retranchés dans la campagne, tout proche de Namps-au-Val, petit village situé à 15 Kms au sud-ouest d’Amiens. Sergent et chef du groupe qui l’entoure et qui lui fait entièrement confiance, il se doit -comme il l’a toujours dit- de donner l’exemple, maintient sa position et fait face sans reculer aux attaques successives de l’ennemie ; certains de ses compagnons se replient ou se rendent à l’adversaire. René, à bout de force avec le peu d’hommes qui lui restent, s’empare de la mitrailleuse et « descend » tout qui bouge, mais une rafale ennemie vient l’abattre en pleine poitrine. Il est transporté mourant jusque dans l’église de Namps-au-Val transformée en infirmerie, les entrailles au vent, où il décèdera quelques heures plus tard, certainement dans d’atroces douleurs...
Le combat cesse en cette fin d’après-midi de ce vendredi 7 juin, les blessés sont évacués. La chaleur est étouffante, le chaos règne, les prisonniers sont épuisés par les combats et le manque de sommeil. Ils doivent se charger de la pénible besogne d’identification des morts : retourner les corps, fouiller les vêtements, en extraire le livret militaire qui permettrait de donner un nom à chacun de ses hommes, et les enterrés, à la diable, la plupart dans des fosses communes.
Un compagnon de René extrait son livret militaire - qui sera remis plus tard à ses parents et conservé dans nos papiers de famille, légèrement maculé du sang de notre héros - et il l’ensevelisse à même la terre, en repérant sommairement sa tombe. Comme beaucoup d’autres héros de cette bataille de la Somme, son courage exemplaire et son sacrifice pour la nation, n’ont pas stoppé la puissante offensive des divisions allemandes qui foncent à présent sur Paris et qu’elles atteignent, une semaine plus tard, le 14 juin 1940, trouvant une capitale vidée des trois quarts de ses habitants, tous jetés sur les routes de l’exode.
Une semaine plus tard, ne trouvant plus de résistance, les troupes allemandes sont déjà sur une ligne de front passant par Le Mans, Orléans, Nevers, Dijon.
Le 17 juin 1940, le maréchal PETAIN annonce à la radio qu’il va demander l’Armistice.
Le 18 juin 1940 à 20h. la voix du général DE GAULE, grave et ferme, rendue vibrante par l’émotion, se fait entendre sur les ondes de la BBC, lançant un appel solennel à la résistance, malheureusement peu entendu en France, à cause des brouillages...
Le 22 juin 1940, dans la clairière de Rethondes, là où vingt ans plus tôt avait été conclu la fin de la guerre 14-18 et pour effacer les humiliations de 1918, les allemands dictent leurs conditions à la France et signe l’armistice, mettant fin aux hostilités.
Ses parents, Hippolyte et Marie CHAMPEAUX ne recevant plus de courriers de René sont de plus en plus inquiets ; ils sont persuadés, suite à la grande invasion allemande qui arrive jusqu’en Lyonnais, qu’il fait partie des milliers de soldats français prisonniers et que pendant un certain temps il ne pourra pas donner de ses nouvelles.
Les semaines et les mois passent, aucune nouvelle ! En Août 1940, ils écrivent à la Croix Rouge pour savoir s’il figure parmi les prisonniers(ils ne recevront une réponse à leur courrier que six mois plus tard, en février 1941).
Le silence devient de plus en plus lourd.
Ils ont appris entre temps qu’Auguste CHAMPEAUX (autre fils) est prisonnier et qu’il est détenu en Allemagne dans le Stalag VI H à Arnoldsweiler. Mais Auguste a su, par d’autres prisonniers venant du front de la Somme, que son frère René a été tué lors de l’offensive allemande de début juin dernier.
Le 27 octobre 1940, Auguste CHAMPEAUX écrit du Stalag à ses parents, qu’il croit déjà au courant, et à demi-mot, les lettres étant censurées, après leur avoir dit qu’il est en assez bonne santé termine par : « il en sera malheureusement pas pour tous ... ».
Le facteur de Chaponost qui distribue le courrier, prends connaissance de cette carte non cachetée, interprète le sens de cette phrase et clame, tout au long de sa tournée dans Chaponost, ce que la plupart des gens pensent tout bas depuis longtemps et la rumeur de la mort de René commence à se répandre. Très rapidement, tout Chaponost est au courant, avant même qu’Hippolyte ne prenne connaissance de la carte d’Auguste.
La rumeur arrive même jusqu’à Marcel CHAMPEAUX (le fils aîné) à Beaunant qui monte immédiatement à Chaponost voir ses parents et, c’est le scandale. Hippolyte est furieux que la nouvelle de la mort de René, non encore confirmée par l’administration, soit déjà sur toutes les lèvres des gens de Chaponost, au moment même où il prend connaissance du courrier d’Auguste, d’ailleurs peu explicite...
Ce n’est que quelques semaines plus tard, vers novembre ou décembre 1940, qu’Hippolyte et André, en train de construire un garage dans une maison, au hameau de « Charmanon »que possède Mr COUCHENOUD, marchand de meubles à Vaise, voient arriver, sur leur chantier, le maire de Chaponost qui vient leur annoncer officiellement le décès de René, au champ d’honneur, six mois après les faits...
- Tombe de René CHAMPEAUX
- à Namps-au-Val (Somme) avant le rapatriement de son corps à Chaponost en 1949.
Au printemps 1944, soient quatre ans plus tard, les parents CHAMPEAUX se rendent à Namps-au-Val, à coté d’Amiens, sur la tombe très sommaire de leur fils René qu’ils viennent de faire exhumer et placer dans un cercueil décent. Ils engagent alors la procédure de retour du corps à Chaponost qui va s’éterniser et durer plusieurs années, jusqu’en 1949 (!), le « Ministère des Anciens Combattant et Victimes de Guerre » de l’époque étant certainement débordé, confronté durant ces années d’après-guerre, à de très nombreuses demandes de rapatriement de corps par les familles des victimes.
La bataille de France a duré cinq semaines et, pendant ces quarante jours de combats souvent très acharnés comme dans la Somme, cent cinquante mille hommes ont péri dans les deux camps dont 92.000 soldats français, les blessés étant deux fois plus nombreux.
Dimanche 6 février 1949, j’ai 8 ans [9] et je me souviens encore des funérailles militaires de René CHAMPEAUX. Le fait qu’on parle et qu’on fasse l’éloge de mon oncle « René », ce héros dont j’avais hérité du prénom en mémoire de lui, m’a, à l’époque, malgré mon très jeune âge, fortement impressionné.
Voici le texte lu par Lucien COZON, maire de Chaponost, lors de l’inhumation au cimetière dans le caveau de famille :
Mesdames, Messieurs, La guerre de 1939-1945 est le plus terrible fléau qui se soit abattu sur notre pays. Ses victimes innombrables inhumées d’abord sur le.lieu-même de leur héroïque sacrifice font peu à peu retour dans leur pays natal et la population de Chaponost, unanime et recueillie, accompagne aujourd’hui l’un de ses meilleurs enfants, René CHAMPEAUX, tombé au champ d’Honneur. René CHAMPEAUX, sergent au 21e d’Infanterie, terminait son service actif lorsque la mobilisation vint interrompre brutalement les projets d’avenir qu’il était en droit d’envisager après avoir accompli vaillamment son devoir. Avec son régiment, il partit pour barrer la route à l’envahisseur ; on sait, hélas, que notre armée, submergée par une avalanche inattendue de formidables machines de guerre et aussi très inférieure en nombre, ne put, malgré tous ses efforts entraver la marche des hordes ennemies. Le 7 juin 1940, René CHAMPEAUX, chef de pièce de mitrailleuse était à Namps-au-Val dans la Somme, que l’ennemi attaquait ce jour-là. Nos soldats contraints de battre en retraite se repliaient, mais le sergent CHAMPEAUX maintenant sa pièce en batterie tenta jusqu’à l’extrême limite de s’opposer à l’avance allemande. Mortellement blessé à son poste de combat, il devait décéder je jour même sur les lieux de son héroïque sacrifice et c’est pourquoi aujourd’hui, unanime, émue et recueillie, la commune de Chaponost, partagée par un sentiment de tristesse poignante et de mâle fierté, accueille un de ses meilleurs fils et l’accompagne à sa dernière demeure où il reposera désormais parmi les siens dans le caveau de famille. Mon cher René CHAMPEAUX au nom de tous mes concitoyens, j’adresse mes condoléances et mes sympathies les plus vives à vos parents et à tous les vôtres si cruellement éprouvés, et ce sera le magnifique miracle de votre sacrifice que de demeurer toujours vivant parmi nous. Sergent CHAMPEAUX, dormez dans votre linceul de gloire, vous vivrez éternellement dans le cœur fidèle de vos anciens amis. Vaillant héros tombé face à l’ennemi, au nom de la population toute entière, je vous dis un dernier adieu. |
Mercredi 9 février 1949, un compte-rendu de la cérémonie est fait dans le journal « Le Progrès » de Lyon :
Funérailles d’un héros : Dimanche 6 février ont eu lieu les obsèques du sergent René CHAMPEAUX, tombé héroïquement en voulant freiner l’avance allemande, le 7 juin 1940 à Namps-au-Val (Somme). La cérémonie religieuse se déroula à 10 heures dans une église remplie de nombreux parents et amis du jeune héros. Dans une allocution émouvante, Mr le Curé associa à sa mémoire Armand CHOURGNOZ tombé dans le ciel d’Angleterre en mai 1944. A l’issue de la cérémonie religieuse le convoi se forma pour l’accompagner à sa dernière demeure. En tête venaient les enfants des écoles, puis la Fanfare et l’Excelsior qui exécutèrent plusieurs marches funèbres . Le cercueil, recouvert d’un drap tricolore était encadré par des représentants des groupements d’anciens combattants et prisonniers de guerre qui avaient assuré la garde du corps depuis la veille au soir. Derrière la famille venait le conseil municipal. Toutes les sociétés locales étaient représentées par plusieurs de leurs membres réunis autour de leurs drapeaux ou fanions. Au cimetière, Mr le Maire, après avoir retracé succinctement la vie glorieuse du défunt, donna l’assurance que sa mémoire subsistera dans le cœur de tous ceux qui l’ont connu. |
- Citation
- 1946 : Citation à l’ordre du Corps d’Armée de CHAMPEAUX René et attribution de la Croix de Guerre avec Etoile de VERMEIL
Omission du « X » à CHAMPEAUX , de son prénom et erreur de lieu (Namps-au-Val et non Fremontiers tout près).
En complément à cet article, lire aussi La bataille de la Somme vue par mon père, Fernand Massicard (1913-1999)