Nous avons au départ cet arbre simple et sans anecdote. Une famille d’agriculteurs :
Jean Clair Desroches et Marie Gerfaux ont une fille cadette, Jeanne, qui épouse le
07/06/1832 un nommé Jacques Corget.
Tout commence par une simple recherche généalogique sur le registre des décès d’une petite commune du Rhône : Pouilly Le Monial.
Après les avoir consultées, les tables décennales nous renvoient à l’année 1832 ou l’on trouve le décès le 19 juin à 5 h du matin de Claudine Champard (°1830), et le même jour à la même heure celui de Marie Gerfaux, 60 ans (la grand-mère de Claudine). Coïncidence ?
L’acte qui suit celui de Marie Gerfaux concerne un jeune garçon de 7 ans : Pierre Durnurin qui lui aussi est décédé à 5 heures du matin.
Les trois décès sont déclaré à 6 heures du soir par les mêmes personnes : Louis Perret, 44 ans, propriétaire et Antoine Guillermain, 38 ans, propriétaire. Bizarre ! Là, c’est sans-doute plus qu’une coïncidence, mais il n’y a rien d’autre d’inhabituel dans les actes. Est-ce suite à une épidémie ? Un accident ? L’ incendie d’une maison ?
Il y a 20 ans, nous n’aurions sans doute jamais trouvé la réponse à ces questions. Aujourd’hui internet nous permet de faire, parfois, quelques bonnes trouvailles. Partis à la recherche de 3 victimes d’un accident quelconque ou pourquoi pas d’une épidémie, nous en trouverons finalement une quatrième : Claudine Brondel, 72 ans, décédée le 22 juin 1832, 3 jours après les autres.
Une recherche Google avec « Champard Pouilly le monial » ne nous renvoie rien
d’intéressant. Idem pour Gerfaux et Chapelain. Par contre, la recherche « Desroches Pouilly Le Monial » nous donne la clef de l’énigme grâce à plusieurs documents consultables en ligne.
Voici donc, en résumé, ce qui s’est passé.
Le 19 juin Jeanne Desroches, 27 ans, épouse Corget qui habite Pommiers,se lève à l’aube, et après avoir dit à son mari qu’elle allait voir sa mère à Pouilly Le Monial, se dirige vers ce village distant d’une lieue.
En chemin elle pénètre dans la maison d’André Champard, son beau-frère et de Claudine Desroches, sa sœur.
Le couple est absent. Il n’y a dans la maison que Claudine Champard, 2 ans, et Marie
Chapelain sa grand-mère paternelle, chacune dans une chambre différente. Jeanne sort le couteau dont elle s’était armée et poignarde Claudine Champard, sa nièce de 2 ans, dans le cou et s’enfuit.
Un seul cri, premier mort !
Elle va chez sa mère qui se trouve dans l’écurie près de sa maison. Jeanne la poignarde d’abord puis l’achève en lui explosant le crane à coups de pioche. Deuxième mort !
Après avoir déchiré furieusement des habits de sa sœur Claudine qui se trouvaient encore là, cassé plusieurs objets et déchiré des livres, elle se dirige vers la maison de Claudine Brondel, 72 ans, une voisine de sa mère, qui est poignardée à la tête et au cou, puis précipitée au bas des escaliers. Grièvement blessée Claudine Brondel décède 3 jours plus tard. Troisième mort !
Sortant de chez Claudine Brondel elle se dirige ensuite vers la maison de Marie Antoinette Marduel femme Durnerin, Celle-ci est dans une chambre avec Pierre, son fils de sept ans. De la porte, Jeanne lui dit : « On crie dans la rue, venez donc voir ! » Madame Durnerin sort de la chambre pour aller dans une autre qui a vue sur la rue. Jeanne Desroches en profite pour entrer et poignarder dans le cou le petit Pierre, 7 ans. Quatrième mort !
Jeanne attente à la vie d’ Antoinette Durnerin qui est revenue sur ses pas aux cris de son fils. Antoinette qui n’a que 30 ans se défend bien et malgré ses blessures (un coup de couteau et des morsures) met Jeanne en fuite. Une blessée !
Jeanne retourne chez sa mère, se cache dans la cave, cache son couteau dans un tonneau puis débouche une barrique dont le vin se répand dans la cave.
Alertés par les appels à l’aide d’ Antoinette Durnerin qui a vu Jeanne entrer dans la cave, les voisins et voisines entoure la maison. Les autorités sont prévenues. Jeanne est arrêtée dès qu’elle tente de sortir.
Lors de son premier interrogatoire, Jeanne ne nie rien, déclare qu’elle ne pensait pas faire autant de victimes, qu’elle n’était venue que pour tuer sa mère qui avait toujours eu une préférence pour sa sœur Claudine et qu’elle voulait s’en venger.
Bénéficiant de circonstances atténuantes, Jeanne est condamnée le 06 septembre 1832 à 10 ans de travaux forcés par les assises du Rhône.
Grâce à la loi d ’avril 1832 qui réforme le code pénal elle échappe de justesse à la flétrissure qui était jusque là en vigueur (un T marqué au fer rouge pour travaux forcés) et à l’exposition publique au carcan.
- Voir le résumé du procès de Jeanne sur la Gazette des tribunaux (fichier pdf).
Atteinte de monomanie, il est bien évident, que de nos jours, Jeanne n’aurait pas été
condamnée mais hospitalisée. C’était aussi l’avis de certains médecins de l’époque qui déploraient sa condamnation.
Son cas fait l’objet d’une étude du Dr Leuret dans Annales d’hygiène publique en 1833 page 439 et suivantes.
- Une autre étude détaillée sur Google books
Une dernière question pour le moment sans réponse : Combien de temps Jeanne est-elle restée emprisonnée ? Elle semble avoir eu des problèmes avec d’autres détenues. A-t-elle été transférée rapidement dans un asile ou y est-elle entrée à sa libération ?
Elle meurt le 8 janvier 1855 à 50 ans, à l’asile Antiquaille de Lyon.
La mère de Jeanne, qui trouvait sa fille perturbée avait pensé l’aider en la mariant. On le sait, il n’en fut rien. Elle ne vécut que 12 jours avec son mari Jacques Corget. Devenu veuf en janvier 1855, celui-ci put enfin se remarier à Pommiers, à l’âge de 51 ans, le 29 mars de la même année.