Notre patrimoine culturel est protéiforme : il se décline depuis les édifices les plus ostentatoires et dispendieux jusqu’à des créations immatérielles en passant par les modestes objets, ustensiles et outils du quotidien de nos aïeux.
Le bon peuple se satisfait de cet éclectisme : s’il se pâme devant nos cathédrales et fantasme sur la démesure du château de Versailles, il ne néglige pas pour autant nos modestes églises, il ne boude pas nos monuments en ruine quel que soit leur stade de délabrement et se régale de flanôcher dans les venelles de nos villages médiévaux ; bien sûr, il raffole aussi de nos brocantes et vide-greniers et manifeste le plus vif engouement pour la moindre kermesse de nos villages.
Pour nous, les anciens, nés pendant et au décours de la guerre, ces kermesses sont comme de vieilles photographies de notre enfance et nous offrent une parenthèse dans l’inexorable fuite du temps.
Une fête paroissiale…
L’une de ces fêtes paroissiales, dans le village de Toussieu en pays lyonnais, m’a laissé un souvenir bien vivace ; bien sûr, il ne lui manquait aucun des ingrédients classiques de ces manifestations : les vieux métiers d’antan étaient mis en scène en costumes d’époque ; des engins agricoles hors d’âge avaient quitté leurs remise-dortoirs pour être exposés et certains reprenaient même un semblant de service pour quelques heures ; les groupes folkloriques et la fanfare déambulaient parmi les badauds ; les stands de produits artisanaux calmaient la fièvre du bio des néo-écolos ; des processions de barquettes de frites et de saucisses se frayaient difficilement un passage vers les tables et les bancs pour calmer la fringale des affamés à la mi-journée et la buvette faisait évidemment recette ; un peu partout on trouvait de la marmaille aux lèvres ensuquées de barbe à papa …
L’ambiance était donc on ne peut plus chaleureuse et conviviale : de fait, le temps était suspendu et on était bien … bien … simplement bien…
Mais ce qui différenciait cette kermesse de celles que j’avais précédemment vécues se trouvait dans un bout de prairie où régnait une agitation joyeuse et prodigue en décibels entremêlant toutes les générations présentes : c’était une étonnante et foisonnante collection de jeux naufragés du temps d’antan, de ce temps où l’on savait faire efficace avec si peu de choses ; cette surprenante ludothèque était livrée aux appétits récréatifs des mioches tout autant qu’à la convoitise de leurs géniteurs, tandis que les plus usés des vieux, arthrose et poids des ans obligent, devaient se contenter de jauger l’adresse de leurs rejetons et des rejetons de leurs rejetons à pratiquer ce à quoi ils excellaient autrefois.
Composés de bric et de broc avec quelques pièces de bois brut et de ferraille, des clous et de la ficelle, ils étaient certes de piètre facture, mais ils exprimaient bien l’imaginaire, l’habileté rustique et le bon sens paysan : nos aïeux étaient de sacrés bricoleurs à la belle imagination féconde !
Quelques uns de ces jeux figuraient au répertoire classique des kermesses ( quilles, palet, grenouille, chamboule-tout, fer à cheval, fléchettes …), mais beaucoup m’étaient totalement étrangers.
Un jeu insolite…
Parmi les plus originaux, l’un d’entre eux attira particulièrement mon attention parce que, en dépit de ma conviction qu’il m’était parfaitement inconnu, je percevais pourtant une forte impression de déjà vu.
La règle de ce jeu d’adresse et de réflexes est simplissime : il faut mener à bon port une balle le long d’un trajet sinueux jouxtant des trous dans lesquels il ne faut pas tomber. De fait, c’est donc l’exacte antithèse du golf ; mais ce n’était pas là l’explication de mon étrange ressenti de réminiscence.
Être hyper-réactif à l’évitement d’obstacles ou d’agresseurs surgissant tout au long d’un parcours imposé … Bon dieu, mais c’est bien sûr ! C’est là l’entrainement intensif de nos ados avachis dans nos divans et scotchés à leur IPhone comme la moule sur le rocher … Notre vénérable jeu, bricolé de bois et de ficelle, c’est l’ancêtre de nos modernes jeux vidéo ! Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil, nos infatués concepteurs modernes ne sont que des copieurs inconscients de leur plagiat…
Pour conforter ma théorie, j’ai voulu vérifier si, nonobstant l’aspect ringard de l’objet, il était susceptible d’intéresser les jeunes et j’ai ressenti l’impérieux besoin d’en faire une copie pour l’offrir à la marmaille dont je suis le patriarche.
Lorsque j’ai découvert ce jeu, il était unique et solitaire ; je l’ai démultiplié en 3 exemplaires pour le rendre plus convivial en permettant la compétition entre mes drôles, mais aussi l’organisation de tournois transgénérationnels.
Les 3 modules du jeu ( les parcours sur les trois exemplaires sont évidemment identiques ; mais les largeurs des plaques sont différentes pour permettre un rangement facile en les encastrant.)
Comme je l’espérais, l’accueil par mes gamins fut enthousiaste et la même excitation gagna leurs parents : des « compètes » furent illico organisées, d’abord entre eux, puis ils lancèrent des défis à leurs amis …
Je n’ai pas eu besoin de faire du prosélytisme : mes jeux furent photographiés sous toutes les coutures en vue de leur reproduction par les plus bricoleurs ; je leur ai facilité la tâche en leur fournissant les plans côtés de ma réalisation.
Qui en sait le nom ?
Il est impossible de vivre avec un objet sans pouvoir le désigner ; notre jeu avait forcément un nom ; mais lorsque je l’ai découvert à la kermesse de Toussieu, il n’y avait aucune pancarte pour me renseigner et aucun des spectateurs n’a pu m’aider à rompre cet anonymat.
Aujourd’hui, je suis toujours en quête de cette dénomination ; mais je ne désespère pas d’y parvenir car ce jeu, fruit du pragmatisme et du bon sens populaire, était forcément commun autrefois en milieu rural et a donc été pratiqué par des vénérables lecteurs de la Gazette dans leur lointaine jeunesse : sauront-ils mettre fin à mon insupportable attente ?
En attendant, pour pallier cette absence d’identité, ma marmaille se préoccupa de l’affubler d’un nom de baptême ; en indécrottable intello et croyant faire djeun, le papy que je suis proposa d’utiliser le verlan : ce jeu, c’est le golf à l’envers, donc flog ! … Consternation chez mes drôles ! … Des trous, une balle … leur humour caca-boudin ne mis que quelques secondes pour accoucher d’un « jeu des trous de balle ! » qui fit évidemment l’unanimité.
Qui veut l’adopter ?
Depuis la ferveur ne s’est pas atténuée et ma triplette ludique est invitée lors de toutes nos réunions familiales et anime les soirées pyjama et autres goûter-anniversaires qu’ils soient organisés à la maison ou chez les copains ; bien sûr, elle fait l’objet d’un prêt pour la fête de l’école communale… Les plus bricoleurs de nos amis ont multiplié les exemplaires sans émettre de critique sur la qualité de mes plans et mes conseils de montage …
Vecteur de lien social, catalyseur de convivialité et source de bonne humeur, notre jeu mérite d’être exhumé de l’oubli.
Il ne tient qu’à vous de l’adopter ; sa fabrication peut constituer une activité partagée avec les enfants : elle est simple, rapide ( une matinée ) et peu onéreuse ( environ 12 euro) ; outre le plaisir de réaliser avec ses deux mains, le résultat a bien meilleure allure que les horreurs en plastique made in China…
Vous trouverez ci-dessous en annexe les données pratiques pour vous faciliter la tâche.
Pourquoi cet intrus dans la Gazette ?
La bonne pratique de notre jeu implique de ne pas trop tirer sur la ficelle ; ai-je respecté cette prescription ?
Certains pourront estimer que j’ai un peu abusé en transformant notre Gazette en revue de bricolage et, de fait, mes arguments pour proposer mes élucubrations à Thierry Sabot sont bien minces : l’ancienneté du jeu et son origine rurale sont ( un peu ) compatibles avec histoire ( avec un petit h ) et la constatation que son principe ludique en fait l’ancêtre de nos envahissants jeux vidéos lui donne un lien tenu avec généalogie. Mais il me reste l’excuse d’avoir réclamé l’entraide des lecteurs pour connaître le véritable nom de ce jeu des trous de balle .
Directives et conseils de construction :
• matériau : une planche de mélaminé 16 mm – dimensions = 60 cm x 200 cm
• plan de découpage :
• descriptifs des éléments :
1- les 3 plateaux : A = 44 x 60 ; B = 48 x 60 et C = 52 x60 cm.
Les trous sont faits à la scie cloche diamètre 51 mm ( précaution : percer par les 2 faces pour éviter l’éclatement du mélaminé).
Pour le plus petit plateau et dans l’ordre du parcours, les coordonnées du centre des trous ( abscisse / ordonnée ) sont les suivants ( en cm ) : 1 = 31/13 - 2 = 21/15,5 - 3 = 10/19,5 - 4 = 13,5/32,5 - 5 = 8,5/45 - 6 = 18/49,5 - 7 = 25/54 - 8 = 31/47,5 - 9 = 37/52,5 - 10 = 35/36,5 - 11 = 28,5/40,5 - 12 = 24/35,5 -13 = 31/2,5.
Pour les plateaux moyen et grand, majorer respectivement les abscisses de 2 et de 4 cm – les ordonnées restent inchangées. Les parcours de jeu sont donc strictement identiques.
2- les 6 trapèzes rectangles E = largeur 10 cm - bases = 29,5 et 24,5 cm - Ils sont vissés derrière la base de chaque côté des plateaux ( l’inclinaison des plateaux est donc de 45 ° ) - un bout de manche à balai ( 40,8 - 44,8 et 48,8 cm ) est vissé au niveau sommet de l’angle aigu et assure la rigidité de l’ensemble.
3- les 6 carrés ( = support de la balle) D = 10 x 10 cm sont percés au centre à la scie cloche ( diamètre 51mm ) et assemblés par deux, face contre face, par vissage. Deux pitons fermés sont fixés à chaque sommet.
4- les 6 petits rectangles ( = support des ficelles ) F = 3 x 10 cm sont fixés par collage et tourillon ( de 5mm ) en haut des plateaux ( ôter une partie du champ pour faciliter le collage ).
Fixer un piton fermé à chaque sommet.
5 – les 6 poignées sont confectionnées avec des morceaux de manche à balai de 8 cm ) et munies d’un piton fermé à une extrémité.
6 - Une ficelle fine relie le piton de chaque poignée à celui du support de balle correspondant en passant par le trou du piton en haut du petit rectangle ( longueur de chaque ficelle environ 1,10 m ).
7- les 3 balles ( identiques ) sont de la taille d’une balle de ping-pong.
Note : si vous destinez un exemplaire du jeu à l’EHPAD où résident votre grand-mère et ses copines, vous pouvez diminuer le nombre de trous et simplifier le parcours.