Les quelque 2000 ancêtres que j’avais pu retrouver avaient tous des origines françaises ou tout au plus limitrophes de la France. Je n’avais a priori aucune raison de m’intéresser au Canada. Une intuition me poussa cependant à saisir un volume du père Tanguay.
Je découvris que ses immenses travaux concernaient l’ensemble des paroisses de la Nouvelle France et que tous les personnages étaient classés dans l’ordre alphabétique des patronymes avec mention de tous les actes rencontrés (B.M.S.) (Mon Dieu quel travail sans le secours de l’informatique !).
Pris au dépourvu puisque n’ayant aucun document avec moi, j’ai recherché dans ma mémoire un patronyme parisien d’ancêtre (j’en ai assez peu) et j’ai choisi Petit.
L’ouvrage de Tanguay en contenait plusieurs pages à deux colonnes. Je parcourais cette liste importante depuis un certain temps avec peu de conviction quand soudain je trouve un Henry Petit, mort à Québec, fils d’un autre Henry Petit et d’Elisabeth Fontaine.
J’ai cru tomber à la renverse car il s’agissait bien de mes propres ancêtres ! J’apprenais ainsi que le premier Henry était mort à Québec le 20 novembre 1686 à l’Hôtel Dieu de la ville. Qu’était-il allé faire dans cette galère ?
Cet Henry Petit, 44 ans, était un simple marchand rubanier de Paris, issu d’une famille parisienne de boutiquiers dotés de petites charges (commissaire-contrôleur de la bûche à Paris pour l’un d’eux). Notre Henry, huitième d’une fratrie de neuf, avait épousé en 1671 à Paris Catherine Roberge, fille d’un maître gantier parfumeur de la ville qui lui avait donné six enfants. Rien dans ce parcours ne prédisposait Henry à entreprendre « la Grande Aventure » alors que, trop vieux pour l’exercice, il était parfaitement établi à Paris et en âge de jouir d’une vie paisible.
Décidé à comprendre les raisons de ce voyage, je me suis inscrit alors (en 1999) dans une revue à caractère scientifique et historique dont je ne me rappelle plus le nom exact (bulletin de la Société de Généalogie Canadienne-Française, je crois). Celle-ci a eu la courtoisie d’accepter de publier, en l’agrémentant d’une gravure de St Jacques de la Boucherie où habitait la famille Petit, un article où je racontais ma découverte et mon souci d’en savoir plus : une vraie bouteille à la mer.
La bouteille fut découverte trois ans plus tard par Bernard Bruneau, québécois descendant direct de Joseph Petit, frère de mon aïeul. Nous avons alors échangé pendant plus d’un an tout ce que nous savions sur nos portions de famille. Bernard m’a en particulier communiqué les conditions du décès d’Henry.
C’était en novembre 1686, à l’occasion de l’inauguration du buste de Louis XIV qui se trouve aujourd’hui sur la Place Royale à Québec.
- Place Royale à Québec. La maison de François Hezeur, devant laquelle Henri Petit tomba sous les balles de son assassin le 17 novembre 1686, lors de l’inauguration du buste du Roi Soleil, que l’on voit sur cette photo.
Une foule compacte se pressait au milieu de gens en arme de tous poils. La joie était sur tous les visages, certains empourprés des libations qu’ils venaient de faire dans les tavernes de la place. Les coups de feu traditionnels claquaient dans tous les coins et soudain, mon aïeul s’effondre, atteint par une balle dans la cuisse qu’un abruti avait lâchée à hauteur d’homme. Le coupable, Jean Gauthier dit Larouche, fut immédiatement saisi par la maréchaussée en même temps que mon pauvre ancêtre était porté en urgence à l’Hôtel-Dieu. Il eut le temps d’y dicter son testament et, la gangrène ayant infecté sa jambe, il ne survécut que de trois jours à l’accident.
- Acte de décès d’Henry Petit à Québec le 20 novembre 1686
Ledit Larouche fut traduit en justice, convaincu de meurtre et condamné à une lourde peine. Il fit appel de cette condamnation qui fut muée en une légère amende aussi disproportionnée que la première l’était dans l’autre sens.
Cela dit, je n’en savais pas plus sur les raisons du voyage d’Henry à Québec.
C’est alors qu’intervient un membre influent de la Société de Généalogie Canadienne-Française, M. Pierre Benoît, qui s’intéresse à mes recherches et m’envoie la copie d’un autre immense ouvrage (plus récent celui-ci et établi par MM Drouin) qui est en fait la table des mariages de toutes les paroisses du Québec classés par ordre alphabétique des intervenants. Il limite son envoi aux Petit et aux Bruno (ou Bruneau) car très vite les Petit ayant fait souche seront appelés Bruneau.
L’épluchage méthodique de ces tables me permettra de développer la descendance de Joseph Petit jusqu’à une période contemporaine. Par ailleurs, mon cousin Bernard m’informera que ses recherches dans les minutes de notaires lui apprendront que Joseph Petit (ancêtre de mon cousin Bernard Bruneau et frère de Henry Petit) était couvert de dettes, tant vis-à-vis de Canadiens que de Français de France (dont son frère Henry). Il avait très mal dirigé son commerce (essentiellement de pelleteries) et se trouvait au bord de la faillite au point que son épouse (Canadienne) avait demandé la séparation de biens.
C’est alors que son frère Henry n’écoutant que son courage (car l’expédition n’était pas sans risque : épidémies, tempêtes, pirates) a décidé de se rendre sur place pour voler à son secours. Sans en avoir la certitude, je pense qu’il a quitté la France au printemps de 1686 avec l’un des premiers bateaux arrivant après la fonte des glaces, puisqu’on le retrouve à plusieurs occasions lors de baptêmes ou de mariages à titre de témoin dans le courant de l’été de cette même année.
Le hasard (un de plus) m’a mis un jour dans les mains au Caran la liasse du notaire parisien ayant enregistré le certificat de décès d’Henry Petit déposé par Mgr Delacroix de Saint-Vallier, évêque de Québec (ET/CVIII/206 du 31 janvier 1688) et celui, du même jour, déposé par Jacques Patu, Gouverneur Fermier des Domaines du Roi au Canada. Sans ces documents, la pauvre Catherine Roberge, avec ses six enfants, ne pouvait pas prouver son veuvage vis-à-vis de la loi. C’est avec intérêt et émotion que j’ai appris que la dépouille d’Henri reposait dans la cathédrale de Québec.
- Certificat de décès d’Henry Petit fait à Paris le 31 janvier 1688
Les circonstances dramatiques de la mort d’Henry Petit me feront mieux comprendre la donation de 2000 livres et la rente de 500 livres transmissible à ses enfants que fit à Catherine Roberge en mai 1689 le Sr Devalulle conseiller et maître d’hôtel de S.A.R Monsieur Frère Unique du Roi pour la dédommager de la perte de son époux et lui permettre d’élever convenablement ses enfants.
Toutes ces révélations m’ont permis de mieux situer les relations de ma famille Petit avec le Canada. En effet, j’avais découvert par le Minutier Central du Caran que Louis Petit, marchand mercier à Paris avait épousé en 1665 Jeanne Baillif, sœur de Claude Baillif architecte qui s’est établi à Québec où il est mort en1699. C’est un de leurs fils Jacques, Conseiller Secrétaire du Roi Maison, Finance et Couronne qui héritera de son oncle Claude Baillif. Par ailleurs, Catherine Petit, sœur de Louis et d’Henry, avait épousé Simon Jaran (ou Jarent), marchand de vins à Paris, qui terminera ses jours à Québec où il gérera les biens d’Henry au Canada.
La liaison effectuée avec mon cousin Bernard Bruneau fut extrêmement profitable pour tous les deux. Elle m’a incité à exploiter les registres des paroisses publiés en plusieurs volumes et disponibles au Centre Culturel du Québec à Paris, afin de compléter les descendances de nos cousins jusqu’à la fin du XIXe siècle : plusieurs centaines d’individus sont ainsi venues enrichir nos arbres respectifs (à raison de 10 à 18 enfants par famille jusque vers le milieu du XIXe siècle, ça va assez vite.).
Et tout ça grâce à une curiosité improbable à propos d’un livre que je n’aurais jamais dû ouvrir.
Ceci nous prouve une fois encore que nous sommes environnés d’éléments fondamentaux pour développer nos généalogies que seuls le flair ou la chance nous permettent d’atteindre.
- sur Gallica
- mais également sur le site de la Bibliothèque nationale du Québec