C’est vrai qu’ils sont charmants tous ces petits villages…
Brenouille, petit village de l’Oise n’a pris son essor qu’à la toute fin du siècle dernier passant de 426 âmes en 1978 à 2 081 en 2014.
La vie sociale y est bien développée et le journal trimestriel de la commune « LE P’TIT BRENOUILLOIS » y joue un rôle majeur de créateur de lien social.
La rubrique « histoire de la commune » du dernier numéro daté d’août 2017 était consacrée à la biographie d’un biologiste de renommée nationale natif du village.
L’article, au demeurant fort intéressant et bien documenté, nous livra une anecdote qui nous interpella au plus haut point et déclencha chez nous un abîme de réflexions car ce biologiste [1], enfant du pays, né le 22 juin 1966, a la troublante particularité d’avoir été le dernier bébé venu au monde à Brenouille… !
De plus l’événement fut tout à fait fortuit et l’affaire ne fut pas simple car faute d’une voiture disponible pour conduire la maman à la maternité, ce fut le papa qui officia en l’absence du médecin.
Dans la décennie qui précéda cet ultime événement Brenouille ne connu que 10 naissances à domicile alors qu’elles dépassaient la cinquantaine dans la première moitié du siècle.
Genèse d’une prise de conscience…
L’événement datait d’un demi-siècle !
Cela faisait donc cinquante ans que le registre des naissances de Brenouille ne comportait que le constat de vacuité et la signature du maire !!!
Bien sûr, comme tout un chacun, nous savions que depuis belle lurette les femmes n’accouchent plus à domicile, mais à l’hôpital ou en clinique.
Ce changement de mode d’entrée dans la vie des nouveaux citoyens a permis de faire chuter de façon drastique la mortalité périnatale dont tout généalogiste, même débutant, a pu constater l’effroyable impact dans son arbre personnel et il ne viendrait à l’esprit d’aucune personne censée de contester le bien-fondé de cette pratique si salutaire.
Mais le changement, aussi pertinent et efficace soit-il, engendre parfois des effets secondaires et ceux du mode d’accouchement sont d’importance.
Où accouche-t-on en France ?
De temps à autre les journaux nous font part des menaces de fermeture pesant sur une maternité dont le nombre d’accouchements est jugé insuffisant. De suppression en suppression, le nombre des établissements s’est réduit de façon drastique jusqu’à ne plus être que de 616 de nos jours dont 16 seraient en sursis.
Seulement 616 maternités pour 101 départements… Cela signifie qu’il n’existe plus que 511 communes en France où l’on peut naître !
Dans 5 départements il n’existe qu’une seule et unique ville où accoucher…
Ainsi dans le département des Pyrénées Orientales pourtant pourvu de 466 327 habitants, on ne peut être natif que de Perpignan…
La tétrade essentielle de l’identité :
Cette extrême concentration des naissances réservées aux seules grandes villes associée à la conjugaison des noms de famille les plus répandus avec les prénoms les plus fréquents [2] a une conséquence fâcheuse : elle induit de facto l’existence de parfaits homonymes dotés des même nom, prénom, date et lieu de naissance ; à l’évidence, des Jean MARTIN ou des Marie BERNARD nés le même jour dans l’une de nos grandes métropoles urbaines ne sont certainement pas des exceptions.
Pour résoudre le problème de l’identification de ses citoyens l’État a élaboré la solution des passeports et cartes d’identité [3].
La statistique nous apprend que 4 critères très discriminants sont nécessaires et très souvent suffisants pour obtenir une excellente différenciation ; le nom, le(s) prénom(s), la date et le lieu de naissance furent les caractères choisis par les concepteurs de la carte d’identité en 1940.
Il appert que le lieu a manifestement perdu tout caractère sélectif puisqu’il est devenu commun à un trop grand nombre d’individus : préciser « né à Perpignan » et « Pyrénées Orientales » est devenu parfaitement redondant et de piètre pertinence puisque les naissances qui autrefois se distribuaient entre les 226 communes du département sont aujourd’hui le domaine réservé de la seule ville de Perpignan.
Nos villages, bourg et villes étaient des lieux de naissance culturels…
Pendant des siècles le lieu de naissance a été un paramètre social fondamental [4] : appartenir à une communauté, c’est avoir des points en commun et être du village est l’un des plus forts ; on en était fier (« …les imbéciles heureux qui sont nés quelque part… ») ; quant à celui qui venait d’ailleurs, c’est la naissance de ses enfants au sein du nouveau village qui consacrait son adoption et son intégration.
Ensuite vint le chemin de fer, puis l’automobile, vecteurs de l’industrialisation et de son corollaire l’exode rural… La persistance du lien avec le village natal fut l’indispensable recours des exilés. Les naissances des générations suivantes dans les villes ont assuré leur nouvel ancrage en ces lieux.
Puis vint le temps des accouchements médicalisés qui spolièrent d’abord nos villages de leurs légitimes enfants… Avec le temps, de suppression de maternité [5] en suppression de maternité, les villes à leur tour furent dépouillées de leur progéniture…
Aujourd’hui la grande majorité des enfants naissent à des kilomètres du lieu où ils vont vivre et se construire dans des villes avec lesquelles ils n’ont aucune attache familiale et aucun lien culturel. Beaucoup n’y remettront même jamais les pieds au cours de leur existence…
Garantir la sécurité maximale pour la mère et son bébé a rendu incontournable l’indispensable accouchement en milieu hospitalier ; pour autant cette contrainte n’a créé aucun lien affectif, social et culturel entre le nouveau-né et la commune où siège la maternité : naître dans cette ville n’a été qu’un simple aléa, un minime incident de parcours sans relation avec l’histoire de la famille et le devenir du nouveau citoyen.
Quelques jours après être venu au monde, le nourrisson regagne son vrai milieu familial, celui où il va se construire et s’intégrer dans la société ; c’est en cette localité que sa vie commence vraiment.
Certes l’acte technique de l’accouchement a été fondamentalement important, mais il s’inscrit maintenant dans le passé, tandis que le village ou la ville où se situe la maison familiale caractérise le présent et l’avenir ; le lieu de l’accouchement apparaît donc singulièrement dérisoire dans l’histoire de l’individu. Pourtant c’est ce détail infime, cette broutille, cette vétille, cette futilité qui a été choisi pour l’identifier à vie !!! Aujourd’hui ce critère est devenu totalement non pertinent et administrativement sans intérêt, donc manifestement obsolète. Pourquoi le faire perdurer ?
« Aux grands hommes, la patrie reconnaissante »…
… a consacré le Panthéon ; mais c’est un lieu bien trop exigu qui n’en peut recevoir que la quintessence ; alors la gloire du ban et de l’arrière-ban de ceux qui ne sont pas restés tout à fait quidams a trouvé refuge dans les dictionnaires des noms propres et leurs clones-internet tel Wikipédia.
Mais ces monuments de papier ou virtuels ne célèbrent pas que les hommes ; de facto ils rendent en même temps un vibrant hommage aux villages et villes qui les ont engendrés : ainsi Jeanne d’Arc, partie en fumée, n’a pas pu être panthéonisée, mais elle est bien présente dans ces mémoriaux en papier et virtuels et, avec elle, figure Domrémy… Domrémy, minuscule village de 126 habitants….
Hélas ! Hélas ! Hélas !… L’accouchement en milieu hospitalier est venu tarir la source de cette reconnaissance légitime et ô combien méritée :
- Une Jeanne d’Arc aujourd’hui serait attribuée à Remiremont…Pourtant Domrémy est essentiel à la compréhension de l’épopée de la Pucelle : la voix de Sainte Catherine entendue par une bergère entourée de ses moutons dans un pâturage aurait été inaudible car couverte par le brouhaha de la cité médiévale !
- Le microscopique Monboudif, village natal de Georges Pompidou, se verrait dépossédé de nos jours de son enfant par Saint-Flour…
- La Haye-en Touraine ne deviendrait pas La Haye-Descartes à notre époque puisque son illustre rejeton René Descartes serait attribué à Tours ; tout comme Saint-Léger-Vauban resterait nommé Saint-Léger puisque Vauban serait imputé à Avallon.
- Mouilleron en Pareds, petit village vendéen de moins de 1800 habitants, s’enorgueillit de ses deux illustres enfants « le tigre » Georges Clemenceau et Jean de Lattre de Tassigny, maréchal de France … Maintenant leurs mères accoucheraient à Fontenay le Comte…
À l’encontre des écrivains, musiciens, auteurs, compositeurs et interprètes de tout poil qui sont protégés par la législation, nos villages, où sont conçus des personnalités d’élite voire des génies, n’ont aucun droit d’auteur sur leurs enfants illustres qui sont de facto phagocytés par les 879 cités-accouchoirs.
En 1964 Jean Ferrat chantait La montagne ; si l’exode rural avait perduré jusqu’à nos jours, Jean Ferrat aurait dû modifier les paroles de sa chanson :
L’accouchement médicalisé SERA une catastrophe pour les généalogistes …
Les registres des naissances de plus de 34000 communes sont donc désespérément déserts depuis plus d’un demi-siècle ; voilà un fait d’une extrême importance dont les conséquences sont catastrophiques et qui est passé totalement inaperçu.
Cet étonnant paradoxe a une explication évidente : personne n’a pris conscience que les registres des naissances sont vides puisqu’ils ne sont pas consultables !!!
En conséquence, l’affaire restera occulte pendant encore une ou deux décennies avant d’éclater au grand jour et devenir problématique.
Les générations actuelles de généalogistes bénéficient larga manu des archives remarquablement rédigées et conservées par les générations qui nous ont précédés ; mais la pratique de l’accouchement hospitalier a fondamentalement changé la donne de manière sournoise : les actes des naissances ne figurent plus dans les registres que l’histoire familiale leur destinait et que la bonne logique devrait leur assigner ; nos petits-enfants auront bien du mal à retrouver leurs racines !
Laissons des archives de qualité à nos descendants…
Du scandale de la viande de cheval à celui du lait maternisé, notre société submergée par la globalisation et la mondialisation découvre les problèmes posés par l’opacité des circuits de distribution ; hélas la traçabilité des familles est, elle aussi, gravement menacée par la déportation des actes de naissances dans les 879 « cités-accouchoirs » qui induit :
- 1) Un frein à la motivation :
Suivant les sages conseils d’initiateurs plus chevronnés, les débutants interrogeront tous azimuts les vieux de la famille qui leur livreront des bribes décousues du passé de leur tribu : souvenirs plus ou moins précis et fiables, parfois mêlées de mythes familiaux et qu’ils agrémenteront de tas de vieilles photos .
Mais les villages et villes qu’ils évoqueront n’auront pas de registre des actes des naissances ; et sans acte de naissance, pas de traces des si précieuses mentions additionnelles en marge…
Bien sûr, les actes existent, mais ailleurs, enfouies au fin fond des archives des cités-accouchoirs…
- 2) Une dégradation de l’ambiance de travail :
Le volume des anciennes archives des naissances de nos villages et petites villes était de dimension modeste ; celui des cités-accouchoirs qui était déjà bien copieux par le passé est devenu pléthorique par les apports venus de tout le département.
L’exode rural a chassé des branches de nos familles vers la démesure des grandes villes ; nous avons suivi leurs parcours et, pour ce faire, nous sommes passés des sympathiques archives municipales aux angoissants registres des grandes villes et jusqu’aux terrifiantes archives de l’état-civil parisien. Ce fut un choc et pour certains la panique.
Pour la plupart d’entre nous ce traumatisme fut tardif car nous avons eu le temps de faire nos premières armes en milieu rural : nous nous sommes pour ainsi dire amarinés.
Nos descendants ne connaîtrons pas cette période initiatique car ils seront d’emblée plongés dans la démesure.
- 3) Une augmentation de la charge de travail :
La charge de travail est à l’aune de l’épaisseur des registres.
Nous, nous connaissons l’âge d’or où il suffit ( presque ) d’extraire les pépites de leur gangue parce que nous travaillons le plus souvent sur des fichiers de tailles modestes ; pour parvenir aux mêmes résultats, nos descendants devront s’épuiser à charrier des tonnes de minerais stériles.
- 4) Une dégradation de la fiabilité des résultats :
Nous savons que les homonymies de nos villages sont redoutables : les traditions familiales prônent des « prénoms-totems » : on naît Jean de père en fils, mais aussi d’oncle-parrain en neveu ; alors on est Jean de cousins en cousins de même patronyme.
Mais à ces incontournables difficultés intrafamiliales, l’accouchement hospitalier ajoute l’homonymie de multiples étrangers à la famille.
- 5) Une perte d’un outil pertinent :
« Les descendants de … et de … »… Réaliser une cousinade est le rêve de bien des généalogistes amateurs ; mais c’est-là une aventure compliquée : les participants potentiels sont à l’évidence des contemporains et sont donc occultés par la règle des 75 ans et sur les arbres publiés en ligne.
Géopatronyme.com est l’un des moyens qui aide à dénicher les cousins : pour un patronyme donné, le site indique le nombre de porteurs-nés par tranche de dates et par département et il affine le résultat avec le nom des communes de naissance.
Actuellement le site concerne les naissances de 1891 à 1990.
Verrons-nous une extension aux années ultérieures alors que le nombre de lieux de naissance est devenu ectoplasmique, ce qui minore singulièrement l’intérêt [6] ?
La solution existe : restitutio ad integrum !
L’accouchement hospitalier a certes magistralement résolu le problème de la mortalté néonatale, mais ce faisant, il a fait trois victimes :
- 1) L’État dont le système d’identification des citoyens est devenu moins performant.
- 2) Les communes spoliées de leurs enfants au profit des cités-accouchoirs.
- 3) Les généalogistes des générations futures en compliquant singulièrement leurs recherches.
La solution existe : c’est le « restitutio ad integrum » , le retour à l’état antérieur qui donnait toutes satisfactions. Cette solution est remarquable de simplicité : exit le lieu de naissance effectif ; il suffit de lui substituer le lieu de la naissance affective, c’est-à-dire le village ou la ville de résidence de la famille et plus précisément de la mère.
La modification est techniquement simplissime : la déclaration se fera dorénavant au bureau de l’état-civil de la commune où réside la mère et non plus à celui où se situe la maternité.
Cette modification n’a aucune incidence financière et, ne coûtant rien, ne soulèvera aucune opposition de Bercy.
O.K pour l’avenir, mais quid des séquelles du passé ?
Le précédent historique de la reconstitution de l’état-civil de Paris, en partie détruit lors des répressions versaillaises contre la Commune, nous donne la solution :
Les données sont intactes, mais cachées dans les archives des cités-accouchoirs : les actes de naissance mentionnent le nom de la commune de « naissance affective » puisque l’adresse de la mère y figure.
Les opérations à effectuer sont les suivantes :
- Trier les naissances par commune affective,
- Puis les trier par date ;
- Établir les tables annuelles,
- Établir les tables décennales ;
- Réunir les copies des actes classés par date dans un « registre reconstitué des actes des naissances »,
- Remettre ce registre en deux exemplaires, l’un à l’état-civil de chaque commune, l’autre aux archives départementales.
Le registre aura un caractère officiel ; il doit donc être réalisé dans le cadre d’une mission de service public qui peut être concédé à nos associations départementales de généalogie, d’où la garantie de motivation et de compétence et le bénévolat.
La période de transition serait donc couverte par un régime de « double naissance », le registre officiel actuel étant doublé par le registre reconstitué.
Changer la loi…
L’indispensable remplacement administratif du lieu de naissance effective actuel par le lieu de naissance affective relève du domaine législatif. Cela veut dire qu’il faut :
1- informer et convaincre un député ou un sénateur pour lui faire porter le projet de loi devant l’Assemblée Nationale et le Sénat [7].
2- informer et convaincre les députés et les sénateurs de le voter.
Informer et convaincre, cela implique une campagne d’information qui peut se développer autour de deux thèmes :
- 1) « Rendez-nous nos enfants ! » en recherchant le soutien de l’Association des maires de France [8].
- 2) « Rendez-nous nos archives ! » ciblant le monde de la généalogie.
Et maintenant, on fait quoi ?
Le P’tit Brenouillois nous a révélé fortuitement l’existence de deux problèmes occultes ; la spoliation de nos villages et villes de leurs enfants et la déportation de leurs actes de naissance.
Nous nous devions de nous faire lanceurs d’alerte.
La Gazette nous offre une toute première opportunité de rendre cette affaire publique.
Mais notre modeste statut est bien trop insuffisant pour mener à bien cette opération.
D’autres sont bien mieux placés pour y parvenir ; nous souhaitons vivement qu’ils se réapproprient le projet et mènent le dossier à bon terme.
ADDENDUM
PETIT CONTE
- Il était des milliers et des milliers de fois,
un homme qui était parti naître dans la grande ville. - Trois jours plus tard, sa maman l’emmena dans le village
où vécurent avant lui moult générations de ses ancêtres. - Pour respecter la tradition, il ne s’y maria pas, mais convola
dans celui où n’était pas née sa promise. - Ils s’installèrent au village où ne naquirent pas leurs enfants.
- Après de longues années heureuses passées au village, une sombre maladie le fit mourir à l’hôpital vraiment pas très proche.
- Pour respecter ses dernières volontés, sa veuve le fit incinérer et dispersa ses cendres dans la rivière du village où il aimait pêcher.
Moralité : Il n’a laissé aucune trace dans son village qu’il a tant aimé.