Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la plupart des agriculteurs bretons louaient leurs terres sous le régime agricole du domaine congéable. Le principe était le suivant : le bailleur était le propriétaire foncier des terres, alors que l’exploitant ou domanier possédait les édifices à savoir bâtiments, murs, fossés, haies vives, arbres fruitiers, etc. Le bail durait 6 à 9 ans, reconductibles, mais pouvait aussi être résilié à tout moment par le propriétaire foncier.
Les différents actes nécessaires à la procédure de location étaient les suivants sous l’Ancien Régime :
- le bail du propriétaire foncier, devant notaire.
- la sentence de la juridiction,
- la prestation de serment des priseurs,
- le mesurage et le prisage, devant le notaire ou la juridiction.
- le congément et le remboursement devant la juridiction.
L’acte dit de « mesurage et prisage » est un document très intéressant pour le généalogiste car il décrit par le menu les biens immobiliers appartenant à nos ancêtres agriculteurs. A partir de ce type de document, que l’on peut retrouver aux Archives Départementales (série B des juridictions et E des notaires, principalement), il est en effet possible de reconstituer assez précisément la demeure et les alentours d’une tenue (exploitation ou ferme).
Pour illustrer ces propos, à partir de la minute de prisage des biens de Guillaume Lescouët et de Marie Le Grayo [1] établie en vue du congément de ces derniers au bénéfice d’Yves Le Gallo et de Marie Lescouët [2], nous avons procédé à un essai de reconstitution de leur tenue. Seuls les bâtiments et les cultures appartenaient à Guillaume et sa femme, les terres étaient la propriété du prieuré de Saint-Gildas de Gâvres, dépendant de l’abbaye de Rhuys, et louées sous le régime du domaine congéable.
La première partie de la minute, rédigée le 5 octobre 1767, est reproduite ci-après ; elle évalue le prix de la moitié de l’exploitation. Le prisage s’est poursuivi les 6 et 7 octobre, mais concerne le contenu des parcelles de terre.
Mesurage et Prisage Guillaume Lescouët (avec quelques aménagements d’orthographe par rapport à l’original pour faciliter la lecture) 5 octobre 1767 Gâvres Minute du prisage De Gâvres en Riantec Montant à 1128L 7s 8d Mesurage et prisage des droits d’édificiers stus [3] et tous engrais, pailles et marnies, d’une moitié de tenue située au village de Gâvres paroisse de Riantec, à domaine congéable sous le prieuré de Saint-Gildas de Rhuys fait à requête d’Yves Le Gallo et Marie Lescouët sa femme , demandeurs en congément, contre Guillaume Lescouët et Marie Grayo sa femme, défendeurs au dit congément, auquel a été vaqué par nous soussigné procureur respectivement convenus des parties et tiers donné d’office aux fins de sentences rendues au Siège Royal d’Hennebont les seize et trente juillet dernier, qui jugent le dit congément et donne acte de nos conventions et nominations et d’autre extrajudiciaire portant nos prestations de serments du treize août dernier notifié le lendemain par Castel huissier. En conséquence, y avons procédé sur l’assignation nous donné à cette fin le premier de ce mois sur la monstre nous fait par les dits défendeurs, en présence des demandeurs, comme suit le jour cinquième octobre mil sept cent soixante et sept. Et premier 1 - Une maison à deux longères [4] et un pignon au couchant et la moitié de celui au levant, avis des défendeurs en congément, ayant de longueur vingt et neuf pieds [5], de franc quatorze pieds et demi et de hauteur huit pieds, le tout par réduction, et pignon au couchant orné de son chevron de taille. En la longère du midi une porte de taille avec son huys et palâtre de bois sans clef ni clavure [6], deux petites fenêtres aussi de taille avec leurs huissets sur bandes de fer. En façade nord une porte aussi de taille à palâtre et huys de bois sans clef ni clavure, deux fenêtres aussi de taille mi-croisées [7] avec leurs huys. Au pignon du couchant une cheminée complète de taille, même la pile housse et cuve de massonne [8]. Au même pignon une petite fenêtre carrée de taille à palâtre et huys de bois. Au demi pignon une porte de taille bouchée de massonne. Au-dedans deux cloisons de planches posées sur seuil de bois avec leur huys, dont celle côté du pignon mitoyen à clef et clavure. Au courant sept poutres couvertes de planches. Au soutien de la couverture trois montants simplement accolés, simples et doubles filières de bois de sciage et rondin, couverture et ligature de paille. Le tout prisé par le menu, compris les orbes [9] et curaison des fondements et la moitié seulement de la tête de cheminée sur le dit pignon mitoyen au levant, la somme de six cent trente cinq livres dix neuf sols neuf deniers cy 635L 19s 9d 2 - Au joignant la longère du midi, une petite soue à porc à deux longères et un pignonet et demi ayant de longueur sept pieds et demi, de franc quatre pieds et demi et de hauteur six pieds, le tout par réduction, le demi pignonet du midi orné de son chevron. Le tout prisé par le menu, compris les orbes de curaison des fondements, une porte de taille à palâtre et huys à bois, et une auge de pierre avec sa dalle, le tout en la longère du midi, et en l’état la somme de cinquante six livres six sols cinq deniers cy 56L 6s 5d 3 - Sur l’aire à battre, une petite maison nommée Ty Forme à deux longères et deux pignons ayant de longueur seize pieds et un huitième, de franc neuf pieds et de hauteur sept pieds et demi, le tout par réduction des dits pignons ornés de leur chevron de taille. Au pignon du nord une porte et une lucarne et une petite fenêtre de taille le tout à palâtre et huys de bois, excepté la petite fenêtre. En celui (pignon) du midi un four à jambages, courges, corbeaux, manteau, foyer, fourneau et pile de grosse taille, la pile et housse et cuve de massonne. Au cours quatre poutrelles garnies de deux passées de barasseaux, le surplus sans doublage. Au soutient de la couverture deux montants simplement accolés, simple filière, et le fait de bois de sciage et rondins, couverture et ligature de paille. Le tout prisé par le menu, compris les orbes et curaisons du fondement la somme de deux cent trente et une livres sept sols trois deniers cy 231L 7s 3d 4 - Le quart du puits sur l’aire à battre avec ses éligements [10], couronnement, fondasse et auge, prisé en l’état la somme de trente et neuf livres dix sols cy 39L 10s 0d 5 - Sur la moitié de la rue et aire à battre, à prendre au couchant, deux cordes [11]. Dans un prisage en vue de congément, c’est la superficie occupée par les édifices qui est indiquée, et non celle des terres. Sous un douzième de murs aux parties du midi et couchant, prisé avec le courois et aplanissement de l’aire à battre la somme de dix neuf livres quinze sols cy 19L 15s 0d 6 - Sur un jardin nommé Liorch Er Leur deux cordes et quart de murs au midi et couchant endroit, prisé avec les stus, orbes et la porte et son huys dans le mur du couchant la somme de trente et quatre livres cinq sols cy 34L 5s 0d Et l’heure de quatre heures étant parvenue avons déclaré nous retirer à nos demeures ordinaires pour y prendre nos réfections et le coucher et renvoyer pour la continuation au présent à demain prochain sous nos seings le dit jour mois et an que devant. Interligne pignonet à palâtre de bois approuvé raturé un mot nul. Le Gallen P.Mxxxx Le Manec |
En exploitant pas à pas la minute notariale, il est tout d’abord possible d’établir des vues en plan des bâtiments et de les orienter par rapport aux quatre coins cardinaux septentrion/midi/levant/couchant (nord/sud/est/ouest). Les lacunes doivent être comblées par déduction logique des principes de construction : pièces de 15 à 20 m2, séparations joignant les poutres au plafond, une fenêtre et/ou une porte par pièce. Les ouvertures sont souvent dénombrées par mur, quelles que soient leurs positions au rez-de-chaussée ou à l’étage. Le chercheur en positionne donc une par chambre basse. Le reste éventuel est supposé être au grenier, y compris les portes quand elles sont précédées d’escaliers extérieurs en pierre. Parfois, les bâtiments ne comportent qu’un seul pignon ou qu’une seule longère : cela signifie qu’ils sont accolés à un autre plus important en appentis ou en apothéis, ou bien encore que le mur manquant n’est pas mitoyen, mais appartient au voisin. Un demi-pignon serait par contre mitoyen. Les mesures par réduction semblent être celles des murs à l’intérieur et non pas à l’extérieur.
Voici donc l’interprétation qui peut être faite du document précédent :
Après l’établissement des vues en plan, le sens artistique et l’imagination doivent prendre le relais pour dessiner une esquisse de représentation en perspective de la tenue.
Dans notre cas, un autre acte établi en 1740 permet de se rendre compte que la tenue de Guillaume Lescoët était une partie d’une longère. Nous représenterons donc les biens de ce dernier dans leur contexte mais en s’intéressant aux détails uniquement pour ceux décrits dans l’acte de mesurage et de prisage précité.
Cet essai de reconstitution a été réalisé avec l’aide de Christian Duic.
Ce texte a déjà fait l’objet d’une publication dans la Chaloupe N°63 - 3e trimestre 2002 - Revue du Cercle Généalogique de Sud Bretagne.
Sources
[1] - AD du Morbihan - Mesurage et prisage à la requête d’Yves Le Gallo contre Guillaume Lescouët du 05/10/1767 - EN 2566.
[2] - AD du Morbihan - Mesurage et prisage à la requête de Jacques Le Bozec et Guillaume Lescoët contre François Le Ber - 29-30-31/08/1740 - EN 2564.