Une brève étude concernant la famille De Marion Gaja m’a fatalement conduit au village de Gaja-la-Selve (Aude), village dont cette famille est originaire, et de là, au château de Las Courtines.
Ma curiosité me pousse alors à chercher une photo de ce château. J’en trouve une [1], dont je fais l’acquisition.
C’est une carte postale [2], timbrée, tamponnée, écrite, signée … magnifique. Voyons-la ! Décortiquons-la !
- En voici le recto…
Examinons en détail ce recto. Que voit-on ?
En tout premier le lieu, l’endroit, le titre…
Il ne laisse aucun doute et valide la résidence de la famille De Marion Gaja.
Une pompe, une houe et, semble-t-il un panier, une nasse ou une cage. Des accessoires qui meublent cette vue champêtre. Tout cela est, à mon sens, normal.
Mais il y a mieux :
Sur un banc, dos au Château, un couple est assis avec deux jeunes enfants dont l’un, sur les genoux du Monsieur, parait-être un bébé (cheveux courts et jambes nues). Celui sur les genoux de la Dame semble être une fillette (cheveux longs et en robe) un peu plus âgée.
Nous voyons aussi deux domestiques, en tabliers blancs. Elles sont probablement, Cuisinière ou Femme de Chambre, ou Fille de Service. Ces termes proviennent des feuilles de recensement que, par et pour la suite, j‘ai examiné attentivement.
Décortiquons l’autre face de la carte postale.
- Et voilà le verso…
Le cachet de la poste nous renseigne sur la date : 5-8-18. Ce qui correspond au 5 Août 1918. La Carte Postale n’est apparue officiellement, en France, qu’aux environs de 1873. Il ne peut donc pas s’agir de 1818.
Le DARY et AUDE, laisse supposer que la carte est partie de CASTELNAU-DARY (11). Ce qui est logique, vu la proximité des lieux (Gaja-la-Selve à Castelnaudary = 18 à 19 Km).
Enfin le timbre : une Semeuse de 15 centimes vert-gris fut en service entre 1903 et 1927.
Ainsi ce courrier est parfaitement daté, situé, identifié.
L’expéditrice est une certaine Marthe qui pourrait bien habiter le Château de Las Courtines à Gaja-la-Selve. Son mot en haut de la carte et sa signature confirment ces avancées.
Marthe doit être une jeune fille ou au plus une jeune femme célibataire car elle écrit : je m’amuse beaucoup ici. Ces mots ne peuvent pas venir d’une épouse ou d’une mère.
Le ici, fait penser que ce n’est pas son lieu habituel de résidence.
Enfin la destinataire pose une dernière énigme :
Marthe écrit à sa Chère Solange qui habite le Château de Barbet à Lombez dans le Gers. Solange avait, peu avant, adressé une carte à Marthe qui en accuse réception : J’ai reçu ta carte… Nous notons que Marthe a eu bien plaisir à lire cette carte.
L’adresse nous apprend encore le nom de famille de la destinataire : De Scorbiac !
Les questions
Vous comme moi, suite à cet examen, avons des questions auxquelles nous avons hâte de répondre et nous pouvons les scinder en trois groupes :
A – Qui sont les gens que l’on distingue sur cette carte postale ?
A1 - Qui est le couple assis sur le banc ?
La photographie n’a pu être prise qu’après 1873 mais bien avant 1918. Sur la feuille de recensement de 1881 – Gaja-la-Selve [3] – on note, entre autres personnages, la présence suivante :
- De Marion Gaja Fernand Melchior Thérèze qui a 37 ans, au moment de ce recensement.
Mais son épouse : De Fortanier Jeanne Marie Ida, ne figure pas sur cette feuille car elle décède le 16 avril 1879. Elle est donc fatalement absente (et pour cause !) de ce recensement. Ce qui replace le trépied du photographe en 1878.
En 1878, Fernand est âgé de 33 ans. Son épouse, Ida, a 30 ans. Et là, ça ”colle”. Nous avons identifié le couple photographié sur le banc car ils habitent là.
A2 - Qui sont les bambins qu’ils ont sur leurs genoux ?
En 1878, le couple a 3 enfants vivants [4] :
- Marie Hippolyte Henri, né le 9 Février 1873, qui a 5 ans en 1878
- Thérèse Marie Octavie, née le 6 Mars 1876 a 2 ans (au moins) cette même année.
- Ernest Marie Hubert, né le 22 janvier 1878 a moins d’un an devant l’objectif.
Joséphine Marie Louise (1879-1898) n’est pas encore née !
En revenant à la photo, et selon ce constat, nous pouvons dire qu’Octavie est sur les genoux de sa Maman et qu’Hubert repose sur ceux de son Papa.
Henri, 5 ans, n’est pas sur la photo… A moins qu’il soit dans les bras de la domestique qui est au premier plan : Son visage semble en cacher un autre et le léger cintre de son dos entretient cette idée.
Ainsi tout est dit, tout est démontré, tout se vérifie à propos des bambins De Marion Gaja.
A3 - Peut-on mettre un nom sur les domestiques ?
Ici, on ne peut rien affirmer de but en blanc, car le "Château" emploie couramment 4 domestiques.
En 1876 [5], il n’y en a que 3 : Le cocher et sa femme, plus un homme de chambre Baptiste CANDEIL.
En 1881, on retrouve le même cocher et son épouse ainsi qu’une Cuisinière. Il y a de fortes présomptions pour qu’elle ait remplacé l’Homme de chambre – Baptiste Candeil - après le recensement de 1876.
Ainsi, les noms de nos deux domestiques sont, très certainement :
- Lacoste Marie (1843-) [6], qui a 35 ans en 1878, épouse du cocher Combes Vital et,
- Bonnefoy Rose, la cuisinière, âgée de 22 ans en 1878.
Cependant, je ne sais pas dire si Marie Lacoste est au premier plan sur la photo, ni, si c’est Rose Bonnefoy qui tient cette place.
B – Qui est Solange, la destinataire ?
B1 - Qui est Solange [7] De Scorbiac ?
Une visite chez Monsieur Généanet nous fournit 5 résultats dont voici la synthèse :
Jeanne Marguerite Marie Solange de Scorbiac est née à Rabastens (81) le 4 Juillet 1907. C’est donc à une gamine de 11 ans qu’écrit Marthe qui ne doit pas être beaucoup plus âgée.
On peut ainsi considérer, sans risque d’erreur, que Solange De Scorbiac est parfaitement identifiée.
Solange ne peut pas figurer pas sur le recensement de Lombez (32) de 1901… car elle n’était pas née. On ne la trouve pas sur celui de 1911. Quant au suivant, 1921, il n’est pas encore en ligne. Dommage !
B2 - Marthe et Solange sont-elles parentes ?
B2a – Sont-elles sœurs ?
De prime abord, aucune Marthe [8] parmi les enfants du couple De Scorbiac & D’Aure. Elles ne sont pas sœurs.
B2b – Sont-elles cousines germaines ?
Elles ne peuvent pas non plus être cousines germaines car la sœur ainée de Solange- Marie Thérèse - n’a que 5 ans de plus qu’elle et ce n’est qu’en 1950 que Marie Thérèse se marie avec Gorges Landes.
B2c – Marthe est-elle la tante de Solange ?
Pour cela, nous avons deux possibilités, le côté paternel et le côté maternel :
- Côté paternel, Marie Raoul Joseph n’a pas de sœur prénommée Marthe !
- Côté maternel, on constate que Louise Marie Valérie d’Aure est dans la même situation !
B2d – Marthe est-elle une cousine germaine de l’un des parents ?
Là, il nous faut observer 4 familles : les De Scorbiac, les De Marcelier De Gaujac, les D’Aure et les De Cassan-Floyrac qui correspondent aux fratries des grands parents de Solange.
- 1) Le couple De Scorbiac & Chastenet De Puysegur n’a aucune Marthe parmi leurs 10 enfants.
- 2) Le couple De Marcelier De Gaujac & De Saintegeme n’a qu’une fille [9], mais dont aucun de ses prénoms n’est Marthe.
- 3) Le couple D’Aure & Des Esgaulx de Nolet n’aurait que deux garçons…
- 4) Le couple De Cassan-Floyrac & De Patris a 4 enfants dont deux filles dont aucune ne porte ce prénom de Marthe.
Me voilà revenu bredouille de cette chasse…
Je reviendrais sur la personnalité de Marthe au § C.
B3 - Peut-on retrouver le Château de Barbet à Lombez (32) ?
Ce château existe bel et bien. Il est situé à Lombez (Gers). On en trouve une belle carte postale sur Généanet [10]. Cependant, nous avons opté pour une vraie photo [11].
C’est aujourd’hui un hôtel-restaurant [12]
- Le château de Barbet (XVIIIe siècle)
Le recensement [13] de 1911 pour Lombez, ne nous fournit que trois De Scorbiac :
- Marie Casimir Etienne [14], né à Montauban en 1844, Chef et Propriétaire, rentier
- Marie François Marguerite [15], née en 1848 à Toulouse, sa femme née De Marcelier De Gaujac aussi Propriétaire, et
- Adrienne Paule Zoé Marie, née à Lombez en 1884, fille (de ce couple).
Il y a aussi un couple de domestiques : Jean et Eugénie Berdon.
C - Qui est Marthe, la rédactrice de cette carte ?
C1 – Est-ce une amie de Solange ?
D’elle, nous savons qu’en 1918 elle sait lire et écrire. Nous pensons qu’elle doit être âgée de 12 à 16 ans. C’est une proche de la famille De Scorbiac et en particulier de Solange.
A ce jour, il n’est pas prouvé qu’elle soit parente avec Solange. Voyons si c’est une amie !
Les De Marion Gaja ont quitté le village de Gaja-la-Selve entre 1881 et 1886 (Ils sont partis en Algérie). Au dernier recensement en ligne (1891) ce nom n’apparait plus dans les feuilles du recensement au niveau du lieu-dit Château Las Courtines.
Les tables décennales ne peuvent pas nous servir car les dernières années en ligne couvrent la période 1873-1882.
De plus, nous ne pouvons pas affirmer que Marthe habite Gaja-la-Selve.
En attendant, passons aux questions suivantes dont les réponses apporteront, peut-être la solution.
C2 – Quel est son nom de famille ?
Il est sûr que mettre un nom sur cette adolescente ne sera pas facile !
Pour tenter de le retrouver, j’ai usé de deux ruses de sioux :
- Ruse N°1 : Sur Généanet, j’ai placé Marthe en constante et ensuite j’ai collé, un par un, tous les noms de famille contenus dans cette généalogie : les De Scorbiac, dans celles des De Toulouse-Lautrec, et des De Marion Gaja, etc., etc.
Ruse qui n’a malheureusement pas fait tomber une Marthe dans ce piège pourtant bien tendu !
La difficulté vient que Marthe est une contemporaine (+ ou – de 100 ans) qui est probablement ‟cachée”, donc invisible dans les tablettes de Généanet.
- Ruse N° 2 : Pensant que Marthe pouvait être une fille de bonne famille – donc une "de" et qu’elle habite le Gers, j’ai encore mis à contribution Généanet avec ces maigres données. L’examen des résultats retient une seule Marthe :
° Née à Duperré [16] (Algérie) le 11 janvier 1897
x Mariée à Auch (32) le 27 octobre 1923 avec De Cours de Saint-Gervasy Joseph Antoine Charles Anstunde Jean
+ Décédée à Tasque (32) le 1er décembre 1946 au château de Saint-Gervazy.
- Tasque (32) – Le Château de Saint-Gervazy
En 1918, cette Marthe a 21 ans. Ce qui est un peu âgé pour correspondre avec une gamine de 11 ans.
Entre Lombez et Tasque il y a environ 90 Km. C’est un peu loin aussi pour entretenir une familiarité suivie.
Autre possibilité : Lombez (32) n’est pas très loin de la limite avec la Haute-Garonne (31) et plus particulièrement des villages de Sajas, Mauvezin, L’Isle-Dodon, Puymaurin, Agassac, Forgues. Mais aucune de ces communes ne renferme une Marthe acceptable.
Dernière possibilité : Elle n’est pas simple et très improbable…
Il faudrait retrouver la carte écrite par Solange (J’ai reçu ta carte…), depuis Lombez, à Marthe qui se trouve à Gaja-la-Selve. Là, le nom de Marthe doit apparaitre… et cela mettrait fin à cette haletante énigme.
Je peux rêver …
Mais pour aller au bout de cette idée, j’ai tenté de me rapprocher des actuels propriétaires de « Las Courtines ». Ils ne souhaitent pas coopérer.
Fausse joie : Aurions-nous retrouvé Marthe ?
La lecture attentive des actes en ma possession, me délivre une Marthe tout à fait convenable ! C’est une belle-sœur :
- Un des frères de Solange : Bernard Charles Marie Joseph Paul De Scorbiac est marié avec Françoise Charlotte Ernestine Anne Marie Lafont [17] qui se prénommerait aussi Marthe. On découvre cette appellation sur une annotation marginale concernant son mariage : Anne a disparu au profit de Marthe, qui avait 10 ans en 1918.
- Annotation marginale figurant sur l’acte de naissance de Bernard Charles Marie Joseph Paul De Scorbiac.
Et me voilà maintenant avec d’autres questions :
- Comment les fillettes se connaissent-elles ? Sachant que Solange vit au Château de Barbet à Lombez, dans le Gers (32) et que cette Marthe est née à Saumur dans le Maine-et-Loire (49) et qu’elle semble être en vacances à Gaja-la-Selve dans l’Aude (11).
- Pour que ces 2 gamines échangent du courrier, il faut nécessairement que les parents se fréquentent. A quelles occasions ? Et où ?
- Comment et où Marthe a connu le frère de Solange ? Ceci est un peu une question logique, normale. Ils se connaissent depuis tout petit. Et puis un jour ils décident (ou les parents décident) d’unir leur destin…
Pour conclure ce paragraphe, je crois que cette Marthe est une fausse "Marthe" car :
- Son acte de naissance [18] comporte les prénoms de Charlotte, Ernestine, Anne, Marie. Pas de Marthe !
- Son acte de mariage [19] comporte les mêmes prénoms. Pas de Marthe !
- Son acte de décès [20] est sans aucun changement à ce niveau. Toujours pas de Marthe.
Ce serait donc une erreur de l’Employé(e) de l’Etat-Civil qui a mal transcrit l’annotation marginale sur l’acte de naissance [21] de l’époux. Nous dirons que ce jour-là, il/elle avait la tête ailleurs.
A moins que cette fillette, ne trouvant aucun de ses prénoms – Françoise, Charlotte, Ernestine, Anne et Marie - à son goût, elle se fasse prénommée Marthe par son entourage. Mais alors, comment l’employé(e) le saurait-il ? C’est donc bien une fausse joie !
C3 – Où vit Marthe ordinairement ?
Impossible de répondre à cette interrogation. Je doute qu’elle vive à Gaja-la-Selve, le ici de la carte postale me conforte dans cette idée.
Il ne reste, de cette façon plus que 37 à 38 000 communes métropolitaines à explorer …
Donc la question ‟ - QUI EST MARTHE ?” est toujours sans réponse.
Remerciements :
En tout premier lieu, c’est à Liliane Carrière que j’adresse toute ma reconnaissance pour son active et gracieuse participation à cette histoire.
Cette reconstitution (près de 600 individus et 178 lieux recensés aux compteurs Heredis) m’a demandé de nombreux contacts avec les Mairies qui toutes ont répondu gentiment et rapidement à mes demandes d’informations.
Mais il en est une que j’ai sollicité, plus que les autres, c’est celle de Lombez qui a honorée mes nombreuses demandes.
Les Archives Départementales du Gers m’ont également apporté leur précieux concours à ces recherches, effaçant ainsi l’absence des registres de l’Etat-Civil de leur département.