Sur un échantillon de près de 400 données [1] réunies sur une région du centre de la France, (la Beauce et ses environs immédiats), et échelonnées sur un peu plus de deux siècles, (1581 -1814) les termes utilisés par les curés font apparaître en premier lieu « la bête » et ses variantes (bête féroce, bête cruelle, bête fauve etc...) avec 205 cas . Vient ensuite « le loup » et ses variantes (loup enragé, loup ravissant etc...) avec 166 cas [2].
- Loup noir ( Canis lycaon). Schreber’s 1775 (domaine public).
Les loups de couleur noire furent réputés être des hybride de loup et de chien. Cette explication tend à être aujourd’hui corroborée par les études génétiques.
Des proportions semblables ont pu être estimées dans des régions voisines, l’Orléanais, la Sologne... et pourraient probablement s’appliquer à d’autres régions. Enfin, dans une vingtaine de cas supplémentaires, on ne trouve pas de dénominations exploitables (il s’agit de l’inhumation de personnes trouvées mortes et inhumées après avoir été « dévorées » mais sans que la cause du décès ne soit connue ou explicitée).
Les bêtes ainsi désignées étaient-elles des loups ? C’est le débat. Certains écrits peuvent effectivement donner à penser que le terme « la bête » pouvait avec une quasi certitude désigner le loup. Comme dans cet acte du curé de La Chapelle d’Aunainville, en 1692, dans lequel il note avoir inhumé Jeanne Demans, 6 ans, « étranglée par un loup appelé la bête ».
Mais le plus souvent, les curés semblent hésiter : on parle volontiers de « bestes » sans les qualifier davantage, ou de « bête inconnue », de bête « en forme de loup », de bête fauve « façon de loup » et dans d’autres cas, on fait même sciemment la distinction : « vendredi au soir 18 octobre 1748 fut, par nous présents, inhumée Marie, âgée de 12 ans, fille de feu Gilles Coutant et Marie Proux, sa femme, décédée hier par le fâcheux accident de la bête féroce et autre qu’un loup, au lieu de la haute Méchinière en cette paroisse. » [3]. Si c’est d’une bête féroce « autre qu’un loup » dont nous parle ce curé, c’est visiblement qu’il ne s’agissait pas d’un loup, comme aurait très bien pu le dire M. de la Pallice ! Or les registres paroissiaux sont bien pourvus en descriptions de « bêtes » de ce genre, généralement mal identifiées, et il est rare que des indices suffisamment explicites permettent de les catégoriser.. Loup, ou pas loup ? Bête enragée ou non, souvent cela ne peut que relever de l’hypothèse et… de l’opinion préalable que l’on peut avoir !!
Un autre question se pose : certaines de ces petites victimes, dont les seuls ossements sont retrouvés, furent-elles « tuées par la bête » ou « dévorées par la bête » ? La nuance est d’importance. Comment connaître les raisons du décès d’un enfant dont on n’aura retrouvé qu’une partie du corps ?
On ne peut s’empêcher de penser que des agressions violentes dues, non à des bêtes mais à des humains, se produisirent fréquemment et furent, par facilité ou par habitude, mises au compte.. des loups ou d’autres bêtes sauvages . Ce n’est bien sûr que pure spéculation mais on ne peut exclure que ce genre de crimes, sexuels ou crapuleux, aient pu avoir lieu et aient été un peu vite mis au compte de « la bête ».
Le doute est partagé par l’historien du Vendômois André Prudhomme qui écrit ne pas exclure certaines responsabilités humaines : « Nous ne saurons jamais combien d’enfants et de femmes, mangés par le loup, avaient auparavant été massacrés par les hommes. Les XVIIe et XVIIIe siècles furent une période où les crimes de toutes natures furent nombreux » [4].
Certains prêtres, prudents dans la relation qu’ils font de ces accidents, s’en remettent d’ailleurs à l’opinion des habitants : ainsi, à St Laurent des bois, en 1751, le curé inhume une fillette « trouvée mangée par une bête féroce qu’on prend pour un loup » dans le bois dépendant de la sainte chapelle de Châteaudun. « Qu’on prend pour un loup ? » En fait, ce curé exprime, avec ces quelques mots, le fait qu’il ne connaît ni la nature de l’agresseur, ni la raison du décès puisque la fillette a été découverte déjà morte et il se borne à noter sur son registre l’explication donnée par les villageois.
Il va falloir, au cas par cas, essayer de deviner quels évènements ont pu se cacher derrière les quelques notes jetées à la hâte sur un registre par un prêtre !
A Pontlevoy, en 1743, un enfant disparaît et est apparemment dévoré comme le suggère l’acte cité par F. Gauthier [5] : « Le petit Movel qui demeuroit à la Bohémerie (...) qu’on ne sait ce qu’il est devenu (…) on présume qu’il a été entièrement mangé car on a trouvé dans les bois ses sabots et quelques hardes déchirées et en pièces ». Doit-on mettre ce type d’acte au compte du loup ?
A Saint Laurent-Nouan, le 4 mars 1765, on inhume un cadavre masculin « trouvé proche Le grand Chemin à la Taille du verger sans tête et mangé en partie des bêtes » [6]. Rien dans cette relation ne permet là encore d’affirmer que l’homme avait été victime du loup, le curé confirme seulement que le cadavre a été mangé par des « bêtes » dont il ne sait d’ailleurs rien puisqu’il ne les nomme pas.
On pourrait multilier les exemples. A Bourré, le 16 mars 1715, on inhume Catherine Jousset « dévorée par une bête dans la vallée de Valagon, proche leur maison, n’en ayant trouvé aucune autre chose davantage sinon ses ossements » [7].
A Chambon sur cisse 6 juin 1735, le curé inhume « la tête et quelques fragments du corps » de Madeleine Rétif, 9 ans, « trouvée dévorée par une bête » [8].
A Chissay en Touraine, à La Chauvinière, le 23 mai 1715, c’est Thomas Moreau, âgé d’environ 11 ans, qui est retrouvé mort. Le curé inhume au cimetière « une partie du corps, lequel a été aussi étranglé et mangé en partie par une beste carnassière » [9].
A Contres, en 1743, une « bête féroce » dévore les habitants note l’abbé Porcher [10]. A Souvigny , le 29 mars 1747, Magdeleine Mangeau 22 ans, est « trouvée morte et dévorée par un loup dans les bois des feuillets ». Le 23 mai, c’est Jean-Marie Métivier, 5 ans et demi qui est découvert dans les bois de la Gardrière « mort et dévoré par un loup ou autre beste » [11].
En 1731, le curé de Coulanges-la-Vineuse dans l’Yonne inhume un enfant « qui paraissait âgé de 10 ans ou environ, lequel a été trouvé dans les vignes à moitié mangé par les bêtes féroces, et dont je n’ai pu savoir le nom ».
Comme le montrent ces quelques exemples – il y en a sans doute quelques centaines d’autres dans tout le pays, il est fréquent que les corps des victimes aient été découverts à demi dévorés. Le fait que ces cadavres aient ensuite attiré des animaux sauvages charognards ou nécrophages ne nous renseigne malheureusement en rien sur la nature des agresseurs et sur la cause des premières blessures ayant entraîné la mort . Il est bien connu par les naturalistes de terrain qu’un cadavre quelconque, laissé à l’abandon dans la nature disparaît en très peu de temps.. Tous les prédateurs, petits ou grands, voire même les sangliers, les porcs, les chiens, les corneilles, les mustélidés etc.. se chargeant de « nettoyer » la carcasse en un temps record... Et qu’il s’agisse de petits d’hommes ne change rien à l’affaire...
Dans un certain nombre de cas, le loup est cependant clairement désigné comme l’auteur de ces agressions, notamment lorsqu’il est enragé mais, dans d’autres cas, ces décès sont attribués à des « bestes » incertaines dont la nature nous échappe, ainsi à Ardon en 1699 :
« Le second (jour) de mars 1699 a esté inhumée au cimetière de cette église, par moi soussigné, Magdelaine, âgée d’environ huict ans, fille de Claude Malot, jardinier de Buglain et de défuncte Marie Ploton, laquelle a esté presque mangée par une beste qui lui a arraché toute la mâchoire et qui l’eut entièrement mangée si on eust couru avec des ferrements pour lui faire quitte ladict enfant de sa gueule. On est bien tourmenté de ces animaux, que le vulgaire appelle « la beste » blessant journellement plusieurs enfants , non seulement sur ceste paroisse mais encore dans les voisines. Ladicte inhumation faicte en présence dudict Malot, jardinier, Sylvain Giron et Estienne Lemoine, voisins, qui ne savent signer » [12].
A Fougères sur Bièvre, c’est une fillette de 3 ans , Cécile Briquet, qui est « emportée par une bête féroce qui l’a égorgée et lui a mangé une partie du corps... et le même jour, on a retrouvé le reste dans le grand hallier d’épines » [13].
A Thésée, le 11 juillet 1715, le curé écrit avoir inhumé une jambe de Madeleine Cabaret, 9 ans, « laquelle a été dévorée par une bête féroce le jour de devant et dont on n’a pu trouver autre reste de tout le corps » [14].
- Image éditée et vendue à Orléans en 1757. Le texte qui l’accompagne laisse planer le doute sur l’identité de la bête : « On ne saurait trop définir quelle sorte d’animaux c’est « ..
Dans la Nièvre, près de Clamecy, un curé se montre curieux -le fait est peu fréquent de l’identité réelle de la bête qui, en 1761, tua plusieurs enfants qui gardaient les bestiaux et il reconnaît « un loup ordinaire » après avoir examiné le cadavre de l’animal mais non sans s’être posé quelques questions :
« Plusieurs enfants de Bazoches, Vauban, Neuffontaines, Domecy-sur-Chore, Foissy et autres lieux, occupés à garder les bestiaux, avaient été successivement dévorés par un loup que l’on disait d’une taille extraordinaire, et comme cette bête féroce semblait s’attaquer aux enfants plutôt qu’aux animaux, le peuple en avait conçu une terreur superstitieuse. Cette même année, le monstre terrassa une jeune fille de 13 à 15 ans, originaire de Domecy-sur-le-Vault et louée comme bergère chez un nommé Bazarne, de Fontette. Quand on arriva au secours de la pauvre enfant, le loup lui avait déjà dévoré les entrailles et une cuisse. Malgré l’effroi qu’inspirait cette horrible bête, les habitants de Fontette se mirent à sa poursuite et l’assommèrent à Saint-André-en-Morvan. Les médecins voulurent examiner le cadavre de ce loup que l’imagination populaire regardait comme diabolique ils l’ouvrirent en effet, trouvèrent dans son estomac les débris d’un crâne d’enfant avec des cheveux, et conclurent que c’était un loup « tout comme un autre, qui pouvait avoir neuf ans ». M. Pétitier, curé de Tharoiseau voulut voir aussi cette bête dont on avait tant parlé, et il reconnut que « c’était un loup ordinaire ». Ce loup avait sa louve, qui fut tuée quelque temps après, du côté de Neuffontaines elle était aussi féroce que le loup, mais moins hardie » [15].
La grandeur des animaux coupables d’agressions frape les imaginations. On lit dans le Journal d’un bourgeois de St Aignan qu’en forêt de Choussy, en 1715, après une battue qui réunit près de 600 personnes, on tua un loup « d’une prodigieuse grandeur et grosseur ». L’animal, tué par un habitant de Oisy, « avait fait depuis six mois un carnage aux environs de Montrichard et Pontlevoy et mangé plus de 60 personnes, plus particulièrement des enfants » [16].
On s’interroge évidemment sur la nature de ces animaux redoutés et de multiples explications sont avancées, parfois des plus fantaisistes . Pour certains il s’agit de loups cerviers, pour d’autres de léopards, de sorciers, de fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes de leurs pêchés, etc…
Pour Henri Gaigoz, à la fin du XIXe siècle, la cause est entendue : « On parle peu des loups aujourd’hui, car l’espèce en est a peu près perdue en France, mais dans les derniers siècles encore, ils étaient nombreux, et ils y faisaient presque autant de ravages que les tigres en font aujourd’hui dans l’Inde. Quelques-uns même de ces loups, plus grands, plus forts, plus hardis, jetaient une telle consternation dans le pays, que l’imagination populaire en faisait des monstres, des bêtes fantastiques que les balles ne pouvaient blesser : tel est le cas de la fameuse « bête du Gévaudan », qui en 1765 ravagea le Gévaudan et la partie limitrophe de l’Auvergne » [17].
- Représentation d’un loup tué en Gévaudan en 1765 présenté au Roi comme étant la célèbre « bête du Gévaudan »
Qu’étaient donc ces loups « ordinaires » mais « de taille extraordinaire » ? Peu d’éléments sont disponibles pour répondre à cette question. La taille et le poids des loups tués sont parfois mentionnés, lorsqu’ils sont inhabituels, dans les rapports et dans les chroniques.
En janvier 1855, les habitants de Vrigny, (Loiret) prévenus par un jeune vacher de l’existence de loups dans les bois appartenant à M. de Fougeroux, en lisière de la forêt d’Orléans, tuent « deux loups énormes » et « les promènent dans les rues de la ville » [18].
- Bête d’Orléans. Ancien bois gravé d’un animal semblant affublé d’une curieuse armure comme l’étaient les chiens de guerre. Utilisée par les imagiers d’Orléans et les colporteurs pour « vendre du papier » en profitant des exploits de la fameuse « bête du Gévaudan ».
En mars 1755, à Coulommiers près de Vendôme, un loup enragé « d’une grosseur extraordinaire » entre dans la maison de Jeanne Chapuiseau. Elle s’arme d’une pique et le met en fuite, puis le poursuit. Mais l’animal furieux se jette sur elle et la mord en plusieurs endroits, particulièrement au visage et au sein. Elle parvient à le tuer mais elle meurt de la rage quelques jours après [19].
- Chien enragé. Gravure de Louis-Pierre Baltard,. Chaussier et Enaux, "Méthode de traiter les morsures des animaux enragés et de la vipère", édition de l’An VIII.
Le Roi Louis XIII chasse le loup en pleine Beauce : le 25 septembre 1627, il prend un loup « d’une excessive grandeur » à Janville [20].
Une louve et sept louveteaux sont tués à Voves, en 1840 près de Chartres. « Cette louve, écrit le Journal du Loiret, qui eût pu être très funeste à cette partie de la Beauce ou il existe de nombreux troupeaux, est de la plus grande espèce ; sa longueur est au moins d’un mètre soixante-deux centimètres ; elle est âgée de trois à quatre ans » [21].
Des loups pesant 40 ou 50 kilos ne sont pas rares, ainsi que des tailles, du museau à la queue, atteignant un mètre cinquante ou plus. En 1871, aux environ de Pontgouin, en Eure et Loir, le marquis d’Aligre tue au cours d’une chasse quatre loups dont trois pesant soixante quinze kilos.
A noter que ces « gros loups » ne sont pas une spécialité locale : ici ou là, en France, on signale la présence de loups de taille ou de poids exceptionnels mais il est bien difficile de se rendre compte de la réalité de ces descriptions… Ainsi, en 1868, un « loup énorme » est tué dans la Loire, en 1867, c’est une « énorme louve » qui est abattue en Seine Maritime. Un loup « de taille gigantesque » est tué dans le haut-Rhin en 1868. En 1880, c’est un loup « d’une taille extraordinaire » qui est tué en haute Marne [22] . Dans le Calvados, on mesure un loup tué en 1868 : « Agé de cinq ou six ans, il mesurait de l’os frontal à la naissance de la queue 1m 40, 85 cm de haut et pesait 45 kg, plusieurs chasseurs expérimentés ont vu et examiné ce loup et sont tous d’avis que l’on en rencontre bien peu de cette force » [23]. En Dordogne, en 1876 un autre loup, dont l’âge est estimé à onze ans mesurait 1m70 de longueur sur 0,72 m de hauteur [24]. En 1896, c’est un loup de 82 kilogs qui est tué dans la Nièvre etc… Mais le record absolu reste celui de ce loup des Carpathes, tué en 1942, et qui pesait 96 kilos !
Ces loups de grande taille étaient-ils les fameux loups « mangeurs d’hommes » dont les exploits sur les champs de bataille furent régulièrement mentionnés ?
« Ce quadrupède aime beaucoup la chair humaine , on en a vu suivre les armées, arriver en grand nombre à des champs de bataille où l’on n’avoit enterré les corps que négligemment, les découvrir et les dévorer » écrit en 1794 le « Dictionnaire de toutes les espèces de chasses » J. Lacombe. Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de toutes les espèces de chasses. Agasse, imprimeur-libraire, Paris. 1794-95..
Pour Jean-Marc Moriceau [25], auteur de l’étude très documentée « Histoire du méchant loup » dans laquelle il a exploité un corpus de plus de 3000 données, il convient de distinguer les loups atteints de la rage et les loups mangeurs d’hommes. Cela rejoint le point de vue des auteurs anciens qui avaient observé que le loup était parfois susceptible de « spécialiser » son régime alimentaire au détriment de l’espèce humaine :
« Quand ils ont goûté de la chair humaine, ils en deviennent tellement avides qu’ils n’en veulent plus d’autre. Tout le monde tremble au seul nom de « la bête » que le vulgaire s’imagine être un animal extraordinaire, inconnu et ensorcelé, cependant on reconnaît tôt ou tard que cette bête si redoutée et qui était en effet redoutable n’était rien autre chose qu’un loup ordinaire. C’est aussi ce que l’on appelle des loups-garoux ou encharnés, comme qui dirait des loups dont il faut se garer et qui sont accoutumés à manger de la chair humaine » [26].
Une anecdote mettant en scène un tel loup « mangeur d’homme » a été relevée vers Chatillon sur Loire par un auteur cynégétique : « En 1772, des louveteaux issus d’un grand loup qui les avait habitués à la chair humaine, ayant fait des dégâts aux environs de Châtillon-sur-Loire, madame la marquise de la Rochejaquelin, en l’absence de son mari, en prit deux et tua le troisième » [27].
Au nord de la Loire, aux environs de Vendôme, en 1743, le curé de Perrigny [28] décrit une situation analogue : il inhume en juillet une fillette de cinq ans : « déchirée par un loup que l’on dit être différent de ceux du pais ». Il explique que ces « espèces de loups » sont « accoutumées à la chair humaine ». Elles attaquent écrit le curé « des personnes de tout âge et de tout sexe et donnent beaucoup plus sur les femmes et les filles que sur les hommes ».
Le curé décrit ensuite la manière dont se produisent ces attaques : « la manière de ces animaux est de prendre leur proye à la gorge et sur le champ les personnes attaquées périssent. Leurs proie étranglée, elles commencent à s’en repaître par le sein des femmes et le bas ventre. C’est ce qui a été remarqué partout ou de pareils accidens sont arrivés ». Puis il signale que « cent vingt personnes ont été dévorées aux alentours » depuis trois mois. Heureusement, et curieusement, sa paroisse semble épargnée : [29].
Quoi qu’il en soit, il est avéré que des cas documentés de morts violentes ont bien été le fait de carnivores sauvages et ces « indices » font désormais partie de l’histoire des rapports entre le prédateur et l’homme, même si le loup aura probablement endossé, ici où là, des responsabilités qui n’étaient pas les siennes.
Enfin, pour tenter de se forger une opinion, on ne peut faire l’impasse sur le « décor » dans lequel hommes et bêtes sauvages évoluent.. A notre époque, des attaques de loups sur l’homme, dans les pays où ses effectifs sont encore abondants, se produisent de temps à autre, bien qu’ils soient rarissimes et pas toujours bien documentés scientifiquement. Ils peuvent cependant peut-être nous éclairer sur ce que fût chez nous la cohabitation « hommes-loups » en ces temps anciens.. Des cas d’attaques d’être humains et notamment d’enfants (mettant aussi parfois en scène des chiens ensauvagés ou des animaux enragés) ont été signalés dans des régions d’extrême pauvreté où les conditions sociales et environnementales sont sans doute proches de celles qui étaient les nôtres il y a 3 ou 4 siècles : populations rurales fragilisées par des problèmes de nutrition, enfants en bas âge gardant seuls les bestiaux ou effectuant divers travaux agricoles etc…
« Dans l’Inde, écrit Louis Figuier en 1869, où les loups sont rangés au nombre des animaux sacrés, ils prélèvent sur l’homme un ample tribut. Les loups enlèvent chaque année bon nombre d’enfants, principalement dans les districts où il y a peu d’Européens, parce que dans ces lieux ces animaux sont plus respectés » [30].
A noter que plusieurs auteurs [31] se sont intéressés à la saisonnalité des attaques : la plupart des agressions se situent logiquement à la belle saison, lorsque les jeunes pâtres sont dans les champs pour garder les bestiaux ou que les enfants échappent à la surveillance des parents…
Ainsi, à Vallières les grandes, un acte de décès, le 27 septembre 1743, situe les circonstances des attaques : Le jeune Julien Goceau 10 ans est « déchiré par la bête féroce en gardant les bestiaux » [32].
A Chisseaux, le 24 avril 1747, Marie Girard , 9 ans, « a été prise à la gorge et tuée à l’instant par un loup étranger que l’on croit être un loup cervier en gardant ses vaches dans les bois proches de Coussy » [33].
Les conditions de vie de cette population rurale sont rudes. Le loup qui rôde autour des troupeaux n’est sans doute qu’une des difficultés extrêmes auxquelles elle doit faire face : « Pendant la guerre de cent ans, les anglais ravagent plusieurs fois la Sologne », rappelle Lucien Fardet dans sa Géographie du Loiret : « ses habitant s’enfuient dans les bois où la maladie, la famine, les loups les exterminent » [34].
Sous Louis XII, en 1502, une épidémie sévit dans les campagnes du Bourbonnais, de la Saintonge, de l’Anjou, de la Touraine et de l’Orléanais, « les pauvres gens qui s’enfuyaient dans les bois, éperdus de terreur, pour échapper à la contagion, y mouraient de faim ou étaient dévorés par les loups » écrit le baron Dunoyer de Noirmont dans son Histoire de la chasse en France [35].
A Sancerre, pendant le siège de la ville, en 1573, on meurt des troubles sociaux mais on meurt aussi de faim (ou des deux..). On enterre 25 ou 30 morts par jour « mais surtout les jeunes enfants en dessous de 12 ans qui sont presque tous morts » . Les habitants jetés hors de la ville se nourrissent « de bourgeons de vignes de bayes (baies) d’escargots, de limaces rouges et d’herbes sauvages » [36].
Dans un tel environnement de violences, de malheurs et de maladies, la lutte pour la vie est la règle et les plus forts éliminent impitoyablement les plus faibles, hommes compris ! Et à la ville, ce n’est guère mieux : une description, particulièrement saisissante, de l’état de santé de la population nous est donnée par une lettre de la supérieure des Carmélites de Blois. Cela se passe en 1662. Elle écrit :
« Les pauvres des champs semblent des carcasses déterrées. La pasture des loups est aujourd’huy la nourriture des chrétiens, car quand ils trouvent des chevaux, des asnes et d’autres bestes mortes et estouffées ilz se repaissent de cette chair corrompue qui les faict plustot mourir que vivre. Les pauvres de la ville mangent comme les pourceaux, un peu de son trempé dans de l’eau pure (..). Ils ramassent, dans les ruisseaux, dans la boue, des tronçons de choux à demy pourris et, pour les faire cuire avec du son, ils demandent avec insistance l’eau de morue salée qu’on répand » [37].
Pendant les périodes de troubles, les mêmes scènes d’extrême désolation se produisirent dans tout le pays. En Cornouaille, écrit le chanoine Moreau, « on ne trouvoit autre chose que trépassés par les chemins, partie ayant encore la vinette ou graine de lin dans la bouche, partie déjà mangés des loups et quelques-uns tout entiers, jusqu’à la nuit qu’ils leur servoient d’aliments, sans qu’ils eussent de sépulture (..) S’estant habitués à vivre de chair et de sang humain par l’abondance des cadavres que leur servit d’abord la guerre, ils trouvèrent cette curée si appétissante que dès lors et dans la suite, jusqu’à sept et huit ans, ils attaquèrent les hommes estant même armés et personne n’osoit plus aller seul » [38].
L’attrait du loup pour les champs de bataille est aussi remarqué pendant les guerres de Vendée, « On ne voit par tous les chemins que des cadavres mangés en partie par les loups » écrit Collinet dans son journal . Les chiens peuvent parfois participer au festin, pendant la Fronde une bataille a lieu vers Lignières 39 entre un gentilhomme à la tête d’un groupe de paysans et un détachement des troupes royales et elle fait de nombreux morts. On raconte que suite à cet engagement « les chiens des fermes voisines étaient accourus en si grand nombre pour dévorer les cadavres des deux partis que le théâtre de l’événement vit son nom de la Chaume-Parcy changé, en celui de la Chaume-des-Chiens » [39].
A la fin du XVIIe siècle, des observations semblables sont faites dans d’autres pays.. En Irlande, en 1690, mille corps de soldats « morts sans être enterrez » vont être « pour la plupart mangez par les chiens » [40]. En Hongrie, en 1684, la famine sévit : « Les habitans de l’Isle de Schut sont réduits à manger des racines, et à moudre des écorces pour en faire du pain. On a trouvé deux femmes près du jardin de l’Archevêque, qui mangeoient de la chair de cheval et vu des soldats logez à Lichtersdorf en l’Isle de Schut a mangé les entrailles du corps mort d’un autre soldat. Le Baron Abelé a mandé les mêmes choses à l’Empereur [41] ajoutant que les chiens mangeoient les corps morts dans les rues » [42].
Dans le blésois, en Sologne, en Beauce, en Touraine « il y a plus de trente mille pauvres dans la dernière extrémité dont la plus grande partie meurt de faim (…) M. de Saint-Denis, qui est seigneur d’une des grandes paroisses du Blaisois, assure que plus de huictvingts (80 ?) de sa paroisse sont morts manque de nourriture, et qu’il en reste cinq à six cents dans le mesme danger. Ils sont, dit-il, réduits à pasturer l’herbe et les racines de nos prés, tout ainsi que les bestes ; ils dévorent les charognes, et, si Dieu n’a pitié d’eux, ils se mangeront bientôt les uns les autres. Depuis cinq cents ans il ne s’est pas vu une pareille misère à celle de ce pays » [43]. Le vicaire de l’église St Sauveur de Blois dit qu’il a même vu deux enfants, dans le cimetière, « succer les os des trespassez comme on les tiroit d’une fosse pour y enterrer un corps » [44].
Même spectacle de désolation en Beauce en 1652. René Hémard, qui fut maire d’Etampes de 1667 à 1670, décrit ainsi sa ville :
« Les armées ne furent pas plutost retirées, que les fumiers, les haillons, les cadavres et les autres puanteurs infectant l’air réduisirent presque la ville et les environs en un hospital. Il se forma de vilaines mouches de, grosseur prodigieuse, qui estoient inséparables des tables et des lits le plus charitable amy et le meilleur parent, estant malade luy mesme, n’avoit que le cœur de reste pour soulager les siens. C’estoit une grande pompe funebre d’estre traisné sur une brouette au cimetière, sans bière ny prestres, au lieu desquels l’on entendit que les croassemens en l’air d’oyseaux sinistres et carnaciers, inconnus jusqu’alors au pays, qui se rabatoient à tous momens, dans nos prés, nos terres et nos jardins, pour y faire curée de charongnes meslées des hommes et des bestes » [45]. Ces quelques exemples montrent clairement qu’on ne peut dissocier l’histoire du loup de l’histoire de son environnement.
Aux confins de la Sologne, vers la Touraine, une série spectaculaire d’attaques de « bêtes » sur l’homme a lieu au milieu du XVIIIe siècle.
« L’intervention inefficace de la Louveterie Royale dans la forêt d’Amboise durant l’été 1748 n’a fait que déplacer les attaques de la « Bête féroce » vers les plus petites forêts du sud » écrit Yannick Ribrioux [46] dans son Histoire de Mareuil . Ainsi, en octobre 1748 à Mareuil, on dénombre officiellement quatre attaques dont une mortelle : à la Haute Méchinière, Marie Coutant (12 ans) est dévorée ; son demi-frère (6 ans) et sa demi-soeur (8ans) sont sauvagement attaqués mais échappent à la mort, non loin de là, à la Gentinière, la fille de Besnard (16 ans) est sauvée grâce à l’intervention d’un domestique de la métairie, au lieu de la Fontaine, la fille de Nicolas Marteau (11 ans) s’en tire avec une fesse arrachée...
Le curé de Mareuil note encore : « Le bruit des bœufs et vaches qui étoient à l’endroit fit fuir l’animal et plusieurs cochons qui voulaient ruer dessus sauvèrent de la mort ces deux derniers enfants. Peu de temps après, la bête féroce, on ne sait si c’est la même, attaqua la petite fille, onze ans, de Nicolas Marteau au lieu de la Fontaine, la traîna dans une rouère sur le soir et près leur maison, et ne pouvant à cause de sa coëffe l’attaquer au col ni à la gorge, elle lui emporta la moitié d’une fesse, dont elle a guéri. Les cris de cette enfant lui procurèrent du secours. On a fait huée sans réussite et journée sans tuer qu’une louve vieille et monstrueuse, dans le ventre de laquelle on ne trouva point de chair humaine. Quelques mois plus tard (mars 1749) une nouvelle attaque coûte la vie de Marguerite Sabar (10 ans) près de la Boulaye. Ces attaques ne sont pas isolées puisque, dans la même période, on dénombre à Orbigny et surtout Céré-la Ronde, de l’autre côté des bois au sud de Mareuil, 8 attaques dont 7 mortelles ».
A Céré la ronde, en juillet 1748 le curé inhume Catherine Desroches âgée de 18 ans « laquelle a été étranglée dans les pacages du Chesne blanc par un animal inconnu et en partie mangée, et sur toute une cuisse jusqu’à l’os ». Le 7 août il inhume Marie, « fille de François Dru, laboureur, âgée de 14 ans ou environs, de la métairie de Montcheneau laquelle en gardant les bestiaux auprès de la dite métairie a été étranglée et les cuisses presque mangées par une bête inconnue qui était si hardie qu’elle la dévorait en présence de Magdelaine Buisson sa mère, épouse du dit François Dru et qui sans le secours du nommé Marteau un de leurs plus proches voisins qui y accourut armé n’aurait pas quitté sa proie si tôt. Les uns disent que ce sont des loups du pays et les autres des loups cerviers. Quoi qu’il en soit, ces sortes d’animaux, depuis 5 ou 6 ans, ont fait bien du ravage dans plusieurs paroisses voisines, comme à Vallière, diocèse de Blois, Chissay, Chisseaux, Chenonceau, Civray, Bléré, à la Croix de Bléré, à Souvigny, à Amboise, à St Martin le beau, à Montlouis .. . Comme cette année on y a fait la huée dans la forêt d’Amboise, ils ont passé dans ces pays cy où ils en ont étranglé aussi comme à St Georges sur Cher et à Orbigny.. » En octobre, il inhume encore Marguerite Marteau, 12 ans , « étranglée par un animal inconnu en gardant les bestiaux », en novembre, c’est une domestique de 32 ans, Jeanne Gainault, et une fillette de 12 ans qui seront encore tuées par cet animal dans les mêmes circonstances : « en gardant les bestiaux » [47]. Et à la fin de l’année 1748 le curé récapitule ainsi ces fâcheux évènements : « Dans cette année, des animaux inconnus que la plupart néanmoins soutenait être des loups cerviers mangèrent et étranglèrent dans cette paroisse, cinq filles de quatorze ans et une femme de quarante ans » [48].
Ces « bêtes féroces » qui sévirent à l’ouest de la Sologne (ainsi d’ailleurs qu’en Touraine et en Beauce) étaient elles réellement toutes des loups ? Etaient-elles ou non atteintes de la rage ? Doit-on considérer le loup comme un simple suspect ? un coupable, un innocent ?
En 2007, Frédéric Gaultier [49] dans son livre « La bête du Val de Loire » a pu établir une liste impressionnante de ces victimes à partir des registres paroissiaux : On y trouve 77 mentions de « bêtes » contre 41 mentions de « loups », ce qui fait du loup « un bon suspect » écrit-il.
Son hypothèse : « des enfants seuls ont pu devenir pour lui une proie tentante, un jour où la faim le tenaille un peu plus que d’habitude, un loup plus téméraire que les autres attaque (…) Le pas franchi, l’animal inscrit à son menu les enfants, il s’enhardit et n’hésite plus à rôder autour des habitations quand il ne trouve plus d’enfants dans les champs ».
En 1715, selon le Journal d’un bourgeois de St Aignan, « 60 personnes furent dévorées » [50]. Christian Poitou [51] cite la même année deux cas de « bête carnassière » à Chissay (un enfant de 7 ans « étranglé par la beste carnacière proche la métairie des Fouisches » et un autre de 11 ans « étranglé et mangé en partie par une bête carnacière proche La Chauvinière). A Vallières les grandes, en avril et mai deux enfants et une femme adulte sont encore « dévorés par une bête carnassière » [52].
Il faut ensuite attendre le milieu du siècle pour retrouver une série de morts violentes dues aux « bêtes féroces » dans les localités de Pontlevoy, Valaire, Rilly sur Loire, Sambin, Vallières les grandes, Chaumont sur Loire… A quelques exceptions près, ces accidents concerneront des enfants de 2 à 15 ans.
A Candé sur Beuvron, en 1744, le curé enterre le jeune Pierre Machereau, 9 ans, « tué par une bête qui en dévorait bien d’autres ». Le fait semble donc presque habituel au curé !
Même remarque la même année du curé de Contres : Marie Sommier, 9 ans, est « égorgée par une bête qui a déjà mangé beaucoup de personnes » [53].
On semble avoir bien du mal à se débarrasser de ces bêtes malfaisantes.. En 1743, le curé de Sambin s’en prend aux habitants : il inhume Catherine Doyen, 8 ans, « trouvée le 17 au soir dans une petite taille, derrière la maison des Birevin à La Grandinière morte et à demi mangée par une bête inconnue qui a fait et fait encore tous les jours beaucoup de désordres à cause de la négligence et paresse des habitants » [54]. Il ne précise hélas pas en quoi la négligence et la paresse de ses paroissiens pouvaient être responsables de ces morts d’enfants ! On ne comprend pas bien non plus pourquoi ce curé observateur parle de « bête inconnue » plutôt que de loup, un animal commun et répandu dont l’aspect était bien connu de tous. En 1744, le curé note en avril que le jeune Morigon, 7 ans, a été « mangé et tué par la beste inconnue » et il ajoute « et qu’on ne saurait tuer depuis le longtemps qu’on est après » [55].
A Chaumont sur Loire, 5 enfants sont inhumés en 1744 et 1745. Le curé notre simplement « étranglés par la bête » sans autres détails . A noter que le terme « étranglé » peut faire penser au loup dont on a dit que lorsqu’il était enragé il attaquait ses victime au cou . A Pontlevoy, le curé note lors de l’inhumation de Jean Germain (1744) que l’enfant a été « blessé au col par une bête féroce, desquelles blessures il est mort au bout de quatre mois ».
Dans toute la France, les loups et les chiens enragés – la rage était endémique en France -constituaient autrefois un réel fléau mettant occasionnellement en danger la vie des animaux domestiques et des humains. Hospitalisées, ou soignées avec les moyens du bord, les victimes pouvaient mourir longtemps bien longtemps après l’accident.
Les périples de ces animaux, rendus fous furieux par le virus rabique, ont tellement frappé les imaginations que beaucoup de chroniqueurs et d’historiens ont relaté leurs macabres exploits. Sous l’empire de la maladie, qui attaque le système nerveux central, les loups enragés pouvaient effectuer des périples relativement longs mordant furieusement tous les êtres vivants qu’ils rencontraient et finissaient par mourir assez rapidement ou étaient tués après avoir causé la désolation sur leur passage.
Une relation de l’abbé Pasquier, curé de St Jean de Braye (1692) évoque parfaitement ce que pouvait être le parcours, le comportement et les exactions d’un loup enragé : « Le 17 septembre 1692 , à six heures un quart du matin, un loup attaque Maria Cheneau, vigneron au clos de Vominbert. Il lui porta une dentée qui le blessa en quatre endroits de la tête. Cet homme se leva sur ses jambes, se défendit avec son outil et fit fuir la beste. Elle alla alors se jeter sur un nommé Jacques Curai, aussi vigneron, proche le Clos de Vominbert qui vannait du chènevif devant sa maison, le blessa très dangereusement à la tête et lui arracha l’oreille. De là, ce loup passa la rivière de Bionne, alla à Chécy où il tua un enfant de dix ans, se jeta sur huit femmes ou filles dans le bois de Rouilly où elles faisaient du bois et les blessa toutes. Puis il alla à Mardié où il blessa un petit garçon à Breteau. De là, à Vennecy, où il tua et blessa quatre personnes de la métairie de M. Brasson, puis à Trainou et Sully la chapelle.
Tout ce carnage se fit en ce jour 17 septembre, mais le lendemain, il passa dans la paroisse de Montliard, du Diocèse de Sens, où Monsieur le bailli du lieu le tua » [56].
En voici une autre, qui vient de Bourbon l’Archambault, dans l’Allier : « Le lundy 10e jour de janvier 1738, environ à 9 heures du matin, Damien Ridet, âgé d’environ 12 ans, était allé à une petite fosse derrière leur loge, où il se trouvait avec son père qui était fendeur, le dit Damien se mit à crier.. Son père étant sorti pour aller à luy, il vit un loup qui le tenait entre ses jambes (!) et le dévorait. Son père se jeta sur le loup et le saisit au travers du corps, et le loup pour se défendre se jeta sur le dit père et luy dévora une main et lui fit plusieurs blessures à la tête et sur d’autres parties du corps. Et le dit loup le laissa après un coup de fusil qui fut tiré sans le blesser ; en continuant sa fuite il rencontra sur son chemin un coupeur de bois nommé François Thibaut, dit Colas, et se jeta sur lui. Colas n’avait rien pour se défendre ; le loup lui déchira les mains, le visage et autres téguments. Ces trois personnes furent conduites à l’Hôtel-Dieu où elles ont été traitées longuement et sont maintenant guéries à l’exception dudit Damien Ridet qui est mort. Le loup fut tué à coups de cognée par les frères Auprins, dans le bois des Vesvres. Quoyque mordus aussy ils n’ont point eu de mauvaises suites » [57].
Il est à noter qu’un groupe de scientifiques de la LCIE (Large Carnivore Initiative for Europe) s’appuyant sur une analyse de nombreux cas recueillis dans divers pays d’Europe, (jusqu’en 1920 pour la France) en Asie et en Amérique, estiment dans un rapport publié en 2002 que « la plupart des attaques sur des êtres humains recensées ont été le fait de loups enragés », qu’elles ne sont pas habituelles, mais épisodiques, et que « l’humain ne fait pas partie des proies naturelles du loup » [58]. Ils dissocient par ailleurs ces attaques -qu’ils qualifient d’exceptionnelles -des attaques dites « de prédation » visant principalement les enfants, et survenant majoritairement au printemps ou en été lorsque les enfants sont nombreux à l’extérieur pour les travaux des champs et forment le premier rempart entre les prédateurs sauvages et le bétail dont ils ont la garde.
Extraits de J. Baillon : « Drôles de loups et autres bêtes féroces »