Pierre LAURET [1], mon sosa 818, est né le 2 février 1696 à Saint Paul, sur l’île Bourbon (ancien nom de La Réunion).
Lauret Pierre — 24 mars 1696 — N°223
Le second Fevrier mil six cent quatre-vingt-seize, naquit Pierre Lauret, fils de légitime mariage de Jacques Lauret et de Félicien Vincente, ses pere et mere, habitants du quartier de Saint-Denis, en l’île de Bourbon, et a eté baptisé en l’église paroissiale du quartier de Saint Paul, en la dite île, le vingt et quatrieme de mars, en la dite année, par moi Curé soussigné. Le parrain a été Pierre Dunatte, Normand, et Annette Bellon, Créole de la dite île. — F. Hyacinthe de Quimper, Missionnaire et Curé à l’île Bourbon.
Son père, Jacques LAURET dit Saint-Honoré
, originaire de la Nièvre, débarque sur Bourbon en 1674, neuf ans après les premiers colons. En 1678, il épouse Félicie VINCENTE, originaire de Daman, en Inde. [2] Pierre est le huitième de leurs neuf enfants. Après le décès de Félicie en 1698, Jacques LAURET (57 ans) épouse Marie Anne FONTAINE (16 ans) avec qui il a trois autres enfants.
L’éducation n’est clairement pas une priorité sur une île qu’il faut avant tout peupler, défricher, organiser. Comme tous les jeunes de son âge, Pierre ne va pas à l’école (d’ailleurs, il n’y a pas d’école...), il aide son père à cultiver la terre et apprend le métier de charpentier. Cependant, la charpente le passionne certainement moins que les récits de voyage de son beau-frère Gilles FONTAINE qui a bourlingué pendant cinq ans avec le flibustier John BOWEN ! A 24 ans, le 28 novembre 1720, Pierre LAURET, embarque comme matelot remplaçant sur la Sirène , un navire de la Compagnie des Indes.
- Extrait du rôle d’équipage de La Sirène
- Mémoire des hommes
La Sirène est une frégate de 450 tonneaux, 36 canons et 143 hommes d’équipage sous les ordres du Capitaine Pierre de BROSNY. Comme tous les navires de la Compagnie des Indes, elle parcourt les océans en transportant des marchandises — du café, du thé, des étoffes, des épices, des esclaves… Après cinq mois de navigation, le navire atteint Surate, en Inde, le 10 avril 1721. Pendant toute une année, la frégate parcourt la mer des Indes, de port en port. Puis elle amorce le voyage de retour en contournant l’Afrique, accoste à l’île de Sainte-Hélène le 1er juin 1722 et, un mois plus tard, fait voile vers Lorient où elle est désarmée le 11 septembre 1722.
Pierre LAURET, débarqué à Lorient, foule la terre de France que son père a quittée quarante-huit ans plus tôt. Il s’y installe, travaille probablement comme charpentier, et fréquente la paroisse Saint-Louis.
Il fait la connaissance de Marie OLLIVIER (OLIVIER), une jeune Bretonne de 23 ans originaire de Bouaye, près de Nantes.
B Marie Olivier
Le vingt et deuxieme jour d’octobre mil sept cent trois a esté baptisée a l’église par moy ptre vicaire soussigné Marie née de ce jour fille de Jean Olivier et de Michele Buaud sa femme a esté parain René Foucher et maraine Marie Richardeau qui m’ont declaré ne scavoir signer. M. Coursoüault ptre
Deux mariages
Le 19 février 1726, Pierre et Marie se marient dans l’église de la paroisse Saint-Louis de Lorient.
- Acte du premier mariage de Pierre LAURET et Marie OLLIVIER le 19 février 1726
- AD 56, 121_1MiEC121_R06-0351, Lorient, BMS (1726, vue 103/103
Mariage de Pierre Loret
Le 19 février 1726 j’ai marié en face d’eglise Pierre Loret et Marie Ollivier, et leur ai donné la benediction nuptiale en présence de Noël Priol tailleur d’habits, de Pierre des Mavets, de François Jacob, de Jacque Corner, d’Etienne Roussel et autres
L’abbé Cohalan, Recteur de Lorient
Un an plus tard, quasiment jour pour jour, le 13 février 1727, Pierre LAURET et Marie OLLIVIER convolent à nouveau, dans la même paroisse de Lorient.
- Acte du second mariage de Pierre LAURET et Marie OLLIVIER le 13 février 1727
- AD 56, 121_1MiEC121_R06-0454, Lorient, BMS (1727), Vue 14/81
Mariage de Pierre Lauret
Le treze de fevrier mil sept cent vingt-sept je sousigné abbé, et Recteur de Lorient certifie qu’ayant fait sans opposition aux prônes de nos grandes messes, scavoir le 30 du mois de janvier dernier, le second, et le cinq de ce present mois, les trois bans de mariage proposé entre Pierre Lauret et Marie Ollivier tous deux de cette paroisse, missire Louis Babin prêtre curé de cette paroisse les a de mon consentement mariés en face d’église, et leur a donné la bénédiction nuptiale en présence de Pierre Perrein, de Joseph Roussel, de Jacque Corner, de Jan Latoux et autres, tous pris pour témoins.
Babin Prêtre, L’abbé Cohalan Recteur
Deux différences entre ces actes de mariage sautent aux yeux :
- le premier acte est beaucoup plus succinct que le second, dans lequel l’abbé précise qu’il n’y a pas eu d’opposition au mariage suite à la publication des trois bans et donne l’information complète avec le lieu et les dates de ces publications ;
- la première union a été célébrée par l’abbé COHALAN lui-même. La deuxième par missire Louis BABIN, prêtre curé de la paroisse contrôlé étroitement, semble-t-il, par l’abbé COHALAN qui certifie la conformité du mariage, donne son consentement et signe l’acte. [3]
Qu’en pensez-vous ? Avez-vous déjà rencontré des cas similaires ? Ou pourrait-il y avoir une autre explication ?
Voyages vers les îles de France et de Bourbon
Le 23 février 1727, dix jour après le second mariage, Pierre LAURET embarque sur l’Expédition.
- Extrait du rôle de l’Expédition
- Mémoire des Hommes
Pierre a été enrôlé comme maître charpentier. Il est officier de marine (« off. mar. »), mais sa solde est toujours de 20 £, comme sept ans plus tôt. Des détails physiques (âge, taille, poil) sont donnés : il a 32 ans, il est grand et noir de cheveux.
L’Expédition fait d’abord fait escale à Ténériffe aux Canaries, puis enchaîne plusieurs voyages entre Port-Bourbon sur l’île de France (ancien nom de l’île Maurice) et l’île Bourbon. Pierre débarque lors de la première escale à Port-Bourbon, en décembre 1727.
Marie OLLIVIER ne le rejoint qu’un an et demi plus tard. Elle quitte Lorient le 24 novembre 1728 sur le Royal Philippe en partance pour l’Inde. Son nom apparaît à la fois sur le rôle des passagers et sur le rôle des équipages du navire. Sur le premier document, elle voyage comme passagère « à la ration ». Elle figure sur le second rôle, non parce qu’elle fait partie de l’équipage mais parce qu’elle reçoit 500 £ d’acompte sur les gages de son époux.
- Voyage de Marie OLLIVIER sur le Royal Philippe
- Mémoire des Hommes
Le contrat de Pierre, enrôlé sur l’Expédition, lui permet certainement de faire verser un acompte de son salaire à son épouse, passagère sur le Royal Philippe car les deux navires appartiennent à la Compagnie des Indes. Cependant, je m’interroge sur le montant perçu par Marie. A raison de 20 £ par mois, 500 £ représentent vingt-cinq mois de salaire. Et il ne s’agit que d’un acompte ! Pierre aurait-il signé un contrat pour plusieurs années ? Pourtant, son nom ne figure sur le rôle d’aucun autre navire de la Compagnie des Indes après décembre 1727.
- sa solde est de 20 £, comme sept ans plus tôt lorsqu’il n’était que simple matelot remplaçant ;
- comment expliquer cet acompte de 500 £ ? ;
- l’abréviation
off. mar.
signifie-t-elle bienofficier de marine
? Pierre est maître charpentier et n’a pas fait carrière dans la marine.
Encore une fois, je fais appel à la perspicacité et aux connaissances des lecteurs de La Gazette.
Mais ce n’est pas tout… Récapitulons les dates des voyages respectifs de Pierre et Marie :
2. Elle figure comme « passagère pour l’île Bourbon » alors que son époux est sur l’île de France depuis presqu’un an.
3. Finalement, elle débarque sur l’île de France le 29 avril 1729 alors que le Royal Philippe continue sa route vers Bourbon (départ de l’île de France le 3 juin 1729, arrivée à Bourbon le 6 juin).
Une fois de plus j’en suis réduite à échafauder des suppositions pour justifier ces incohérences / changements de cap. Si Marie retarde son départ de Lorient, c’est peut-être pour laisser à Pierre le temps de préparer l’installation de sa future famille sur Bourbon (construire une case, commencer à planter, etc.).
Pourrait-il y avoir une autre explication plausible au départ décalé de Marie et au changement de plan des époux ?
Une terrible épidémie de vérette sévit sur Bourbon entre avril et octobre 1729 (elle fera mille cinq cent morts). Toutes les familles de l’île sont sévèrement touchées. Est-ce pour cette raison que Pierre LAURET et Marie OLLIVIER décident finalement d’aller s’installer sur Bourbon lorsque l’épidémie est terminée ?
Je n’ai pas trouvé trace de ce court voyage, mais la naissance de leurs quatre enfants nous fournit un repère fiable : Pierre et Marie ont rejoint Bourbon au plus tard fin 1730 car Marie Jacquette naît à Saint Paul le 18 janvier 1731. Félixe arrive aussi à Saint Paul le 5 décembre 1732 ; Vincent et Anne Michelle naissent à Saint Pierre le 11 avril 1735 et le 23 juin 1740.
Un troisième mariage ?
Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! Plusieurs généalogistes signalent le mariage de Pierre et Marie à Saint Pierre le 30 novembre 1729. Malheureusement, aucun ne cite de source fiable (la plupart renvoie à l’arbre d’un autre généalogiste) ; certains considèrent que Pierre et Marie se sont rencontrés sur Bourbon, d’autres mentionnent le mariage de 1726, d’autres encore celui de 1727. Apparemment, aucun n’a relevé qu’il s’agirait de leur troisième mariage…
Pour Camille RICQUEBOURG, auteur de la Bible
des familles réunionnaises, Pierre et Marie se sont mariés vers 1730
. [4]
J’aimerais tant croire à ce troisième mariage... Après tout, Pierre et Marie ne sont plus à une cérémonie près ! Mais je n’ai trouvé d’acte de mariage ni à Saint Pierre ni à Saint Paul. Avouons-le, une véritable troisième union est peu probable — il faudrait que le curé de l’île ignore ou ferme les yeux sur les deux cérémonies précédentes.
Une fois installé à Saint Pierre, le couple ne quitte plus Bourbon. Il meurent tous les deux en 1776, à cinq semaines d’intervalle.
S. Marie Olivier Epse de Pre Lauret
Le vingt-trois juillet mil sept cent soixante-seize, je soussigné, ai donné la sépulture ecclésiastique à Marie Olivier, décédée la veille, de la paroisse de Boin, Diocèze de Nantes, âgée d’environ soixante-quinze ans, Epouse du Sr Pierre Lauret. Signé de Cambray ptre missre.
S. Pre Lauret.
Le trente un aoust mil sept cent soixante-seize, je soussigné, ai donné la sépulture ecclésiastique au Sr Pierre Lauret, décédé la veille, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Signé de Cambray Ptre Missre.