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D’une naissance illégitime à … une naissance illégitime

ou l’histoire des amours contrariés d’Anne Tranchand et de Pierre Marie Préaud

Le vendredi 23 avril 2021, par Odette Vostal

Au tout début il y a une histoire d’amour au XVIIIe siècle, celui de Julie et Saint-Preux, du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Trouver les documents qui la racontent. Découvrir sa fin amère et déconcertante. Penser que les obstacles qu’on lui a opposés en sont la cause. Découvrir que cette histoire intéresse parce que représentative des bouleversements que connaissent alors la famille et les individus qui la composent des dernières années de l’Ancien Régime à l’Empire.

Le 16 avril 1770 [1], un mois pile avant le mariage du Dauphin Louis et de Marie Antoinette, Messire Louis Communault, curé de Salornay/Guye (71), baptise Françoise, née ce jour à Chérizet, dont le père et la mère lui sont inconnus. Le parrain est Etienne Deguyenne, la marraine Françoise Pariaud, tous deux habitants de Chérizet. L’enfant décède le 26 août suivant dans le même anonymat [2]

Voilà qui ne prête guère à une recherche généalogique ! Rassurez-vous, le début et la suite de l’histoire se trouvent dans les archives notariales.

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Cherizet et Salornay
Carte de Cassini

Une remarque sur ce qui précède avant d’aller plus loin :
Chérizet, aujourd’hui commune de plein exercice était alors une annexe de Salornay/Guye, adossée au bois de la grande Verrière. Distante d’environ 2 km, au bout d’un chemin montant sur le flanc sud de la vallée de la Guye. Une centaine de paysans autour d’une église et d’un cimetière.
Il est donc possible que le curé n’en sache pas trop sur ces ouailles écartées et se contente d’y envoyer son vicaire pour célébrer baptêmes et sépultures (12 actes sur un total de 53 à Salornay en 1770), se contentant de remplir le registre sur ses indications. Encore que je n’ai pas de preuve de l’existence d’un tel personnage.
Néanmoins, je n’ai pas trouvé à Salornay d’autre acte de baptême où le prêtre déclare ignorer les noms des deux parents. Toujours il connait la mère de l’enfant illégitime et souvent, il en indique également le père.
Salornay n’est qu’une grosse paroisse rurale (920 habitants en 1790), pas une ville de 4 000 habitants comme Cluny voisine où on peut effectivement trouver mention d’enfants sans nom abandonnés à la porte de l’abbaye. Qui se donnerait la peine d’aller déposer un nouveau-né dans un hameau perdu ?
On peut donc à bon droit penser que Françoise est née dans la poignée de maisons composant Chérizet et que son anonymat est des plus fictifs.

Cette quête a commencé par la découverte dans les archives de Me Etienne Chevalier, notaire de Sailly, d’une déclaration de grossesse [3] :

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1770 déclaration de grossesse d’Anne Tranchand
L’an mil sept cent soixante dix et le premier janvier avant midy à Sailly en la maison et par devant le notaire royal soussigné résidant audit Sailly présence les témoins cy après nommés, a comparu Anne Tranchand fille de deffunt Benoist Tranchand de son vivant habitant de Cherizet annexe de Salornay sur Guye et de vivante Claudine Masoyer sa veuve résidante de même que ladite Anne Tranchand audit Cherizet laquelle a déclaré que pour satisfaire et se conformer aux ordonnances et arrêts qui enjoint aux filles enceintes de faire leur déclaration de grossesse à cet effet de son gré et volontée a déclarée qu’elle est enceinte des œuvres de Sieur Pierre Préaud fils majeur de Sieur Joseph Préaud bourgeois et de demoiselle Pierrette Joleau demeurants à Cluny et ce dès environ cinq mois, lequel Sieur Pierre Preaud a jouit d’elle depuis le susdit et sous les promesses réitérés qu’il luy a faitte de l’épouser et affirmée n’avoir eu affaire avec d’autre que le Sieur Préaud, de laquelle présente déclaration que laditte Tranchand a affirmée sincère et véritable par le serment qu’elle a présentement prêtée entre les mains du soussigné notaire royal, elle m’a requis acte que je luy ay délivrée et octroyée pour tenir et valloir ce que de raison ; fait, passé et lu les an, jour, et lieu que dessus en présence d’Etienne Pellerin et de Claude Dauxois tous deux vignerons demeurants audit Sailly témoins requis, laditte Tranchand s’est soussigné et non les dits Pellerin et Dauxois pour ne le scavoir de ce enquis et interpellés.

Signatures : ane tranchand
Chevalier notaire royal
contrôlé à Saint André le désert le 2 janv 1770, reçu vingt sols neuf deniers

Le 1er janvier 1770, Anne Tranchand, fille majeure, de Chérizet, vient remplir l’obligation de déclarer être enceinte d’environ 5 mois des œuvres de Pierre Préaud, garçon majeur de Cluny qui a promis de l’épouser et signe cette déclaration.

Arrêtons-nous là pour le moment.
Enceinte de cinq mois en janvier d’où accouchement en avril. Si Anne n’a pas choisi d’aller cacher son déshonneur loin de chez elle, c’est bien elle qui a mis au monde la petite Françoise le 16 avril à Chérizet. Pierre Préaud est le père de l’enfant. Mais ceci restera secret.
Pourquoi ? Je ne sais pas. Je ne peux faire que des suppositions. Pierre Préaud n’épousant pas la jeune fille qu’il a déshonorée, selon l’expression de l’époque, le secret préserve l’avenir d’Anne. Et, dans ce cas, quelle intervention a pu obtenir le secret ? Celle du père du jeune homme, le seul à avoir suffisamment de pouvoir pour cela ?

En marge de cette affaire se produit un événement qui ajoute à sa tristesse : huit jours avant l’accouchement d’Anne, on enterre sa mère, Claudine Mazoyer. On ne saura jamais le rapport exact entre les deux faits, Claudine pouvait être malade depuis longtemps, mais un élément incite à penser plutôt à un décès soudain car l’acte ne mentionne pas qu’elle ait reçu les derniers sacrements [4], ce qui pourrait aussi expliquer que le curé, n’ayant pas eu l’occasion d’accéder à la chambre de l’agonisante, n’a pas pu constater l’état de sa fille.

Revenons aux faits assurés en présentant nos deux héros.

  • Anne d’abord.
    Née le 19 février 1745 [5], Anne Tranchand a donc 25 ans en 1770. Elle est la 5e et avant dernière enfant (un garçon n’a pas vécu) de Benoit Tranchand (1702-1754) et Claudine Mazoyer (vers 1720-1770).
    Benoit était maçon et couvreur à laves (ces plaques calcaires dont on couvrait les toits en Mâconnais). Aussi loin qu’on peut remonter dans les registres de Salornay, les Tranchand y sont artisans maçons, couvreurs, charpentiers, souvent les trois en même temps. De la famille de Claudine Mazoyer, je ne sais rien.

Anne a un frère aîné, Michel, 34 ans, célibataire, qui cultive le lopin familial, et trois sœurs : Jeanne, 35 ans, mariée à un vigneron de Cluny, Marie, 30 ans, mariée à un manœuvre de Salornay, Marie Magdelaine, 19 ans. Donc une modeste famille d’artisans paysans.

  • Pierre Préaud est d’un tout autre milieu.
    Il nait à Cluny le 12 janvier 1744 [6]. Ondoyé ce jour sous le prénom de Claude, non parce qu’il est en danger de mort, mais parce que le parrain prévu, son grand père paternel, Claude Préaud est pour l’heure absent de Cluny. On attend son retour imminent pour célébrer la cérémonie avec le faste réservé à la naissance d’un premier-né !
    Mais Claude Préaud ne revient pas de Mâcon. Il y meurt le 12 février. On retarde donc le baptême, le temps que de meilleurs conditions météorologiques permettent à l’aïeul maternel, Pierre Joleaud de Saint Maurice, 73 ans (il meurt l’année suivante), de se déplacer de Paray-le-monial à Cluny. Le 24 avril 1744 [7] Claude est donc baptisé Pierre Marie : Pierre comme son parrain, Marie comme sa grand mère paternelle et marraine, Marie Pennet.

Les Préaud sont des bourgeois de Mâcon qu’on trouve au 16e siècle drapiers en soie. André, l’arrière grand père de Pierre venu s’établir à Cluny en épousant la fille d’un boulanger, s’allie à une famille de marchands drapiers et blanchisseurs de fil qui avaient déjà un pied dans les offices judiciaires et la gestion des affaires municipales, les Pennet (un François Pennet est procureur et échevin sous le règne d’Henri IV), en mariant son fils avec Marie Pennet. Le père de Pierre, Joseph Préaud, sera procureur à la justice mage de Cluny.
Une bourgeoisie provinciale typique : offices royaux et municipaux et négoce.

Côté maternel, l’illustration est plus grande : Demoiselle Pierrette Joleaud de Saint Maurice est issue d’une noble famille du Charolais, noblesse récente (un siècle) et petite (son père est écuyer et a été gendarme de la garde du roi). Les Joleaud ont acheté les seigneuries des Forges, de la Tour et de Saint Maurice [8].

On mesure le fossé infranchissable pour l’époque qui sépare la petite paysanne d’un bourgeois apparenté à la noblesse. Comment Pierre Marie a-t-il pu se laisser aller à promettre le mariage à Anne ? Parce que c’est un vil séducteur.
Comment Anne a-t-elle pu prendre au sérieux les promesses de son amoureux ? Parce que c’est une dinde.

Et si ce n’était pas le cas ?
Un indice : Anne Tranchand signe sa déclaration de grossesse. Je le rappelle et le souligne car elle est la seule de sa famille à en être capable.

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1770 signature d’Anne Tranchand

Les deux jeune gens sont presque du même âge, ce qui m’a donné envie de comparer leurs enfances :

En 1754, Anne a 9 ans quand son père meurt âgé de 50 ans. Il laisse une veuve d’une trentaine d’années seule avec cinq enfants. Trois sont en âge de contribuer à la vie de la famille. Michel, 17 ans en remplaçant son père, Jeanne, 18 ans, et Marie 13 ans en se plaçant comme servantes, ce qui est attesté pour l’une et l’autre 7 à leur mariage. Restent Anne et Magdelaine, 2 ans.

Dans sa déclaration de grossesse, Anne déclare habiter Chérizet avec sa mère. Si elle avait été domestique chez les Préaud, cela aurait figuré dans la déclaration. Ce n’est pas une preuve absolue, mais il ne semble pas qu’elle ait été placée. Il fallait bien une autre femme à la maison pour assister la mère et s’occuper de la petite dernière. Sa chance est peut-être de n’avoir pas été domestique de ferme.

En 1754, à 10 ans, Pierre Marie est déjà l’aîné de 7 frères et sœurs, qu’il a sans doute vu disparaître à peine nés pour revenir de nourrice l’un après l’autre, un nouveau-né remplaçant le précédent à un rythme soutenu de 17 mois en moyenne. La mise en nourrice des enfants de la bourgeoisie clunisienne est courante. Beaucoup y mouraient fréquemment assez vite. À Salornay, par exemple, entre 1770 et 1780, ce sont 32 enfants de Cluny dont les pères nourriciers déclarent le décès, dont un Pennet, fils de procureur, à moins d’une semaine !

La famille Préaud est non seulement prolifique mais encore vigoureuse : sur les 12 enfants que Pierrette met au monde, trois seulement mourront avant l’âge de 5 ans.
En 1755, Pierre-Marie et sa sœur Nicole tiennent sur les fonts baptismaux de Notre Dame de Cluny un de leurs frères. C’est l’occasion pour lui de signer le registre, montrant les progrès qu’il a réalisé en écriture depuis 1753, où il apparait pour la première fois « écholier de la paroisse Notre Dame » et parrain à 9 ans.

En 1759, les enfants Préaud sont au complet : Neuf. Six garçons, trois filles. Sans doute jamais tous ensemble avant 1770, les garçons au collège, les filles au couvent.

Pierre quant à lui après ses études classiques s’est orienté ou a été orienté vers la pharmacie. Il a un oncle, Etienne Préaud qui est apothicaire. Est ce chez lui qu’il s’initie aux plantes et aux remèdes ? ou chez un des trois ou quatre autres apothicaires de Cluny ? Ou dans la pharmacie de l’abbaye qu’on peut encore visiter aujourd’hui ?

Jusqu’en 1767, rien ne permet de relier Anne Tranchant à Pierre Marie Préaud. On a d’un côté un jeune citadin instruit, entouré d’une parenté nombreuse, riche et connue localement, de l’autre une jeune paysanne ignorante qui vit sous la tutelle de sa mère et de son frère dans un hameau isolé de la montagne bourguignonne à 4 lieues de là.

En 1767, le mardi 24 février exactement, Marie Tranchand, sœur d’Anne épouse Louis Lebeau [9]. Messire Communault note les présents : un frère, un oncle et un cousin de l’époux ; le frère de l’épouse, Michel et son cousin Jean Tranchand. Aucun d’eux ne sait signer. Mais, surprise, il y a une signature, celle de Sieur Pierre Marie Préaud, garçon apothicaire de Cluny. Comment se trouve-t-il associé à ces noces campagnardes ?

Deux hypothèses pour justifier un tel lien :

  • 1) un enfant Préaud nourri par Claudine Mazoyer ? Ç’aurait pu être le cas de Claude-Joseph, né en mars 1745 et qui aurait pu être nourri avec Anne, née en février. Mais c’est bien ancien pour expliquer une familiarité qui n’a pas pu être renouvelée, vu les dates des maternités des deux mères.
  • 2) une fille Tranchand domestique chez les Préaud, suffisamment longtemps pour que Pierre Marie soit invité ou s’invite à la noce ? Jeanne ferait bien l’affaire : l’aînée des Tranchand, 33 ans, qui se marie l’année suivante à Cluny [10], est désignée comme « domestique à Cluny, de la paroisse de Saint Mayeul », qui est aussi celle des Préaud.

Un mariage, quel cadre plus classique pour la naissance d’une histoire d’amour ?
Anne et Pierre Marie, 23 et 22 ans, tombent amoureux l’un de l’autre. Bien. Mais trois ans s’écoulent avant la naissance de leur fille. Ce qui suppose une fréquentation un peu sérieuse et quelques rencontres, pas faciles à organiser quand deux lieues et demi vous séparent.

Où ? et comment ? Dans les bois entre Cluny et Cherizet ? À Cluny et avec la complicité de Jeanne, épouse de Joseph Raifort, qui met au monde en janvier 1769 un petit Joachim ? Anne a-t-elle séjourné chez sa sœur pendant l’année 1769 pour l’aider dans son ménage ? L’apprentissage de l’écriture par Anne ne pourrait elle être le fait de son amoureux ? Savoir lire et écrire c’est bien commode pour échanger des billets doux. Quoi qu’il en soit, en juillet 1769 Anne est enceinte de Pierre Marie Préaud. On connait la suite.

Onze années passent. Louis XVI succède à Louis XV.

Les registres paroissiaux ne sont pas bavards. Baptêmes, mariages, sépultures, on ne peut leur demander plus. Leur silence même n’apporte pas de preuve formelle d’inexistence. Il est fréquent qu’un individu qui veut se marier soit obligé d’amener des témoins de sa naissance pour se faire refaire un acte de baptême introuvable.

Pendant dix ans aucune mention d’Anne Tranchand jusqu’en décembre 1780, où elle est marraine à Salornay d’un enfant, illégitime lui aussi.
Elle n’est pas mariée, ne semble pas avoir vécu ailleurs. Elle a maintenant 35 ans. Sa cadette Magdelaine s’est mariée à Tournus, l’année précédente. Ses autres sœurs ont plusieurs enfants. Et Pierre Marie Préaud ? Par deux fois en février et octobre 1776, il appose sa signature au bas des actes de mariages de deux de ses sœurs. Mais pas de mariage pour lui.

Il faut attendre le 27 février 1781 pour voir les deux noms de Pierre Marie et d’Anne refaire surface et cette fois sur le même acte, qu’il vaut la peine de citer en entier [11] :

Le 26 febvrier 1781 après la publication faitte une seule fois entre la sollenité de la messe paroissialle à raison de la dispense accordée par Me Sigorne vicaire général du diocèse de Mâcon datté du 19 du même mois, des autres deux publications et vue la rendue aussi accordée par Me Poncet curé de Saint Mayeul de Cluny en datte du 26 de febvrier de la même année, et aussy la sommation respectueuse faitte par Sieur Pierre Marie Préaud à madame Pierrette Jolaud de Saint Maurice sa mère veufve relicte de messire Joseph Préaud son époux qui par ladite sommation faitte à sa personne par les deux notaires royaux Blanc et Sacazan duement controllée à Cluny le treize febvrier de l’année susditte la ditte dame Pierrette Jolaud de Saint Maurice mère a accordé son consentement pour que le dit Pierre Marie Préaud son fils puisse se marier avec la demoiselle Anne Tranchand et sans que nous ayons reconnu aucun empêchement soit civil soit canonique ny opposition quelconque ; nous avons imparti la bénédiction nuptialle à Pierre Marie Préaud fils majeur de messire Joseph Préaud et de dame Pierrette Jolaud de Saint Maurice d’une part et à demoiselle Anne Tranchand fille majeure des deffunts Benoit Tranchand et de Claudine Mazoyer sa mère d’autre part, en présence de Messire Jean Elisabeth Berthelot de Belfond, seigneur de Murzeau, de Maitre Anthelme Soland maitre apotiquaire de Cluny, Maitre Barthelemy Guyonnet notaire royal en cette paroisse, Sieur Etienne Denoyer beau frère, Jean Lamour, François Marillier et Claude Marillier tous parents et amis témoins requis qui à la réserve des dits témoins De Murzeau et Soland n’ont scus signer de ce enquis.

Il devient clair que si Pierre Marie et Anne ne se sont pas mariés en 1770, c’est qu’ils en ont été empêchés. D’où trois questions :

  • Par quoi ?
    Par la loi qui fixe la majorité matrimoniale à 30 ans. En 1770, Pierre Marie, 25 ans, est un majeur incomplet. Soumis à l’autorité paternelle, il ne peut se marier sans le consentement de son père ou de sa mère si le père est décédé.
    La puissance paternelle est totale. Un père peut prévenir un mariage qui lui déplait en faisant enfermer fils ou fille rebelle, comme Didier Diderot le fit pour son fils Denis en 1743.
    Et si l’enfant passe outre et recourt à l’enlèvement et au mariage secret, comme Des Grieux, l’amant de Manon Lescaut, il se condamne à une vie d’errance pour fuir la police que le père lance aux basques des fugitifs.
  • Pourquoi ?
    Parce que les pères sont garants de l’honneur des familles et qu’il n’est rien de plus important que la bonne réputation de celles ci comme le démontrent Arlette Farge et Michel Foucault dans « le désordre des familles ». C’est ce que « le père de Famille » de Diderot explique justement à son fils, épris d’une jeune ouvrière, dans la pièce de théâtre qu’il fait jouer en 1761 et qui jouit d’un certain succès jusqu’à la Révolution et sous L’Empire : « Moi j’autoriserais par une faiblesse honteuse le désordre de la société, la confusion du sang et des rangs, la dégradation des familles ? »

Imaginons le même dialogue (avec l’accent bourguignon ) entre Joseph Préaud et son fils qui lui représente que l’honneur lui impose d’épouser la jeune fille à qui il a promis le mariage et qui attend un enfant de lui :

  • Pierre Marie : « Quelle est donc la femme qui me convient ? »
  • Joseph : « Celle qui par son éducation, sa naissance, son état et sa fortune peut assurer votre bonheur et satisfaire à mes espérances. »

Anne Tranchand ne coche aucune de ces cases comme on dit aujourd’hui. L’épouser serait une mésalliance qui rejaillirait sur toute la famille et compromettrait l’avenir du jeune homme. « Un jour viendra », continue le père de famille « où vous vous trouverez seul avec elle, sans état, sans fortune, sans considération »

Pour éviter cette mésalliance et le déshonneur qui s’ensuit, la justice met tous les moyens à la disposition du père : faire annuler le mariage, déshériter son enfant, le faire enfermer par lettre de cachet, le faire condamner à mort : la vie de Mirabeau fils (1749-1791), autre contemporain de Pierre Marie est un bon exemple de ce patriarcat tout puissant.

  • Pourquoi si longtemps ?
    Oui, pourquoi, puisque devenu complètement majeur en 1774, Pierre Marie pourrait passer outre à l’opposition de son père toujours vivant au prix préalablement de trois sommations respectueuses ? S’il ne le fait pas, c’est sans doute parce qu’il a trois sœurs dont son mariage avec Anne rendrait le leur impossible.

Il faut donc supposer, puisque visiblement le lien avec Anne n’a pas été rompu qu’ils ont trouvé tous deux un moyen de vivre ensemble plus ou moins clandestinement et qu’ils patientent jusqu’à la levée de tous les obstacles et de l’obstacle final, c’est à dire le décès de Joseph Préaud. Jeanne, Nicole et Marie Préaud se marient honorablement (avec un propriétaire, un militaire et un notaire) en 1771 et 1776.

Joseph Préaud meurt en février 1777 [12], sans avoir obtenu de son fils qu’il noue une alliance respectable.
Sœurs mariées, père enterré, voilà donc Pierre Marie libre de se marier selon son gré. Que se passe-t-il donc qui retarde encore cette union jusqu’en 1781 ?

  • D’abord l’ouverture du testament paternel.
    C’est un testament olographe, c’est à dire que Joseph Préaud l’a rédigé chez lui, sans notaire, sous seing privé, le 9 mai 1776. c’est pourquoi on n’en a pas de minute conservée. Seulement une courte notice dans le registre des actes des notaires de Cluny [13] :
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1776 testament de Joseph Préaud

Pour conjurer, même depuis l’au-delà, la mésalliance qu’il redoute et après avoir donné à son épouse « la jouissance sa vie durant de tous ses biens, il institue pour ses héritiers Claude-Joseph, Etienne, Pierre, Charles et Joseph-Antoine, ses cinq fils ». Pierre Marie est donc déshérité !
On se doute que même s’il pouvait le craindre, et peut-être même en avoir été averti, Pierre Marie se trouve dans une situation désagréable et obligé de réagir.

Un document sur lequel nous reviendrons montre qu’il a attaqué le testament paternel le 5 janvier 1780. Mais à cette date, cela fait déjà trois ans que son père est mort ! Pourquoi n’a -t-il pas réagi plus tôt ?
Il est vraisemblable qu’il a d’abord tout fait pour vaincre la résistance de sa mère et éviter d’en arriver aux sommations respectueuses. C’est qu’à 35 ans passés, il lui faut encore en passer par là. En vain.

La menace d’un procès entre ses fils, la pression de ceux ci, la lassitude sans doute aussi ont été efficaces. C’est à la première sommation respectueuse du 13 février 1781 [14] que Pierrette Joleaud cède et laisse Pierre Marie « libre de contracter mariage en son absence ». Ouf !

Ayant donc obtenu la non opposition de sa mère, le mardi 13 février à 9 heures du matin, Pierre Marie Préaud ne fait pas trainer :

  • 19 février : direction Mâcon et l’Evêché où il obtient une dispense de deux bans de son mariage,
  • 25 février : retour à Salornay pour la signature d’un court contrat de mariage [15] dont le principal objet est le suivant : Feront les dits sieur et demoiselle futurs conjoints commun en tout biens meubles immeubles présents et à venir, chacun pour moitié et égale portion, et se constituent respectivement tout et un chacun les droits noms raisons et actions à eux échus et ceux qui leur échoiront par la suitte en quoy qu’ils puissent consister sans réserve… signé par lui et Anne, dont l’écriture s’est beaucoup améliorée et qui est qualifiée de « demoiselle » (parce qu’elle épouse un bourgeois ?).
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Signatures Anne Tranchand et Pierre Préaud
1781 Contrat de mariage

Et le lundi 26 février les futurs époux, leurs papiers en règle et leurs témoins, prennent le chemin de l’église de Salornay. Quels témoins ?

  • Un apothicaire de Cluny de 58 ans, qui est peut-être le maitre chez qui Pierre Marie a appris le métier.
  • Un petit châtelain des environs, Jean Baptiste Elisabeth Barthelot de Bellefond, seigneur de Murzeaux, ami de l’époux âgé de 48 ans (que je mentionne pour l’utiliser plus tard). Un des beaux-frères de Pierre Marie, Etienne Desnoyers, jeune militaire, qui montre par sa présence son mépris des préjugés et peut-être le soutien de Nicole Preaud à son frère ?
  • Du côté d’Anne, rien que des cousins éloignés. Ni frère ni beaux frères. Michel Tranchant désapprouve-t-il le mariage de sa sœur ?
La dispense des deux bans pourrait elle se justifier par une naissance imminente ? J’ai eu beau chercher, je n’en ai pas trouvé. Pierre Marie et Anne ont maintenant 37 et 36 ans. Ils ont perdu onze ans.

Onze ans de disputes, de fureurs, de larmes (on pleure facilement au XVIIIe siècle), de repas de famille plombés, de souffrances inutiles dont la littérature de l’époque rend compte plus qu’avant, signe que la question du mariage d’amour et surtout de la liberté de l’individu est posée, comme dans « Le père de famille » déjà cité, même si Diderot ne tranche pas le problème de la mésalliance puisque la jeune ouvrière se révèle finalement de noble famille, donc épousable.

Liberté chèrement payée en ce qui concerne Pierre puisque déshérité ?
Comme dans toute bonne comédie, un coup de théâtre nous attend, pour peu que nous nous rendions à Cluny rue d’avril, chez Dame Pierrette Joleaud le 19 décembre 1782. Ce jour là, quatre des six frères Préaud et deux notaires sont présents chez leur mère qui n’est là qu’en tant que tutrice de son dernier enfant, Joseph Antoine (23 ans) [16] :
Il y a d’un côté Pierre Marie (38 ans), et de l’autre Claude (37 ans), Pierre (26 ans), Charles (25 ans). Les deux derniers agissant en leur nom et celui d’Etienne (30 ans) qui demeure à Vierzon. Ils sont là parce que deux ans plus tôt, le 5 janvier 1780, Pierre Marie a attaqué le testament olographe de leur père en nullité comme rédigé « ab irato » (sous le coup de la colère) et demandé que l’héritage soit partagé également entre les six frères.

Bien que se disant certains d’avoir « des moyens victorieux et fondés à opposer à cette demande », les frères avantagés lui accordent satisfaction.
L’intérêt de cet accord est dans les raisons qu’ils en donnent. C’est parce qu’ils étaient mineurs au moment du testament qu’ils n’ont pu faire entendre leur voix, mais que « leur intention, guidée par un attachement bien mérité pour leur frère aîné, a toujours été de l’admettre pour une portion égale à la leur dans la succession du sieur leur père », insistant encore sur leur volonté « d’entretenir leur union fraternelle qu’ils veulent être toujours inviolable. »

Bien sûr, il s’agit d’un compromis où Pierre Marie perd plus que ses frères, mais on voit que dès 1780 il a lui-même proposé le partage entre eux six, au lieu de faire jouer sa position d’aîné. C’est du moins ce que je crois, mais je ne suis pas experte en droit.

Je préfère penser qu’en 1782 la génération des fils est déjà prête à contester la toute puissance des pères en lui opposant l’union « inviolable » des frères et leur égalité. Égalité que la Révolution consacrera dès ses débuts en l’inscrivant dans la loi.

En 1782 ce partage toutefois se fait « à l’exclusion des dames leurs sœurs » ! Il est vrai qu’elles ont été dotées à leur mariage, mais il semblerait que Joseph Préaud dans sa rage à punir son fils rebelle ait pensé à elles trois dans son testament puisqu’il y est question de huit enfants… et que le traité conteste ce point (si j’ai bien compris). Les Françaises devront attendre 1790 pour être admise au partage égal des successions.

Pierre Marie est donc réintégré pour un 6e dans la succession à partir du 11 novembre précédent, admis à jouir à part égale « dans tous les fruits, revenus et intérêts qui proviendront des biens meubles et immeubles… ». L’acte précise « … la présente admission à partage n’est en faveur dudit sieur Préaud aîné qu’un objet de 3 500 livres. »

3 500 livres, de quoi se loger, se meubler à l’aise et vivre bourgeoisement de ses rentes. Heureux ou malheureux, ils ne furent en tout cas pas contraints de vivre seulement d’eau fraiche.
Ont ils eu des enfants ? A priori, non, mais les archives comme la vie ne cessent de vous réserver des surprises…

Dernier acte du feuilleton des amours contrariés d’Anne Tranchant et de Pierre Préaud :
J’ai cherché vainement dans les registres paroissiaux des trois paroisses de Cluny un enfant né de l’union de Pierre et Anne, mais je n’en ai pas trouvé. À partir de 1799 le couple habite Lournand où il mène une vie de propriétaires terriens.
À cette date, Anne a 53 ans, par conséquent elle ne sera plus mère, c’est donc distraitement que je lis l’acte de naissance d’un certain Pierre Préaud le 21 messidor an VI (9 juillet 1798) [17]. Le voici :

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1798 acte de naissance de Pierre Préaud

Aujourd’hui vingt un messidor sixième année de la République française heure de six du soire, par devant Claude Charles agent municipal de la commune de Lournand ayant droit de rédiger les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès des citoyens, s’est présenté le citoyen Pierre Préaud aîné propriétaire domicilié à Cluny agée de cinquante cinq ans, lequel assisté des citoyens François Mazot propriétaire âgé de trente quatre ans domicilié à Cluny département de Saône et Loire et de Philibert Desvernay huissier publique âgé de cinquante deux ans domicilié audit Cluny département de Saône et Loire, m’a déclaré que Benoite Dumonet fille non mariée est accouchée aujourd’huy une heure après midy en son domicile à Lournand d’un enfant mâle auquel il a donné le prénom de Pierre, m’a déclaré le dit citoyen Préaud que le dit enfant est de luy et luy appartient, d’après cette déclaration que les dits citoyens Mazot et Desvernay m’ont certifiés conforme à la vérité et la représentation qui m’a été faite de l’enfant, j’ai rédigé le présent acte que j’ai signé avec les dits citoyens Préaud, Mazot et Desvernay

Fait à Lourdon, maison commune les jours, mois et ans que dessus Charles, Préaud ainé, Mazot, Desvernay (pour éviter toute contestation Piere Préaud aîné = Pierre Marie)

Cette lecture me laisse bouche bée, yeux écarquillés, doutant de ce que j’ai lu.
Pour bien prendre la mesure de ce qui précède, sachez que la loi, telle qu’elle a été votée en 1791 interdit toute recherche de paternité. Rien n’obligeait donc Pierre Marie à faire cette déclaration, qui fait de lui un mari adultère.
Le divorce existe. La preuve : une des sœurs de Pierre Marie a divorcé en 1795.

Pierre Marie et Anne vivent ensemble : en 1809, ils sont témoins ensemble de la naissance de Pierre fils de Jean Randier, donc certainement parrain et marraine, ce que confirme le legs que lui fait Anne dans son testament en 1815.

Après le décès d’Anne, Pierre Préaud veuf n’éprouve pas le besoin de légitimer ce fils qui pour être reconnu n’en est pas moins illégitime et adultérin aux yeux de la loi, en épousant Benoite Dumonet !

Cette dernière a 22 ans à la naissance de son fils. Elle en a un second, Jean en 1801, toujours reconnu par Pierre Marie Préaud, mais qui ne vivra que 17 mois. Elle reste célibataire.

Elle décède en 1852, à Lournand, survivant à Pierre Marie (décédé en 1825) et à son fils (décédé en 1846).

Sur deux recensements faits à Lournand en 1836, 1841 et 1846 elle figure au domicile de ce fils comme :
1836 : domestique
1841 : ouvrière
et seulement en 1846 : belle mère de la veuve Préaud (on précise : le mari de la veuve Préaud était un enfant naturel)
1851, toujours au domicile de sa belle-fille remariée : aide de ménage.

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Lournan et Cluny
Carte de Cassini

Les questions que je me pose sont les suivantes :
Est ce avec l’accord d’Anne, par un désir désespéré de paternité et parce qu’ils ne peuvent plus avoir d’enfant que Pierre Marie en fait un (et même deux !) à une jeune domestique de 20 ans ? Ou passion soudaine d’un homme de 58 ans ?

J’avance une hypothèse que je suis pour le moment incapable de prouver et si quelqu’un de mes lecteurs m’apporte démenti ou confirmation, je lui en aurai une reconnaissance éternelle.

L’hypothèse est que Anne et Pierre ont eu un fils qui décède le 7 septembre 1797 à Lournand. La réalité c’est qu’on trouve à Lournand sous cette date l’acte de décès d’un nommé Jean Elisabeth Préaud [18]. Pas de chance, l’acte dressé par l’adjoint de l’agent municipal élu pour recevoir les actes d’état civil ne mentionne ni l’âge ni les parents du défunt.

Mes arguments :

  • Un des déclarants est Claude Butaud, or en 1791, Anne a été marraine de Philibert Butaud, fils de Claude, vigneron. Les Préaud possèdent des terres et des vignes à Lournand et ce Claude Butaud pourrait être leur métayer.
  • Le prénom, Jean Elisabeth, est rare. On se souvient peut-être que l’un des témoins du mariage de 1781 s’appelle Jean Baptiste Elisabeth Barthelot de Bellefond seigneur des Murzeaux ce qui me fait penser qu’il aurait pu être parrain de ce Jean Elisabeth Préaud dont, hélas, je n’ai pu trouver l’acte de baptême.

Je dis baptême car en 1797, Anne a 52 ans et si elle a eu un fils c’est forcément entre 1781 (ou avant ?) et 1792 au plus tard. Il faut donc le chercher dans les registres paroissiaux d’ancien régime.

J’ai bien pensé qu’il s’agissait d’un Préaud qui n’aurait rien à voir avec Anne et Pierre, mais je n’en ai pas trouvé trace dans les cent années précédentes ni à Lournand ni à Cluny !

Ma question est donc : où quand et de quels parents est né Jean Elisabeth Préaud ? Si mon hypothèse est bonne, ce serait le décès de cet unique et hypothétique enfant en septembre 1797 qui expliquerait la naissance de cet autre enfant illégitime et adultérin d’un Pierre Marie Préaud frustré dans son désir de paternité et de transmission, le 9 juillet 1798. Tout le reste n’est qu’interrogations sans réponses.

A-t-il alors une double vie ? L’année suivant cette naissance le couple Préaud quitte Cluny pour s’installer définitivement à Lournand où il doit être difficile de cacher quoi que ce soit. Le fait est qu’il ne s’en cache pas puisqu’il reconnait ses enfants à l’état civil de Lournand dont son frère Claude est le maire ! De sa part, est-ce une réparation pour la petite fille qu’il n’a pu reconnaitre ?

Qu’a ressenti Anne ? On en a peut être une idée en lisant son testament fait le 6 avril 1815 [19] (en plein pendant les 100 jours) : elle lègue tous ses biens aux enfants de sa nièce Marie, qui en aura l’usufruit après le décès de Pierre Marie Préaud lui même premier usufruitier jusqu’à son décès. Autrement dit, elle ne veut absolument pas que sa part de leurs biens communs tombe entre les mains d’un Préaud.
À sa nièce, elle lègue son lit et son meuble (armoire) qui doivent être enlevés dès son décès, (18 décembre 1815), ce qui sera fait le 20 décembre 1815 [20]

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1815 Signature d’Anne Tranchand

Ce fils, où grandit il ? Chez son père ? Comment cela est il vécu ? L’enfant est il élevé chez Pierre et Anne ? Benoite Dumonet est elle domestique dans leur foyer ?
Le premier recensement nominatif que j’ai pu consulter datant de 1836, il est impossible d’éclaircir ce point.

La situation de Pierre fils reste irrégulière comme le montre son contrat de mariage établi le 29 décembre 1823 [21] en l’absence de son père qui ne doit cependant pas être bien loin, mais non mentionné dans l’acte (en revanche il assiste au mariage) : « Pierre Préaud dénommé tel par son acte de naissance, fils naturel de Benoite Dumonet »

Quant aux biens dont il peut hériter ce ne sont que ceux que sa mère lui donne par donation entre vifs, pure et simple, conformément aux dispositions du chapitre quatre des successions irrégulières contenues au code civil.
Les articles du code civil de 1804 qui règlent la succession de Pierre Marie Préaud en 1825 sont les articles :

  • 756 : Les enfants naturels ne sont point héritiers ; la loi ne leur accorde de droits sur les biens de leur père ou mère décédés que lorsqu’ils ont été légalement reconnus. Elle ne leur accorde aucun droit sur les biens des parents de leur père ou mère. Pierre a été légalement reconnu.
  • 758 : L’enfant naturel a droit à la totalité des biens, lorsque ses père ou mère ne laissent pas de parents au degré successible.
    Il est possible qu’il y ait des frères ou des neveux encore vivants de Pierre Marie, mais ils n’apparaissent pas en 1825 et la succession d’Anne a été réglée en 1815. Donc Pierre peut hériter de la part de son père ?
  • Mais l’article 762 dit : Les dispositions des articles 757 et 758 ne sont pas applicables aux enfants adultérins ou incestueux. La loi ne leur accorde que des aliments. Pierre est bien un enfant adultérin. Il n’a pu entrer en possession de l’héritage paternel que par une donation entre vifs dont je n’ai pas encore trouvé trace.

À la fin, cette histoire n’est pas ce qu’elle semble d’abord, une triste histoire de fille séduite, mais elle reste un témoignage vivant de ce qu’ont pu vivre deux individus nés sujets de Louis XV quand absolutisme et religion associés assurent le pouvoir illimité du père de famille, empêchant trop longtemps leur union.

On voit par l’attitude des frères Préaud (1782) que cette autorité est supportée avec impatience. La Révolution libère les individus des deux sexes de la tutelle paternelle : Pierre Préaud fils sera majeur à 21 ans et n’aura pas à attendre 30 ans pour avoir le droit de se marier.

Elle offre aux deux époux à égalité le droit de divorcer (1792), droit que ni Pierre Marie ni Anne n’ont utilisé. Elle donne aux enfants naturels des droits égaux à ceux des enfants légitimes (1793), ce qui n’est pas rien car le bâtard d’ancien régime n’avait aucun droit à héritage.

Mais la Convention maintient une distinction au détriment des enfants naturels adultérins et incestueux : théoriquement Pierre ne peut recevoir l’héritage de son père. Et pourtant, c’est lui qui est propriétaire de la moitié des biens qui ne sont pas allés aux héritiers d’Anne et qui occupe la maison paternelle sur le cadastre de 1843 [22].

Dès le Directoire, un retour à l’ancien régime apparait et le code civil napoléonien (1804) s’il ne supprime pas toute l’œuvre révolutionnaire replace la famille sous l’autorité tyrannique du père et mari.

Reste que les lois ne donnent qu’une vision étroite de la réalité. Il y a la manière dont les gens les vivent et les appliquent.

A quels regards, à quels commentaires ont eu à faire face Anne et Pierre au cours de leur vie ? scandalisés ? réprobateurs ? compréhensifs ? Et eux-mêmes comment ont-ils évolué ?

Un mince indice me fait placer Pierre dans la proximité d’un député libéral de Saône et Loire, le général Maynaud de Lavaux (l’ami de Toussaint-Louverture), qui lui a prêté 6000 francs en 1811.

Bien sûr l’idéal serait de découvrir des lettres ou un journal intime, mais ne rêvons pas, l’histoire d’Anne Tranchant et Pierre-Marie Préaud restera frustrante et lacunaire, même si j’espère y apporter des compléments, à condition que le coronavirus m’en laisse le loisir.


[1AD 71 BMS Salornay/Guye 1770-1789, vue 6

[2AD 71 BMS Salornay/Guye 1770-1789, vue 8

[3AD 71 3E3166 notaire Etienne Chevalier

[4AD 71 BMS Salornay/Guye 1770-1789, vue 5

[5AD 71 BMS Salornay/Guye 1719-1749, vue 142

[6AD 71 BMS Cluny N.D 1741-1750, vue 44 et 48

[7AD 71 BMS Cluny N.D 1741-1750, vue 44 et 48

[8Geneanet : arbre généalogique de Emmanuel Chateau de Saint Maurice.

[9AD 71 BMS Salornay/Guye 1770-1789, vue 53

[10AD 71 BMS Cluny St Mayeul 1762-1771, vue 86

[11AD 71 BMS Salornay/Guye 1770-1789, vue 111

[12AD 71 BMS Cluny St Mayeul 1772-1780, vue 61

[13AD 71 C sup/31 Contrôle des actes Cluny

[14AD 71 3E2407 notaire Sacazand 13/2/1781

[15AD 71 3E2490 notaire B. Guyonnet 25 février 1781

[16AD 71 3E2408 notaire Sacazand 19/12/1782

[17AD 71 Lournand naissances mariages 1792-1802, vue 55

[18AD 71 Lournand décès an IV-1802, vue 13

[19AD 71 3E10855 notaire Pondevaux aîné, 6/4/1815

[20AD 71 3E10856 notaire Pondevaux aîné, 20/12/1815

[21AD 71 3E 16081 notaire Pierre Chevalier, 29/12/1823

[22AD 71 Lournand états de section 1843

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