- Les circonstances du décès :
Selon Stéphane Audoin-Rouzeau " Il y eut au total 86 % de décès sur le champ de bataille, contre 14 % par maladie ou en captivité ".
Les causes de décès transcrites sur les fiches des soldats " Morts pour la France " confirment ces pourcentages.
Ainsi, la raison invoquée le plus souvent est bien celle de la mort sur le champ de batailles et notamment dans les tranchées (mort violente aux combats) : elle s’exprime sous des appellations diverses : " Tué à l’ennemi ", ou par un laconique " tué ". On peut y ajouter " Mort sur le terrain " ou encore " Disparu au cours d’un combat " ou tout simplement " Disparu ", sans oublier les soldats décédés des suites de " Blessures de guerre ".
L’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, dans le numéro 21 des collections de L’Histoire (page 41), précise au sujet des causes de la mortalité que " Beaucoup de soldats auraient pu survivre si leur évacuation était intervenue à temps, suivie de soins rapides. Mais c’était très souvent impossible. Les combattants devaient, la plupart du temps, se rendre par leurs propres moyens aux postes de secours, seuls ou aidés d’un camarade. Et quand les brancardiers avaient pu recueillir les blessés, leur transport à travers les boyaux était lent, aléatoire, dangereux. Les postes de secours, en cas d’assaut ou de bombardement, étaient immédiatement engorgés, l’évacuation vers l’arrière souvent très lente, les premiers soins parfois catastrophiques " (cf. ci-dessus). Plus loin, L’historien Stéphane Audoin-Rouzeau indique que de plus " il fut généralement admis que l’on pouvait tirer sur les sauveteurs " (cf. les fiches des infirmières mortes pendant leur service dont Valentine Carrere, infirmière militaire du service de santé, " blessée mortellement pendant l’évacuation d’un hôpital " en 1918. Le personnel de santé paya d’ailleurs un lourd tribu à la guerre (cf. les fiches de Marie Bourdenet ou encore Jeanne Faisant).
Deuxième cause de décès, les pertes par simple maladie sont " considérables " selon Pierre Miquel : " La boue humide des automnes glacés, le froid d’hiver, les chaud et froid d’été sur le front d’Orient submergent les antennes du service de santé et obligent à renvoyer les hommes incapables de combattre à l’arrière pour y soigner les pneumonies, les tuberculoses, les maladies vénériennes, sans oublier le typhus. 14 % des soldats recueillis dans les hôpitaux sont morts de maladie. La proportion est plus forte dans l’armée d’Orient, où le paludisme et la dengue ont décimé les unités ". A partir de 1818, il convient d’ajouter la mortalité liée à la grippe espagnole (l’équivalent de deux divisions selon Pierre Miquel) que certains, fautes d’informations, prenaient pour du choléra.
A noter :
- Les noms des mutins du Chemin des Dames, fusillés pour l’exemple en 1917, et qui ont été réhabilités en 1998, ne figurent pas dans le fichier des " Morts pour la France ". Par contre, les " martyrs de Vingré " sont bien dans le fichier (cf notamment les fiches de Jean Blanchard, Léonard Leymarie et de Francisque Durantet avec la mention " fusillé réhabilité ").
Sur les mutins de 1914-1918.
Sur les " Martyrs de Vingré ".
Pour mémoire, deux soldats non réhabilités... et donc pas dans la base " Morts pour la France ".
- On trouve également un cas de soldat " Mort subitement " (souligné sur la fiche), quelques aviateurs " Tués en combat aérien " (voir la fiche de Georges Guynemer) et quelques cas " d’accident en service commandé " (dont Adolphe Pégoud " accident d’avion en service ").
Par ailleurs, certaines fiches sont non communicables pour le motif suivant : " La personne recherchée a bien obtenu la mention " Mort pour la France ". Toutefois, conformément aux dispositions de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives, la fiche le concernant comportant des informations à caractère médical ne peut être communiquée sur Internet. Pour obtenir de plus amples renseignements, vous pouvez adresser une demande écrite à l’adresse suivante : Ministère de la défense, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, Sous direction des archives et des bibliothèques, 14 rue Saint-Dominique, 00450 Armées ". Dont acte !
- La date et le lieu de naissance : Ces renseignements sont souvent donnés avec précision et peuvent être utiles aux généalogistes... toutefois il est possible de constater de nombreuses erreurs de date de naissance que l’on peut repérer facilement par une confrontation avec l’année de la classe (par exemple, plusieurs soldats sont dits nés en... 1800 !!! alors que l’année de la classe reportée sur leur fiche indique classe 1900 !!!).
A noter que pour la plupart des soldats originaires d’Afrique noire (tirailleurs sénégalais) et pour nombre de soldats du Maghreb, la date de naissance est souvent dite " présumée " et inscrite sous la forme 00-00-1895, par exemple.
- Les personnalités : La base de données contient aussi les fiches de quelques figures notoires de l’époque comme celle du sous-lieutenant Emile-Louis Pergaud " disparu ", celle du lieutenant de réserve Charles Pierre Péguy " tué à l’ennemi ", celle du lieutenant Guillaume Kostrowitzky (dit Apollinaire) mort de " blessures de guerre ", celle de l’archéologue Joseph Déchelette " tué à l’ennemi ", celle de l’ethnologue Robert Hertz " mort sur le terrain ", celle du capitaine Georges Guynemer " tué en combat aérien ", celle du lieutenant Ernest Psichari " tué à l’ennemi ", ou encore celle du lieutenant-pilote Roland Garros " tué à l’ennemi ".
- Roland Garros
(coll. part.)
- Les victimes civiles de la guerre : De nombreuses fiches de la base de données " Mémoire des hommes " concernent des civils et les circonstances dramatiques de leur mort :
- Durant le conflit, beaucoup de civils sont victimes des bombardements allemands : Plusieurs fiches concernent des individus " tués par obus " ou " blessés par éclats d’obus " (voir les fiches de Flavie Merchier, Césarine Descamps, Marie Van Dycke à Armentières, Laurent Gille à Châlons-sur-Marne, Fideline Delabre à Neuville-Saint-Vaast...) On peut ajouter la fiche de Jules Wacquez, adjudant des sapeurs pompiers, mort de " blessures reçues sous un bombardement en combattant un incendie ".
Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker nous apprennent que " les bombardements d’artillerie ont touché volontairement ou involontairement de grandes villes comme Reims, très près du front. Si une partie des habitants de l’arrière-front a été évacuée, une autre a continué à vivre dans des conditions plus ou moins précaires, ne sortant guère des caves, par exemple, pendant des mois, voire des années. Puis, les avancées technologiques ont permis des bombardements qui visaient à terroriser les populations des grandes villes éloignées du front : ce fut le cas (...) de Paris en 1918, atteinte par le canon " Kaiser Wilhelm " qui se trouvait à près de cent kilomètres dans la forêts de Saint-Gobain...".
- Conséquences directes des bombardements, quelques personnes meurent par " intoxication par gaz " (usage d’obus toxiques) : Ainsi Marie Renaux née Simonin à Migneville, Marie Polveiche à Avie, Odile Leclercq à Hazebrouck...
- Quelques fiches concernent des civils (hommes, femmes et enfants) passés par les armes par les Allemands avec la mention " Fusillé " : Ainsi Jules Tabouret et Prosper Lambert à Etain en septembre 1914, Antoine Dieudonné à Anderny en août 1914, Edouard Hildebrand (15 ans !) à Rouvres en août 1914 ou encore Marie Eugénie Sponville à Parny en août 1914 et Eglantine Pana à Mercy-le-Haut en août 1914. On peut ajouter à cette catégorie, la fiche de Gabriel Chayer " enseveli sous les décombres de sa maison incendiée par les Allemands ".
Sur les événements d’Etain.
Sur les événements de Rouvres.
Selon Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker " En sus de la dégradation continuelle de leurs conditions matérielles de vie, les populations ont vécu des atrocités collectives dont la plupart sont venues justement des difficultés rencontrées par les Allemands à faire exécuter les réquisitions : travail forcé pour leur effort de guerre, prise d’otages, déportations, évacuations, forcées elles aussi. Une véritable terreur est mise en place dès 1914 et s’exerce tout au long du conflit ".
- Quelques personnes sont victimes de tirs allemands : Ainsi Vincent Delsarte " tué par un coup de fusil " ou encore Nicolas Tavernier, garde champêtre, " tué par une patrouille allemande ". Erreur, confusion, accident ou geste intentionnel ?
- Certains civils semblent trouver la mort en combattants les Allemands : Ainsi Marie Rondest épouse Dubois " hérite de la même mention que les soldats morts au front : " tué à l’ennemi ". On peut ajouter à cette catégorie, la fiche de Adélaïde Blaise née Lacaille morte de " maladie en captivité ".
Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker précisent que les civils sont " eux aussi largement automobilisés, à travers une diabolisation de l’ennemi qui, lorsqu’elle les pousse à la résistance, entraîne un peu plus loin le cycle des répressions ".
- Un cas également d’une femme (Joséphine Chevalier) morte en Belgique semble t-il pendant un exode en octobre 1918 : " évacuation forcée mauvais traitements ".
Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker précisent le caractère dramatique de ces déportations de femmes des territoires occupés français vers d’autres départements, la Belgique ou l’Allemagne. " En pleine offensive de Verdun, il est sûr que les difficultés de ravitaillement des Allemands sont de plus en plus graves et que ces déportations s’apparentent en fait à des évacuations forcées. (...) En leur faisant comprendre qu’elles n’étaient pas épargnées en tant que femmes, les occupants rappelaient qu’une guerre totale était menée, une guerre à outrance, les territoires occupés étant une de leurs armes. Déporter les femmes des grandes villes occupées vers la campagne, c’était aussi dire aux femmes de Berlin et des grandes villes allemandes que n’était pas gâché l’effort immense exigé d’elles ".
- Enfin, quelques personne meurent dans un naufrage : Ainsi Carmen Humbert morte " à bord du vapeur Medjerda coulé à trois mille de la côte d’Espagne ".
A noter également une fiche sur un civil " mort de maladie causée par un fait de guerre " et quelques fiches où la cause de la mort est inconnue !
Robert Mandrou (in Histoire de la civilisation française, Paris, Armand Colin, 1984, page 369) souligne que les civils ont été durement touchés par la guerre " dans les régions occupées de la pire façon, puisque les otages et les incendies ont été mesure courante...".
Pour sa part, l’historien Gerd Krumeich, dans L’Histoire (page 60/61) soulève la question des atrocités allemandes : " Dès août 1914, les Alliés dénonçaient les atrocités commises par les envahisseurs contre les populations de la Belgique et de la France du Nord : les mains coupées des enfants, les viols, les otages fusillés et les visages brûlés pour l’exemple... De leur côté, les journaux allemands publièrent quotidiennement le récit d’atrocités que les civils belges auraient commises contre des soldats allemands : yeux crevés, doigts coupés, captifs brûlés vifs ". Selon l’historien, les soldats allemands avaient peur : " A la moindre résistance, ils redoutaient la haine et la cruauté de leurs adversaires. Les représailles n’en furent que plus terribles ".
Puis, l’auteur distingue deux phases de la " barbarie allemande " : La première au printemps 1916, avec " la terrible action contre les habitants de Lille " (15 000 habitants, essentiellement des femmes et des jeunes filles, furent " déplacées " en train pour une destination inconnue), puis la seconde phase en mars 1917 avec le début de retraite des troupes allemandes. " Les destructions systématiques de villes, villages, houillères, puits et plantations (...) " furent accompagnées " d’un exode forcé d’environ 150 000 personnes ".
Si vous recherchez des renseignements sur une personne victime de guerre ou d’un conflit armé du XXe siècle (prisonnier/ère de guerre, civil/e en captivité, décédé/e ou interné/ée), vous pouvez vous adresser aux Archives du Comité International de la Croix Rouge (CICR).
- Une veuve et ses enfants
(coll. part.)
Conclusion : A travers ce texte et les exemples cités, j’ai voulu montrer qu’il était possible d’exploiter au mieux les indications portées sur les fiches des personnes " Mortes pour la France ". Ce travail peut être utile dans le cadre d’une recherche historique ou généalogique sur le sujet de la Grande Guerre et ses implications dans la vie quotidienne des familles. En effet, à travers l’analyse de ces fiches sélectionnées au hasard, de nombreux thèmes et sujets de recherches sont apparus en filigrane : la condition et le sort des civils, l’exode, les représailles et les exécutions sommaires, le patriotisme (cf. les actes de bravoures des civils et les engagés volontaires), la condition des soldats de l’Empire français, le sort des blessés de guerre, les armes utilisées par les belligérants (cf. le gaz, l’aviation, les torpilles, les bombardements...), la condition du personnel soignant, la condition des prisonniers...
Cette lecture et cette interprétation des fiches restent personnelles. Elles ne peuvent prétendre servir de modèles mais aspirent simplement à susciter la curiosité et l’intérêt des lecteurs pour le sacrifice de ceux qui sont morts (" nos parents ") pour la Liberté des autres... pour notre Liberté !
Bibliographie :
- Yves Buffetaut, Votre ancêtre dans la Grande Guerre, Louviers, Ysec éditions, 2000 (Ouvrage fondamental pour les historiens locaux et les généalogistes).
- Pierre Miquel, Les Poilus, Terres Humaine, Paris, Plon, 2000 (Nous plonge au coeur du quotidien des Poilus).
- Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la Guerre, Paris, Editions Gallimard, Collection Folio Histoire, 2003 (Un livre essentiel pour comprendre la Grande Guerre et renouveler notre approche du conflit).
- Jean-Jacques Becker et Serge Berstein, Victoire et frustrations 1914-1929, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome 12, Paris, Editions du Seuil, 1990 (Une bonne synthèse).
- Les Collections de L’Histoire, numéro 21, octobre-décembre 2003 (Fait le point sur l’état des recherches récentes).
- Gildas Bernard, Guide des recherches sur l’histoire des familles, Paris, Archives nationales, 1981 (Toujours précieux).
Sur le web :
- Une page de liens qui résume la presque quasi totalité des sites à connaître sur la Grande Guerre et les "Poilus".
- Une autre page de liens utiles sur les guerres et les militaires.
- Une FAQ.
- Un cas concret de généalogie militaire : sur les traces du soldat Marcel Devin, 74e RI (A consulter absolument pour débuter).
- Mémorial GenWeb : relevés des noms inscrits sur les monuments aux morts, les plaques, les stèles commémoratives et les cimetières militaires français.
- Le Tableaux d’honneur : Il s’agit d’une série de planches, dont la parution commence le 30 janvier 1915. Elles contiennent chacune 25 à 28 portraits et noms de personnages ayant été "cités à l’ordre de l’armée, nommés ou promus dans l’ordre de la Légion d’honneur ou décorés de la médaille militaire".
- Un groupe de discussion : Ce groupe de discussion est destiné à ceux qui font des recherches sur la vie de leurs ancêtres, soldats... ou non, pendant les guerres et conflits de l’histoire de France : 14-18, guerre de 1870 et Commune, guerres du XVIIIe siècle, mais aussi seconde guerre mondiale et résistance, colonies, etc.