Il s’est engagé volontairement pour 5 ans le 17 novembre 1881 à la mairie de Chalon. Il part pour le régiment d’artillerie de marine et arrive au corps le 19 novembre 1881. Après 11 mois en métropole, il embarque de Toulon sur le bateau l’Orne le 14 septembre 1882 pour Fort de France où il arrive le 26 octobre 1882.
Ces deux premières années dans l’armée semblent se passer sans histoire. Mais le 11 juillet 1884, il est condamné par le 1er conseil de guerre de la Martinique à Fort de France à une peine de 6 mois de prison et au remboursement des frais envers l’état « pour avoir dissipé des effets d’habillement et d’équipement à lui remis pour le service ». Environ un an plus tard, le 27 mars 1885, toujours à Fort de France, il est condamné par le 1er conseil de guerre à la peine d’un an de prison et aux frais envers l’état « pour vente d’effets de petit équipement à lui confiés pour le service ».
Il passe le 27 mars 1886 au bataillon d’infanterie légère d’Afrique, et est à nouveau condamné le 18 octobre 1886 par le 1er conseil de guerre de la division militaire d’Oran à deux ans de prison « pour dissipation d’effets militaires et de munitions de guerre à lui remis pour le service ».
A sa sortie de détention, il passe le 18 octobre 1888 aux compagnies disciplinaires des colonies. Il y arrive le 23 novembre 1888. Pas de nouvelle condamnation après cette date, il est finalement envoyé en congé le 22 avril 1890. Il est noté qu’un certificat de bonne conduite lui a été refusé mais qu’il a reçu une attestation de repentir. Malgré cette carrière militaire difficile, il passe dans la réserve de l’armée active le 17 mai 1890.
Sa carrière militaire s’est donc déroulée de la façon suivante, il est resté 8 ans et demi dans l’armée !
J’avoue que je me suis décomposée au fur et à mesure de ma lecture, comment un homme peut-il être autant en colère, être autant têtu et s’obstiner à faire et à refaire les mêmes erreurs avec toujours les mêmes conséquences ? Et surtout comment s’est passé le retour à la vie civile pour cet homme en délicatesse avec la notion de propriété d’autrui ?
J’ai commencé par rechercher l’histoire de sa famille dans l’espoir de trouver une excuse à son attitude !
Claude Fréaux est né le 8 novembre 1861 à Saint Rémy en Saône et Loire. Il est le troisième enfant de Guillaume Fréaux et Françoise Graille qui se sont mariés à St Rémy le 26 février 1857. Son frère ainé Pierre est né en mars 1858, sa sœur ainée Françoise en février 1860. Après Claude 6 autres enfants vont naître Jean Baptiste en juin 1863, Anne en février 1865, Françoise en février 1867 et Antoine en janvier 1869. Les 2 derniers enfants du couple vont naitre en 1869 et 1870 sans qu’aucun ne passe sa première année.
Son père Guillaume Fréaux décède le 26 février 1870, Claude a seulement 9 ans, sa mère est journalière agricole, elle se retrouve seule avec sept enfants à charge, elle perd entre février et septembre 1870, son mari et deux enfants.
Au recensement de 1872, Claude a 11 ans, il est domestique berger chez François Jusseau, son frère ainé Pierre a également quitté le domicile familial, sa mère vit seule avec 5 enfants.
Au recensement de 1876, Claude est domestique chez Claude Lhomme, sa mère vit toujours seule avec sa fille ainée et ses enfants les plus jeunes.
Claude Fréaux intègre l’armée en novembre 1881, il n’apparaît déjà plus sur le recensement de St Rémy pour cette année, soit le recensement a eu lieu après son incorporation, soit il avait déjà quitté St Rémy.
Libéré de ses obligations militaires en avril 1890, il est peut-être retourné à St Rémy mais sûrement pas longtemps car il n’apparaît pas au recensement de 1891 alors que sa mère continue à vivre dans cette commune avec ses enfants les plus jeunes, elle ne s’est jamais remariée. Peut-être Claude Fréaux avait-il besoin d’argent pour aider sa mère ?
Il reste pourtant dans la région et continue sa vie de misère et de galère, c’est par ses condamnations qu’il est possible de le suivre : Il est condamné par jugement contradictoire et définitif du tribunal correctionnel de Chalon sur Saône le 8 septembre 1890 à la peine de 6 mois de prison pour complicité de vol.
Le 6 mai 1892, nouvelle condamnation par le tribunal correctionnel de Chalon à 3 mois et un jour de prison pour vol. Le 6 janvier 1894, il est de nouveau condamné à 6 jours de prison pour vagabondage par le tribunal correctionnel de Villefranche.
Son registre militaire signale qu’il accomplit des périodes d’exercice pour différents régiments dans le cadre de la réserve jusqu’en octobre 1900.
Son adresse en 1896 est à St Symphorien-de-Marmagne (71), difficile de l’imaginer en père de famille rangé mais je regarde quand même les recensements de 1896/1901/1906 pour cette commune : aucune trace d’un Claude Fréaux, aucun décès non plus enregistré à ce nom entre 1893 et 1902. Le chapitre « adresses » de son registre militaire a comme dernière mention « introuvable ».
Sa description physique ne montre aucune particularité : « cheveux blonds, sourcils blonds, yeux bleus, front haut, nez retroussé, bouche moyenne, menton rond, visage ovale » plutôt un joli visage !
En Octobre 1828, Victor Hugo écrivait Le dernier jour d’un condamné, il revendique dans son texte la mise en place d’une justice humaine et bienveillante : « La société ne doit pas punir pour se venger, elle doit corriger pour améliorer ». Je pense qu’après une enfance difficile, Claude Fréaux n’a pas trouvé dans l’armée le cadre dont il avait besoin et sa première peine de prison a été pour lui le début de son exclusion sociale. « De son malheur, vous faites son crime » Victor Hugo, préface du Dernier jour d’un condamné, à relire…
Pour effectuer, ses voyages entre la métropole, la Martinique, l’Afrique et Madagascar, Claude Fréaux a navigué sur deux bateaux : l’Orne et le Mendoza. A l’occasion de cet article, j’ai découvert le travail de Bernard Guinard qui, entre autres, a reconstitué l’histoire de bateaux historiques tel que l’Orne.
L’Orne a été construit par les chantiers de Bordeaux, il est prêt à prendre la mer le 20 mars 1863. C’est un bateau à 3 mats de 80,33 m de long conçu pour le transport des chevaux sur les théâtres d’opération. Il peut recevoir 400 passagers et 360 chevaux avec un équipage de 215 hommes. Il est propulsé par 2 machines à vapeur et une voilure de 3 140 m2.
L’Orne a d’abord assuré la ligne postale Saïgon-Suez entre 1863 et 1869. En 1873, il effectue également le 5e convoi de déportés suite à la Commune vers la Nouvelle Calédonie. Ensuite, il effectue des voyages entre Martinique, Réunion et Nouvelle Calédonie pour transporter les forçats à Cayenne et ramené les soldats en métropole. C’est à cette époque que Claude Fréaux a navigué sur l’Orne pour aller en Martinique. En 1891, l’Orne retourne à Rochefort pour être démoli.
Source :
Archives départementales de Saône et Loire
Site internet www.bernard-guinard.com
Un grand merci à Michel Guironnet pour ses conseils et son aide bienveillante.