Il n’était pas rare de lire des orthographes différentes, dans le même acte, des erreurs de prénoms, l’absence d’âge, quand ce n’était pas : « hier, j’ai enterré une pauvre femme », sans nom, ou une partie de l’acte laissé en blanc, sous-entendu « je n’ai pas retenu le nom, on verra plus tard ». Les nouveaux actes désormais rédigés par des secrétaires de mairie compétents, on allait voir tous ces défauts disparaître.
Voici donc un exemple de cette fameuse rigueur...
Le 15 mai 1832, en la mairie de Royère (pas encore de Vassivière / Creuse), comparaissaient en vue de leur mariage, Jean-Baptiste Lebraud, cultivateur au Villard, et Anne Mian, de Soumeix. Nous avons le nom de leurs parents, leur date de naissance. Leur premier enfant, Marguerite, naquit le 11 septembre 1834. Or, 7 mois auparavant, dans la même mairie, une autre Anne Mian avait épousé Jean Vassivière, de Quenouille (Peyrat-le-Château). Une sœur peut-être ? Notre affaire se complique quand on observe que les deux Anne avaient les mêmes parents et étaient nées le même jour. Des jumelles donc, mais avec le même prénom, c’est déjà plus curieux. Ces deux Anne moururent respectivement en 1886 et 1888, aucun doute, il s’agissait bien de personnes différentes.
Cherchons donc leur naissance, le 18 novembre 1806, à Soumeix. Dans l’acte, il est bien écrit : « hier, en début d’après midi, est née UN enfant du sexe féminin ». Il n’y eut donc qu’une seule naissance déclarée, ce qui contredit l’existence de jumelles précédemment évoquée. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises : déclarée par qui ? Marguerite Leclaire, 52 ans, grand mère de l’enfant (mère d’Anne Mazaud), le père, « Pierre, maçon, étant absent ». A l’évidence, ce dernier, au vu de la date, n’était pas encore rentré des chantiers, sans doute lyonnais. Mais ce brave Pierre, en retournant au pays, a bien dû avoir la joie de découvrir DEUX filles (qui étaient les premières du couple). Qui n’eurent besoin d’un acte de naissance qu’à leur mariage.
Elles passèrent donc leur vie avec le même prénom, et le même extrait d’état civil.
Ce qui ne semble pas avoir intrigué grand monde. Pourquoi l’acte de 1806 n’a-t-il pas été rectifié ultérieurement ? Je vois une explication : l’absence de déclaration d’une naissance, ou d’une seule naissance au lieu de deux (l’acte précise : « qu’elle nous a présenté »), était un délit, puni sévèrement (code civil : amende, prison). Délit pour le déclarant, mais aussi pour le maire qui a bien dû voir les deux jumelles dans les années suivantes, tout comme le secrétaire de mairie. D’où silence. Quand l’aïeule s’était présentée à la mairie, elle savait pourtant bien qu’étaient nées deux jumelles, mais dans quelle langue, et avec quel accent l’avait-elle annoncé ? Il faut se souvenir qu’à l’époque la langue maternelle de tous ces braves gens était l’occitan limousin, et que le secrétaire écrivait, lui, en français. Au malentendu probable, on peut ajouter une autre explication : que tout ce beau monde ait fêté ensemble la naissance, sans modération. Peut-être même avec le vin de messe du curé, qui baptisa ensuite « les deux Anne ». Je vous laisse le choix.